I want it all | Noomi

La douleur prenait parfois tellement de place dans la tête d’une personne qu’elle détruisait la raison de celui ou celle qu’elle possédait. Une peine si profonde, tellement ancrée dans un cœur fragile, qu’il devenait vital de briser la barrière de la réalité pour survivre. Ces êtres différents, qui réussissaient à vivre déconnectés du monde ambiant, devenaient alors les plus heureux. Depuis sa rupture des années auparavant, Maxyne ne se reconnaissait plus, la déchéance des fêtes et des soirées dans laquelle elle se plongeait n’avait plus de limites, elle sombrait dans l’oubli de la nuit avec envie. Non pas que son ex lui manqua, ou bien même qu’elle regrettait l’amour, étrangement elle ne se sentait pas en manque d’affection, elle ne voulait juste plus entendre parler de sentiments. Max voulait juste oublier sa vie, oublier son quotidien. Auckland lui manquait parfois, ses amis nageurs lui manquaient, même les compétitions parvenaient à lui manquer. Pourtant, elle avait retrouvé sa famille et ses amis à Island Bay, des personnes sur qui elle pouvait compter. Même si elle s’y refusait, on lui avait conseillé de s’ouvrir aux autres et d’aller de l’avant. Il était temps de ne plus penser à sa relation toxique, à cet accident, à ces mois de rééducation. Elle avait repris sa vie en main depuis des années, s’était trouvé une nouvelle orientation et s’était reconstruite. Max restait une phobique sentimentale mais elle réussissait progressivement à mettre cette blessure derrière elle, car souvent dans ce monde défiguré, occupé par des gens qui avaient perdu foi dans leur vie, elle vivait des moments d’exception. De ceux qui la réconfortaient dans l’idée qu’il était important de continuer et de se relever.

Dans la volonté d’une approche différente, Max avait ralenti le rythme des soirées et elle se décida à participer à une expérience incongrue pour voir si celle-ci lui donnerait l’envie de s’ouvrir davantage ou au contraire de continuer à se fermer. Était-elle prête ou non ? Personne ne l’obligeait à s’y rendre, elle verrait sur place. Longeant les couloirs de la clinique, Max entendit un léger bruit sur sa droite, un brouhaha qui lui indiqua le lieu de la session. Furtivement, imitant ces nombreux films d’espionnage qu’elle avait visionné enfant, elle rentra sur la pointe des pieds dans la pièce. Plusieurs personnes se tenaient au milieu, dont certaines avaient déjà pris place dans sur des chaises disposées en arc de cercle. Un groupe thérapeutique. Voilà l’idée du siècle qu’elle avait eue. Attirée par le buffet disposé sur la gauche, Max se servit un jus d’orange et surprit le regard d’une jeune femme qui l’observait. La blonde ne put s’empêcher de lui adresser un sourire avant de se reconcentrer sur le coin bouffe. Il y avait des dizaines de gâteaux de toutes sortes, des boissons à n’en plus finir, des bonbons. Ok, Max venait de trouver son coin préféré. Elle n’était plus aussi sûre d’avoir envie de parler à des inconnus. Pas le temps de tergiverser. Le coach invitait les dernier(e)s participant(e)s à venir s’installer et à se présenter.

Les médecins, les hôpitaux, Noomi ne les portait clairement pas dans son cœur. Bien sûr, lorsque quelque chose n’allait pas, elle arrivait parfois à prendre assez sur elle pour se dire qu’ils étaient tout de même plus compétents mais c’était toujours la mort dans l’âme qu’elle allait à leur rencontre. En y repensant, la seule fois où elle avait été contente de la voir, c’était le jour de son accouchement ; il faisait si chaud et la douleur était atroce. C’est avec bonheur qu’elle leur avait tendu ses veines en attente de la sacro-sainte péridurale. Après avoir très certainement shooté dans des trucs, hurlé comme la petite Reagan de l’Exorciste et menacer de leur coller un procès aux fesses s’ils ne se magnaient pas plus que ça, sûrement. Tout ça pour dire qu’en dehors de ce jour de bonheur intense où Sarah était venue au monde, la grecque était plutôt du genre automédication. Et ça tombait bien puisqu’elle avait les parents pour ça ; sa mère lui envoyait régulièrement des échantillons de boue de son bayou pour soigner n’importe quel problème de peau, quant à son père, il avait toujours toutes sortes de remèdes sous la main – dont un certain produit lave-glace qu’il utilisait depuis des années supposer soigner les rhumatismes, Noomi ne cessait pourtant de lui répéter que ce n’était probablement pas très sain de tremper ses articulations là-dedans mais il ne voulait rien entendre. Mais les pires d’entre tous, selon elle, c’étaient les psys. Ces connards s’asseyaient à leur bureau, leur lunettes stratégiquement posées sur le bout du nez mais caché derrière de grands blocs-notes vous faisaient parler de vos problèmes durant d’interminables minutes sans que ça ne vous fasse quoi que ce soit. L’unique chose qui vous faisait quelque chose durant leur séance, c’était de payer la note. Ça oui, ça faisait mal.

Alors vous pensez bien, quand son père était venu la trouver, avec l’air le plus coupable du monde peint sur le visage pour lui annoncer qu’il avait peur pour elle, que c’était pour son bien et qu’il l’avait inscrite à une thérapie de groupe, la blonde n’avait pas été très jouasse. Mais son père avait réellement l’air d’avoir peur pour elle. Et il ne lui avait pas fallu attendre qu’il vienne timidement lui en parler pour s’en apercevoir, évidemment. Depuis que son ex-mari avait cru bon de refaire surface pour faire valoir ses droits sur Sarah – au pire moment, sinon ce n’est pas drôle -, Noomi faisait vraiment n’importe quoi. Soit elle passait ses journées au fond de son lit à broyer du noir et attendre qu’il soit l’heure d’aller bosser, soit elle sortait faire la fête. Des fêtes qui se terminaient presque toujours de la même façon : en bagarre sur le parking après un passage éclair dans les toilettes avec la première personne qui lui tombait sous la main. Pas étonnant que son père insiste aussi souvent pour qu’elle vienne dormir à la maison après le travail au lieu de rester toute seule, il devait avoir une trouille bleue qu’elle fasse une vraie connerie un de ces quatre. Et elle ne lui donnait pas tort.

