sorry for the mess (troy)

Suite à notre petite altercation, qui s'était heureusement plus ou moins bien terminée, je n'avais d'autre idée en tête que de vérifier mes sources. Si la discussion avait coupé court avec Troy, c'est aussi parce que j'étais montée sur mes grands chevaux lorsqu'il avait mis en doute l'identité d'une cliente sur les fiches d'inscription. Si cette accusation était clairement dirigée vers Cameron, elle remettait aussi en question mon travail puisque c'est moi qui procédait aux inscriptions. Je m'étais d'ailleurs un point d'honneur à vérifier les informations données par l'étude d'une pièce d'identité. J'étais absolument persuadée de l'avoir fait pour chaque inscrit depuis que j'avais repris les rênes du centre nautique, en bonne élève appliquée. Cela comprenait donc Cameron. Mais Troy n'avait jamais fait d'histoire, il ne m'avait rien demandé et n'était pas vraiment l'archétype du mythomane. Pourquoi alors aurait-il risqué de se mettre son employeur à dos ? Pourquoi refuser de donner un cours à une cliente, sans donner le moindre motif valable ? Quelque chose me poussait à croire que Troy ne me mentait pas, et qu'il était finalement possible que Cameron ait été inscrite sous un faux nom. Après tout, j'avais encore beaucoup à apprendre et personne n'est à l'abri d'une erreur. Le soir-même, après avoir épluché les listes des récentes inscriptions, je retrouvai celle de Cameron. Inscrite sous le nom de Cameron Lloyd. J'ignorai son véritable nom de famille (du moins, je ne l'avais jamais retenu) mais une chose était sûre : mon écriture avait été effacée pour réécrire ce fameux nom. Eberluée, je marquai un temps d'arrêt avant de comprendre ce qu'il avait dû se passer. Je n'avais pas commis d'erreur cette fois, comme j'en avais fait part à Troy, mais quelqu'un avait effectivement falsifié le document. Nul doute qu'il s'agissait de Cameron, pour une raison qui m'échappait encore. Quelle qu'elle soit, je ne supportai pas l'idée qu'on puisse se jouer de moi pour parvenir à ses fins. Et encore moins l'idée que ce soit Cameron. Elle m'avait mise dans une situation plus qu'embarrassante vis-à-vis de mon employé, et je ne pouvais laisser passer ça. Le jour suivant, je m'étais rendue chez elle pour mettre les choses au clair. Cela n'avait pas été de tout repos, mais ce n'était sûrement rien comparé aux excuses humiliantes que je m'apprêtais à faire à Troy. C'est l'estomac noué que j'attendis que nos emplois du temps se chevauchent, ne serait-ce que pour quelques minutes, pour trainer mes pieds jusqu'à lui. « Troy ? » dis-je timidement. « Excusez-moi, vous avez une minute ? » Je lui adressai un sourire crispé, tendue à l'idée de devoir avouer mes torts.

J'avais mis énormément de temps à me convaincre de remonter sur une planche, tant les souvenirs partagés avec mon défunt père m'étaient insupportables. Nous avions passé tellement de temps ensemble sur les vagues, dès mon plus jeune âge, que je craignais d'être submergée par les émotions. Je n'en avais simplement pas le courage, jusqu'à il y a peu de temps. Mon ami et éternel rival, Shawn Sharps, m'avait épaulé dans ce moment difficile et grâce à lui, j'étais parvenue à renouer avec ma passion. Jusqu'à la disparition de mon père, le surf était toute ma vie. Renier une partie de moi n'avait pas été sans heurts, et il était temps pour moi de reprendre du poil de la bête. Les bonnes nouvelles s'étaient enchaînées : j'avais tourné une sombre page de ma vie, je m'étais remise au surf et je commençais à me sentir à l'aise au centre nautique. Enfin, jusqu'à ce que Cameron vienne y fourrer son nez. La situation délicate dans laquelle elle m'avait mise m'était absolument écoeurante, et je comprenais que cela le soit aussi pour mon employé, Troy, que j'interceptai sur la plage. « Je.. oui. » Si je l'avais pu, j'aurais remis notre petite discussion à plus tard pour l'accompagner surfer. Mais ce n'était clairement pas le moment de fuir.  « Qu'est-ce qu'il y a ? J'ai fait quelque chose de mal ? » « Oh euh, non non ! Pas du tout ! » Je m'approchai de lui, serrant mes mains paume contre paume comme pour le prier de m'écouter religieusement. « Je ne vais pas vous déranger bien longtemps, je ... » Je cherchais mes mots comme une petite fille prête à avouer la pire des bêtises à ses parents. Pendant quelques secondes, je demeurais silencieuse en regardant bêtement mes pieds. Je me sentais tellement idiote de m'être faite avoir de la sorte que j'en perdais mes mots. « Je voudrais revenir sur notre dernière discussion ... » J'eus l'impression que Troy voulait intervenir, et c'est la raison pour laquelle je poursuivis immédiatement. « Je suis vraiment désolée. » Je ne parvenais pas, pour le moment, à expliquer davantage la situation. Au fond de moi, j'espérais que Troy lirait en moi comme dans un livre ouvert, mais il y avait peu de chance qu'un tel miracle se produise.

