Ca fait du bien, une soirée détente entre potes ! (Jackson)

Cela faisait quelques semaines qu'Aiden et Jackson n'avaient pas eu l'occasion de se voir en dehors du travail. Et même au commissariat, ils avaient peu parlé. La faute à la forte activité qui animait leur service. Et aussi au fait que l'agent Harton avait été affecté à la gestion des plaintes, avec Delgado... Le bonheur, en somme ! Gérer la paperasse, ça n'était pas du tout son fort. Il se plantait dans tout un tas de procédures, ses procès-verbaux étaient criblés de fautes d'orthographe, qui faisaient enrager son "coéquipier". Ça jasait pas mal dans le service, où d'autres agents avaient eux aussi été mis au placard. Aiden avait beau se dire que ça faisait partie de sa formation et de son bizutage, il commençait à s'inquiéter. Et s'il restait là ? Si finalement sa hiérarchie avait été ulcérée par sa gamelle à vélo, ses erreurs de débutants et puis le fait qu'il n'ait pas rapporté de quoi faire avancer l'enquête sur ce pauvre type tabassé à mort ? Il avait assisté à l'autopsie, fait son compte-rendu, qui laissait l'enquête au point mort... qu'y pouvait-il ? Rien ? Mais ce jour-là, il avait essuyé les plâtres d'un supérieur mal luné, qui cherchait à désigner la cause de ce surplace. On avait envoyé un autre agent récupérer les informations auprès du légiste, Nathan Peñali, qui ne fit que confirmer les dires de Harton. Depuis, cloitré dans les bureaux administratifs, il enregistrait les plaintes et faisait le boulot que d'autres ne voulaient pas accomplir. Ça ne l'empêchait pas d'être toujours aussi volontaire et de vouloir bien faire, mais il commençait à se poser quelques questions et surtout à s'angoisser un peu, en silence.

Quand il avait croisé Jackson à la machine à café, où il effectuait le ravitaillement pour ses collègues, par politesse mais aussi peut-être pour les brosser dans le sens du poil et ne pas les envoyer paître, ils échangèrent quelques mots, pour prendre des nouvelles. Il avait tant à lui raconter ! Alors que jusqu'à présent, leurs emplois du temps ne s'harmonisaient guère, ils se rendirent compte que ce soir-là, ils finissaient à la même heure. Ni une, ni deux, Aiden proposa qu'ils aillent se boire un verre pour rattraper le temps perdu. Craignant un refus, il proposa de payer leur tournée, afin de constituer un argument qu'il jugeait solide. Clarke avait accepté de venir, sans qu'il n'ait besoin de le convaincre. Mine de rien, ça faisait plaisir à Aiden. Outre l'admiration qu'il portait à son collègue, il le considérait un peu comme un mentor, un ami. A vrai dire, dans le commissariat, c'était la personne avec laquelle il s'entendait le mieux. Les quelques fois où il eut l'honneur d'être son coéquipier, Harton apprit beaucoup, sur le boulot oui, mais aussi sur lui-même. Jackson ne se privait jamais d'un bon conseil et il avait l'art et la manière de le glisser avec beaucoup de bienveillance. Humainement, il le trouvait attachant. Son histoire personnelle, du moins sur les quelques confidences qu'il lui faisait, elle le touchait pas mal. Clarke était un type bien, il ne manquait pas de le dire autour de lui. Ce qui lui attirait souvent quelques moqueries et taquineries sur le fait qu'il fayotait. Aiden évitait de rentrer dans ces débats là, mais il brûlait d'envie de faire remarquer, avec sa logique implacable, que s'il voulait faire le fayot, il irait servir le café du commissaire...