Tout ça pour dire que c’était précisément ce qui l’avait conduite ici, dans cette clinique où tout était clair et gai, transpirait la joie de vivre afin de bien vous faire comprendre que vous n’étiez pas dans un asile d’aliénés, vautrée sur une chaise aux couleurs trop vives pour les regarder directement les yeux, un café dans une main, un croissant dans l’autre, à observer des gens aux sourires beaucoup trop larges pour ne pas être déjà sous Prozac en se demandant ce qu’elle foutait là, bordel ! Ah, quel après-midi radieux, vraiment. En tâchant de voir les choses du bon côté, elle se dit simplement qu’elle était venue pour le café. Il n’était pas mauvais, un peu corsé comme elle l’aimait. Entra alors une blonde qui avait l’air aussi surprise d’être là qu’elle, ça se voyait au premier coup d’œil. Leurs regards se croisèrent, Noomi lui rendit son sourire sans y penser et mordit dans son croissant. Les gens autour d’elle se présentèrent les uns après les autres comme une réunion des AA. Elle les écouta d’une oreille afin de pouvoir plus ou reproduire leur présentation quand viendrait son tour. Ce qui ne tarda pas.

« Salut, moi c’est Noomi. Je bosse à la radio. Pas celle de la clinique où on prend des clichés haha. Bref, j’imagine que si j’suis là c’est parce que j’ai eu un accident de voiture l’année dernière. C’qui a entraîné des petits problèmes de mémoire alors m’en voulez pas si j’retiens aucun de vos noms. »

Ou visages ou histoires. Plus le temps passait moins elle avait l’impression d’être à sa place. Mais bon, d’un autre côté elle aurait sûrement oublié toute cette histoire d’ici demain.

Depuis son accident, Maxyne avait senti un froid glacial l’envahir. Elle avait tout relégué derrière une façade et elle refusait de baisser les barrières qui la protégeait, trop fière pour avouer qu’elle s’attachait parfois plus que de raison à des sentiments futiles. La jeune femme les considérait comme passagers ou n’ayant guère de sens. Elle préférait souvent se mentir à elle-même, c’était toute la nuance. Elle s’interdisait d’aimer à nouveau pour ne jamais revivre ce qui s’était produit, parce qu’elle avait peur de tout perdre encore une fois. Ainsi, elle faisait payer à son entourage les conséquences d’une mauvaise expérience et elle s’infligeait surtout une vie certes amusante et légère mais dénuée de saveur, loin des montagnes russes passionnelles et des illusions sans fond. Il était plus facile de jouer la carte de l’indifférence, de paraître détachée de tout et de chercher à oublier les événements qui l’avaient profondément blessée. L’oubli était la plus douce des options. Une anesthésie des cœurs abîmés, bercés par des flots de souvenirs amers. Chaque être cachait ses secrets et ses cicatrices, voguant sur l’océan de sa destinée au travers des orages et des raz-de-marée de la vie, dans l’espoir d’atteindre un jour la sérénité nécessaire pour effacer les douleurs passées.

Fixant son jus d’orange, Maxyne essayait de se rappeler pourquoi elle était venue à cette séance et ce qu’elle espérait y trouver. Pas des réponses sur elle-même, juste peut-être la présence réconfortante d’inconnus qui traversaient eux aussi des tumultes divers et variés à moins qu’elle ne soit tout simplement curieuse. Lorsque le thérapeute appela les participants à se rassembler au centre, la jolie blonde s’installa sur une chaise près de la fenêtre comme si la vue de l’extérieur lui permettait de garder un pied ancré dans la réalité. Son esprit avait tendance à plonger dans la rêverie aujourd’hui. Or, elle n’était pas de ces personnes qui réfléchissaient trop. Elle vivait et fonçait sans chercher à se poser de questions. C’était plus facile. La pensée menait à l’introspection, une introspection qui ne conduisait pas toujours à une vision de soi ou du monde très encourageante. Très peu pour elle.

Plusieurs personnes se présentèrent d’une voix monocorde, habitués à l’exercice sans doute. Soudain, Maxyne releva les yeux lorsqu’elle entendit la présentation plus marrante d’une des participantes. Elle reconnut vaguement la jeune femme qui lui avait souri quand elle était entrée. La dénommée Noomi ne semblait pas non plus à l’aise, signe qu’elle n’était pas une régulière de la thérapie en groupe. Malgré son travail à la radio, la voix de l’animatrice n’était pas familière aux oreilles de la nageuse. Peut-être parce qu’elle passait le plus clair de son temps à écouter des playlists personnalisées plutôt qu’à allumer une chaîne. Au moins, Noomi avait le sens de l’humour et avait apparemment vécu un accident qui lui causait des problèmes d’amnésie. Pratique en effet pour ne pas avoir à retenir les noms de tout le monde. En tout cas, en termes d’accident, elles partageaient un point commun. La nageuse esquissa un sourire, puis vint son tour de se présenter. « Salut, moi c’est Maxyne, vous pouvez m’appeler Max, c’est plus facile. » Il arrivait souvent que des personnes lui fassent répéter la fin de son prénom et elle avait la flemme de le redire tout le temps. « Très franchement, je ne sais pas trop pourquoi je suis venue. J’ai tendance à faire les choses sur un coup de tête. Comme certains d’entre vous, j’ai eu un accident il y a quelques années. A cause d’une relation toxique. Blessures, rééducation. Tout ça, c’est réglé. En vrai, il parait que ça m’a détraqué ailleurs, que je suis devenue une phobique sentimentale. Pour tout vous dire, mon surnom, c’est Mad Max… Il y a sûrement une bonne raison. » Pour une fois, elle n’était pas super à l’aise de parler devant des gens, c’était un peu comme une mise à nu par les mots. Max n’avait aucun problème à parler de son accident mais reconnaître qu’elle était instable, était moins évident.

Toute l’attention de Noomi était captivée par les stries de son gobelet de café. Elle n’écoutait que très vaguement les histoires des autres car c’était bien malheureux, certes, mais que pouvait-elle y faire ? C’est à peine si elle parvenait à se sortir la tête de l’eau, alors bon… on repassera donc sur l’utilité d’une thérapie de groupe, oui. D’une thérapie tout court, d’ailleurs. S’il existe des gens à qui ça faisait du bien de parler de leurs malheurs alors grand bien leur fasse, la blonde ne les jugerait pas mais elle n’en faisait pas partie. Déjà parce qu’elle se voyait mal parler de ses problèmes à de parfaits inconnus. C’était arrivé une fois et ça lui avait permis de ne pas se jeter d’un pont – ce qu’elle n’aurait de toute façon probablement pas fait parce qu’il était hors de question qu’elle abandonne Sarah -, mais en dehors de ça, elle considérait que c’était assez personnel pour ne pas non plus le crier sur tous les toits. Enfin bref, les informations entraient par une oreille, ressortaient par l’autre. Tiens, la blonde qui lui avait sourit s’appelait Maxyne mais elle préférait qu’on l’appelle Max, à l’instar d’un des meilleurs personnages de Stranger Things. Noomi se demanda si elle aussi utilisait le pseudonyme « Mad Max » l’espace d’une seconde avant que cette pensée fugace ne s’envole.

