nice to meet you (natalie)

Depuis mon arrivée au travail, tout a été très calme. J'ai trouvé cela étonnant, mais pas au point de me plaindre. En temps général, la fréquentation est élevée le matin, lorsque les gens vont au travail, et la fin d'après-midi. Le reste du temps, le café continue de tourner, mais plutôt au ralenti, pour quelques personnes ici et là. Aujourd'hui, c'est bien différent. Il est même arrivé que la salle soit vide. Que ce soit mes collègues ou moi, nous avons trouvé cela étonnant, mais ce n'est pas pour autant que nous nous sommes tournés les pouces. Nous avons formé des groupes et nous avons rangé, trié ou nettoyé. Tout ce qui a pu être fait là, c'était du temps de gagner pour d'autres jours. Arrive quatre heures, l'heure où les roulements de personnels se font. Ce qui veut dire que mon tour approche et je vais pouvoir aller récupérer Elliot, mon fils, pour finir la journée tranquillement avec lui. Les horaires au café ne sont pas toujours fixes, mais ils restent plus légers et plus souples que si j'étais restée à travailler dans mon ancien bureau. Ce n'est pas le même salaire, c'est vrai, mais cela a été mon choix lorsque le terme de ma grossesse approchait. Néanmoins, avant d'en finir aujourd'hui, je dois m'occuper d'une dernière commande : une personne vient de franchir la porte du café et de remplir la salle qui était bien vide avant ça. « Laisse, je m'en occupe. » Dis-je à ma collègue, alors qu’elle s’apprêtait à aller prendre la commande. « Profites de mes trente dernières minutes pour souffler un peu, après tu seras toute seule. » C’est une bonne excuse. Même si au fond, m’occuper de cette personne me fait plaisir. Je n’aime pas ne rien avoir à faire, alors là, ça va me permettre de me sentir utile. Je reviens nouer le tablier autour de ma taille et je me rends au comptoir. « Bonjour, que puis-je vous servir ? » La tête de la jeune femme ne me dit rien, elle n’est peut-être jamais venue ici, ou alors, je n’ai jamais eu affaire à elle. Depuis maintenant trois ans, j’ai pu me faire à certaines personnes, à des habitués, à qui je suis même capable de servir une boisson sans rien leur demander. Ils prennent toujours la même chose, ça facilite la tâche et ça permet de gagner du temps sur la commande. « Vous avez de la chance, il n’y a pas beaucoup de monde aujourd’hui. Je suis donc toute à vous ? » Enfin, si c’est une chance. Elle ne verra peut-être pas les choses de la même manière. Peut-être qu’elle a passé une mauvaise journée et que finalement, m’entendre parler de l’enchante pas. Néanmoins, je fais de mon mieux pour être agréable. En attendant que son choix se porte sur quelque chose, je sors une tasse sur le côté et me prépare un chocolat chaud. Ce boulot a certains avantages, même si bien sûr, je vais payer ce que je consomme.

Finalement, de voir du monde ici, ça fait du bien. Même si ce n’est qu’une personne. Un café n’a pas vocation à être vide, quand il l’est, on pense directement que quelque chose ne va pas. Je saute sur l’occasion de cette arrivée pour m’occuper. Je prétends l’excuse de mon récent départ pour être la serveuse en charge. C’est un peu bête d’être deux ici, vu la fréquentation, mais ce n’est pas quelque chose qu’on pouvait prédire. Une chose est sûre au moins, c’est que les tasses situées derrière sont propres. On peut même voir notre reflet dedans tellement elles brillent. « Bonjour! Effectivement, je constate que vous avez une fin d’après-midi assez tranquille chez vous.» C’est le moins que l’on puisse dire. Néanmoins, ce n’est pas le cas tous les jours, il ne faut pas se mentir. C’est inhabituelle, au point que nous nous sommes tous demandé ce que nous allions faire pour nous occuper. L’avantage ici, pour cette cliente, c’est que le temps d’attente sera faible. Sauf si la machine à café se met à faire des siennes. « Alors, je vous prendrais un café américain et un croissant s’il vous plaît.» Aussitôt dit, aussitôt fait. Je sors une nouvelle tasse et prépare la machine afin d’avoir la boisson commandée par la jeune femme. « N’ayez pas peur, il y a plus de monde d’habitude. Ce n’est pas parce que des rats se balade à l’arrière. » S'il s’avère qu’elle est déjà venue ici, elle doit bien le savoir. Mais si ce n’est pas le cas, il est quand même mieux de le préciser. Ça serait quand même dommage qu’elle s’imagine le pire et