J'étais suffisamment embêtée pour qu'on me tire les vers du nez, et j'appréciais que Troy fasse preuve d'une certaine patience. Je lui délivrais, maladroitement, quelques bribes de mes pensées. « Je ne comprends pas. Vous êtes désolée de quoi ? » Aussi timide qu'une petite fille, j'espérais que mon employé comprenne aisément - et surtout, sans trop d'efforts de ma part - là où je voulais en venir. Mais c'était un curieux dilemme que d'assumer ses torts sans en faire mention face au principal intéressé. Il n'y avait qu'une solution : il fallait que je fasse le grand saut.  « Je pensais que la discussion était clair. Je ne peux pas demander à échanger une élève pour des raisons légitimes et je n'ai aucun soucis avec ça, ne vous en faite pas. Vous n'avez pas à être désolée pour ça. » Je mordais l'intérieur de mes joues, cherchant  une échappatoire avec désespoir. Je tâtais le terrain si prudemment que Troy ne pouvait connaitre, ou du moins avec certitude, l'objet de ma venue auprès de lui. Notre dernière rencontre n'avait pas été des plus agréables, et je lui devais d'être franche et honnête. « J'ai quand même vérifié les listes d'inscriptions, et j'ai constaté que le nom de la cliente dont nous parlions, Cameron, avait été falsifié. » Je lâchai cela comme une bombe, espérant que les retombées ne seraient pas si désastreuses que ça. « Vous aviez raison. » Je baissai la garde, et finis par oser regarder Troy dans les yeux. « Vous aviez raison, et j'ai mal agi. J'aurais dû écouter votre demande et l'étudier avant de réagir comme je l'ai fait. » Je soupirai. « Ce n'était pas professionnel, et je m'en excuse. » Cela ne changeait rien au fait que, de manière générale, je ne pouvais me permettre de trier les clients et de composer les équipes selon les préférences des professeurs. En revanche, cela remettait en cause la participation de Cameron au cours de Troy. « Cameron a falsifié son nom de famille pour assister à votre cours. Dans mon dos. Et si j'ignore la raison du pourquoi, je ne peux toutefois pas accepter qu'on se fiche de moi et de mes employés. » Je repensais à la façon dont cette fille m'avait entourloupée, et ça m'exaspérait. « Alors si, je vous dois des excuses. » affirmai-je avec humilité.

J'avais tout de suite senti que Troy serait réceptif à mes aveux, même s'il s'en sentait certainement un peu gêné. Quant à moi, je me sentis obligée d'insister pour aller au bout de mes idées et lui faire clairement comprendre que je ne pouvais cautionner le comportement de Cameron. A la fin de mon monologue, la sentence tomba comme un couperet. « Je les accepte. Mais ne vous en faites pas, ce n'était pas grand-chose. » Je pus enfin souffler, soulagée que toute cette histoire n'en reste qu'à un simple quiproquo. « Le client est roi, que ça nous plaise ou pas. » Je voulais rebondir sur cette affirmation, lui dire qu'il fallait effectivement composer avec le caractère de chacun (dans la mesure du raisonnable) mais que ce n'était pas une raison pour tout accepter non plus. Je voulais lui faire comprendre que j'étais de son côté, du côté de mes employés et de mon centre, mais surtout du côté de l'homme qui a certainement subi les foudres de Cameron. Mais je n'en eus pas le temps. « Cameron a un caractère.. particulier, mais s'il faut que je continue à lui donner cours, je le ferais. Je ne voudrais pas que le centre ait une mauvaise réputation par ma faute. » Je fis une légère moue, contrariée de ne pas pouvoir lui dire tout ce que j'avais sur le coeur à ce moment précis, mais il fallait que je prenne sur moi et que nous oublions rapidement cette histoire. « Je suis persuadée que ce ne sera jamais le cas. » J'appuyai mes propos d'un geste franc de la main, symbolisant ma certitude en la matière. Même si nous avions eu un différend, je n'avais jamais douté de sa loyauté. Si mon père l'avait choisi, et lui avait permis de rester depuis tout ce temps, c'est qu'il était quelqu'un de bien. Et ça, j'en aurais mis ma main à couper.  « On oublie tout ? » Il me sourit et, à mon tour, je lui tendis la main en signe de réconciliation. J'eus l'impression qu'il n'hésita pas une seule seconde à attraper et à serrer cette main tendue. J'en fus, là encore, plus que soulagée. « J'allais faire du surf, vous voulez venir avec moi ? Sauf si vous aviez autre chose de prévu. » « Oh euh, eh bien je ne sais pas, je... J'ai pas mal de choses à faire. » « Vous n'êtes pas obligé si vous ne voulez pas. » Non, c'est vrai, je n'étais pas obligée de l'accompagner sur les vagues. L'éthique aurait même voulu que nous restions sur cette poignée de mains très professionnelle, et que je m'en retourne à ma paperasse habituelle avant d'espérer prendre un peu le soleil sur le sable. Mais aujourd'hui, à circonstances