D’après ses dires, elle ne savait pas non plus ce qu’elle faisait là et la grecque retint tout juste un « bienvenue au club » qui n’aurait pas été de bon ton. Il s’avéra ensuite qu’elles avaient l’une ou l’autre chose en commun, comme le fait d’avoir eu un accident – chose ô combien banale finalement, il faut dire que les gens conduisent comme des dingues, elle la première –, ainsi qu’une relation toxique. Comme des tas de femmes. Et d’hommes aussi, probablement. Un sourire étira les lèvres à la pensée de Frank assis ici à sa place, en train de se plaindre de son ex-femme abusive. Il en aurait été capable, à n’en pas douter. Et elle n’aurait pu le nier, ils avaient été toxiques l’un pour l’autre. Cependant, Noomi avait tourné la page. Ou essayé de toutes ses forces en tout cas ; son problème aujourd’hui, c’était son accident et tout ce qui en avait découlé. A savoir le coma, le retour de Frank, les pertes de mémoire suivie de celle de sa fille. L’effet boule de neige, vous connaissez ? On pouvait difficilement mieux l’appliquer qu’à sa vie ces pratiquement deux dernières années. Tiens, Mad Max, elle avait vu juste.

Bon, et sinon, quand est-ce qu’ils allaient faire une pause ? Car la personne qui se trouvait assise en face d’elle ne cessait de blablater, un peu de la même façon qu’elle le faisait à la radio, sûrement la psy mais cette fois, la blonde avait cessé d’écouter, songeant qu’elle tuerait bien quelqu’un pour une clope, les yeux rivés sur l’horloge murale. Bras et jambes croisées, elle ne faisait aucun effort, son corps s’exprimait de lui-même. Et puis enfin, la psy annonça qu’ils allaient faire un break et Noomi fut sans doute dans les premières à quitter la salle, son paquet de cigarettes à la main.

Le tour des présentations continua durant un moment. Le thérapeute invita ensuite les participants à échanger sur différentes expériences de vie et sur la façon de réagir lorsqu’ils se retrouvaient confrontés à certaines situations. L’exercice se voulait une thérapie sociale d’ensemble. Max écoutait plus qu’elle ne participait et le coach n’embêtait d’ailleurs pas trop les nouveaux. Qu’est-ce que cette séance lui apportait ? Pas grand-chose si ce n’est de constater que bien des gens avaient des problèmes, des problèmes sérieux, et qu’ils cherchaient tous à trouver les clefs pour avancer. Malgré sa distraction par rapport à certaines présentations, la nageuse apprenait quand même à rester attentive plus de deux minutes, la session la canalisait et la poussait à se concentrer sur des soucis plus sérieux que la légèreté des conversations auxquelles elle était habituée. On sort où ce soir ? Une pizza quatre fromages ou une calzone ? Une plongée avec les dauphins ou les tortues ? Le thérapeute annonça enfin une pause dans la séance. Ouf. La tête de Max était à deux doigts d’exploser.

La jolie blonde se leva aussitôt pour aller prendre l’air et se griller une clope pour se détendre les nerfs. A l’extérieur de la salle, sur le balcon qui donnait sur la rue, elle constata qu’elle n’était pas la seule à s’être échappée de l’ambiance. « Je vois que nous avons eu la même idée. » Si Max avait bien retenu les informations à son sujet, l’autre fumeuse s’appelait Noomi et était animatrice radio. « Première fois ici ? » La blonde le pressentait à l’attitude de son interlocutrice qui semblait avoir envie de filer en douce comme si elle ne se sentait pas à sa place. Max aussi avait hâte que ce soit fini, elle ne pensait pas réitérer l’expérience car elle n’était tout simplement pas assez réceptive pour écouter toutes ces histoires. Toute la problématique de s’ouvrir aux autres justement. Quant à la présentation de Noomi, Max y avait été plus attentive par rapport à d’autres parce que la jeune femme s’était présentée avec humour et avait aussi eu un accident, même si la monitrice de plongée n’avait pas envie de ressasser. Bien sûr, elle se demandait comment une personne réussissait à vivre en souffrant d’amnésie partielle. Noomi devait être souvent confrontée à des situations incongrues. Des personnes de son entourage dont elle n’avait pas le souvenir, des choses qu’elle avait dite ou faite sans en avoir la certitude. Pas facile et surtout gênant la plupart du temps.

Max tira une bouffée et expira lentement. La brise de vent qui venait lui caresser le visage lui donna un frisson mais n’était pas désagréable au vu de la chaleur dans la salle. « Tu bosses à la radio j’ai entendu ? C’est cool. Je me suis toujours demandé si c’était les animateurs qui choisissaient les playlists de leur émission ou si toute une équipe derrière les préparait des jours à l’avance. Enfin si c’est une émission musicale, je m’avance sans savoir. » Hop au diable les politesses superficielles, elle l’avait tutoyée directement. Il faut dire que le métier de la jeune femme avait éveillé sa curiosité et que Max ne faisait que rarement dans la dentelle.

Y a pas à dire : ce que ça faisait du bien de s’aérer les poumons à la fumée d’une cigarette. Sans compter que Noomi avait l’impression que la clinique essayait de donner une ambiance tropiques à ses locaux au vu de la chaleur étouffante qui y régnait alors elle appréciait d’autant plus la brise sur sa peau, nonchalamment accoudée à la balustrade. Un bruit attira alors son attention, la faisant se retourner pour apercevoir l’autre blonde de la séance. Sans grande surprise, son nom ou toute autre information à son sujet lui échappait en grande partie. Et pour le coup, il ne s’agissait pas uniquement d’une histoire de mémoire défaillante mais de manque de volonté aussi, sans doute. Mais là n’est pas le problème puisque ça ne lui dissuada manifestement pas d’entamer la discussion avec elle malgré sa mise en garde de tout à l’heure. Elle sourit quant au fait qu’elles aient eu la même idée. D’ailleurs, c’était un peu étrange qu’elles ne soient que deux mais la blonde n’allait pas s’en plaindre, après toute cette parlotte, ça lui faisait du bien de retrouver un peu de calme.

