Who needs superheroes when you have brothers ? (+) Caleb & Lou

Toute excitée, Lou tient à peine en place. Quand elle jette un coup d’oeil sur la banquette arrière, elle a presque l’impression que Milo est plus posé qu’elle. Pourtant, le labrador doit encore plus aimer les balades, non ? « On y est presque. J’ai déjà ta laisse en main, tu vois ? » Le toutou lui répond en frétillant la queue. Tout sourire, Lou se remet en place sur son siège, scrutant l’horizon pour voir la plage apparaître. C’est celle de Makara, située à environ seize kilomètres au nord de Wellington. C’est sûr qu’il faut faire un peu de chemin d’Island Bay ; mais aux yeux de Lou, ça en vaut largement la peine, parce que cette plage lui rappelle de bons souvenirs. D’après ce qu’on lui a raconté, c’était un des endroits préférés de leur père. Du coup, leur mère les y conduisait de temps à autre. Ils y sont donc venus à plusieurs reprises quand ils étaient plus jeunes et, la dernière fois que Lou a posé un pied dans le coin, c’était quand elle voulait le faire découvrir à Andrei. Maintenant, elle est de retour avec l’un des membres de sa famille et, à ses yeux, cette escapade a quelque chose de symbolique. C’est la première fois depuis qu’il est rentré de Los Angeles que Lou a son grand frère pour elle toute seule - et elle compte bien en profiter. C’est elle qui a demandé à ce qu’il lui consacre un après-midi et, à la base, elle avait mille et une idées d’activités. Ils pouvaient aller au sanctuaire pour animaux comme ils le faisaient quand elle était enfant, puisqu’ils aimaient tous les deux s’occuper de leurs amis à quatre pattes. Ils pouvaient aussi aller à la recherche de la nouvelle perle littéraire à Wellington, puisqu’ils aimaient tous les deux lire. Mais Lou voulait aussi inclure Milo dans cette escapade et, pour ça, rien de mieux que le plein air.

Makara, c’est plus qu’une plage. C’est une toute petite station balnéaire avec un petit café et on a du mal à croire qu’on se trouve à quelques minutes à peine de la capitale. C’est aussi de jolis sentiers de randonnée sur les hauteurs, entre les anciens forts militaires et les éoliennes. Il suffit de s’aventurer sur les collines pour en prendre la vue, comme à beaucoup d’endroits en Nouvelle-Zélande. On se retrouve parmi les chèvres et les vaches, sans compter les crabes et les oiseaux. Bref, aux yeux de Lou, c’est une des définitions du bonheur. Pour compléter le tableau, elle leur a préparé un panier-repas avec plein de bonnes choses à manger, sans oublier de tenir compte du fait que le régime alimentaire de son frère est différent du sien. « Alors, t’es pas content de revenir par ici, toi ? » La voiture est garée, ils ont commencé à marcher et Milo tire sur sa laisse, visiblement impatient de partir à la découvertes de choses et d’autres. « En tout cas, à moi, ça me fait trop plaisir d’être là avec toi. T’imagines même pas à quel point je suis heureuse que tu sois rentré de LA. »

Quand il rappelle à quel point ça fait longtemps, Lou hoche la tête en signe d’assentiment. Elle ne peut qu’être d’accord. Elle se rappelle parfaitement que, quand Caleb a quitté Island Bay pour voler de ses propres ailes en Californie, elle était seulement âgée de douze ans. Et elle était absolument inconsolable, pleurant toutes les larmes de son corps durant le trajet du retour de l’aéroport. Ça fait donc dix ans qu’elle n’a pas pu profiter de la compagnie de son frère d’une manière régulière. Elle est bien allée lui rendre visite à Los Angeles et lui est revenu au pays pour les voir, mais c’est sûr que ce n’est pas pareil. Même avec les moyens modernes, quand on ne peut pas souvent serrer ses proches dans ses bras, ça fait un pincement au coeur. Et elle a beau comprendre pourquoi il est parti et être fière du parcours qu’il a mené, elle est encore plus heureuse qu’il soit là à présent. Déjà qu’elle n’a jamais connu leur papa, alors c’était d’autant plus difficile pour elle d’évoluer plus ou moins sans son grand frère. « Dix ans. C’est clair qu’il s’en est passé des choses, depuis. » Ou en fait, pas tant que ça. Dans la famille Wade, la meilleure des nouvelles a été son agrandissement avec la naissance du fils de Celeste qui égaye leur vie depuis maintenant trois ans.

