Highway to hell (+) Gus & Teddy

C’est le week-end et, pour une fois, Teddy est de repos. C’est souvent l’inverse, des gens qui travaillent à Wellington veulent passer le samedi ou le dimanche au bord de la mer et en profitent parfois pour faire un tour au centre nautique. Du coup, quand la plupart des gens, en tout cas ceux qui travaillent dans un bureau, sont libres, ce n’est pas souvent le cas du moniteur de surf. Alors cette fois-ci, il est bien décidé à profiter d’un week-end un tant soit peu normal. Un marathon Marvel en a fait partie, comme il en avait discuté avec Alexie quelques jours plus tôt. Il a aussi aidé Hannah à préparer une tarte au citron, même s’il n’est pas sûr que sa contribution lui ait fait gagner beaucoup de temps. Et bien entendu, il n’est pas passé à côté des jeux vidéos partagés avec Tommy. Avec le repas du dimanche chez ses parents avec sa soeur et une soirée au bar avec Livia, son week-end a vite été rempli exactement comme il l’aurait voulu. La grasse matinée et geeker dans son lit, très peu pour le trentenaire. Même si s’enfiler des films n’est pas à proprement parler une activité, Teddy persiste à penser qu’il refuse de s’encroûter et préfère mener la même vie qu’au début de la vingtaine, tout en étant un tout petit peu plus raisonnable. Même sa mère a renoncé à lui faire régulièrement la morale à ce sujet, ayant sans doute compris que son fils n’est pas encore prêt à mener la vie d’un adulte tel qu’elle le conçoit.

« Au moins, Hulk est puissant et leur sauve la mise à plusieurs reprises ! » Sur ces paroles très inspirées, réplique formulée à l’adresse d’Alexie qui venait de le traiter de gros vert, Teddy sort de la chambre de celle-ci. Un peu plus tôt, ils ont regardé Endgame dans le salon, accompagnés par tout un tas de sucreries. Une fois le film terminé, Teddy a regagné sa chambre et s’est décidé à se changer enfin, quittant donc son pyjama. Mais il est interrompu dans ses gestes par une sonnerie qui ne lui est pas familière. Il n’a pas cherché l’explication très loin : Alex et lui se sont sans doute échangé involontairement les téléphones, ce n’est pas la première fois que ça arrive. Comme il attend un coup de fil de Dylan, il est aussitôt ressorti de sa chambre pour récupérer son téléphone et rendre celui de la brune. C’est là qu’ils ont échangé quelques plaisanteries et, le sourire aux lèvres, son bien dans la main droite, le surfeur s’apprête à nouveau à regagner sa chambre quand il se heurte presque à une silhouette masculine inattendue. Surpris, Teddy manque de faire un pas en arrière. « Oh… Salut. » C’est Augustus. Le petit ami d’Alex. Et non, l’aîné des Tremblay ne s’attendait pas à tomber sur lui. Il a bien compris que celui-ci n’est déjà pas très fan de lui et la gêne de Teddy s’accroît, pour la simple raison qu’il est en caleçon. Il n’avait pas fini de se changer quand il s’est rendu compte de leur erreur et qu’il a voulu la réparer tout de suite, mais il réalise bien à quel point ça peut rendre la situation embarrassante. « J’étais juste venu… Euh… Récupérer ça. » Et voilà qu’il se sent obligé de se justifier.