« Sûrement la dernière aussi. Et toi ? »

Ça ne l’étonnerait pas, sans vouloir émettre un quelconque jugement, elle non plus n’avait pas vraiment l’air à sa place ici. Bien qu’elle se demandât qui pouvait bien avoir une tête à faire partie de de ce genre de décor et à quoi cette tête pouvait bien ressembler. La grecque n’étant pas très différente de tout le monde sur ce point, quand on lui parlait de thérapie de groupe, elle avait toujours cette image du film La mort vous va si bien qui lui poppait dans la tête. Et non, ce n’était pas vraiment des plus flatteurs. Alors qu’elle le voyait de ses propres yeux : il n’y avait personne en camisole de force ni même en pyjama, juste des gens normaux qui ressentaient le besoin de parler de leurs problèmes avec d’autres gens qui en avaient aussi. Mais que voulez-vous, ces images font désormais partie de l’imaginaire collectif sans que vous puissiez y faire quoi que ce soit. A part changer celles qu’auront les générations futures. Enfin bref, la jeune femme a visiblement retenu qu’elle bossait à la radio et se mit à lui poser des questions sur le sujet restées sans réponses jusqu’ici. Un petit sourire étira ses lèvres avant qu’elle ne reprenne une autre taffe.

« Disons que c’est un peu de deux. La radio a des arrangements avec tel ou tel label alors qu’on le veuille ou non, on est un peu obligé de passer certains artistes. Mais je te cacherai pas qu’il m’arrive régulièrement de donner un petit coup de pouce à des potes à moi ou au reste de mon équipe quand j’en ai l’occasion. »

C’est-à-dire souvent puisqu’elle bossait tard le soir, une fois que les patrons étaient rentrés chez et pionçaient tranquillement. Tout ce dont ils se souciaient, c’était les audiences. Et en ce qui concernait l’émission de Noomi, elles étaient toujours très bonnes, peut-être même les meilleures de la radio.

« Tu fais de la musique ? »

Max était bien contente de quitter la chaleur étouffante de cette salle et de prendre l’air durant leur quart d’heure de pause. Etourdie, elle inspira profondément et retrouva enfin des idées plus claires. Pas étonnant que certains d’entre eux rencontraient des difficultés à suivre les histoires des autres et à rester concentrés. La nageuse alluma une cigarette et tira un coup tout en réfléchissant à la séance. Malgré son effort de présence et sa curiosité, elle ne réitérerait pas l’expérience. Ce n’était vraiment pas son truc. Alors que la dénommée Noomi se tenait à côté d’elle pour la même raison – fumer une clope, Max engagea la conversation pour passer le temps. Plutôt sociable, elle réussissait à nouer des liens même avec un chien et son chapeau comme le disait l’expression consacrée. « Je ne compte pas revenir non plus, c’est… spécial. » Les deux nouvelles partageaient le point commun de ne pas avoir envie de remettre les pieds ici. « Par contre, je retournerai voir le buffet après. J’ai vu plein de bonnes choses. Au moins, je n’aurai pas complètement perdu mon temps, ils ne s’embêtent pas pour la bouffe ici. » Lança-t-elle ensuite sur un ton léger, ne sachant pas si l’animatrice radio trouverait cette plaisanterie de bon goût. Max restait naturelle en toutes circonstances, que ça plaise ou non.

De sa voisine de balcon, elle avait retenu des éléments de son histoire telle que son amnésie ou son accident. Cependant, son métier l’intriguait encore plus et elle l’interrogea sur le fonctionnement dans le choix des musiques. Noomi lui expliqua que la radio avait des accords avec des labels mais qu’elle glissait de temps à autre de la promotion pour des groupes qu’elle connaissait. « C’est vrai qu’on ne met pas assez en avant des artistes qui gagneraient à être connus alors qu’on entend parfois en boucle la chanson d’un même chanteur pour faire grimper les ventes. » Noomi lui demanda ensuite si elle jouait de la musique. « Oh non, du tout. Je suis juste bon public, j’écoute de la musique tout le temps. Pas forcément à la radio. Je me fais souvent des playlists avec les chansons que j’aime. » Expliqua-t-elle brièvement. En effet, Max n’allumait pratiquement jamais la radio sauf comme fond sonore à son travail quand elle en avait l’occasion. D’ailleurs, si elle s’était suffisamment concentrée, elle aurait certainement perçu un accent dans la voix de Noomi mais elle n’avait pas encore relevé. « Et toi ? J’imagine qu’une personne qui tient les rênes du direct à la radio a aussi un pied dans la musique. » Elle ne se doutait pas que la jeune femme était chanteuse justement.

Bien entendu, Noomi n’était pas du genre à remettre l’efficacité de cette thérapie ; elle se doutait qu’il existait sur cette terre des gens à qui ça pouvait réellement être bénéfique, elle n’en faisait tout simplement pas partie. Et son interlocutrice non plus, manifestement. Et elle n’irait pas jusqu’à dire que c’était spécial, juste que ça ne lui convenait pas. Un sourire se dessina donc sur ses lèvres suite à la phrase de l’autre blonde. Qui enchaîna directement sur la qualité de ce qu’on leur avait servi ici. C’est vrai que son croissant de tout à l’heure n’était pas immangeable et que le café ne semblait pas avoir été passé et repassé toute la journée au point d’en être devenu infect comme c’était le cas dans environ nonante pour cents des cas. La grecque prit une autre bouffée qu’elle recracha en pouffant avant d’acquiescer.

« C’est vrai qu’on est plutôt bien reçus. Sûrement dans l’optique de donner à certains l’envie de revenir. »

Elle se retint d'ajouter quelque chose du genre "un peu comme une secte". Ne serait-ce que pour prendre le café accompagné, tiens. Ça en revanche, c’était le genre de choses qu’elle pouvait parfaitement comprendre ; avant l’accident, elle ne s’était encore jamais retrouvée seule, d’abord il y avait eu ses parents chacun à leur tour, puis Frank et enfin Sarah alors c’était probablement ce qui lui avait paru le plus dur. D’autant que si elle avait appris à se passer de ses parents – du moins d’une des deux moitiés – et de Frank, il en allait différemment en ce qui concernait Sarah qui représentait son monde depuis six ans.