« Tu as tout compris, alors tu ferais mieux de vite réapprendre à me supporter. Parfois, je débarque chez Robin ou chez Celeste sans prévenir. Bon, c’est pas pareil avec toi, mais… Tu as compris l’idée générale. Surtout que le bord de la mer, c’est top. » Inspirant une bonne bouffée d’air frais, Lou parcourt des yeux le paysage. Même si elle connaît cet endroit et qu’elle a parfois fait le trajet quand elle a le cafard, c’est toujours aussi beau. Milo aussi est enchanté, fourrant sa truffe dans le moindre recoin, agitant allègrement la queue ; il aurait assurément couru toute la colline s’il n’avait pas fallu les attendre. « Justement, je sais pas si j’ai grand-chose à raconter. Comme tu le sais, j’aime beaucoup mon boulot. Et… J’apprécie aussi d’avoir pris mon indépendance, même si ça fait drôle de ne plus voir maman tous les jours. Et comme je sais que tu te poses la question, non, il n’y a aucun mec dans ma vie. Enfin, à part vous, mais je suis pas sûre de gagner au change. » Elle lui envoie une pichenette sur l’épaule. « Et toi ? Ça te fait pas bizarre d’avoir quitté les rues hollywoodiennes animées ? Et comment va Alisha ? »

« Je savais déjà que je suis toujours la bienvenue, mais merci quand même de me le dire. » Lou adresse un clin d’oeil à Caleb. Benjamine de la famille, encore plus choyée pour tenter de combler l’absence d’un papa qu’elle ne pourra jamais câliner, elle est peut-être devenue encore plus chipie que les autres petites filles. Ils ont beau être deux à bénéficier d’un statut un peu privilégié, elle n’en profite pas moins,  d’autant plus qu’on a tendance à être plus clément avec une fille. Et puis il semble que les derniers ont aussi une nette tendance à squatter chez leurs aînés, ce que Lou pourra faire bien plus facilement en ce qui concerne son frère aîné désormais. « N’empêche, j’ai vraiment aimé te rendre visite à Los Angeles. Maman a été super gentille de m’offrir le voyage. Je suis pas allée dans beaucoup d’endroits, c’est vrai, mais je trouve que c’est vraiment une ville avec une ambiance particulière… Et bien sûr, Disneyland est la cerise sur le gâteau. » Rien qu’à y repenser, la jeune femme a des étoiles dans les yeux. Caleb s’est efforcé d’aménager son emploi du temps pour se consacrer un peu à elle et il a été un excellent guide : comme il connaît ses goûts, il a fait en fonction de ses préférences. D’ailleurs, c’est la dernière fois qu’elle l’a revu avant qu’il rentre au bercail. Alors ils s’échangent des nouvelles, même s’il n’y en a pas tant que ça du côté de Lou. C’est vrai que sa vie a changé, elle est plus ou moins entrée dans l’âge adulte, mais il n’y a rien que l’aîné des garçons ne sache déjà. « Difficile ? Tu penses vraiment qu’attendre le prince charmant, ça fait de moi quelqu’un de difficile ? » Elle se met à rire. Bien entendu, elle plaisante, même si elle aimerait bien que les contes de fées dont elle est éprise soient le reflet de la réalité. « C’est de votre faute aussi, j’ai des frères au top alors vous avez mis la barre un peu haut. » En même temps, on n’est pas forcément objectif quand il s’agit de ses proches. « Bon, plus sérieusement, j’ai genre zéro expérience dans ce domaine mais je me dis que je finirai par trouver le bon, un jour. » Elle se répète aussi qu’elle a le temps, même si certaines de ses copines sont casées depuis le lycée déjà. Caleb lui aussi a trouvé chaussure à son pied en allant s’installer à Los Angeles. Au tout début, la petite brunette a été un peu jalouse de cette fille qui partageait désormais le quotidien de son frère qu’elle ne voyait que rarement. Mais quand elle l’a rencontrée, elle a vite été conquise. Son absence en Nouvelle-Zélande inquiète un peu Lou, même si elle se doute bien que ça peut être compliqué avec le travail. « Comment ça, tu espères ? Tu n’as pas eu de ses nouvelles, ou tu ne sais pas si tu peux la croire quand elle te dit qu’elle va bien ? » La question est un peu délicate, voire indiscrète, mais après tout, ils sont entre eux. « Et… Est-ce qu’elle a l’intention de venir s’installer ici à son tour ? Je suis désolée de te demander tout ça, je m’intéresse à vous, c’est tout. Ça doit pas être facile, à distance. Et vous formez vraiment un chouette couple. »


