What do you hide ? ∞ Troy & Ollie

J'avais reçue un message en début d'après-midi de Zola, paniquée, me demandant de l'aide. Elle avait organisé une sorte de stage de surf pour les enfants et l'un d'entre eux s'était blessé. J'étais avec un patient mais, je suis venue dès que j'ai pu. Cela fait maintenant dix minutes que j'occulte le petit garçon. Il est tombé apparemment et c'est son poignet qui a tout prit. Ce n'est rien de bien grave, une entorse tout au plus. Tandis que je lui fais un bandage sa mère arrive. Elle est hystérique et ne cesse de crier. J'ai beau essayer de la calmer, de lui dire que ce n'est rien de grave, elle continue à maugréer quand je lui lui fais une ordonnance pour une attelle et des anti-inflammatoires. C'est un soulagement de la voir partir, elle et son enfant. Voilà pourquoi je n'aurais pas pu faire pédiatre, autant j'aime beaucoup les enfants, autant je ne supporte pas leurs parents. Les quelques fois où j'ai à m'occuper de petits, je ressors avec la tête comme une pastèque. C'est ironique de voir que les enfants sont plus courageux que les parents qui sont quand même censés montrer l'exemple.

Je jette un coup d'oeil à ma montre, je n'ai pas à retourner à l'hôpital, mon service est terminé. Quand je m'apprête à dire au revoir à mon amie, je m'aperçois qu'elle se débat avec des cartons. Il y en a trois en tout, elle en porte un qui semble déjà être bien lourd. Elle semble débordée, j'entends les enfants crier de dehors "On veut manger, on veut manger ". Je comprends sans mal qu'elle essaie d'organiser un gouté. Mon hypothèse se confirme quand je vois que les cartons qu'elle essaie de transporter contiennent des petites briques de jus d'orange et des viennoiseries. Comme je n'ai rien de prévue pour le reste de la journée, je me propose de l'aider. Elle semble soulagée. Ça ne dérange pas de filer un coup de main, contrairement à ce que beaucoup croient je ne suis pas foncièrement insensible aux personnes qui m'entourent et à leur problème. Je suis simplement pragmatique. C'est à mon tour de me débattre avec les cartons, j'ai essayé d'en prendre deux d'un coup, j'en pâtis, je dois bien l'avouer. J'avance à l'aveugle, une des boîtes me cachant la vue, quand j'entends du bruit près de la porte. Je me contorsionne pour voir de qui il s'agit. J'arrive à apercevoir un homme, plutôt grand, métisse, si je ne trompe pas, je crois qu'il travaille ici. Sans plus de cérémonie, je l'apostrophe :

-Hé vous !

J'agite une main pour attirer son attention. Pas très malin, puisqu'une des deux boites que je porte manque de tomber. Je suis obligée de me mettre en équilibre sur un pied pour me pencher assez afin de la rattraper. Je ne suis pas du genre à passer par quatre chemins, c'est pourquoi que je lui intime sans détour :

-Aidez-moi à porter ce carton, il faut l'emmener dehors, ça contient le gouté des enfants !

Ça m'aidera bien, ils pèsent leur poids tout de même. On ne croirait pas que des petites briques de jus d'orange puissent être si lourdes.

Je suis là, mes cartons aux bras, complètement sur le cul. Je savais qu'il y avait des chances qu'il essaie de se défiler mais, certaine pas avec cette excuse là, c'est quoi ça ? J'en fais presque tomber mes boîtes, encore. Pour la deuxième fois en moins de cinq minutes, je me retrouve à essayer de stabiliser le tout. Autant vous dire que ça commence réellement à m'agacer. Ainsi monsieur je-te-laisse-dans-la-merde a prétexté ceci pour se dédouaner, après avoir bafouiller quelque peu :

-Je ne peux pas. Je ne supporte pas les enfants. Je pourrais en prendre un pour taper sur l'autre et je doute que Zola veuille un tel scandale pour ce stage.

Déjà, notez le "je ne peux pas". C'est plutôt étrange, le terme plus exact saurait je ne veux pas, non ? Pis c'est quoi cette excuse bidon, ça logique est vraiment ridicule. À ce moment là, moi, je ne peux payer mes factures parce que je déteste la paperasse. J'aurais envie d'envoyer des lettres empoisonnées en retour... Grotesque, n'est-ce pas ? Il me semble logique, qu'en tant qu'adulte, il sait qu'on ne fait pas toujours que ce qu'on a envie de faire. Je ne peux m'empêcher d'éclater de rire, c'est trop surréaliste. Une fois ma crise de fou rire calmée, je m'exclame d'un ton sec :

-J'espère que c'est une blague. Vraiment, j'espère pour vous que vous plaisanter.