Etant donné que la conversation s’orientait vers son job, Noomi s’accouda de nouveau à la balustrade avec cette aisance toute naturelle qui semblait l'accompagner absolument partout où elle allait. Excepté aux thérapies de groupe, semblerait-il. Elle pourrait parler de son travail durant des heures. Pas tellement parce qu’il la passionnait tant que ça mais bel et bien parce que c’était à peu de choses près uniquement par ça qu’étaient rythmées ses journées. Si elle se levait, c’était pour aller bosser, quand elle rentrait, elle était très fatiguée pour faire autre chose que dormir et ainsi de suite jour après jour. Hormis quelques exceptions par-ci par-là. La blonde opina du chef, un sourire taquin aux lèvres.

« C’est que certains labels paient très bien pour ça. »

Comme partout, ce n’était pratiquement que du business. Pour cette raison qu’elle aimait travailler de nuit et avoir ce sentiment de liberté, son émission était un peu comme une oasis en plein désert pour noctambules. Ainsi, son interlocutrice n’était pas une grande fan de tout ce qui passait à la radio, ou en tout cas, c’était l’impression qu’elle donnait. Ça ne serait pas Noomi qui lui jetterait la pierre : même si elle écoutait de tout depuis toujours, elle pensait tout de même que plus le temps passait, moins la musique qui le faisait sur les ondes était digne d’intérêt.

« Bien vu. Je suis pianiste et je chante aussi. Beaucoup moins maintenant mais il fut un temps où je me produisais ici et là. »

Mais elle ne s’attendait pas le moins du monde à ce qu’on la reconnaisse. Bien qu’elle ait énormément de talent dans ces deux domaines, elle s’était habituée à n’être qu’un bruit de fond agréable pour les gens venus prendre un verre et un peu de bon temps après le boulot. On se fait une raison, à force.

« Qu’est-ce que tu fais dans la vie, du coup ? J’crois pas l’avoir retenu si tu l’as déjà mentionné. »

Maxyne avait pris le risque d’exprimer son opinion sur la thérapie en groupe, pressentant que l’animatrice radio n’était pas une fervente amatrice de la méthode non plus. La thérapie était probablement utile et efficace pour d’autres gens mais la blonde devinait déjà qu’elle n’apprécierait pas de parler chaque fois devant d’autres personnes, d’effectuer des exercices en groupe ou d’écouter des conseils dans lesquelles elle ne se retrouvait pas forcément. Sa remarque sur la nourriture était plus osée mais Max n’était pas du genre à mâcher ses mots ou à passer par quatre chemins. Heureusement, Noomi ne sembla pas s’en offusquer non plus et abonda même dans son sens pour saluer l’effort. « Malheureusement, ce ne sera pas suffisant pour nous. » La nageuse tira un coup sur sa cigarette et s’intéressa ensuite au métier de la jeune femme puisqu’elle avait entendu qu’elle travaillait à la radio. C’était un sujet plus neutre que de parler des problèmes qui les avaient amenées jusqu’ici. Noomi lui expliqua la dure loi du monde de la musique, en particulier pour des artistes moins connus ou indépendants puisque les grands labels signaient des accords avec les radios pour diffuser les titres de leurs poulains en boucle. « Oui, ça fonctionne souvent comme ça maintenant. Ceux qui possèdent l’argent mènent le monde comme ils l’entendent. » La remarque de Maxyne était un peu réductrice et se distançait de leur conversation mais elle reflétait la façon dont l’industrie et la société en générale fonctionnaient aujourd’hui. Comme Noomi gérait l’animation de la radio, la nageuse supposa qu’elle avait aussi des talents de musicienne. Et en effet, elle était aussi chanteuse et pianiste. « De belles cordes à ton arc. Il faut de la concentration pour tous les instruments mais je trouve le piano particulièrement exigeant en termes de discipline et de pratique régulière. » Maxyne ne savait pas si elle était très claire dans ses explications mais elle avait déjà vu des potes qui jouaient de la guitare, s’arrêtaient et reprenaient des mois plus tard sans trop se prendre la tête, contrairement au piano qui exigeait une certaine assiduité. Ce n’était que son avis, libre à Noomi de la détromper. « Tu es donc bien placée pour savoir à quel point la vie d’artiste est sinueuse… » L’animatrice radio lui retourna finalement la question sur ses occupations, rappelant vaguement son amnésie à la blonde. « Non, je n’en ai pas parlé. Je travaille au centre nautique comme monitrice de plongée. Avant, j’évoluais comme nageuse à un niveau professionnel. » Maxyne n’évoquait pas toujours son passé dans la natation mais l’un dans l’autre, ça rejoignait son travail actuel et ça expliquait en deux mots comment elle avait atterri dans ce domaine particulier. « La pause est terminée. » Le thérapeute venait de leur adresser un signe pour venir finir la séance. Maxyne tira un dernier coup sur sa cigarette avant de l’écraser sur le dessus de la poubelle et de jeter le mégot. D’un ton léger, elle lança une autre réflexion. « Je me demande à quelle sauce on va être mangées maintenant. »

Non, effectivement, le fait d’être bien reçue ne suffirait pas pour Noomi. Après tout, si elle voulait être bien reçue, la blonde préférait passer son après-midi en compagnie de son père ou encore au petit restaurant italien qui se trouvait à seulement quelques rues de chez elle. Chez l’un comme chez l’autre, elle serait bien reçue et le moment passé en leur compagnie serait un milliard de fois plus agréable, c’était certain. Un petit sourire étira ses lèvres à cette idée tandis qu’elle opinait du chef. Puis la conversation s’orienta tout naturellement sur ce qu’elles faisaient dans la vie. Et plus précisément sur son travail à la radio. On a beau dire ce qu’on veut, la radio fascine et fascinerait toujours le monde, l’un des rares médiums qui traversaient les âges sans prendre trop de rides. Et elle était sûre que son fonctionnement avait toujours été le même, à peu de choses près. La remarque que la jeune femme la fit donc sourire davantage : c’était bien l’argent qui faisait tourner le monde mais pas seulement maintenant, il en avait très certainement toujours été ainsi. Face à cette vérité, la grecque ne pouvait qu’hocher la tête une fois de plus. Et parler d’un sujet à la fois plus léger mais plus passionnant encore, selon elle en tout cas. Le piano ainsi que le chant étaient sans aucun doute les seules constantes dans sa vie. Elle en faisait depuis… Oh, aussi longtemps que ses souvenirs puissent remonter et c’est avec une certaine amertume qu’elle se rappelait de la sévérité de sa mère dans sa jeunesse, quant au fait qu’elle ne pouvait pas s’amuser autant qu’elle le voudrait car il lui fallait répéter ou encore faire des activités susceptibles de lui abîmer les mains que sa mère semblait croire en or. Et c’était vrai, elle avait du talent. Même beaucoup mais que voulez-vous, parfois le talent seul ne suffit pas.

