L'amitié rend aveugle. ⌁ ft. Mia

Comment ça, il lui « devait un service » ?! Timo n’en croyait pas ses oreilles. Alexie était bloquée dans une boutique. La queue était immense et elle avait visiblement un besoin vital d’acheter. Pendant qu’elle faisait des emplettes, le blond avait dû rester dans la voiture pour éviter qu’ils se la fassent enlever. Décidément, il se retrouvait toujours dans les bons plans. Quoi qu’il en soit, Alexie et lui ne cessaient de communiquer par messages alors qu’il pouvait littéralement lui faire coucou de l’intérieur du magasin. Elle l’avait missionné d’aller récupérer son sac d’affaires chez une certaine Mia, la sœur d’Augustus. Timo en avait bien entendu parler, mais il ne connaissait pas grand-chose aux affaires familiales de Gus. N’ayant d’autre choix que de se plier au service que lui demandait Alexie, il allait donc devoir se planter devant la porte d’une inconnue. Il espérait au moins que l’aîné des Holt l’avait prévenue, histoire qu’elle ne soit pas étonnée de voir quelqu’un se présenter chez elle. Ni une ni deux, il démarra le moteur et rentra l’adresse envoyée par Alexie. En quelques minutes à peine, il était arrivé et il ne lui restait plus qu’à trouver la bonne porte. Celle d’Augustus. Il espérait qu’il tomberait sur ce dernier.

Il vérifia par deux fois qu’il avait trouvé le bon logement et qu’il ne s’apprêtait pas à déranger un illustre inconnu – un autre – avec les bêtises d’Alexie. Il espérait aussi qu’il ne s’agissait pas d’une blague pour le torturer, auquel cas il la laisserait rentrer chez elle à pied, qu’il vente ou qu’il pleuve. Malgré toutes ses réticences, le blond se décida à appuyer sur la sonnette. L’attente se fit longue, très longue, si longue qu’il eut le temps d’être puni pour la vengeance qu’il avait imaginée et qu’une pluie diluvienne s’abattait sur lui en un rien de temps. Il sonna une nouvelle fois en appuyant avec insistance sur le bouton. Si Alexie lui avait fait subir tout ça pour rien, elle allait l’entendre.

C’est alors qu’un miracle se produit et qu’une jeune femme vint lui ouvrir. Il n’eut même pas le temps de se présenter que son instinct le pria de se mettre à l’abri à l’intérieur. Décidément, il était vraiment comme un chien dans un jeu de quilles. Il lui fallut essuyer son visage pour comprendre que Mia, la sœur d’Augustus, était en petite tenue devant lui et qu’ils étaient comme pétrifiés devant le malaise de la situation. Par réflexe, Timo se tourna vers la porte d’entrée. Il fallait bien qu’il fasse quelque chose, même si cela relevait de l’école primaire, puisqu’il ne s’imaginait pas enregistrer cette image. S’il le faisait, il y penserait à chaque fois qu’il croiserait Gus et c’était impensable. « Je suis un ami d’Alexie et je suis venu récupérer ses affaires… Mais vous devriez peut-être vous habiller avant de mes les donner » bredouilla-t-il avec un air gêné. Depuis le début, il savait que ce n’était pas une bonne idée.