La journée terminée, donc, il récupéra ses affaires et se rendit directement au bar dans lequel ils s'étaient donnés rendez-vous. Il s'agissait d'un endroit plutôt sympa, à quelques rues du commissariat, réputé pour son ambiance animée les soirs de compétitions sportives. Ce qui était franchement agréable, outre le très beau mobilier qui faisait très "bistrot ancien", c'était la bonne humeur générale. Ici, pas de clients louches, juste des gens venant passer un bon moment. Tous les soirs, des artistes venaient se produire sur la mini-scène. Aiden avait déjà vu des humoristes, des musiciens et des chanteuses. En plus de ce cadre, les prix pratiqués restaient abordables. Un plus pour Aiden, qui en tant que bleu ne touchait pas non plus un très gros salaire. En fait, comme tout débutant, il était même payé au lance-pierres... sans une vraie prise en compte des heures supplémentaires. Aiden entra dans le bar et demanda une table pour deux. Un serveur l'installa et vaqua à ses occupations le temps que son acolyte ne le rejoigne. Aiden profita d'être assis pour sortir son téléphone et regarder si Kamryn n'avait pas cherché à le joindre. La réponse fut "non". Mais tant mieux, ça voulait dire que tout allait bien avec Charlyne ! Une pensée en entrainant une autre, il se plongea dans les photos qu'il avait prises. Qu'est-ce qu'elle était belle, sa fille d'amour ! Elle avait une si jolie bouille ! Et des yeux si vifs ! Et puis des petites menottes toutes douces et mignonnes... alors qu'il regardait les clichés, un sourire béat se dessina sur son visage. Vu de l'extérieur, ça devait quand même faire bizarre de voir ça !

- Oh ! Euh... je t'avais pas vu arriver !

Aiden rangea son téléphone. Il n'avait pas honte de sa fille, mais il n'allait pas dire comme ça, de but en blanc, à Jackson, qu'il était papa et qu'il venait de l'apprendre. Même si la nouvelle l'enchantait autant qu'elle l'angoissait, il préférait mettre des gants, un minimum et lui donner l'information avec tact. Ils étaient collègues, et il voyait dans leur relation, autre chose, une forme d'amitié qui était en train de naître. Outre leurs passions cinématographiques communes, il y avait un bon feeling entre eux, de bonnes ondes. Et au commissariat, l'agent Clarke était un visage amical parmi ceux impassibles de ses autres collègues. Aiden subissait toujours un peu une forme de bizutage mais surtout l'attitude de l'agent Delgado jouait en sa défaveur. On disait des trucs sur lui, sur ses compétences et ça faisait mauvais genre. Ainsi, les deux seules personnes avec lesquelles il avait parlé de façon cordiale, c'était Nathan Peñali et puis Jackson. Bon le premier, pas sûr qu'il soit ravi de le revoir un jour, vu qu'Aiden avait du se carapater aux toilettes pour soulager son estomac, sévèrement indisposé par l'odeur du formol et tout l'ambiance pesante de la morgue.

- Tranquille, oui... c'est le mot... enfin, Frank m'a fait comprendre que j'étais pas bon à grand chose... avec l'amabilité qu'on lui connait...

Il esquissa un sourire, mais on sentait bien que cette situation le mettait mal à l'aise. Et c'était compréhensible. Il aimait faire du bon travail. Quand on lui disait que ça n'était pas le cas, il tenait compte des critiques pour s'améliorer. Sauf qu'avec l'agent Delgado, dont il dépendait, rien n'allait. Il y avait toujours un truc qui clochait et cela lui valait des remarques pas très agréables... pas constructives du tout. Ce qui semblait être un bizutage en règle, virait un peu à l'obsession. Il subissait ça sans broncher, mais plus le temps passait, plus il se rendait compte qu'en réalité, on l'avait mis au placard. Ca l'effrayait, parce qu'enregistrer des plaintes, c'était intéressant, mais il préférait les enquêtes, les patrouilles, même la circulation ! Au moins, il n'était pas obligé d'écrire et s'évitait de faire des dizaines de fautes dans la rédaction... En le gardant auprès de lui, Frank essayait de le décourager et de le faire partir. Harton n'avait pas encore compris que son côté jeune premier de la classe, agaçait fortement son coéquipier, récemment rétrogradé et pourtant plus ancien et expérimenté que lui. Manque de bol pour ce dernier, Aiden était doté d'une forte capacité de résilience. Il encaissait, il prenait beaucoup sur lui, mais il ne décourageait pas facilement. Si sa carrière se terminait, ça serait parce qu'on l'avait viré, pas parce qu'il serait parti. Il fit signe au serveur qui vint avec son carnet prendre leur commande. Aiden, qui menait un train de vie plutôt sain, commanda une bière. Alors que le serveur repartait, il engagea la conversation :

- Ca fait du bien de se retrouver en dehors du boulot ! J'ai pas mal de choses à te raconter... mais toi, comment tu vas ? Tout se passe bien ?