« Il est vrai qu’on peut pas vraiment se permettre de se reposer sur ses lauriers et que ça prend pas mal de temps mais ça n’a pratiquement aucune importance quand on est passionné. »

Si elle en avait un peu voulu à sa mère autrefois, elle se rendait maintenant compte que c’était à elle qu’elle devait sa carrière, ainsi que le fait de ne pas avoir à se lever tous les matins pour aller bosser avec des pieds de plomb parce que reconnaissance ou non, elle aimait beaucoup ce qu’elle faisait. Et les médecins s’accordaient à dire que ses répétitions pouvaient grandement aider pour ce qui était de sa mémoire alors Noomi n’avait jamais abandonné même si le fait de ne plus savoir où elle en était de sa partition parvenait à la frustrer plus que tout autre chose. Mais oui, elle ne pouvait nier être bien placée pour savoir que la vie d’artiste n’est pas toujours facile alors une fois de plus, petit hochement de tête tandis qu’elle termine sa clope. L’autre blonde lui apprit alors qu’en ce qui la concernait, elle était monitrice de plongée mais qu’avant ça, elle était nageuse professionnelle. Elle la détailla une seconde du regard pour évaluer l’âge qu’elle pouvait bien avoir. A peu près comme elle, si plus, la différence ne devait pas être énorme non plus, il ne pouvait donc pas s’agir d’avoir pris sa retraite. En théorie parce que dans le fond, Noomi n’y connaissait absolument rien en sports, quels qu’ils soient. Mais si sa mémoire était tout sauf infaillible, elle n’était pas encore incapable de faire des rapprochements et si ça se trouve, sa présence ici expliquait cette reconversion.

« Ça doit être sympa. Les gens qui ont besoin de tes services sont pas trop chiants ? »

Du genre milliardaires qui s’amusent à faire joujou avec les bouteilles d’oxygène et qui ne veulent pas respecter les paliers de décompression, ce genre de choses. Cela étant, voilà qu’on les rappelait à l’ordre.

« Allez courage, plus qu’une vingtaine de minutes et nous serons libres ! »

Les paroles de Noomi par rapport à la pratique du piano trouvèrent écho chez Max. La jeune femme avait grandi dans une certaine discipline pour pouvoir pratiquer son sport. Ado et toute jeune femme, la nageuse avait dû mener une vie saine, suivre un régime alimentaire strict et dormir beaucoup afin de garder son corps en bonne santé et pouvoir évoluer au plus haut niveau. Elle connaissait les aléas d’une vie régie par de tels sacrifices, indispensables dans le quotidien d’un sportif. Comme l’avait dit Noomi, tout ceci n’avait pas d’importance puisqu’elle l’avait fait pour vivre sa passion dans l’eau. Personne ne l’avait obligée à devenir une nageuse professionnelle, elle l’avait choisi. Et sa famille l’avait soutenue, même lorsqu’elle était partie à Auckland pour se perfectionner et qu’elle avait ensuite voyagé à l’international pour de grandes compétitions. Oui, Max connaissait la discipline de fer, les privations, les moments ratés avec ses proches. C’est pourquoi, depuis qu’elle avait arrêté à cause de ses blessures, elle vivait une seconde jeunesse. La blonde sortait à tout va, s’amusait et vivait désormais sans restriction parce qu’elle n’avait pas connu une adolescence comme les autres. Tout s’expliquait. « Je comprends, oui. Quand j’étais nageuse, je devais faire attention à plein de choses, comme mon alimentation, suivre des entrainements tous les jours, respecter un programme strict. Mais c’était ma passion alors je le faisais. » Max expliqua ensuite à Noomi qu’elle s’était reconvertie en monitrice de plongée. L’animatrice radio s’interrogea sur les exigences des gens intéressés par ses services. « Pas tous mais il y a en a comme partout. » Il ne fallait pas travailler dans le monde de la plongée pour avoir affaire à des chieurs. Tous ceux qui étaient confrontés de près ou de loin à des clients avaient déjà vécu des mauvaises expériences. « Certains gugus essaient de nous acheter pour aller plonger dans des spots protégés – ce qu’on refuse bien entendu -, d’autres ont des exigences particulières ou ne respectent pas les consignes qu’on leur donne… » Max repensa à cette fille de riches pourrie gâtée qui lui avait un jour demandé une bouteille d’oxygène rose pour qu’elle puisse l’assortir à sa tenue et poster de beaux selfies sur ses réseaux sociaux. Souvent, la nageuse devait prendre sur elle et rester professionnelle. Ce genre de lubies était monnaie courante. En revanche, quand un amateur ne respectait pas les consignes, se mettait en danger ou menaçait la sécurité des autres accompagnants délibérément, elle sortait de ses gonds et les remettait à leur place sous peine d’écourter l’excursion sur-le-champ. Sur ces entrefaites, le thérapeute les héla pour reprendre la suite. « Merci ! Courage à toi aussi ! » Les deux jeunes femmes retrouvèrent leur place et suivirent le reste de la séance dans une relative indifférence. Max avait retenu des conseils à suivre mais elle ne réitèrerait pas l’expérience de groupe, qui ne lui apportait pas ce qu’elle recherchait. Au terme de l’heure, le thérapeute les invita à se désaltérer près du buffet et il restait disponible quelques minutes dans la salle pour ceux qui voulaient venir le trouver en plus petit comité. La blonde ne comptait pas parmi ces gens alors elle se dirigea vers la bouffe, se servit un coca et emporta des tranches de gâteaux dans une assiette. Ensuite, la nageuse se posa sur le balcon, rapidement rejointe par Noomi. « Encore une fois, nous avons eu la même idée. » Lança-t-elle, rieuse.