Si en temps normal, Teddy aurait pu se vexer qu’on ne le reconnaisse pas, c’est loin d’être le cas à l’heure actuelle. Au contraire, c’est plutôt un soulagement pour lui. Si Augustus ne se souvient même pas de son prénom, il ne doit sans doute pas se souvenir de son passé plus qu’amical avec Alexie (c’est à l’époque qu’il a su que le soigneur n’était pas spécialement fan de lui). Et en l’occurrence, c’est une bonne chose. Tout le monde a un passé, oui, mais si c’est possible d’éviter des tensions inutiles, c’est encore mieux. « Euh… Si, sans doute. » Pour le coup, Teddy ne sait pas très bien quoi répondre. Est-il censé se présenter ? Oui, c’est sans doute ce que la politesse exige, même s’il n’en a pas très envie. « Je m’appelle Teddy. » Et il lui tend la main, comme pour lui dire officiellement bonjour. « Je me souviens de toi, tu es Augustus. Alex parle souvent de toi. » Tant pis si ça la fait passer pour une femme un peu accro, il faut bien qu’il précise d’où lui vient la mémoire de son prénom. En fait, du côté de leur bande d’amis, c’est sans surprise qu’ils ont appris qu’il y a désormais quelque chose de plus sérieux entre Alexie et Augustus. « Oui. Elle est… Dans sa chambre. » Le Canadien est presque gêné de le préciser. Il sait bien qu’il n’a rien fait de mal, mais c’est la situation en elle-même qui est confuse et embarrassante. En tout cas, elle l’est pour lui. « C’est ça, j’habite ici depuis, euh… Depuis longtemps. » En réalité, il se considère bien plus que comme le simple colocataire d’Alex, mais ça lui va parfaitement d’en rester là aux yeux du petit ami. Néanmoins, Teddy sent bien qu’il doit dire quelque chose, ne serait-ce que pour briser la glace. De son côté, Augustus a l’air plus perplexe qu’autre chose, mais c’est peut-être justement ce que le surfeur cherche à défaire en mettant les choses à plat. « Alex nous a dit que… Euh… Vous êtes ensemble. Et je suis content pour elle, vraiment. Enfin, pour vous quoi. Comme je te disais, elle parle souvent de toi et t’as l’air d’être un gars bien dans toutes ses histoires, alors je pense que tu prendras bien soin d’elle. » Oups, est-ce qu’il ne s’est pas un peu perdu ou un peu trop étalé, là ? Teddy n’en sait rien ; en revanche, ce dont il se rend bien compte, c’est qu’il est à la fois empoté et maladroit, ce qui ne lui ressemble pas vraiment. Le côté chevaleresque, à savoir qu’un homme doit bien s’occuper de sa bien-aimée s’il en a une, oui. Le reste, en revanche… Il préférerait sans doute être partout ailleurs qu’à se débattre avec son besoin de se justifier, lui qui en temps normal est si relax. Pour Alexie, il voudrait seulement que tout se passe le mieux possible.

Une fois le surnom de son interlocuteur indiqué, Teddy se contente de hocher la tête en signe d’assentiment. Il ne se serait pas forcément permis ce genre de familiarités, mais il sait en revanche que lui-même a une sainte horreur de son prénom complet. Du coup, à part sa mère, personne ne l’appelle comme ça. C’est peut-être un peu la même chose pour Augustus. Enfin, pour Gus. D’ailleurs, ce dernier semble finalement le remettre et se souvenir de qui il est et, plus important encore, de son petit passé avec Alexie. Teddy aurait préféré que ça n’arrive pas, parce que ce genre de situations n’est jamais très réjouissant. Il hoche donc encore une fois la tête en signe d’assentiment. « C’est ça. » Que peut-il bien rajouter d’autre ? Que ça n’a pas duré très longtemps ? Que c’était il y a un bon moment déjà ? Non, c’est probablement inutile. Et surtout, ce n’est pas à lui de faire ce genre de choses. Il a déjà l’impression de s’enfoncer suffisamment, alors il vaudrait probablement mieux arrêter les dégâts là. Et en effet, il n’est pas sûr que ses mots passent très bien. Ceci dit, il est d’accord avec le Gus (c’est le cas de le dire) d’Alex. Les amitiés qui débouchent sur une histoire d’amour sont sûrement les meilleures, parce qu’on se connaît déjà et qu’on est un minimum complices. On dirait que le reste vient plus facilement. En tout cas, c’est ce que Teddy a ressenti à l’époque, même s’il s’abstiendra bien évidemment de le souligner à l’instant présent. En fait, il préférerait se taire pour ne pas faire de commentaire surpris sur le fait que quinze ans, c’est vachement long avant de finalement sortir ensemble. Il n’est sûrement pas bien placé pour le dire, puisque lui-même connaît Alex depuis qu’ils sont enfants. Encore une fois, il ne le précise pas, parce qu’il ne veut pas donner l’impression qu’il s’agit d’un combat entre mâles pour savoir lequel est l’alpha…