Bourru... Aiden hocha la tête en entendant ce qualificatif. Ca résumait bien Delgado. Même si dans la réalité, il était en train de lui faire vivre l'enfer. Mais Harton voulait bien croire que ça soit juste une façon d'être et que dans le fond, une fois qu'ils auraient sympathisés, tout irait mieux. Il ne chercha donc pas à contredire Jackson, il se contenta d'acquiescer, sans trop de zèle non plus. Il verrait bien où tout ça le conduirait. Il souhaitait juste que ça ne soit pas au chômage... Il voulait vraiment devenir flic et faire carrière. Du côté des nouvelles, son collègue semblait vivre une période plutôt calme et ce n'était pas plus mal ! Ca faisait toujours du bien de n'avoir à se soucier que des anniversaires. Ainsi donc Jackson possédait un frère ? Voilà qui s'avérait intéressant ! Plus jeune ou plus vieux ? Il lui demanderait à l'occasion. Son intuition lui disait qu'il était l'aîné. Il en avait l'attitude et lui-même savait de quoi il parlait. Quand on est le plus âgé d'une fratrie, on a ce devoir permanent de bien faire et de montrer la voie. En ce qui concernait l'agent Clarke, il ne faisait aucun doute qu'il prenait tout ce qu'il faisait à coeur. Dans leur relation, il avait toujours eu le sentiment que naturellemment, Jackson cherchait à être un minimum protecteur, en lui donnant de précieux conseils sur le métier, en le rassurant comme il venait de le faire sur l'épineux sujet "Frank". Bref, il ne lui portait pas qu'une simple sympathie, il voulait aussi lui transmettre des choses, lui apprendre. Ils pourraient probablement parler d'idées cadeaux pour son frère, s'il n'en avait pas encore, mais Jackson évoquait déjà les révélations promises quelques instants plus tôt. Aiden n'avait pas vraiment de personne à qui se confier et pour qu'il le fasse, il fallait qu'il ait confiance en son interlocuteur. Il y eut un court silence. Pour que Clarke puisse suivre, mieux valait tout reprendre depuis le début.

- Tu te rappelles de la fille dont je t'ai parlé ? Kamryn... je ne sais plus si je te l'ai raconté, mais nous nous sommes connus pendant un séjour aux Îles Fidjis. Elle m'a plu et la réciproque a été vraie. On a vécu, pendant plusieurs jours, une idylle... et c'était, passionné, oui, je crois bien que c'était le mot. Elle est partie du jour au lendemain, sans que je n'ai pu récupérer ses coordonnées, ni même savoir son nom de famille. Et nous ne nous sommes plus jamais vus... jusqu'à... ce que je l'aperçoive dans un supermarché, avant de perdre à nouveau sa trace. Et puis, l'autre jour, j'étais en train de verbaliser une voiture mal garée... la sienne...

Il n'allait pas lui avouer qu'il avait décidé de payer son PV de sa poche, parce que ça n'était pas très professionnel ni très important. En revanche, il précisa :

- Nous avons discuté, elle avait tourné la page mais moi... j'ai toujours rêvé de la retrouver et de reprendre là où nous étions arrêté... je ne sais pas comment décrire ça, je suis amoureux, dès qu'elle est près de moi ou dans mon champ de vision, je sens des picotements dans mon estomac, mon coeur s'emballe... et c'est toujours aussi intense qu'aux Fidjis, tu vois ? Bref, nous nous sommes revus pour voire un café et puis...

Il marqua une pause car le livreur venait leur servir leur commande. Aiden regarda sa bière tout en réfléchissant à la façon dont il pouvait annoncer LA nouvelle. Il était encore sous le choc de celle-ci et il l'avouait volontiers, très stressé.

- Elle m'a avoué que sa vie avait changé depuis les Fidjis. Et qu'il était arrivé quelque chose, qui avait tout bouleversé. Elle a eu une petite fille et tous les devoirs qui en découlaient. En fait... elle m'a aussi dit que... je suis le père...

Il posa son regard sur Jackson, comme pour scruter sa réaction. Mine de rien, ça comptait pour lui puisqu'il lui confiait quelque chose de très personnel et de très important. Il reprit son téléphone, pour afficher une photo et la montra à Jackson, avec un sentiment de fierté à peine dissimulé :

- Elle s'appelle Charlyne... elle va bientôt fêter sa première année... elle est... magnifique... et moi... eh bien je suis partagé... je suis si heureux que j'ai l'impression de flotter comme un nuage... en même temps, j'ai peur de ce que tout ça implique... je me suis toujours dit qu'un jour j'aurais des enfants mais je n'en attendais pas si tôt... et puis, j'arrive un an après... je n'ai pas été là pour la grossesse, ni pour l'accouchement... ni même jusqu'à présent... et j'ai aussi des remords du coup... j'aurais peut-être du écouter ce que ma mère me disait, sur le fait qu'il falait sortir couvert tout ça... Je me sens responsable de toutes les difficultés que Kamryn a pu rencontrer, tu vois...

