young enough to still believe / caitlin

Neuf heures n’a pas encore sonné lorsque Thad traverse la plage en foulées maîtrisées, les pieds nus s’enfonçant dans le sable (les chaussures, il les a laissé au bord de la plage pour mieux pouvoir courir, ce matin, les récupérera comme à chaque fois après avoir fait demi-tour pour marcher sur le bitume). Il s’est levé plus tard qu’il ne l’a pensé, plongé dans un sommeil de plomb après une garde qui s’est éternisée à l’hôpital – une opération qui a nécessité qu’il aide l’un de ses collègues, en réalité, le rendant épuisé et c’est le message que lui a fait passer son corps quand il s’est retrouvé incapable de garder les yeux ouverts plus de quelques secondes quand son alarme pour le jogging matinal a sonné. Il évite les rares premiers baigneurs, sans doute quelques surfeurs qui veulent profiter de l’absence de famille pour envahir la plage, garde le rythme qu’il s’impose à chaque fois qu’il reprend la course. Son regard s’attarde sur les visages croisés sans savoir s’il s’attend à croiser celui de Freya ou s’il préfère ne pas la revoir tout de suite parce qu’il sent bien qu’elle le rend confus et ça ne lui plaît pas. Il n’a pas besoin de ça. Les minutes s’écoulent et il finit par tourner les talons, effectue la course en sens inverse, retrouve parfois l’empreinte de ses pas sur le sable humide. Il ne lui faut pas longtemps pour retrouver le trottoir, ses chaussures toujours posées. Il ralenti le pas lentement, s’étire avant de se frotter les pieds pour en retirer le sable venu se glisser. Il s’autorise deux minutes pour profiter du paysage, comme à chaque jogging, deux mots pour retrouver son souffle, laisser les effets de sa course fonctionner. Une main dans ses cheveux et il se tourne pour prendre la direction de son duplexe, laissant la plage dans son dos pour aller retrouver une terre un peu plus intérieure.

Il repère un camion de déménagement garé dans sa rue, à trois pas de son immeuble et il fronce les sourcils, Thad, parce qu’il ignorait qu’un appartement était vacant dans le quartier. Non pas qu’il sache quoique ce soit, en réalité, trop peu impliqué dans la vie du quartier pour connaître bien plus que le nom de ses voisins les plus directs et quelques commerçants proches. Il hausse les épaules, donc, mais laisse son regard traîner, un peu curieux. Il distingue une chevelure blonde au milieu des déménageurs, reconnait la silhouette – et son cœur retombe dans sa poitrine. Lourdement. Ils ne se sont pas vraiment revus depuis de longs mois – lui surtout a tout fait pour éviter de la croiser, conscient qu’il a fait une erreur en la repoussant, conscient qu’elle lui a en voulu (et sûrement qu’elle lui en veut encore et il ne peut pas vraiment lui en vouloir, Thad). Il l’a fui en essayant de se convaincre que c’était pour le mieux, qu’elle méritait sans doute bien mieux malgré ce qu’il a pu lui dire mais il sait, qu’au fond, c’était surtout pour se protéger des larmes qu’il aurait pu apercevoir dans son regard bleu. Parce qu’il n’aurait pas su y résister, il n’en a jamais été foutu – c’est bien pour ça que leur relation a toujours été en dent de scie. Il a une boule qui se loge dans la gorge, un tiraillement qui lui demande de tracer sa route, de continuer en priant pour qu’elle ne l’ait pas vu mais l’envie de la rejoindre. De prendre de ses nouvelles – parce que même s’il a tourné la page, elle a été trois ans de sa vie (et, bien qu’il ne veuille pas totalement se l’admettre, elle a été les plus belles années de sa vie, so far). Alors il reste immobile de longues minutes, à la suivre des yeux, à se demander si elle se souvient qu’il habite dans le coin ou si c’est une simple coïncidence. Il s’ébroue finalement, se force à avancer de quelques pas et la distance ne tarde pas à être comblée. « Hey, » qu’il lance d’une voix étranglée, sans aucune certitude. Il n’est pas à l’aise, Thad, et ça ne le lui arrive que très rarement, d’être aussi mal à l’aise avec les femmes. Sans son sourire charmeur, sans cette lueur taquine dans le regard – à quoi bon, elle le connaît, Cate, elle saurait voir au-delà de l’apparence qu’il chercherait à se donner alors autant ne pas prétendre. « De retour à Island Bay ? » Il a appris, par sa mère (bien sûr que la maman Jenkins continuerait d’avoir des nouvelles de Caitlin même après la rupture), qu’elle avait été mutée. Qu’elle avait quitté la ville pour aller il-ne-sait-où.