Surtout que Gus finit par s’excuser et Teddy hausse les sourcils en signe d’étonnement. « Y’a pas de souci. » N’empêche, ça le détend un peu. Au fond, ça le ferait peut-être même intérieurement rire qu’on le trouve intimidant. Il n’est effectivement pas forcément aimé des mecs quand ils ne se connaissent pas, il en aurait presque l’habitude. « D’ailleurs, je dois t’avouer qu’à l’époque où… Où j’étais avec Alex, j’me sentais parfois menacé par toi, donc ça doit vouloir dire que toi aussi t’es plutôt intimidant comme mec. » Il se sentait peut-être menacé à raison d’ailleurs vu comment l’histoire se termine, mais maintenant, ça paraît vraiment ridicule, surtout dit à haute voix. « Mais tout ça, c’était avant. Comme je te disais, je suis content pour vous deux. Et je me doute bien que tu recherches pas un BFF en ma présence, mais si on était amenés à se recroiser par le biais d’Alex, j’peux sûrement te garantir que ce sera moins bizarre que maintenant. » En caleçon. En train de sortir de la chambre de la brune. Gêné parce qu’il ne sait pas trop où se mettre. Ça ne pourrait pas être pire la prochaine fois, d’autant plus que la glace semble commencer à se fissurer.

Quelques points sur l’échelle de la confiance en soi. L’expression fait sourire discrètement Teddy, qui baisse un peu les yeux vers le sol parce qu’il est traversé par différentes pensées. Ce n’est pas la première fois qu’un homme lui fait comprendre qu’il se sent en concurrence avec lui par rapport à une femme, mais pour lui-même, c’est un peu inédit. Il faut dire qu’il n’a pas eu beaucoup de raisons d’être jaloux, en bon handicapé des sentiments qu’il est depuis une trentaine d’années. Ça ne fait que renforcer sa conviction qu’Alexie sera mieux avec Gus qu’avec lui. Ils ont l’air d’avoir plus de points communs, d’être plus semblables l’un à l’autre quoi. D’ailleurs, Teddy lui-même a trouvé une chouette fille et il trouve aussi qu’ils se ressemblent pas mal. Leur relation n’en est plus à ses balbutiements puisque ça fait quelques mois déjà et, même si le romantisme n’est pas trop leur truc, ils s’entendent bien, s’amusent bien ensemble et c’est largement suffisant.

L’ambiance devient donc plus détendue et les traits se dérident. Alors même s’il ne sait pas trop s’il s’agit d’une plaisanterie, Teddy ne peut s’empêcher de rire quand Gus lui dit que de toute façon il ne pourrait pas en voir plus. « C’est sûr que ce serait difficile. » Mais il préfère ne pas répondre pour dire s’il se balade toujours comme ça dans la coloc. Ce n’est d’ailleurs pas forcément le cas, mais il faut dire qu’il n’est pas pudique non plus. Ceci dit, ce serait sûrement une idée d’être un peu plus respectueux vis-à-vis des éventuels petits amis de ses colocataires. Il ne sait pas s’il va l’appliquer, mais c’est déjà bon signe qu’il y pense. « Ouais, je te laisse avant qu’elle m’accuse de t’accaparer » glisse-t-il sur le ton de la plaisanterie. Il lui tend une main pour le saluer, comme s’ils avaient signé une trêve. « Content de t’avoir vu… On se voit plus tard, Gus. » Et il regagne sa propre chambre pour s’habiller avant de se plonger dans ses jeux vidéos.