@Mia Donovan

Chantant du Muse à tue-tête sous la douche, Mia s’éclatait à prendre le pommeau en otage pour mimer un micro. Depuis combien de temps n’avait-elle pas fait ça ? Depuis qu’elle s’était mariée, assurément… Toujours les mêmes questions, toujours les mêmes réponses. Mais ce qui était génial, c’était que la jeune femme n’y pensait justement pas à l’instant précis. Elle se sentait suffisamment libre et sereine pour se détendre et être elle-même et c’était quelque chose d’absolument merveilleux. Cela se manifestait dans diverses attitudes comme les éclats de rire, les plaisanteries à deux balles, le choix de ses vêtements et de ses divertissements, ou tout simplement le fait de chanter sous sa douche comme maintenant. Mais une sonnerie persistante vint troubler sa chanson. Il fallait vraiment qu’elle se débarrasse de l’habitude d’emporter son téléphone dans la salle d’eau. Coupée dans son élan, les cheveux ruisselant d’eau, Mia ouvrit le rideau de douche et attrapa sa serviette. Elle s’en enroula le corps avant d’attraper son téléphone portable, qui s’arrêta presque aussitôt de sonner. C’était Alexie. Décidant de se sécher un peu et de s’habiller avant de lui répondre, la vétérinaire eut à peine le temps de s’exécuter que la sonnerie annonçant la réception d’un texto retentit. Elle écrivait à la vitesse de la lumière ou quoi ? Jetant un coup d’oeil à son appareil, Mia comprit qu’Alex voulait simplement récupérer un sac qu’elle avait oublié ici dans les jours précédents. Elle avait dû passer voir Gus et le laisser dans le salon, or ce dernier n’était pas à la maison actuellement. Et si la Donovan comprenait bien, son amie arrivait bientôt pour reprendre ses biens. Elle avait à peine eu le temps de se dire ça que la sonnette de la porte d’entrée retentit. Mia n’aimait pas tellement faire attendre les gens, aussi se dépêcha-t-elle de se sécher. En entrant dans sa chambre et en jetant sa serviette sur le lit, elle enfila la première chose qui lui tomba sous la main : un mini-short d’été qui s’apparentait plus à un boxer et une brassière. Ça ferait l’affaire pour se contenter de rendre ses affaires à Alex.

Dévalant les escaliers, Mia ouvrit la porte à la volée… Avant de se figer sur place. « Bordel ! » lança-t-elle spontanément, alors qu’elle ne jurait presque jamais. Ce n’était pas du tout Alexie. C’était un homme. Un inconnu. Oui, un homme inconnu devant lequel elle se tenait en tout petit short et en brassière. Elle aurait pu se mettre à hurler si elle n’avait pas eu l’impression que son cerveau se déconnectait. Parce qu’elle ne fit littéralement rien pendant quelques secondes, suffisamment longtemps pour que l’inconnu ait le temps de tourner la tête et de fournir quelques mots d’explications. Retrouvant quelques réflexes, Mia claqua littéralement la porte d’entrée, la refermant plus violemment qu’elle ne l’aurait voulu. Comme une souris fuyant un chat à l’affût, elle se précipita dans sa chambre pour enfiler un jean et un T-shirt à manches longues aussi large que possible, comme si elle espérait que se couvrir tout le corps suffirait à effacer ce qui venait de se passer. Car elle était mortifiée. Elle qui était tellement pudique devant les hommes… Elle aurait mille fois préféré se terrer dans son trou. Les joues en feu, baissant la tête, elle finit par rouvrir la porte en tendant le sac d’Alex. « Je suis, euh… Désolée de vous avoir… Exposé à ça. » Comme s’il s’agissait d’une décharge radioactive. « Je croyais que c’était Alex, sinon je serais pas sortie comme ça… » Et voilà qu’elle ressentait le besoin de se justifier. Osant enfin lever un peu les yeux, elle se rendit compte que son interlocuteur était trempé. Dans ses angoisses, elle n’avait même pas réalisé qu’il pleuvait des cordes. « Vous voulez que je vous prête un parapluie ? Ou vous voulez… Entrer en attendant ? Oh, ne vous y méprenez pas, je… Enfin, vous pouvez attendre dans le salon et moi rester dans une autre pièce. » Complètement obsédée par l’idée que cet homme, qui en plus était beau gosse, l’avait vue quasiment à moitié nue, la blondinette s’embrouillait totalement.

Affronter la pluie. Rendre des comptes à une inconnue. S’expliquer. Retourner chercher Alexie. Tout cela pesait plutôt sur les épaules de Timo. Il était un pépère tranquille et avoir autant de choses désagréables à faire dans une seule et même journée n’était pas dans ses habitudes.