Pourtant, rien ne semble indiquer qu'il blaguait. Il semble on ne peut plus sérieux. Je décèle derrière cela un brin d'anxiété, pourquoi ? S'il dit qu'il n'aime pas les enfants il devrait plutôt être agacé, non ? C'est vraiment étrange. Je n'arrive toujours pas à assimiler qu'on puisse utiliser une telle excuse pour essayer de se défiler. C'est trop, juste trop. Je secoue la tête pour essayer de reprendre mon calme. Les cartons commencent réellement à peser lourd sur mes bras, j'ai l'impression qu'il coupe ma circulation sanguine :

-Vous savez quoi ? Vous n'aimez pas les gosses, parfait ! Vous n'avez qu'à fermer les yeux et moi je vous guiderait, ce sera un peu comme une partie de Colin-Mayard. Maintenant, soyez gentil et prenez-moi une des ces boîtes avant que je ne perde un bras.

Le sarcasme est perceptible dans ma voix, on peut lire sur mes traits mon agacement. Il veut être ridicule, je peux l'être aussi. N'importe quelle personne saine d'esprit se la jouerait profil bas et ferait bien gentiment ce qu'on lui demande. Reste à savoir s'il est choisira bien ou si au contraire il s'obstinera, au risque de s'attirer mes foudres.

Que dire ? Sérieusement je ne sais pas ! C'est comme la panne de l'écrivain sauf que là, et bien, c'est dans la vraie vie. Je suis séchée, je n'arrive même pas à m'offusquer, alors qu'en temps normal, il m'en faut peu. Pourtant, là, rien. Aucun son de sort de ma bouche, je ne bouge pas mes bras ankylosés, je ne fais rien. Ça doit bien être la première fois que ça m'arrive. Je me contente de le regarder, comme si j'essayais de trouver ce qui clochait chez lui en le transperçant du regard.

-Je ne peux vraiment pas, je suis désolé.

On est d'accord, il se fiche ouvertement de moi ? Il ne va m'aider à porter les cartons, ce qui prouve qu'il n'en a rien à faire, cependant il dit qu'il est désolé. Le pire dans tout ça c'est que j'ai la nette impression que ses excuses sont sincères mais, comment pourraient-elles l'être ? Porter un carton pendant cinquante mètres ce n'est pas la mer à boire, loin de là, s'il ne veut pas le faire, ça ne peut être que par égoïsme. Bien que certaines personnes ne supportent pas les enfants elles ne tombent pas dans les pommes à chaque fois qu'elles en voient pour autant. Toujours plantée là, comme un piquet, mon cerveau fonctionne à plein régime. Il essaie de comprendre pourquoi, de le comprendre lui. Rien de toute ça n'est logique et ça commence sérieusement à me titiller. Dieu sait comment je peux être quand j'essaie de cerner quelqu'un qui est complètement hermétique. Je peux partir en vrille et me prendre pour une vraie petite détective. C'est ce pourquoi ce qu'il me dit me donne encore plus envie de le percer à jour :

-Je suis attendu quelque part et déjà en retard.

Ce ne peut qu'être qu'un mensonge si c'était la vérité, il me l'aurait dit directement, il n'aurait pas inventé cette excuse bidon sur le fait de ne pas supporter les enfants. Il s'enfonce là, il s'enfonce vraiment. Ma curiosité ne peut plus être contenue. Sans compter que je suis tout de même un peu vexée à l'idée d'être prise pour une andouille.

-Ohhh croyez-moi bien, vous allez être très en retard ! Donnez-moi une seule bonne raison de ne pas le faire ? Et si j'entends une autre excuse à coucher dehors, je vous préviens, je vous jette ces cartons à la figure.

Voilà, ça, c'était le moi mi-énervée mi-curieuse. Pourtant ma curiosité perd vite de son intensité contrairement à mon irritation, qui elle, monte en flèche quand il dit :

-Mais si vous voulez un conseil, prenez un carton à la fois.

Je me racle la gorge pour me donner une contenance. Il va vraiment se prendre les boîtes direct à la figure. J'affiche un grand sourire, tout ce qu'il a de plus faux, avant de rétorquer :

-Et si vous voulez un conseil, évitez de provoquer une femme dont le métier est de charcuter les gens.

Je ne plaisante qu'à moitié, il devrait faire attention. Rapidement, j'avance vers la porte, les cartons aux bras, pour la bloquer de mon corps. Ainsi, il ne peut plus sortir et moi je peux lui dire ses quatre vérités :

-Je ne plaisantais pas, je veux savoir, pourquoi ne voulez-vous pas m'aider ? Est-ce par pure mesquinerie ? Ou simplement par esprit de contradiction ?

Je ne rigole plus du tout. Il m'a agacé de part son attitude et de part le fait que je n'arrive pas à le comprendre. Ça ne m'est arrivée qu'une seule fois auparavant et mon cerveau partait dans tous les sens, imaginait tout un tas de chose. Hors de question que ça m'arrive encore, il va me dire pourquoi il ne veut m'apporter son aide et vite fait bien fait.