Jackson était la seule personne à laquelle Aiden avait confié les récents évènements. Et à vrai dire, impossible de vraiment savoir pourquoi il se montrait aussi prolixe en sa présence. Peut-être parce que son collègue représentait, à ses yeux, une épaule fiable, sur laquelle se reposer. Et puis, parce que Jackson possédait un côté agréable, amical, sociable. Au commissariat, il était celui qui disait bonjour avec un sourire, à tout le monde. Toujours poli, toujours de bonne humeur, du moins en apparence. Il savait cacher ses émotions, il fallait creuser pour les découvrir. Aiden sentait qu'il pouvait lui faire confiance et son intuition le trompait rarement. Rien de tel qu'un verre pour partager un moment pareil. Car dans les faits, c'était clairement une conversation qu'il ne pourrait jamais avoir dans le cadre professionnel. D'abord parce qu'il était bien trop rigoureux pour ça, mais surtout parce que ces derniers temps, il restait isolé aux plaintes, avec la présence toxique de Delgado. Il nota que Jackson avait croisé Nova au supermarché. Décidement, voilà qu'en plus leurs vies commençaient à posséder des points communs. A mesure qu'il expliquait les derniers bouleversements de son existence, il voyait bien que Jackson réagissait avec un certain pragmatisme. Et ça lui réchauffa le coeur de voir qu'il se posait les mêmes questions que lui, quelques jours plus tôt. Il se sentait "normal". Il reprit la parole :

- Non, elle ne me snobbe pas... disons que je ne suis pas sa priorité, elle me l'a clairement fait comprendre. Le plus important, c'est Charlyne et je suis d'accord avec ça, même si... enfin, tu vois... elle me plait comme au premier jour, je voudrais construire quelque chose avec elle, une famille... le truc classique, quoi...

Classique ? Pas pour tout le monde, mais on sentait bien que pour Aiden, ça faisait partie de son projet de vie, à moyen ou long terme. Il en parlait avec cette conviction en tout cas. Seulement, son éducation le rendait très respectueux de la volonté de Kamryn. Il laissait ses sentiments de côté pour ne pas la brusquer, ne pas la pousser à bout. On pouvait croire que ça avait quelque chose de louable, mais c'était juste la moindre des choses qu'il attache une grande importance à la notion de consentement mutuel. Dans ce monde moderne, hélas trop animé par les considérations égoïstes, beaucoup d'hommes éprouvaient un sentiment d'impunité. Ce n'était pas son cas. Son désir de former une famille restait ancré, mais dans son idéal, celle-ci était heureuse. Incompatible, donc, avec une relation basée sur le chantage affectif ou sur l'emprise. Et puis, il rêvait d'avoir un bébé un jour, issu d'un amour sincère et profond. Certes, tout survenait précipitamment et ça remuait son quotidien. Il ne s'imaginait pas devenir père de cette façon. Rien n'était plus comme avant, ça, ça demeurait une certitude. Pourtant, même avec cet état de fait, un peu brutal, il n'avait pas peur pour l'avenir. Il appréhendait simplement ses nouvelles responsabilités, en espérant qu'il serait à la hauteur.

- En fait, elle n'est pas du tout opposée à ce que j'assume mon rôle de père. Au contraire, j'ai l'impression qu'elle en est soulagée. Au début, je sentais de la méfiance. Elle devait croire que j'allais prendre mes jambes à mon cou. Quand je te dis que c'est une fille exceptionnelle... n'importe qui d'autre aurait refusé de me laisser une chance. Elle me fait confiance.

Il but une gorgée et ajouta, quelque peu rêveur :

- Peut-être qu'elle ouvrira la porte à nouveau pour nous deux... je sais que nous sommes encore jeunes et tout mais ça ne me fait pas peur. Je suis prêt à assumer pleinement une vie de famille. J'ai confiance et j'ai aussi un boulot pour assurer une vie stable. Enfin... pour l'instant, j'ai un boulot... si Delgado me fait pas virer prochainement...