Il pensait que la journée avait atteint son paroxysme, mais c’était sans compter le fait qu’on lui claquerait la porte au nez. Il avait pourtant tenté de s’expliquer, mais les mots qu’il avait bredouillés n’avaient pas suffi. Choqué, il était resté planté devant la porte d’entrée en tentant de comprendre ce qui venait de passer sous ses yeux. Premièrement, il avait vu une jolie blonde en petite tenue. Jusque-là, ce n’était pas la première fois que ça lui arrivait. Au détail près qu’il s’agissait de la sœur d’un de ses meilleurs amis. Il clignait deux-trois fois des yeux comme pour effacer cette image de sa mémoire avant que la porte ne se réouvre devant lui. Il avait eu le temps d’être trempé, la pluie ayant totalement traversé sa veste. Voilà qu’elle lui proposait d’entrer maintenant. Après ce qu’il avait vu, il hésitait légèrement. Il faudrait qu’il lui fasse jurer de ne rien dire à Augustus au risque d’être gêné jusqu’à la nuit des temps. « Je veux bien entrer, si ça ne vous dérange pas » dit-il avant de pénétrer les lieux. Une entrée qu’il connaissait bien pour y être souvent passé. Maintenant, il fallait qu’il tire cette histoire au clair.

Il retira sa veste et repéra instantanément le chauffage. Il fallait qu’il se sèche un minimum, même s’il était presque sûr qu’il serait malade le lendemain. « Alors comme ça, c’est vous la sœur de Gus ? » demanda-t-il, légèrement étonné. Il l’aurait imaginée plus… brune. Et surtout, il ne se serait jamais imaginé qu’elle soit aussi jolie. Gus était un homme charmant, mais sa sœur avait un train d’avance de ce côté-là. « Je suis Timo, un ami d’Alex et de Gus. Alex est coincée dans une boutique et c’est pour ça que je me retrouve à la remplacer. » dit-il pour finir. Il ne voulait pas s’imposer, mais maintenant qu’il était là, il comptait en profiter. Il connaissait suffisamment bien Augustus pour savoir qu’il aurait voulu qu’il se réchauffe avant de repartir. « Ca vous dérange si je fais sécher ma veste et mon pull quelques instants ? J’ai l’impression que je vais perdre un membre là. » pas qu’il souhaitait absolument se mettre torse devant elle, mais l’aspect physiologique passait avant la psychologie. Il profita d’un moment de calme pour tirer les choses au clair. Il fallait qu’il le fasse sinon il risquerait de ne pas en dormir de la nuit. « Et pour euh… Ce qu’il s’est passé, je veux dire, quand vous avez ouvert la porte, pourriez-vous éviter d’en parler à qui que ce soit ? J’voudrais pas qu’une gêne s’installe sur un malentendu… ».

Plutôt que d’affirmer que ça ne la dérangeait pas, Mia ouvrit complètement la porte pour laisser l’inconnu entrer. C’était une première, d’ailleurs. Dans les grandes villes, on tombait plus facilement dans la paranoïa. Mais à Island Bay, où tout le monde se connaissait plus ou moins ou alors où il suffisait de prononcer certains noms comme des sésames, l’ambiance restait encore relativement conviviale. « Je vous en prie. » Elle referma la porte derrière lui, le suivant dans le salon en supposant qu’il était déjà venu ici. Ses joues étaient encore en feu, son cerveau criait encore à la honte totale et elle n’était pas sûre de pouvoir un jour regarder cet homme dans les yeux sans ressentir une gêne profonde. Mais comme il agissait tout à fait normalement, ça la rassurait un peu. Il n’avait visiblement pas l’intention de se moquer d’elle, ni de parler de ce qui s’était passé. Seulement, le pauvre était tout bonnement trempé, probablement par sa faute. Elle espérait simplement, à défaut de faire une bonne action à proprement parler, effacer dans la mémoire de son interlocuteur l’image d’une Mia en petite tenue. Elle n’avait pas la prétention de se sentir inoubliable, mais sa pudeur avait toujours pris de grandes proportions, surtout qu’elle avait toujours eu des soucis à s’apprécier à sa juste valeur. C’était peut-être ce qui l’avait amenée à se sentir aussi flattée d’être l’objet de l’attention d’un homme aussi populaire que Nathan, ce qui l’avait jetée dans la gueule du loup.