@caitlin wilson

Elle est froide, Cate. Elle ne craque pas un sourire, ne se pare plus du ton qu’elle a eu, autrefois, pour lui. Il ne peut pas lui en vouloir, Thad, parce qu’il sait bien qu’elle a toutes les raisons du monde de le détester – il y a eu des fois où il s’en est voulu de l’avoir fait souffrir de la sorte. Cate, elle aurait mérité mieux et il le sait, il le savait déjà à l’époque. Il y a des fois où il s’est un peu détesté d’avoir rompu aussi brutalement parce qu’elle voulait voir leur relation avancer, parce qu’elle a fait l’erreur d’y croire et de l’obliger à voir au-delà, alors que la vérité, c’est qu’il y a cru, lui aussi. Qu’il aurait pu dresser un avenir avec elle parce qu’il l’a aimée, Cate, et que c’est justement parce qu’il l’aimait trop sincèrement qu’il a paniqué. Qu’il a choisi la fuite et la lâcheté plutôt que de prendre le risque qu’elle puisse finalement le blesser en partant la première et depuis, il s’est toujours caché derrière l’idée que c’était voué à l’échec. Trop de passion, trop d’engueulades, le genre de relation qui ne tient jamais vraiment sur la durée – mais qu’est-ce qu’il en sait, lui ? Cate, elle a été la seule avec qui il ait cherché à construire quelque chose sur plus longtemps qu’une nuit uniquement. Alors non, il n’a aucun droit de lui en vouloir maintenant si elle est froide, si elle garde ses distances, si elle ne fait pas semblant de vouloir se montrer polie et s’il ne lui en veut pas, il espère peut-être juste qu’elle sait tout ce qu’elle a signifié, pour lui, bien qu’il ne l’ait jamais dit. Il n’a jamais été très bon avec les mots, Thad. Il opine lentement, pas surprise de n’avoir rien su de ce retour récent mais déjà vieux de plusieurs jours. Ça ne le regarde plus, à vrai dire – et Cami prend grand soin d’éviter de lui parler de Cate quand ils se croisent. « Et t’as trouvé dans le coin. » Ce n’est ni une question, ni un reproche – à peine une remarque, en réalité. Après un an dans une autre ville, sans doute qu’il ne peut pas s’attendre à ce qu’elle se souvienne de son adresse, même si les allers-retours chez l’un ou l’autre ont été nombreux ; même s’ils auraient pu en arriver jusqu’à partager la même adresse, s’il n’avait pas fait marche arrière. Il tourne finalement la tête, arrache son regard sombre du visage de Caitlin avec l’espoir de faire taire la plainte de son cœur. La conversation est maladroite et peut-être qu’ils devraient plutôt parler de ce qui les a déchirés, peut-être qu’il devrait lui avouer qu’il n’a jamais voulu la blesser en se montrant aussi égoïste mais les mots ne lui viennent pas, mais il ne trouve pas la force de se lancer sur ce sujet bien trop épineux, alors il la laisse faire la conversation, hausse à peine les épaules. « Oh, tu sais, toujours la même routine. Boulot, dodo. » Il a un geste de la main avant de lui jeter un regard du coin de l’œil, d’apercevoir des déménageurs qui se sont arrêtés et les observent, sans doute un peu perplexes. « Ça va, toi ? » Il braque ses prunelles sur elle, semble presque la sonder pour juger de si elle va bien ou non. Pas que ça le regarde, encore une fois. Mais elle a l’air de se bien se porter, d’aller sans doute mieux que la dernière fois qu’il l’a vue, avant qu’il ne tourne les talons après quelques sarcasmes, après quelques horreurs balancées pour se protéger, lui et son cœur maltraité. « T’as besoin d’un coup de main ? » D’un geste du menton, il désigne le camion de déménagement, les déménageurs qui en ressortent avec les plus gros meubles. Peut-être qu’il n’aurait pas dû demander. Sans doute, même. Mais il n’a pas encore envie de tourner les talons et il n’a jamais été bon pour faire la conversation, Thad.