Il eut un sourire un peu forcé, avant de regarder ailleurs. Puis il changea de sujet :

- Tu m'as jamais dit que tu avais rencontré Nova à la supérette ! Je suis curieux ! Tu veux me raconter ?

- Oui, je sais que tu as raison... je m'enflamme un peu trop. Et ne t'inquiètes pas, j'ai compris son message. Elle m'a dit que Charlyne comptait plus que tout, qu'elle mettait sa vie sentimentale entre parenthèses. Je respecte ça, après... je ne suis pas du genre à la harceler ou quoi que ce soit. Bon, ok, c'est peut-être pas l'impression que je te donne en ce moment même... j'avoue que je sens toujours ce feu passionnel quand elle traverse mon esprit. Ces vacances aux Fidjis... c'est l'un des meilleurs moments de ma vie !

On ne pouvait pas trop lui tenir rigueur de la passion qui l'animait, ni du fait qu'il s'enflamme. Aiden était encore jeune, quelque peu fougueux et il s'exprimait avec les mots qu'il trouvait devant Jackson. Après tout, ils étaient entre collègues, voire même amis. Il pouvait se "lâcher" un peu et dire ce qu'il ressentait vraiment. De toute façon, face à Kamryn, il perdait ses moyens. Tout se bousculait si vite dans son esprit qu'il enchainait les maladresses et les déconvenues. Ici, il pouvait au moins se prendre à rêver éveillé et à se confier. Jackson restait de très bon conseil et il soulevait des points importants. Oui, il faudrait laisser le temps à Kamryn de se faire à sa présence et de créer un lien de confiance. Après tout, il n'était qu'un amant de vacances à la base. La naissance de Charlyne tenait lieu d'un accident, bien qu'elle fut prévisible. Voilà ce qui arrivait quand on n'écoutait pas les conseils de sa mère... et qu'on se risquait à entreprendre des actes en faisant fi de toute protection quelconque. Jackson minimisa le pouvoir de nuisance de Delgado. Aiden aurait bien voulu le croire, mais dans son quotidien, il se rendait peu à peu compte que Frank n'était pas quelqu'un de bien, en tout cas avec lui. Il préféra passer ce sujet. Il ne voulait pas se plaindre, ça ne faisait pas partie de sa personnalité. Il enchaina sur la suite de son propos :

- Non, Kamryn est franche. C'est ce qui m'a plu chez elle, je dois dire. Mais elle n'est pas du genre à jouer avec les gens et à me faire miroiter. Elle va plutôt me dire cash les choses, sans mettre de gants. Bon, comme je t'ai dit, je suis conscient que j'idéalise sûrement... mais je ne peux m'empêcher de rêver, même éveillé, à ce couple que nous pourrions un jour former...

Sous le Aiden travailleur et volontaire, on ne pouvait pas deviner que se cachait quelqu'un de sensible et de romantique. A vrai dire, en voyant son allure, on aurait même pu librement penser l'inverse. Il écouta avec une grande attention l'histoire de Jackson. Son intuition lui dit que son collègue ne disait pas toute la vérité, mais il n'allait certainement pas lui tirer les vers du nez. Jamais de la vie. Il était trop respectueux pour ça. Et puis, ça changeait quoi qu'un détail soit différent entre le récit et la réalité ? Rien du tout. Il hocha la tête. Voilà quand même qui n'était pas commun. Se rencontrer autour d'un pot de mayonnaise ! Un sourire se dessina sur son visage. Il trouvait ça mignon, quand même. Mais il fut surpris par l'histoire du paintball. Tellement bien qu'il eut un rire amusé :

- Wow ! Attends, du paintball ? Carrément ! Ca c'est... original ! Je savais pas que tu en faisais ! Et elle aussi... et donc... qui a gagné la partie ? Que je sache lequel des deux je ne dois jamais me mettre à dos ? Si un jour vous cherchez quelqu'un pour corser le jeu, je peux me proposer ! Je me débrouille plutôt pas mal au paintball !

Il affichait un petit sourire taquin, rien de méchant ou de moqueur.