qu’elle se fasse une mauvaise image du café. J’installe la tasse sous la machine et appuie sur le bouton. En attendant qu’elle se remplisse, je me retourne et attrape la pâtisserie demandée. Je la dépose alors devant la cliente, en intercalant une serviette entre le comptoir  et le croissant. Lorsque la machine s’éteint, je m’empresse d’aller récupérer la tasse. J’attrape une coupelle sur mon passage et dépose le tout à côté de la viennoiserie. « Ça fera sept dollars. » Rien qui presse pour l’instant, surtout si elle compte prendre son temps pour déguster ce qu’elle vient d’acheter. Je reste néanmoins sur mes gardes, dans l’éventualité ou elle cherche à partir sans payer, mais en la regardant un minimum, ça ne semble pas faire partie de ses habitudes. « Je ne vous ai jamais vu avant, c’est la première fois que vous venez ici ? » Elle va sûrement subir l’absence d’autres personnes et cette envie que j’ai de me sociabiliser un peu. Mais tant pis. Si vraiment je me rends compte que je la dérange un peu trop, qu’elle préfère passer sa pause café dans le calme et sans qu’une serveuse ne vienne lui faire la causette, alors je m’éloignerais un peu et je m’occuperais à côté. En attendant sa monnaie ou sa réponse, je ne sais pas ce qui arrivera en premier, je me décale légèrement pour retrouver ma tasse et boire une gorgée de mon chocolat chaud. J’ai bien besoin de cela pour affronter la petite tornade qu’est mon fils et tout le désordre qu’il va faire à la maison.

Je ne sais pas pourquoi, mais je m’empresse de trouver une excuse à ce café vide. Peut-être parce qu’au fond, arriver dans un tel lieu m’aurait moi-même fait peur. De nos jours, il n’est pas rare de voir des endroits ouverts alors que les règles d’hygiène ne sont pas respectées. « Oh, je n’en doute pas une seule seconde. C’est une belle journée aujourd’hui, les gens doivent simplement être occupés ailleurs. Et puis, ce n’est pas moi qui vais s’en déplaire non plus. » Elle a sûrement raison. Même si cela réduit nos profits aujourd’hui. En espérant que cela ne dure pas trop, je serais sinon contrainte de chercher un nouveau travail ou de maudire la météo clémente. Une fois la commande de la jeune femme passée,  je m’active derrière le comptoir pour la préparer au plus vite, tout en faisant attention de ne pas trébucher ou quelque chose du genre. Elle est la seule ici, ça serait quand même dommage de la faire attendre à cause d’une erreur. « Et voilà, vous pouvez garder la monnaie. C’est pour vous. » « Merci, c’est gentil. » Un sourire se dessine sur mes lèvres pour accompagner mes mots. Je récupère le billet qu’elle me tend et le range dans la caisse enregistreuse. Après ça, je m’intéresse à elle, à un éventuel passage ici, avant aujourd’hui. Son visage ne me dit rien, que ce soit dans ce café ou dans les rues de la ville. « Effectivement, c’est ma première fois ici. Je suis démasquée. » Ce n’est pas ma mémoire qui me fait défaut, c’est déjà ça. « En fait, j’ai aménagé au sud de la ville il y a quelques mois à peine. Et je crois bien dire qu’aujourd’hui est la première fois que je décide de vraiment découvrir l’endroit. » « Nouvelle ? Juste dans le coin, ou aussi en Nouvelle-Zélande ? » Même si ce n’est qu’un détail, cela peut changer beaucoup de choses, notamment par rapport aux habitudes et à la culture. « Débordée par le travail ? Si c’est ça, nous avons un coin là-bas, avec des prises. Et notre réseau WI-FI est connu pour être assez bon. » Elle a évoqué le fait d’être arrivée il y a plusieurs mois et pourtant, sa première sortie ne se fait qu’aujourd’hui. À moins qu’elle tenait quelqu’un captif chez elle et qu’il était donc préférable de ne pas sortir. Non, je ne dois pas penser à des choses comme cela. « Enfin.. si le café est suffisamment bon pour vous donner envie de revenir. » Je ne veux pas qu’elle se sente forcée de revenir ici pour travailler, surtout que pour certains, un café n’est pas vraiment propice à cela. Néanmoins, mon patron peut être fier de moi, je fais de la publicité pour son établissement. « J’ai toujours vécu ici, je peux peut-être vous aiguiller vers ce qu’il y a à voir. » Une simple proposition. Je ne travaille pas dans le tourisme, alors peut-être que mes conseils ne seront pas les meilleurs, mais c’est toujours mieux que rien. Surtout que j’ai beaucoup d’affection pour cette ville ou même ce pays.