« Je suis bien la petite soeur de Gus. Je m’appelle Mia… Ce sont les cheveux blonds qui vous étonnent, c’est ça ? On nous l’a souvent fait remarquer. Il ressemble beaucoup à notre mère et je suis portrait craché de notre père. » Et voilà qu’elle se lançait dans des explications qui finiraient en dessin d’arbre généalogique. Elle était décidément trop bavarde dès lors qu’elle se sentait mal à l’aise. « Enchantée, Timo. La prochaine fois, je demanderai à Alex de le préciser lorsqu’elle enverra un homme à sa place. Et surtout, ne vous inquiétez pas... Je mourrais torturée plutôt que d'avouer ce qui s'est passé aujourd'hui à un à un autre être humain et je vous serais très reconnaissante d'être prêt à aller aussi loin » rit-elle nerveusement. Il devait la prendre au mieux pour une délurée, au pire pour une sorte d’allumeuse qui ouvrait à tout le monde en sous-vêtements. « Faites comme chez vous. » Elle réalisa, au moment où elle disait ça, que ça voudrait dire que le dénommé Timo se délesterait de quelques vêtements. La situation pouvait-elle devenir encore plus gênante ? Probablement, si elle s’amusait à jouer les vierges effarouchées alors qu’elle portait une alliance. « Je vais aller vous chercher une serviette, au moins pour vos cheveux. Et pour vous réchauffer, thé ou café ? Je peux même dénicher un jogging appartenant à mon frère si vous voulez. » Quelques minutes plus tard, la blondinette était de retour. « Tenez… J’étais en train de me dire, vous êtes le YouTubeur, non ? Gus m’a montré une vidéo une fois. »

Timo n’était pas ceux qui se gargarisaient du malheur ou de la honte des autres des autres. Le fait que Mia soit la sœur d’Augustus n’y changerait rien. Il n’allait pas passer des heures à parler de ce qui s’était passé ou bien même jouer les relous à insister. Tout ce qu’il souhaitait, c’était se mettre à l’abris pour éviter de choper une pneumonie et il était heureux qu’elle lui permette de le faire. Au moins, même si elle était morte de honte, elle ne pourra pas avoir sa mort sur la conscience. Elle avait fait le bon choix.

Timo ne put s’empêcher de rire aux explications de Mia. Effectivement, Gus était loin d’avoir de longs cheveux de la couleur des blés. Il était plutôt branché pétrole avec quelques mèches grises, mais ça, le blond se passait bien de lui dire. Ou bien peut-être qui lui avait dit une ou deux fois pour le taquiner. Dans d’autres circonstances, il aurait bien demandé une photo pour savoir à quoi ressemblerait son ami dans quelques années, mais il avait peur que ce ne soit pas le moment idéal pour être spoilé. « J’viens d’imaginer Gus en blonde. C’est un peu troublant, quand même. » dit-il pour alléger l’ambiance. Ils n’allaient quand même rester sur leur rencontre. Aussi exotique ait-elle été. « Je serai une tombe, ne vous en faites pas ». Il ne voyait pas Augustus comme un frère surprotecteur au point de lui mettre son poing dans la figure s’il apprenait ce qui était arrivé. Au contraire, il en rirait sûrement. Cependant, Timo préférait s’éviter de lui laisser le choix.