Il est vrai que les vies de nageurs et de pianistes peuvent se ressembler un peu. Enfin non, pas du tout mais les deux demandaient la même rigueur, pratiquement tout sacrifier pour le sport ou pour son instrument. A la différence que Noomi avait pu faire – et les avait fait – des tas d’excès dans sa jeunesse. Il n’y avait jamais eu que sa mère pour la rappeler à l’ordre de temps à autres et ce n’était jamais que lorsqu’elle retournait à la Nouvelle-Orléans pendant les vacances scolaires. D’ailleurs, ça ne l’empêchait pas de faire le mur pour aller rejoindre ses potes et profiter de l’ambiance toujours très festive de la ville. Ça aide de passer une bonne partie de son temps dans une ville aussi musicale, lorsque vous êtes musicien. Tout comme la Nouvelle-Zélande doit être un endroit chouette où vivre quand on est nageur. La grecque écoutait tout en hochant la tête à un rythme régulier. Jusqu’à ce que l’autre jeune femme lui parle de sa clientèle. Comptant un paquet de snobinards qui essayaient apparemment de les acheter pour obtenir le privilège d’aller plonger dans des endroits interdits. C’est fou quand même, il y en a toujours pour se croire au-dessus de tout. A la place de l’autre blonde, Noomi se ferait un plaisir de les remettre à leur place. Ce qui lui vaudrait probablement d’être virée mais bon, quel plaisir ça serait de leur rappeler qu’ils n’étaient pas le centre du monde.

« Je comprends, tant que ça ne te donne pas envie de les encastrer dans un mur alors c’est le principal. »

Cette envie, elle la connaissait extrêmement bien et elle ne parvenait pas assez souvent à y résister pour son propre bien. Et les fans qu’elle devait avoir se comptait probablement sur les doigts d’une seule main. Du moins du temps où elle vivait de sa musique, aujourd’hui, il en allait différemment. Mais ce n’était même pas les fans qui posaient le plus de problèmes, contrairement à ce qu’on pourrait croire, ils n’étaient pas du genre à penser qu’ils n’étaient là que pour leur bon plaisir mais certains autres, en revanche… Enfin bref, tout ça pour dire que la séance reprenait et que, si l’envie était tentante de quitter les lieux, Noomi se fit tout de même violence pour y retourner. Et le temps lui parut tout aussi long qu’avant la pause. Tant et si bien qu’elle sortit son téléphone qu’elle avait laissé en mode silencieux pour voir si elle ne pouvait pas s’acheter un petit truc rapidement en ligne, dans le but de se remonter un peu le moral. Une technique bien plus payante que cette séance, c’était certain. Et puis enfin, encore mieux que lorsqu’elle était en cours et que la cloche sonnait la fin de la journée, le psy leur annonça qu’il restait à disposition et que sinon, ils pouvaient traîner autour du buffet avant de rentrer chez eux. La blonde se demanda bien pour quelle raison elle s’attarda, elle pouvait toujours prétexter qu’elle devait aller chercher Sarah à l’école mais elle traîna tout de même un peu pour goûter à ce cake et s’en griller une dernière. Enfin, façon de parler. Dire qu’elle avait complètement arrêté à une époque, c’était un peu triste. Mais soit, inutile de se lamenter sur son sort, elle l’avait bien voulu. Sa clope déjà entre les doigts, un morceau de cake dans l’autre main, elle vit la jeune femme de tout à l’heure arriver à son tour. Dont le nom lui échappait une fois de plus mais qui cela étonnera-t-il ?

« L’appel du sucre et de la nicotine. Difficile de trouver plus irrésistible. »

Qu’elle répondit avec un sourire.

« Alors dis-moi, tu habites dans le coin ou tu t’es déplacée exprès pour tout ça ? »

Le gâteau et les croissants étaient bons mais peut-être ne valaient-ils quand même pas le déplacement.

Puisqu’elle était venue de son propre gré, par curiosité, Maxyne aurait pu mieux s’appliquer au cours de la séance. Pourtant, ce n’était pas faute d’avoir essayé d’écouter pendant la première moitié ou de participer à l’un ou l’autre exercice. Venue avec des aprioris, la nageuse n’avait pas été convaincue par la méthode et elle n’envisageait pas de réitérer l’expérience. Cependant, la thérapie de groupe était efficace pour d’autres. Max comprenait que des personnes pouvaient y trouver une façon d’avancer et de se reconstruire. Ce n’était juste pas pour elle. A la fin de l’heure, la blonde se servit au buffet et sortit pour allumer une nouvelle cigarette qui l’aiderait à redescendre de l’ambiance dans la salle. Naturellement, la nageuse retrouva l’animatrice radio sur le balcon, bien qu’elle ait cru que Noomi partirait sans demander son reste. En effet, elle s’était montrée aussi désintéressée qu’elle lors de la seconde moitié de la séance. « Difficile mais pas impossible. » Répondit Max lorsque la jeune femme souligna l’irrésistibilité du sucre et de la nicotine. Un cocktail sur une plage devant un coucher de soleil. Leo Dicaprio. Non, ce n’était pas impossible de trouver mieux que ce bout de cake et une clope. Depuis qu’elle n’évoluait plus comme nageuse de haut niveau, Max avait pu revoir son régime alimentaire et ses habitudes. La vie qu’elle menait était beaucoup plus souple et elle rattrapait même, certains soirs, les années où elle avait fait attention. C’était un miracle qu’elle ne prenne pas un gramme mais elle continuait à pratiquer beaucoup de sport et à maintenir des jours légers en boisson et nourriture pour garder une bonne condition physique. L’air de rien, il fallait rester en forme pour devenir monitrice de plongée. Elle n’était simplement plus soumise au strict suivi d’un programme particulier.

Noomi reprit alors le fil de la discussion. « Pas trop loin, en fait. Dans le centre*. » Depuis le départ de Trey l’année précédente, Max avait gardé l’appartement qu’elle partageait avec son frère car elle s’y sentait bien. Niveau loyer, c’était une bonne affaire vu la localisation mais pas donné pour la cause. Pour l’instant, la blonde arrivait à gérer. « On m’a parlé de ces séances et j’étais curieuse de venir voir. » Max se rendait compte qu’elle n’avait pas envie de parler de ce qui lui était arrivé devant tous ces inconnus, en tout cas pas en détail. Ça la mettait mal à l’aise. C’est aussi la raison pour laquelle elle n’avait pas pas demandé à Noomi les circonstances de son accident. En dehors de la cigarette sur le balcon, elles partageaient ce point commun, cependant Max ne posait pas de questions sur ce que la jeune femme n’avait pas jugé nécessaire de partager devant tout le monde. « Et toi ? » Max lui retournait la question autant pour savoir si elle était du coin que pour savoir si elle était venue par simple curiosité aussi. Après tout, Noomi s’était rapidement montrée désintéressée aussi. Regardant l’horizon, la nageuse inspira puis expira lentement la fumée.