Découvrir de nouveaux visages, ça ne fait jamais de mal, surtout dans un métier comme le mien. Je ne pensais pas cela lorsque je travaillais dans des bureaux, mais ce contact avec les habitants de la ville, chaque jour me fait comprendre que je suis parfaitement à ma place. Chaque personne a une histoire différente et c’est d’autant plus intéressant de les découvrir. « Je suis tout à fait nouvelle. Je suis d’origine britannique et fraîchement débarquée en Nouvelle-Zélande. » Maintenant qu’elle le dit, j’arrive à reconnaître un petit accent dans sa voix. Quelque chose d’adorable, il ne faut pas se mentir. Ou alors, c’est que je n’ai pas l’habitude d’entendre cela. Bien souvent, je ne croise que des personnes originaires du coin. « Oui c’est bien le cas. Je bosse au centre de Wellington, c’est en grande partie à cause de cela que je n’ai pas encore bien pris le temps de connaître Island Bay. » La jeune femme me confirme que tout cela est causé par son travail. Elle doit faire quelque chose d’important, surtout si ça lui prend autant de temps. Ma proposition pour venir travailler ici semble finalement tomber à point, même si ce n’est pas du goût de tout le monde de travailler dans un endroit public : pour le calme, mais aussi pour certaines données confidentielles. « Je suis certaine que l’endroit est idéal! Vous risquez effectivement de me revoir. La place m’avait déjà conquise à l’arrivée.  Je suis également charmée par votre café, je n’aurais pas pu demander mieux. » Un large sourire se dessine sur mon visage. C'est la nature de mon travail, de servir et de plaire aux clients, dans le but qu'ils reviennent par la suite. Avec certaines personnes, c'est plus difficile, mais avec elle, ça semble naturel. Au point même que je lui propose mon aide pour trouver des lieux à visiter en ville. « Tout à fait, je cherchais justement à faire quelques nouvelles découvertes aujourd'hui. J'ai le reste de la journée de libre, alors qu'avez-vous à me proposer ? » Je m'avance un peu plus vers le comptoir et prends appuie contre celui-ci, alors que je mets mes méninges en action pour trouver des réponses satisfaisantes. « Je suis une adepte de la plage, alors j'aurais commencé par vous proposer cela. Mais si vous habitez dans le Sud de la ville, vous devez déjà la connaître. » Adepte de surf durant mon enfance, c'était clairement mon endroit favori. « Sinon, il y a la forêt au Nord. Bien qu'un peut flippante quand la nuit tombe. » Je grimace légèrement. « Je suis en train de vous vendre du rêve.. » La forêt contre la plage, mon coeur n'hésite pas longtemps et ça se ressent clairement dans mes propos. « Il y a beaucoup de choses à Wellington sinon. Ce n'est pas la capitale pour rien. Je vous conseille le jardin botanique, c'est un endroit où j'aime beaucoup aller. Il y a aussi le Cable Car qui est très connu. » Deux endroits que je connais plutôt bien, le deuxième grâce à Elliot. Le petit garçon en raffole et il n'est pas rare que nous y fassions un tour de temps en temps.

Parler de la plage me ramène plusieurs années en arrière, quand mon père était encore parmi nous et qu’il m’emmenait faire du surf. Finalement, en y réfléchissant bien, ces moments peuvent se compter sur les doigts d’une main et pourtant, ils sont ancrés dans ma tête, comme si c’était la seule chose qui résumait mon enfance. « Je dois admettre qu’il est difficile de ne pas tomber amoureux de cet endroit ! La plage est vraiment une place magnifique, c’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai choisi de m’installer là-bas. J’arriverais plus en m’en passer maintenant ! » Cela doit être magnifique d’avoir l’océan sous ses yeux du matin au soir. Je pense que plus tard, ça me plairait bien d’emménager à South Bay. Mais pour le moment, où au moins au moment de la naissance d’Elliot, je n’avais pas les moyens pour me permettre un tel achat. « Je crois que cette ville à beaucoup à offrir. » Je pense que comme partout, il y a toujours à découvrir et quand il ne s’agit pas d’un lieu comme ceux que j’ai évoqué, cela peut-être un restaurant, un bar ou comme aujourd’hui, un café. Beaucoup de choses se cachent dans toutes les villes : je suis sûre de ne pas connaître tout ce qu’Island Bay a à offrir. « Il me semble que l'on m’avait déjà parlé de ces endroits, si ma mémoire ne me fait pas défaut. Mais comme je n’ai toujours pas eu la chance de faire un peu de tourisme, je n’ai pas eu l’occasion encore de les voir de mes propres yeux. » « Le jardin botanique est un très beau lieu et le Cable Car permet d’avoir