Sa veste et son pull enlevés, Timo fut touché par l’attention de Mia. A défaut d’être l’exact opposé de son frère physiquement, elle lui ressemblait dans les manières. « Je veux bien pour la serviette, mais ne vous en faites pas pour le survet. Je m’en ferai payer un nouveau par Alex, ça lui apprendra à me coller les plans pourris. Thé, ça m’ira, merci ! » dit-il tout en disposant ses vêtements près de la source de chaleur. Il n’eut même pas le temps de penser à autre chose que la blonde était de retour avec une serviette. Il la prit immédiatement pour éponger sa chevelure et son visage. Effectivement, pour quelqu’un qui avait une image publique, ce n’était vraiment pas le moment de prendre une photo et de la poster sur instagram. Il n’aimait pas vraiment qu’on le définisse comme « Youtubeur ». Timo était bien plus que ça. Il produisait des vidéos et les postait sur la plateforme rouge et blanche, mais pas seulement. Il s’occupait aussi de tout l’aspect communication et comptabilité. Bref, il avait fait ses preuves. « C’est ça, ouais, même si je préfère le terme « créateur de contenus » vu que je fais plein de choses diversifiées. Et j’enseigne aussi à l’université, depuis peu. » dit-il avant de se rendre compte qu’il ne savait même pas ce qu’elle faisait dans la vie. « Et vous, vous faites quoi dans la vie ? ». En glissant son regard vers le bas, il s’aperçut qu’elle portait une alliance. Il comprenait mieux pourquoi elle était à ce point gênée. Décidément, Timo avait décroché le gros lot. « Je devrais peut-être me dépêcher. Si votre mari rentre et me voit comme ça, vous risquez d'avoir plus de problèmes, encore plus qu'avec Gus, pour le coup. » dit-il en rigolant à peine.


Le fait d’avoir quelque chose à faire aidait Mia à se concentrer sur autre chose que sur sa honte. Aller chercher une serviette et préparer un thé, c’était déjà bien mieux que de rester plantée face à un inconnu à bégayer. « Est-ce que mon frère fait une hypothétique belle blonde ? » Elle aimait se moquer de Gus, mais il ferait assurément de même s’il venait à être au courant de ce qui s’était passé, s’il en venait à savoir comment sa rencontre avec le dénommé Timo s’était déroulée. Heureusement, ce dernier lui assura qu’elle n’avait pas à s’inquiéter et qu’il serait une tombe. « Merci beaucoup. » Les joues encore un peu roses, la jeune femme était désormais pressée de passer à autre chose, comme si le fait d’occulter un événement permettait de l’effacer. « Alors assurez-vous de ne pas accompagner Alex quand elle ira vous acheter des vêtements ou ça pourrait bien tourner à un nouveau cauchemar. » Bien entendu, elle plaisantait. Elle adorait Alex, même si elle était visiblement moins proche d’elle que ne l’était son interlocuteur. « Ça fait un moment que je suis pas allée faire les courses alors on n’avait pas vraiment de choix en matière de thé, mais j’espère que ça vous ira. »

Posant la tasse sur la table basse du salon, Mia se retrouvait les bras ballants à attendre que Timo ait fini de se sécher. Elle finit par s’asseoir, de moins en moins gênée à mesure que la conversation se poursuivait. Mais elle n’en demeurait pas moins maladroite, puisqu’elle finit très vite par lever les mains en l’air en signe de rédemption. « Désolée, je connaissais pas le véritable intitulé. C’est la première fois que je rencontre quelqu’un qui… Euh… Crée du contenu. Mais ça a l’air très intéressant, vraiment. Vous devez beaucoup travailler. » Elle avait parfois regardé sur Youtube les journées chargées de celles qu’elle suivait. « C’est sûrement une question bête, mais… Vous enseignez quoi à l’université, du coup ? » Malgré un parcours supérieur relativement avancé, la blondinette avait souvent eu l’impression que sa couleur de cheveux lui allait très bien. « Je crois que je me suis inspirée du choix de mon frère, parce que je n’en suis pas très loin. Je suis vétérinaire. » Inutile sans doute de préciser qu’elle n’avait pas travaillé depuis un bon moment - elle avait le sentiment de s’être déjà un peu trop dévoilée dans un sens. Ceci dit c’était peut-être précisément le moment d’avouer quelque chose, pas parce qu’elle en avait envie, mais si ça pouvait être rassurant… « Oh, ne vous en faites pas pour ça. Mon… Mon mari est à l’étranger. » C’était plus simple dit comme ça. Mais effectivement, si ça n’avait pas été le cas, Mia aurait craint le pire. Un miaulement attira son attention vers le bas. « Je vous présente… Mia. Vous vous rendez compte, Gus m’aime tellement qu’il donne mon prénom à son animal de compagnie. Elle est un peu pot de colle, si ça vous gêne, je pense que l’humidité va vite la repousser. »