« Oh oui, ce serait super si on pouvait y retourner un jour ! Et il faudrait se faire un road trip… Tu sais, genre le long de la côte pour remonter jusqu’à San Francisco, ou alors pour aller à Las Vegas. Ça doit vraiment être l’éclate. » Elle ne connaît pas grand-chose aux voyages, parce que les finances ne l’ont pas vraiment permis, mais c’est peut-être précisément ce qui fait qu’elle a encore plus apprécié le peu qu’elle a faits. Et aussi ce qui la rend encore plus excitée face à de nouvelles perspectives, d’autant plus avec ce frère qu’elle a si peu vu en dix ans. Mais comme c’est souvent le cas dans une fratrie unie, surtout une famille qui a connu la tragédie, leur relation n’a pas beaucoup changé. Ça ne les a pas rapprochés, c’est sûr. Mais maintenant qu’ils se retrouvent, c’est comme si rien n’a changé, tout peut être comme avant. Par exemple, ils continuent à se taquiner mutuellement et ce très volontiers. « Tu as remarqué que tout est souvent de votre faute, hein ? » Et en même temps, malgré cette ambiance de camaraderie, certaines choses ont bel et bien évolué, bien entendu. C’est aussi l’âge qui veut ça. « Des histoires de grands, ben voyons. Chacun sa définition de ce qu’est un adulte, j’imagine. » Non qu’elle prétende elle-même en être une, mais elle aime se moquer de son grand frère, tout simplement. Et en même temps, elle se fait du souci pour lui. Il a l’air bien, content d’être rentré au bercail, mais sa moitié n’est pas là et ce n’est pas très bon signe. Lou aime bien la petite amie de son frère et, surtout, elle veut que ce dernier soit heureux. Bon, d’accord, ce ne sont pas les questions de Lou qui vont l’aider à l’être, mais sa curiosité est précisément motivée par le fait qu’elle se fait du souci pour lui.  Elle comprend d’ailleurs en l’écoutant que c’est plus ou moins à raison. « Oui, c’est vrai que… C’est pas facile, tout le monde n’aime pas forcément ça. » Elle-même, par exemple, aurait sûrement eu trop de mal à supporter les pressions découlant obligatoirement du mode de vie d’un acteur. Mais ce n’est sans doute pas le pire et, tandis que Caleb continue à parler, la jeune fille esquisse une grimace. « Je me mets à sa place. J’aurais été tellement jalouse. Et ça devait pas non plus être facile à gérer pour toi. » Même si elle le comprend, elle avoue tout de même que sa compassion va plus vers la petite amie restée au pays. « Et tu essayes quand même de la contacter ? » demande-t-elle, un peu plus timidement. Heureusement qu’il voit le bon côté des choses, elle le reconnaît bien là. « Oh, ça y est… On est arrivés à l’endroit où maman aimait nous emmener. Elle disait qu’ils ont passé là un nombre incalculable d’heures parce que c’était un des endroits préférés de papa. Et c’est vrai que… C’est super beau. » Sa gorge se serre un peu, elle ressent la nostalgie d’un passé qu’elle n’a pourtant jamais vécu. C’est parce qu’elle aurait donné beaucoup pour passer ne serait-ce que quelques années avec son père.