exceptionnelles, je décidai de laisser ma véritable nature prendre le pas sur ma position d'employeur. « Oh et puis merde, je ne peux pas résister à une telle invitation ! » J'avais employé un mot plutôt grossier, du genre de ceux qu'on emploie pas face à ses collègues (alors encore moins quand il s'établit une relation hiérarchique) mais je n'en avais rien à faire. Cette histoire était un des premiers obstacles auquel j'avais dû faire face au centre, et j'avais clairement besoin de décompresser. Et puis, étrangement, en dépit de tout ça, je me sentais plutôt à l'aise avec Troy. Je courus attraper ma planche de surf adossée au mur du centre, retirai mes habits et me contentai d'entrer dans l'eau en simple bikini. Ma combinaison n'était qu'à quelques mètres de moi, et j'aurais pu l'enfiler rapidement, mais je n'avais simplement pas envie de m'embarrasser de quoi que ce soit. J'avais juste envie de me lâcher, de profiter de l'instant présent et du cadre idyllique qui me faisait de l'oeil depuis des jours. De l'eau jusqu'aux cuisses, je m'allongeai sur ma planche en scrutant l'horizon. Je soupirai un instant, me laissant timidement porter par le roulement régulier des vagues qui venaient s'échouer sur la plage. « C'est le meilleur remède. » Sortant soudainement de mes pensées, je découvris que Troy était à mes côtés.  « Tu aimes les défis ? » Je lui adressai un regard malicieux, un petit sourire en coin... et entrepris d'attraper la meilleure vague avant lui.

Si on m'avait dit le matin même que la situation prendrait cette tournure, je ne l'aurais jamais cru. Ces derniers temps, la relation professionnelle que j'entretenais avec Troy avait été mise à mal par notre chère Cameron. Maintenant que nous avions mis les choses à plat, il était temps de se rattraper. Et pour le coup, Troy avait eu une merveilleuse idée en me proposant de surfer avec lui. C'était une idée simple, mais efficace. Il connaissait ma passion pour ce sport qui, quoiqu'il en soit, nous liait. Après un instant de réflexion, j'avais fini par lâcher prise et par accepter son invitation : après tout, le soleil était au beau fixe. Au propre comme au figuré, alors pourquoi ne pas se faire plaisir ? Ni une, ni deux, j'ôtai mes vêtements et attrapai ma planche de surf pour rejoindre l'océan. Ce n'est qu'au moment où les premières vagues vinrent frapper contre mon ventre que je me rendis compte de ma bêtise. Certes, le soleil était à son zénith et les températures douces annonçaient l'approche des beaux jours, mais il n'empêchait que l'eau était encore (très) froide. Surprise, je tentai à tout prix de garder la tête haute et d'afficher un sourire crispé. Merde, quelle idiote. Une combinaison n'aurait pas été du luxe. Au bout de quelques minutes à gigoter avec tonicité dans l'eau, je m'étais suffisamment réchauffée pour me sentir prête à défier mon employé. C'est alors qu'un tutoiement s'échappa de ma bouche sans prévenir. J'aurais préféré rattraper le coup pour ne pas brusquer Troy, mais il me répondit dans la foulée.  « De quel genre ? » Oublié, le tutoiement. Il ne m'en fallut pas plus pour le challenger en me lançant en premier à l'assaut d'une grosse vague. Tandis que je fonçais vers le large, la voix de Troy m'intercepta. « Vous savez, si vous me ridiculisez, je vais devoir prétexter un arrêt maladie. Je n'aurais plus la carrure du professeur de surf parfait. » Je me retournai pour lui répondre quand je découvris qu'il en profitait pour me doubler. « Ah d'accord ! » Je ris un peu avant de me reconcentrer pour rattraper mon retard. Allongée sur ma planche, je glissais à toute vitesse avant de me relever d'un bond et profiter de cette vague. Cet esprit de compétition, contrairement à ce que j'aurais pu penser, m'avait manqué. Je me plaisais à vivre cette adrénaline, d'autant plus que j'avais aujourd'hui un adversaire de taille. Un adversaire qui prenait au moins autant de plaisir que moi sur cette vague. Parce que oui, la compétition était si serrée entre nous que nous surfions sur la même vague, à plusieurs mètres l'un de l'autre. Le challenge rempli, je me laissai tomber de ma planche pour ressortir de l'eau heureuse. « Je crois que j'avais vraiment besoin de ça. » Je fis valser mes cheveux trempés sur le côté et remontai à cheval sur ma planche. « Tu aurais dû proposer ça plus tôt ! » dis-je, amusée, avant de me rendre compte de ma deuxième boulette. « Enfin, euh.. ça t'ennuie qu'on se tutoie ? J'ai du mal avec le vouvoiement... puis une battle pareille, ça rapproche ! » Un trait d'humour qui, au fond, n'en était pas vraiment un : j'avais particulièrement aimé ce court moment partagé, et j'avais l'agréable sensation de découvrir, chaque jour, une nouvelle facette de Troy. Ce qui me plaisait certainement plus que de raison.