Aiden n'était pas du genre susceptible. Il acceptait qu'on puisse moquer certaines de ses attitudes, tant que ça ne devenait pas méchant. En gros, Jackson savait y faire pour le taquiner sans le vexer. Entre eux, le courant passait bien. Ils s'appréciaient. Et même s'il affichait une forme d'assurance, Harton prenait note de ce que lui disait son collègue. C'est clair que quand on se mettait à la place de Kamryn, on comprenait facilement que la situation était peu enviable. Le stress de la grossesse avait laissé la place à celui de la maternité. Elle devait tout gérer, seule, ou presque. Et tout ça parce que lors de leur aventure aux Fidjis, il n'avait pas pensé à se protéger. Cela aurait épargné les doutes, les soucis et tracas à la belle. Même si du coup, il n'aurait pas connu Charlyne et que leurs chemins ne se seraient jamais recroisés. Au final, le destin décidait pour eux. Les choses changeaient mais pas ce qu'il ressentait pour la jeune femme. Arriverait-il à tourner la page et à se faire à l'idée qu'à l'exception de leur fille, ils n'avaient plus rien en commun ? Difficilement. En tout cas il s'en confierait à Jackson. Après tout, les amis sont aussi là pour aider dans les moments tristes, non ? Ici, à Island Bay, Aiden ne connaissait pas grand monde. Sa famille vivait dans un autre hémisphère, il lui restait ses collègues de travail et quand on est le nouveau dans l'équipe, difficile de se faire une place et un entourage. Jackson et Nathan, il les appréciait, au point de leur faire confiance et de dire quelques confidences.

La conversation dériva sur le paintball. Bien qu'il ne soit pas à l'aise avec les armes, Aiden avait été à l'école de tir. Il savait viser. Sur un terrain de paintball, il ne doutait pas vraiment qu'il saurait se débrouiller. A vrai dire, il fallait sans doute qu'il se dérouille un peu, pour pouvoir avoir ses chances. C'était le problème lorsque l'on ne touchait pas aux armes à feu, ou alors vraiment en dernier recours. On perdait l'habitude. L'idée de défier Jackson ne lui déplaisait pas. Surtout que celui-ci venait de lui confirmer qu'il était plutôt bon. Peut-être qu'à l'occasion, ils pourraient se faire une virée entre potes ou collègues et en profiter pour s'éclater. C'était sûr qu'entre mecs, ça castagnerait davantage qu'avec des femmes. Rien de sexiste dans la remarque, mais c'était typiquement masculin que de refréner ses ardeurs en présence de femmes. Dans les faits, ça rassurait de voir que les mecs prenaient conscience de leur force et de l'écart qui existait parfois avec ces dames. Le contraire aurait été inquiétant et franchement pas acceptable.

- C'est vrai que de temps en temps, nous retrouver entre nous ça a du bon. Disons que ça rajoute de l'action et que ça défoule ! En tout cas, moi, je suis ton homme ! Dis-moi où et quand, et j'en serais ! J'ai hâte ! Je n'aime pas les armes à feu, mais j'aime bien le paintball, j'en faisais quand j'étais ado, avec mon centre aéré !

Alors qu'ils profitaient de leur commande, Aiden parut songeur un court instant. Il ne connaissait la ville qu'au travers de son métier. Il arpentait les rues en patrouille et parfois, heureusement qu'il avait un coéquipier, sinon il se paumait ! L'avantage, c'est qu'il arrivait à s'y retrouver au bout de la deuxième fois car il avait une mémoire photographique. Son exploration de Wellington ne lui permettait pas de bien connaître l'endroit où il vivait. Il demanda, donc :

- Au fait, je voulais te demander si tu connaissais quelques adresses sympas dans Wellington ? Je ne suis pas là depuis très longtemps et même si je découvre, je serais incapable de proposer un bon endroit pour un resto, ou un bowling, tu vois ? Et puis j'aimerais pouvoir proposer aussi quelques sorties avec Charlyne... genre la fête foraine, ou un parc agréable... bref, tu vois l'idée ?

