lookin' for a better place ft. mia

Les yeux dans le vague, Mia est allongée sur son lit. Elle ne fait pas grand-chose, pour ne pas dire rien, si ce n’est laisser ses pensées errer. Pourtant, elle sait bien ce que les médecins et son entourage lui ont dit et répété : il ne faut pas s’isoler et il faut trouver des activités à faire. Bref, il faut rester accompagnée autant que possible et ne pas rester inactive, exactement le contraire de ce qu’elle est en train de faire actuellement. Mais c’est plus fort qu’elle. Elle n’a pas envie de grand-chose. Elle reste beaucoup au lit en journée et, parfois, elle lit un livre ou elle regarde des films. Elle sait qu’il faudrait qu’elle reprenne enfin le travail, mais elle ne s’en sent pas encore la force et se demande si elle pourra parler à des clients sans avoir envie de pleurer. Elle sait qu’il faudrait qu’elle fasse du sport, mais déjà qu’elle n’aime pas ça de base, alors elle s’est cantonnée à une séance de yoga à domicile de manière épisodique. Elle sait qu’il faudrait qu’elle se nourrisse correctement, mais elle n’a pas faim. Quand son grand frère est là, la jeune femme arrive encore à peu près à donner le change. Il fait de son mieux pour prendre soin d’elle et c’est une source de réconfort. En sa compagnie, elle parle, elle mange, elle fait les trucs qu’il propose comme une marche au bord de la plage, bref elle s’efforce d’avoir l’air normal. Mais dès qu’il va travailler, elle jeûne et elle reste au lit. Si elle se lave les cheveux et s’habille un tant soit peu bien, c’est précisément pour ne pas inquiéter ses proches. Une fois seule, elle reste en pyjama et ne prend pas la peine de se coiffer.

C’est sûr qu’elle n’est pas fière de son état actuel. Mais pour l’instant, elle ne trouve pas encore la force de se relever, au sens propre comme au sens figuré. Parce que sa force, c’était lui, ce bébé qui grandissait en elle. Et maintenant, elle est perdue et surtout, elle ne sait pas quoi faire pour expier ses péchés. S’il existait un mode d’emploi pour faire disparaître le très désagréable sentiment d’une culpabilité écrasante, elle l’aurait dévoré immédiatement. En attendant, elle se bat contre ses pensées négatives, tant bien que mal, plutôt mal que bien d’ailleurs. C’est la sonnerie de la porte d’entrée qui la sort de ses réflexions, comme sauvée par le gong. Sans penser à vérifier si elle a l’air présentable, Mia se traîne jusqu’à la porte et regarde par le judas. Il s’agit d’une femme que la blonde met quelques secondes à identifier, avant d’ouvrir la porte sans savoir à quoi s’attendre. « Salut Maggie. Gus n’est pas là. » Elle le précise tout de suite, au cas où. Mais visiblement, c’est bel et bien elle qui a de la visite et le pire, c’est qu’elle ne saurait même pas dire si elle considère ça comme une bonne nouvelle ou pas. « C’est pour moi, ça ? » Surprise, Mia le prend. Elle a reçu beaucoup de cadeaux, mais pas de lettres, parce que c’est ce qu’elle pense que c’est. « Merci. » Tout le monde est tellement gentil avec elle. « C’est… C’est bien d’être de retour chez soi. » Que peut-elle bien dire d’autre ? « Est-ce que tu veux entrer ? Je peux aller voir au frigo ce qu’on a à boire. » Elle se rappelle la politesse, même si elle n’est pas sûre d’être de bonne compagnie. Elle s’efface néanmoins pour laisser passer Maggie. « Installe-toi. » Elle se dirige vers la cuisine et pose des boissons et des verres sur un plateau qu’elle vient déposer sur la table basse du salon. « Qu’est-ce que tu voudrais boire ? » Elle les sert. « C’est gentil d’être passée. Ça me fait plaisir de te revoir depuis tout ce temps. »

« Va pour l’infusion. Tu n’es pas obligée de repasser plus tard, je ne suis pas occupée. » Mia prépare rapidement de quoi bien accueillir sa visiteuse improvisée. C’est sûr qu’elle n’est pas en forme, mais ses parents lui ont appris à être hospitalière. Alors elle lui apporte son infusion, du jus d’orange et du lait, sans oublier des crackers et des galettes de riz nappées de chocolat noir au cas où l’envie de grignoter se manifesterait. Toutes les deux installés au salon, elles commencent à discuter. Maggie lui apprend qu’elle est passée à la clinique vétérinaire pour Lizzie, sa chienne. « Non, je n’ai pas encore repris le travail. Je ne sais pas quand ça se fera. » Elle se doute bien que ça lui sera bénéfique d’être occupée et entourée, mais pour l’instant, elle ne se sent clairement pas prête. Si elle se met à penser à Joshua et qu’elle a les larmes aux yeux en pleine opération chirurgicale, qu’est-ce qui pourrait bien se passer ? Elle n’ose même pas l’imaginer. « Pourquoi tu l’as emmenée là-bas, est-ce que Lizzie va bien ? Ça me ferait plaisir de voir aussi. » Les chiens sont de véritables thérapies ambulantes. D’ailleurs, en parlant d’animaux, il y en a une qui pointe le bout de son nez, sans doute intéressée par la nourriture. « Je te présente mon alter-ego félin. Elle s’appelle aussi Mia. » 

Mais la vétérinaire sait bien que Maggie n’est pas là pour discuter allègrement de boule de poils. La conversation s’annonce bien entendu plus sérieuse. « Durant toutes ces années, eh bien… J’étais à Sydney. Je suis rentrée à la fin de l’année passée. Je me suis mariée là-bas, mais… Je vais divorcer. Ça n’a pas fonctionné. » C’est un bel euphémisme, mais elle se voit mal s’étendre sur les violences psychologiques et physiques qu’elle a subies. Elle se sent déjà assez mal à l’aise, triturant ses doigts. Ce n’est pas parce qu’elle a l’impression que Maggie est intrusive, mais plutôt parce que c’est toujours difficile d’en parler. « Quant au reste, eh bien… Je suis sûre que tu as entendu parler du fait que j’étais à l’hôpital et le pourquoi du comment. » Island Bay est une petite bourgade et, même si l’hôpital se trouve à Wellington, c’est le genre de nouvelles qui se répand très vite dans la communauté. Elle a d’ailleurs reçu beaucoup de fleurs. « Ah, tu veux que j’ouvre l’enveloppe ? » Finalement, ce n’est peut-être pas une lettre. Et en effet, c’est une invitation, que Mia prend quelques secondes pour parcourir. « C’est comme un groupe de paroles pour les femmes dans la même situation que moi, c’est ça ? C’est gentil d’avoir pensé à moi, Maggie, mais honnêtement, je me vois mal parler de ça devant du monde, même si elles peuvent me comprendre. Je sais pas si c’est parce que c’est trop récent, mais… Tout un auditoire, même si elles participent aussi, je crois que ça me stresserait plus qu’autre chose, en tout cas pour l’instant. »