Sur certains points, mon job d'entrepreneuse en herbe avait un peu de mal à rentrer. En premier lieu, le vouvoiement m'était particulièrement difficile, notamment avec les personnes plutôt jeunes : ces personnes qui représentaient à peu près... 100% de mes employés. Parmi eux, Troy, qui était étrangement celui qui m'avait mis le plus à l'aise. Etrangement parce qu'il avait plutôt toujours été distant avec moi. Pendant un temps, j'avais même eu l'impression qu'il se chargeait de guetter mes horaires de travail pour donner ses cours à des moments stratégiques, le but étant d'éviter au maximum que nos temps de travail se chevauchent. Mais je m'étais peut-être imaginé des choses, ce ne serait pas la première fois. Quoiqu'il en soit, notre relation assainie et ce partage sur les vagues m'avaient fait baisser ma garde au point de le tutoyer. S'il sembla surpris au premier abord, je fus rassurée de voir qu'il ne m'en voulait pas. Nombreux auraient été (peut-être moins dans notre domaine d'activité où l'ambiance est plutôt cool) les salariés choqués par une proximité soudaine avec leur patron. Et si tel avait été le cas, je n'aurais eu d'autre choix que de m'excuser et de montrer patte blanche. « Non, ça ne me dérange pas. Ça nous évite de prendre quelques années en plus en une simple phrase. » Je soupirais, soulagée que mon scénario catastrophe ne prenne pas forme. « Vous.. Tu devrais faire du surf plus souvent. » Je lui adressai un sourire reconnaissant. Troy faisait l'effort de me tutoyer lui aussi, et je trouvais cela particulièrement appréciable. Si quelques années nous séparaient, nous étions tous les deux jeunes, et faire tomber cette barrière me détendait davantage. « Je ne te connais pas réellement, mais tu semblais tellement bien sur la vague. » Il avait vu juste. En une fois. En m'ayant vue surfer qu'une seule fois. Alors, soit j'étais prévisible et on lisait en moi comme dans un livre ouvert, soit il m'avait vraiment bien cernée. Dans les deux cas, je pouvais me satisfaire d'être tombée sur un employé si attentionné. « Cet océan, c'est comme chez moi. » J'observais l'horizon, pensive. « Je... j'ai mis du temps à remonter sur une planche depuis la disparition de mon père. C'était notre truc, tu vois, nos moments. Et... c'est encore un peu frais, mais je compte bien profiter à nouveau de ces belles vagues ! » Pleine d'entrain, je me risquais à lui proposer une seconde session. « Si jamais ça te tente de te re-mesurer à une championne... » Je mimais une attitude assurée, avec un sourcil arqué et un sourire colgate, reconnaissable dans les dessins animés par des dents d'une blancheur éclatante. « Bon alors par contre, ce ne sera pas payé. » Nous partageâmes un petit rire complice lorsque j'entendis, au loin, le téléphone du centre sonner pour la deuxième ou troisième fois. Une moue se dessina sur mon visage. « Hm, il se pourrait que ce soit important. » Important et chiant, puisque j'attendais un coup de fil de l'assurance (toujours pour cette histoire de vitre brisée qui n'en finissait plus). Je sortis progressivement de l'eau, avant d'adresser une dernière boutade à Troy qui avait terminé sa journée. « Promis, je ne parlerai à personne de ta défaite cuisante. » Un dernier sourire taquin et je le quittai pour retrouver des fonctions plus... administratives.