*HJ : à l’époque, Max n’avait pas encore déménagé à West Bay.

Noomi émit un petit rire avant d’opiner du chef. Pas impossible, non. S’il n’y avait pas eu la dépression et tout ce qui allait avec, sans doute qu’elle ne toucherait plus à cette saleté. Et là on parle de la nicotine et pas du sucre. Encore qu’elle pourrait tout à fait renoncer au sucre de la même façon qu’elle le faisait en ce qui concernait la nourriture, ces temps-ci. Si on voulait résumer la situation, on pourrait que ce qu’elle ne mangeait pas, elle le fumait. Du moins en quantité, vous l’aurez compris. Non clairement, on n’y gagnait pas au change. Mais bon, c’était à elle de se reprendre en mains, à personne d’autre et elle le savait très bien. Inutile de venir ici pour s’en rendre compte, c’était certain. Enfin, elle n’allait pas faire comme si elle était venue de loin alors qu’elle aurait pratiquement pu venir à pieds. Chose qu’elle n’avait bien évidemment pas faite. Noomi Savalas, faire de l’exercice autre que celui qui se pratique en chambre ? Uniquement dans vos rêves. Non, elle préférait un million de fois frime, la musique à fond, au volant de sa nouvelle voiture, une Mustang qu’ils avaient commencé à retaper avant son accident avec son père, mais qu’ils n’avaient fort heureusement fini qu’après. Sans quoi, il ne resterait pas grand-chose de la voiture de collection.

Quoi qu’il en soit, c’est ainsi qu’elle apprit que sa nouvelle comparse ne venait pas de bien loin non plus, étant donné qu’elle venait du centre. C’était un soulagement en quelques sortes, car ce serait vraiment du gâchis de venir d’une autre ville pour ça. En tout cas si ce n’était pas votre truc, les thérapies de groupe. Ou les thérapies tout court, soit dit en passant. Mais loin d’elle l’idée de juger les gens pour qui ça marchait, dans tous les cas.

« West bay. A deux pas de l’école, si tu situes. »

Raison pour laquelle elle n’avait pas choisi ce quartier au hasard, évidemment. Car il lui avait fallu déménager une fois que Frank était parti. Leur appartement d’autrefois ne convenait pas vraiment pour un bébé et puis de toute façon, elle n’avait vraiment aucune envie de continuer à vivre avec son souvenir partout entre ces quatre murs, voilà qui aurait été contre-productif. Alors elle s’était rapidement mise en quête d’un nouvel appartement et, puisqu’elle s’était aperçue que le nom de son père ouvrait beaucoup de portes, elle n’avait pas hésité une seule seconde à en jouer. Résultat des courses, elle était désormais propriétaire d’un super appart’ insonorisés dans l’un des quartiers les plus tranquilles de la ville juste à côté de l’école où Sarah ferait toute sa scolarité, si ce n’était pas beau ! Enfin, ça l’était beaucoup moins sans sa fille, évidemment. Comme tout le reste, ça n’avait plus aucune saveur.

« T’es venue comment ? Si tu veux, j’te dépose en passant. »

Pourquoi pas, après tout ? La grecque ne craignait pas le moins du monde de se faire kidnapper par un cinglé écumant les thérapies de groupe dans le but de se trouver une nouvelle victime. Non, à ce stade, elle était même persuadée que ça pourrait lui être d’une grande aide et ne l’appelait pas encore de tous ses vœux mais presque.

Contrairement à Max, Noomi vivait à West Bay, près de l’école. Peut-être que l’animatrice radio le lui précisait pour mieux repérer où elle habitait ou alors peut-être qu’elle était maman. En général, les gens mentionnaient plutôt un des commerces ou la piscine municipale que la nageuse connaissait justement très bien pour y avoir fait ses armes. Max ne creusa pas le sujet. Assez de questions personnelles pour aujourd’hui entre les pauses cigarettes sur le balcon et la séance de thérapie en groupe. « Oui, je vois. » Max avait grandi à Island Bay, alors elle connaissait l’endroit par cœur et serait même capable de s’y retrouver les yeux bandés. Alors que les deux jeunes femmes terminaient leur cigarette, Noomi proposa de la ramener. « Je suis venue à pieds. Du coup, volontiers.  » Le centre thérapeutique était à l’extérieur d’Island Bay mais en grande sportive, Max ne craignait pas de marcher une paire de kilomètres pour se rendre quelque part. Cependant, elle avait une fin de journée chargée et ne serait pas mécontente de rentrer plus tôt que prévu, ainsi la blonde avait accepté la proposition de Noomi. Ce serait l’occasion de prolonger leur conversation un petit moment aussi.

Sur ces mots, elles quittèrent les lieux. Max monta dans la voiture et lui indiqua le chemin. Pendant le trajet, elles parlèrent de tout et de rien jusqu’à arriver devant l’immeuble de Max qui la remercia pour le trajet. Au moment de se séparer, elles échangèrent leurs numéros de téléphone. En souriant, la blonde conseilla à l’animatrice d’indiquer thérapie à côté de son prénom dans le répertoire au cas où elle ne se rappelait pas de cette laborieuse séance. Ce n’était sûrement pas facile de vivre en perdant continuellement ses souvenirs mais Noomi devait avoir « l’habitude » depuis son accident sur la meilleure façon de gérer ses relations (si on pouvait parler de s’habituer dans un tel cas de figure). « Tu peux me redonner le nom de ton émission de radio ? Je l’écouterai ce soir. » Max était curieuse de la découvrir à travers son émission. Peut-être qu’elles se recontacteraient ou peut-être que cette rencontre resterait unique. A voir. Le feeling était bien passé. Une dernière plaisanterie et un dernier regard plus tard, Max descendit de la voiture et claqua la portière, retournant dans son appartement. La thérapie de groupe ne lui avait certes pas apporté ce dont elle avait besoin pour avancer mais certaines recommandations émises lui donneraient tout de même matière à réfléchir dans un avenir proche.

Sujet terminé