« Gus serait la plus belle, j’en suis sûr ! » déclara-t-il en se moquant ouvertement de son ami. Il avait l’habitude de tacler son ami pour rire et il le lui rendait bien. Quant à Alexie, elle lui payerait bien ce moment d’embarras, mais il était hors de question qu’elle l’accompagne acheter des vêtements. Même dans la plus grande détresse, Timo ne s’imaginait pas faire appel à elle. Elle serait capable de lui ramener de quoi ressembler à un clown et le blond tenait à sa crédibilité.

Une fois parfaitement séché, il se saisit de la tasse. Il n’était pas bien difficile en matière de thé. La seule chose qu’il avait en horreur était le gingembre et il espérait ne pas avoir à cracher le contenu de sa tasse devant Mia. « Ne vous en faites pas ! Je ne le prends pas mal, bien au contraire. Je ne sais pas si j’enseigne vraiment quelque chose, pour être honnête » commença-t-il avant de marquer une pause. Il n’avait pas la prétention de parler de transmission, loin de là. « Je partage ce que je sais, j’oriente, je fais réfléchir sur tous les nouveaux métiers qu’internet nous apporte ». Timo était souvent mal à l’aise lorsqu’il entretenait des conversations banales. Il ne savait jamais trop quoi dire et avait régulièrement peur qu’on le trouve inintéressant ou pire, que son interlocuteur subisse sa maladresse. « Une vétérinaire ! C’est bien ça. J’ai un golden retriever et un chaton siamois. » dit-il. Il ignorait pourquoi il avait parlé de ses animaux comme ça. Sûrement parce qu’il ne savait pas vraiment quoi répondre d’autre. Le chat de Gus arriva à point nommé. Humide ou non, Timo s’accroupit et fit en sorte de sortir son numéro de charme pour mettre en confiance l’animal. Il le connaissait déjà, elle avait accepté ses caresses à plusieurs reprises, mais les chats avaient une mémoire sélective. Il en faisait les frais tous les jours quand Oslo était de mauvaise humeur. Le chaton pouvait être aussi affectueux que ronchon et pourtant, on lui avait répété que les femelles étaient généralement plus proches de leur humain mâle. Il mettait cette méfiance sur le dos de son passé. En effet, Timo avait recueilli Oslo après un long séjour en refuge. L’animal était arrivé en même temps que plusieurs frères et sœurs, dans un mauvais état, rempli de puces et avait dû être isolé pendant des semaines avant d’être proposé à l’adoption. C’est pour cette raison que Timo était patient. Il leur laisserait le temps de s’apprivoiser. En attendant, Mia (le chat) avait accepté qu’il la prenne dans ses bras et avait visiblement aucun mal à se laisser manipuler. « J’espère qu’il ne confond pas vos repas au moins… » dit-il avec un sourire non dissimulé. « Ca vous dérangerait si on se tutoyait ? Parce que j’ai l’impression d’avoir 80 ans, d’avoir la peau qui tombe et le dentier qui bouge tout seul… ». Il exagérait à peine.