Aiden se contenta d'acquiescer, d'une façon très scolaire. Jackson n'avait pas besoin d'être son supérieur pour asseoir sur lui une certaine autorité. S'il disait que les parties de paintball n'avaient strictement rien à voir avec ce qu'on voyait en centre aéré, il voulait bien le croire. Et ça lui convenait. Après tout, ça ajoutait une touche de challenge qui n'était pas pour lui déplaire. Il aimait l'action et les surprises. Ca le faisait vibrer. Parfois on pouvait se demander s'il s'agissait d'une forme d'inconscience ou bien simplement d'un besoin basique pour pimenter son quotidien. Sans doute d'un peu des deux. Kamryn n'était pas forcément au courant de cette facette de sa personnalité. Désormais, avec une fille à gérer, il lui faudrait faire des choix, hors, à cet instant précis, il ne se l'imaginait même pas ! Dans les faits, il vouait une grande admiration à l'égard de son collègue. Lui, petit bleu d'une vingtaine d'années, il cotoyait une légende vivante. Clairement, outre le fait que l'agent Clarke en imposait, ses exploits faisaient régulièrement le tour du commissariat. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ça n'était pas une vénération surdosée. En écoutant les autres policiers, on sentait bien que la routine les gavaient un peu, en tout cas à la circulation, aux plaintes et à la protection civile. Si on omettait leur sortie rocambolesque où Harton avait complètement bousillé son vélo, il ne se passait pas grand chose de fou. C'était d'ailleurs la grande différence entre Jackson, expérimenté et donc "sage", qui semblait satisfait d'avoir un quotidien stable, paisible et même un peu routinier et Aiden ou les autres, qui aspiraient à de l'action, à de l'adrénaline, à de la nouveauté. Pour plaisanter, et quand même lui glisser un compliment des plus sincères, Aiden lui dit :

- Même en ayant raccroché tes crampons, t'es quand même le James Bond d'Island Bay ! Bon, sans les gadgets et la cravate !

Ca venait du coeur. De toute façon, Aiden n'était pas du genre à enrober les gens de miel ou à complimenter de façon trop excessive. Il mettait toujours de la franchise dans ce qu'il prononçait. Ca en disait long sur la vision qu'il avait de son ami. Ce n'était pas un secret, il lui avait déjà fait part de tout ça. Jackson représentait un peu la figure paternelle, le héros auquel on se réfère pour pouvoir se fixer un cap. Oui, un jour, il voulait arriver à son niveau d'expérience, il souhaitait l'égaler. Aiden possédait de l'ambition, indubitablement. Et au moins, il se trompait pas de modèle ! Il ne choisissait pas un Delgado pour "sublimer" sa carrière. Si on mettait de côté ses erreurs de débutant et la sale réputation que tentait de lui mettre sur le dos, Frank, le jeune homme bossait bien. Il apprenait vite, il s'améliorait de jour en jour, se construisait grâce aux critiques qu'on lui adressait. Il n'était peut-être pas le flic parfait, mais la recrue la plus prometteuse et intéressante de sa "fournée".

- Je te remercie pour la liste, je t'avoue que ça me sera très utile, parce que mine de rien, c'est pas si évident que ça de connaître les bons coins. Je vois ce que tu veux dire, pour le trois étoiles... c'est le genre d'endroit avec un certain standing et une cuisine gastronomique. Ma mère adore ce genre de restaurant. Elle dit que c'est toujours succulent... personnellement, un lieu d'où je sors avec encore ma sensation de faim, très peu pour moi... Je ne suis pas glouton, mais bon, je ne suis pas anorexique non plus !

Il se mit à rire. Aiden, comme tout homme normalement constitué, qui plus est avec une musculature harmonieusement développée, possédait des besoins nutritionnels et ne se privait pas pour les combler. Du reste, il n'était pas excessivement gourmand. Ni même difficile. Il s'appliquait une alimentation variée, à la hauteur de ses moyens. Avec une liste d'endroits où aller, il pourrait proposer des lieux intéressants à Kamryn, à deux ou à trois. Après tout, dans un resto, Charlyne pouvait venir. Elle mettrait un peu d'animation et il pourrait lui faire manger des légumes en faisant l'avion, comme son propre père l'avait fait avant lui, quand il était encore un bambin. Leur petite soirée entre amis avançait plutôt bien. L'ambiance, amicale et chaleureuse les avait conduit à évoquer le passé de Jackson. Aussi, Aiden se permit-il de revenir dessus, en tâchant de ne pas se montrer trop intrusif :

- J'ai souvent entendu parler de tes missions par la bouche des autres. Il parait que tu as démantelé un trafic de drogue à toi tout seul. Rick, de la circulation, m'a même dit que tu avais sauvé la femme d'un type célèbre et mit le chef du réseau KO d'une prise de karaté... enfin, c'est ce qu'il dit. Je pense qu'il joue de ma crédulité, je me trompe ? Je veux dire, pour le karaté...