une vue imprenable sur la ville. » Même sans être touriste, j'adore me rendre sur ces deux lieux, cela veut dire quelque chose, qu'ils ne sont pas là uniquement pour plaire aux personnes qui ne sont que de passage en ville. Leurs prix sont également abordables, ce qui évite de devoir mettre un budget conséquent dedans à chaque fois que j'y vais, que nous y allons. « Si vous aimez la mer, je sais qu'il existe des excursions aussi. Ça permet de connaître un univers que bien souvent nous négligeons. » Bien souvent, la plage et l'étendue d'eau sont négligés. De nombreux déchets s'y trouvent, malgré les différentes actions organisations par plusieurs associations. Depuis quelques temps, la mer est bien trop sale pour ce qu'elle abrite. C'est l'un des buts de ces excursions, elles permettent aux habitants ou aux touristes d'aller voir un peu plus loin ce qu'il y a. Le seul inconvénient, c'est que cela oblige de ne pas avoir le mal de mer. « Vous travaillez dans quoi ? Si ce n'est pas indiscret. » Maintenant que la conversation est lancée, cette question n'a plus de raison d'être. Et puis, si elle y a passé autant de temps ces derniers jours, c'est qu'il doit s'agir de quelque chose de prenant ou d'intéressant. Quelque chose qui lui plaît et qui pourrait éventuellement enrichir notre discussion. « Au fait, je m'appelle Celeste. Et je serais ravie de vous servir la prochaine fois où vous viendrez. » Même si mon prénom est accroché sur mon uniforme, je préfère lui dire moi-même, comme des présentations officielles finalement.

Parler de ma ville est quelque chose qui me plaît, sûrement parce que je n’ai jamais eu envie de partir : je me sentais bien ici. Ou alors, ce sont mes racines qui font ça, le passif que j’ai avec cette ville et tout ce qu’il me reste à faire encore. « Oh, ça me semble vraiment intéressant aussi. Je tâcherai de me renseigner davantage sur le sujet. » Je ne travaille pas dans le tourisme, je ne suis donc pas la mieux placée pour lui donner des conseils. Néanmoins, j’espère que les lieux ou activités dont je lui parle lui plairont. Je suis née et j’ai grandi ici, autant que cela me serve à quelques choses. Ma curiosité commence à faire des siennes, il faut croire que c’est plus fort que moi. Je m’interroge sur ce qu’elle fait ici et ce qui l’occupe de ses journées. Surtout que d’après ses propos, cela a été assez chargé pour elle dernièrement. « Ce ne l’est pas du tout, ne vous en faites pas. Je suis avocate dans le commercial, mais je bosse présentement pour une boîte d'avocats de Wellington. C’est d’ailleurs pour cette raison que je suis déménagée dans le coin, pour le travail. » Wellington. Tout de suite, cela a beaucoup de sens. J’ai connu cette vie là aussi, celle des bureaux. De temps en temps, ça me manque. Mais ça ne dure pas longtemps quand je vois ce que j’ai désormais. « Enchantée Celeste. Je m'appelle Natalie et je serai tout autant ravie de vous revoir lors de ma prochaine visite. » Un large sourire se dessine sur mes lèvres. J'ai l'habitude de servir des clients, certains plus polis que d'autres c'est sûr, mais là, cette phrase à un certain effet sur moi. « Enchantée également. » C'est toujours plus agréable de discuter avec quelqu'un en mettant un prénom sur un visage. Alors que je finis de boire ma tasse de café, je tourne le visage vers l'horloge, comme un réflexe, surtout quand je sais que mon travail se termine bientôt. « Oh, je n'avais pas vu l'heure. » Mon temps de travail touche à sa fin et si j'arrive en retard à l'école d'Elliot, je risque de me prendre une réflexion. Je ne dois donc pas traîner, j'ai la ville à traverser. « Je vais devoir vous laisser, mais ma collègue va prendre le relai si jamais vous avez besoin de quelques choses. » Il n'est pas possible pour nous de laisser quelqu'un seul dans la boutique, qu'ils soient honnêtes ou non, c'est bien pour cette raison que nous sommes deux ici. « N'hésitez surtout pas si l'envie vous dit de revenir, je serais ravie de vous servir. » Une phrase qui pourrait passer pour de la simple politesse et pourtant, je n'ai jamais été aussi honnête qu'aujourd'hui. Je détache le lacet de mon tablier et le retire. « Je vous souhaite une bonne fin de journée. » Je la regarde une dernière fois, puis prends la direction de l'arrière boutique pour y prendre mes affaires. Cette rencontre a été assez étonnante, je ne pensais pas pouvoir discuter aussi facilement avec une cliente du café. Au moins, de discuter de choses n'ayant pas à voir uniquement avec des boissons chaudes et des friandises.