Elle s’était déridée plus vite qu’elle ne l’aurait cru après un fâcheux épisode. En même temps, comment Mia aurait-elle pu ne pas se mettre à rire de bon coeur en imaginant Gus en belle blonde ? Timo avait assurément réussi à la mettre un peu plus à l’aise avec cette plaisanterie. D’ailleurs, la conversation se mettait en place d’elle-même, presque naturellement. « Partager, orienter, faire réfléchir, ça me paraît déjà beaucoup. J’imagine que pas mal de jeunes créent déjà du contenu mais voudraient réussir à faire fructifier un peu plus leur activité. Et d’autres doivent encore hésiter à se lancer. J’avais une copine, à la fac, qui avait créé un blog de food, puis un compte Instagram, puis une chaîne YouTube, enfin bref, vous connaissez toutes les plateformes mieux que moi. » La jeune femme avait peur d’être à nouveau maladroite. Après tout, c’était visiblement un défaut inhérent à sa personnalité, qui ressortait encore mieux quand elle s’adressait à quelqu’un qu’elle ne connaissait pas. Bien évidemment, elle était nettement plus à l’aise quand on évoquait son propre métier, puisqu’elle était sur son terrain. « Vous devez avoir de très beaux animaux, alors. J’ai toujours aimé ces deux races en particulier. Comme beaucoup de personnes, sans doute. » Mia n’avait pas tant que ça l’occasion d’en voir, vu qu’elle n’avait pas encore repris son activité professionnelle. Elle côtoyait beaucoup d’animaux au refuge, mais peu d’entre eux étaient des animaux de race.

En parlant d’animaux, la propriétaire des lieux avait pointé le bout de son museau. Visiblement intéressée par le nouveau venu, elle ronronna en constatant que cet intérêt était réciproque. « Rassurez-vous, Gus n’est pas encore gaga à ce point ! » En fait, comme la vétérinaire était souvent à la maison, c’était plutôt qui donnait à manger à son alter-ego félin en ce moment. En revanche, elle ne se préoccupait pas beaucoup de la nourriture pour les humains, préférant encore commander - heureusement qu’elle avait un frère en or, ce qu’elle reconnaissait volontiers même si elle se plaisait à se moquer gentiment de lui. « Je suis tout à fait d’accord, tutoyons-nous ! » Ils n’avaient pas élevé les cochons ensemble, mais c’était effectivement plutôt un truc de personnes plus âgées. Si Mia l’avait vouvoyé à la base, c’était peut-être simplement pour essayer de mettre un peu de distance entre eux après lui avoir ouvert en petite tenue. « Tu es ici depuis longtemps ? Je suis partie pendant plusieurs années alors je suis pas trop au courant des fréquentations de Gus, en-dehors d’Alex bien sûr. Mais en-dehors de la vidéo sur YouTube, ton visage ne me dit rien du tout. » Et elle savait qu’elle l’aurait reconnu, car on reconnaissait les beaux visages.

Avec les années, Timo avait réussi à maitriser la majorité des plateformes. Il ne suivait pas toutes les modes. C’était son choix. Il était un vieux de la vieille. A trente-deux ans, il ne s’imaginait pas alimenter son Tik Tok en dansant sur des bandes sons. Ce n’était même pas raccord avec son style et ses amis ne manqueraient pas le coche pour se moquer s’il le faisait. Gus ferait sûrement partie des premiers à le taquiner à ce sujet. Les cours que dispensait Timo étaient simples, mais comme à peu près tous les secrets du succès. Néanmoins, avec le recul, il se demandait s’il pourrait refaire le même choix, celui d’abandonner le développement pour devenir une personnalité publique. Peut-être ferait-il le choix d’une vie plus classique. Pour l’instant, il était épanoui, mais qu’en serait-il dans quelques années quand les cheveux gris commenceraient à prendre le dessus sur sa chevelure blonde ? « Je regrette simplement que cette voie soit devenue si prisée qu’on dispense des cours pour réussir. Beaucoup de gens pensent que c’est la facilité et c’est un mythe ». Il pensait chacun de ses mots.

Le blond était gaga de ses animaux. Bien sûr qu’il les trouvait beaux, plus que de raison même. Il s’était pourtant promis de ne pas devenir de ceux-là et pourtant, il ne pouvait s’empêcher de les couvrir de compliments quand ils lui offraient une marque d’affection. « Une prof de fac m’avait dit que j’étais mainstream quand je faisais encore des études. Avoir choisi ces deux races, c’est dans la continuité, je suppose ».