Jamais je n'aurais pensé faire un jour le pied de grue devant une porte pour empêcher un homme de sortir. La vie est décidément pleine de surprise. J'avoue avoir du mal à lâcher prise, je pourrais simplement le laisser partir, décider qu'il n'est qu'un crétin et qu'il ne mérite pas mon attention. Seulement ce n'est pas dans mon caractère, je suis têtue et je ne supporte pas avoir l'impression qu'une information m'échappe. C'est maladif je le sais bien. Je ne peux simplement pas m'en empêcher. Je sais qu'il me cache quelque chose, en tant normal je m'en ficherais bien, je ne le connais après tout. Pourtant là, à fleur de peau comme je suis, le fait qu'il refuse de m'aider m'énerve au plus au point. Ça en fait une affaire personnelle pour moi.

J'ai beau parler, il ne semble vouloir me répondre. Mes questions restent en suspens, ce qui a tendance à m'agacer plus encore. Il se fiche vraiment de moi c'est pas possible ! Je ferme quelques secondes les yeux comme si ça pouvait m'aider à garder mon calme. Après avoir soupiré quelque peu, il se décidé enfin à reprendre la parole, ce qu'il dit me laisse dubitative :

-Supposons que je sois un pédophile, ce n'est pas vraiment une bonne chose de me pousser vers des enfants. Vous ne trouvez pas ?

Alors maintenant, après m'avoir dit ne pas supporter les enfants, être attendu quelque part, il est un prédateur sexuel ! Magnifique, je crois que je viens de rencontrer quelqu'un d'encore plus cinglé que moi. J'imagine mal un pédophile parler aussi ouvertement de ses penchants répréhensibles. De plus, il n'en a pas l'allure, souvent ils paraissent peu sur d'eux, toujours sur le brèche. Lui est tout le contraire. C'est ce pourquoi je ne prends ce qu'il me dis. Je lui lance le pire des sourires avant de rétorquer, revêche :

-Bien si ce n'est que ça, vous m'aidez à m'apporter les cartons et je vous tue juste après, comme ça on prend pas de risque.

À ce petit jeu là je suis au moins autant douée que lui, je peux en sortir des conneries croyez-moi. Je hausse un sourcil provocateur comme pour le défier.

-Vous pouvez me faire payer cela en allant vous plaindre à Zola, je m'en fiche.

Voilà maintenant qu'il me prend pour une gamine de trois ans, c'est parfait. Je secoue la tête de stupeur. Peut-être qu'après tout, je devrais lui laisser ce gouter, il a l'air d'avoir la maturité pour l'apprécier.

-Alors c'est ça, vous avez peur que je raconte tout à la maitresse ? Non mais, vous me prenez pour qui ?

C'est réellement ridicule, on marche sur la tête. J'en ai assez, c'est bon je laisse tomber ! Il n'y a que les idiots qui ne changent pas d'avis, c'est trop surréaliste pour moi.

-Mais je dois partir, vraiment. Alors s'il vous plaît, laissez-moi avoir accès à cette porte.

Il se fou ouvertement de moi mais, il reste poli attention, j'ai le droit à un "s'il-vous plaît". Je lève les yeux aux ciels, ça faisait longtemps que quelqu'un ne m'avait autant énervé, je me demande même s'il n'a pas battu un record. C'est bon, c'est finit, je crois que si je reste un seconde de plus ici, je vais un péter plomb, sérieusement. Ainsi je débloque la porte, toujours les cartons aux bras :

-Vous savez quoi ? Cassez-vous ! Laissez-moi porter ses cartons toute seule si c'est vraiment insurmontable pour vous de m'aider ! Je ne direz rien à Zola ne vous inquiétez pas, vous pourrez rester un véritable enfoiré en tout impunité, je vous le promets. Bon, vous la passez cette porte, j'ai des boîtes à porter !

Je lui tourne le dos vivement et décide que, comme il n'est pas assez rapide, je quitterais la pièce en premier. J'ai failli trébucher plus d'une fois, j'ai les bras en feu et tout engourdis mais je suis finalement arrivée à apporter le gouter aux enfants. En croisant Zola, je lui demande, c'est plus fort que moi :

-C'est qui ce gars que tu as engagé pour t'aider déjà?

Comme je l'ai dit, je suis incapable de laisser tomber il faut que je sache ce qui cloche chez lui même si ça me demande quelques recherches. Je passe néanmoins sous silence tout l'histoire des cartons, comme je l'ai promis à Mr. Andouille. Ça ne me servirait à rien, absolument rien. Bien que je sois occupée, je suis sûre que je trouvais le temps de me renseigner sur lui, histoire de voir s'il est aussi barré avec les autres qu'il l'est avec moi. Affaire à suivre.