« Mon argent risquerait de vite flamber, comme tu dis, c’est sûr ! » Ce n’est pas vraiment qu’elle aime jouer, non. Mais déjà pour entreprendre un périple jusqu’à Las Vegas, ça demande des économies. Et sur place, elle est à peu près sûre qu’elle ne dépenserait pas tous dans les casinos, ni même dans les cocktails, mais probablement dans les buffets si réputés. Mais de toute façon, la question ne se pose pas. Il y a bien d’autres endroits qu’elle voudrait visiter avant celui-là. Mais là, tout de suite, en train de marcher face à une vue splendide et à côté de son frère aîné, il n’y a pas d’autre coin au monde où la jeune femme voudrait se trouver. La famille est au complet, ce qui n’était plus arrivé depuis longtemps et qui lui met du baume au coeur. Pourtant, il y a bien quelqu’un qui manque, en la personne de la petite amie de Caleb. Si Lou a été surprise de le voir atterrir sans elle, la benjamine n’en a rien dit. Elle a préféré attendre un autre moment, un moment où elle serait seule avec lui, pour lui demander franchement ce qu’il en est. Et les nouvelles n’ont pas l’air très bonnes. Quoi qu’il en soit, Lou compatit. Elle n’est jamais vraiment tombée amoureuse, mais elle se doute que c’est difficile de vivre sans l’être aimé. « Oui, je comprends. Enfin en tout cas, je peux imaginer ce qu’elle ressent. Mais elle  a peut-être juste besoin de temps pour… Apprendre à gérer tout ça ? Bon, je sais pas pas, mais en tout cas, elle t’aime, ça j’en suis sûre. » Est-ce que ça suffit ? Vaste question, peut-être l’une de celles que l’être humain en général se pose le plus. La brunette n’a clairement pas assez d’expérience pour y répondre, ni même pour y voir clair, mais elle est désolée de ne rien pouvoir faire pour Caleb à part l’épauler. « D’accord. Si les choses changent, ou même si c’est pas le cas, n’hésite pas si tu veux en parler. Je serai toujours dans les parages… Que tu le veuilles ou non. » Parce que oui, il a aussi signé pour ça en rentrant au bercail. Si les Wade ne sont pas une famille envahissante à proprement parler, ils sont tellement nombreux qu’on peut vite avoir cette impression. C’était un foyer joyeux, quand ils vivaient tous ensemble. Et pourtant, ils ont tous ressenti ce manque et ça arrive encore aujourd’hui, peut-être plus régulièrement pour certains que pour d’autres. En tout cas, à l’instant précis, alors qu’elle se trouve dans un des endroits que son père préférait, Lou souffre cruellement de son absence. Elle reste silencieuse pendant quelques instants. Et même quand elle reprend la parole, on sent bien qu’elle est gagnée par l’émotion. « Il aurait été super fier de l’homme que tu es devenu. Quelqu’un qui a travaillé dur pour réaliser son rêve et qui continue. » Elle ne sait pas s’il aurait été fier d’elle aussi, mais elle l’espère secrètement. Recherchant un peu de réconfort, elle se glisse dans les bras de son frère. « Merci de m’avoir accompagnée. Et merci d’être là pour moi. »