La main caressant les oreilles du chat de Gus, Timo apprécia de voir l’atmosphère se détendre. La rencontre avait été originale, mais il ne se formaliserait pas là-dessus. « Ca fait deux ans que je suis revenu. Avant ça, j’ai passé pas mal de temps en Asie et notamment au Japon. J’y travaillais comme développeur de jeux vidéo. J’ai connu Gus grâce à Alex. C’est la cousine de ma meilleure amie, Luana. Enfin, c’est compliqué tout ça. Le tien ne me dit rien non plus, je te rassure. » dit-il avec un rictus au coin des lèvres. « A moins que ma mémoire soit défaillante, mais j’espère pas. Il faudrait peut-être que j’y aille pour éviter qu’Alex n’attrape une pneumonie sous la pluie, mais on pourrait peut-être se revoir, si t’as un moment. » Certes, il s’était presque promis de laisser Alexie revenir à pied, mais il se sentait un minimum responsable. Le propriétaire de la maison serait sûrement le premier à lui reprocher s’il arrivait quelque chose à la petite brune. Timo prit le reste de ses vêtements encore humides dans la main et s’apprêta à affronter une nouvelle fois la pluie. En rentrant, il ne manquerait pas de prendre une bonne douche en premier et de faire état de tous ses griefs à Alexie, non mais. Il se saisit de son téléphone et créa un nouveau contact sous le nom de « Mia, sœur de Gus » puis tendit l’écran à son interlocutrice « Si tu veux me donner ton numéro, je t’enverrai un petit message en rentrant ». Il espérait seulement qu’elle ne le rangerait pas dans la case « Gros lourd » pour avoir voulu l’intégrer au groupe d’amis qu’il formait avec Alexie et son frère.



« Je vois ce que tu veux dire. Enfin non, je ne peux pas connaître les difficultés et tout, mais si on compare avec dix ans auparavant… J’ai l’impression que c’est une voie qui est devenue populaire et enviée. » Elle n’a pas osé dire à la mode, même si c’est l’impression que ça lui donne. Mais du coup, c’est peut-être une bonne chose que les jeunes puissent assister aux cours de certains de ces professionnels pour être mieux préparés et éventuellement changer d’orientation. N’empêche, il faut avoir du cran pour se lancer dans ce genre de carrière. Mia a peut-être fait des années et des années d’études complexes, elle est restée résolument conventionnelle et, contrairement à Timo, n’a pas beaucoup eu l’occasion de voyager. « Le Japon a l’air d’être un très beau pays. Tu as dû te plaire là-bas. J’adorerais m’y rendre à la période de la floraison des cerisiers, comme la moitié de la planète j’imagine. » La conversation est plus naturelle et moins formelle maintenant. C’est une excellente nouvelle, parce que même si elle n’oubliera pas sa honte de sitôt, Mia sait que dans une aussi petite ville, il vaut mieux que les choses soient à plat avec tout le monde. « Oh non, c’est pas si compliqué que ça, je te rassure. Comme j’ai toujours vécu ici, je sais que tout le monde est plus ou moins lié. Entre la famille et les amis, il y a très vite des recoupements et ça peut même être amusant. » Mais aussi agréable que ça puisse être de discuter avec lui, il ne peut pas traîner. Alexie l’attend et Mia constate avec plaisir qu’il a l’air plus présentable maintenant. Il ne donne plus l’impression d’être passé sous le déluge en tout cas et ses vêtements doivent être secs, même si ça ne va pas tarder à changer à nouveau. « Bien sûr, pas de problème » répond-elle quand il lui demande plus ou moins son numéro. Il est sympa et elle est contente d’élargir son cercle de connaissances, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes. La socialisation lui a trop manqué pendant ses années de mariage. « On sûrement se croiser à nouveau un de ces quatre. Envoie des bisous à Alexie de ma part. » Après l’avoir regardé partir sous la pluie, elle referme la porte derrière lui, se promettant de ne plus jamais ouvrir la porte sans s’être entièrement habillée au préalable.