@caitlin wilson

Les mains plongées dans les poches pour se donner un air nonchalant, pour paraître chill bien qu’il sache qu’il ne parviendra probablement pas à la tromper, il opine lentement de la tête, Thad. Qu’elle ait envisagé que sa famille puisse venir la voir à tout instant en choisissant son appartement n’a rien de surprenant – leur proximité avec leur famille respective a toujours été l’un de leurs points communs, probablement même ce qui leur a permis de s’entendre aussi bien pendant de longues années et qui a facilité les présentations avec les familles de chacun. Il a la langue qui vient humidifier ses lèvres rapidement, avant qu’il ne lève une main pour l’empêcher de se justifier, même si c’est trop tard, même s’il a bien entendu qu’elle n’a pas choisi ce quartier pour lui. « Je ne.., » qu’il commence mais la vérité, c’est que même s’il savait qu’elle n’était pas revenue pour lui, il l’a pensé. Et c’est suffisant. Alors il ne cherche pas à terminer sa propre justification, à prétendre qu’il n’a pas envisagé qu’elle soit dans le coin pour lui, qu’il n’a pas eu cet élan de pur narcissisme qui le révulse pourtant. « Comment va ta famille ? » Changer de sujet parce que c’est plus sûr, moins risqué peut-être, parce que c’est un sujet qui lui semble propice à leur situation. Et sûrement qu’il aurait pu prendre de leurs nouvelles, à chacun, plutôt que de fuir derrière l’excuse de la rupture récente, plutôt que de vouloir se convaincre qu’aucun Wilson ne voulait avoir à faire avec lui pour ce qu’il a fait à Caitlin. N’aurait pas voulu que son attachement pour la fratrie Wilson soit mal perçu, qu’ils pensent qu’il essayait de se renseigner sur Caitlin, qu’il puisse avoir quelques intentions d’un genre ou d’un autre – ou, pire encore, qu’il puisse être percé à jour et qu’on l’accuse d’égoïsme, quand bien même ils auraient eu raison.
Il tourne la tête brièvement, laisse son regard survoler la place, les immeubles qu’il connait bien, dont l’architecture lui est peut-être même trop familière. Le repose finalement sur elle, la tête dodelinant toujours à moitié. « Tout est une question de timing. » Ça pourrait presque leur être adressé. Peut-être que si elle avait attendu une année de plus, alors il aurait eu moins peur, peut-être que s’il n’avait pas recroisé le chemin de Freya entre temps, alors il aurait été la chercher dans son exil pour lui demander de revenir. Parce qu’elle lui a manqué, même s’il préfère agir comme si ça n’avait jamais été le cas. « C’était bien quand même ton expérience de l’autre côté du continent ? » Pas de fausse sympathie mais une curiosité sincère. Lui, il n’a jamais été plus loin que Wellington, à part peut-être une fois ou deux en vacances, mais il ne s’est jamais aventuré bien loin. Un regret, une opportunité manquée, il ne sait pas réellement. L’attention détournée, la question posée avant qu’il ait le temps de réfléchir à sa proposition, il réalise son erreur à la réponse de Cate. Les excuses sur le bord des lèvres pendant une seconde avant qu’il ne les repousse, ne s’écarte que d’un pas en arrière. « Bien sûr, je... Hm. Dis-moi si jamais ils ont besoin d’une paire de bras supplémentaire. » Pas qu’il soit certain de pouvoir faire la différence, les gabarits entre eux et lui n’étant pas tout à fait les mêmes. « Quoiqu’il en soit, c’est cool que tu sois rentrée. Prends soin de toi, Cate. » La gorge nouée, une main relevée, les doigts tendus vers elle. Il voudrait pouvoir l’enlacer sans que ce soit trop étrange, à la place, il laisse sa main retomber sans même l’avoir effleurée, tourne le dos et s’éloigne de quelques pas, prêt à traverser la place pour rejoindre son duplex si personne n’a besoin de lui.