la question n'est pas de savoir si on va gagner. C'est de combien on va gagner !

Mes talons bien ancrés face au bureau de la secrétaire de l’étage, mon regard se perdit rapidement vers l’horloge qui se trouvait juste devant moi. Ayant rendez-vous dans l’une des plus grandes tours à bureaux de la ville, j’avais de quoi ravaler ma salive face à la grandeur des lieux. Même si après toutes ces années, ce n’était plus quelque chose qui m’impressionnait particulièrement, mon patron m’avait bien souligné de ne pas merder sur ce coup. Spécialement sur ce coup… Évidemment, il m’avait donné le dossier quelques semaines plus tôt sachant que j’étais l’une des seules du cabinet à en être réellement à la hauteur, mis à part lui. C’était finalement ma chance de leur prouver que j’avais plus d’un tour dans mon sac. Le cas des O’Reilly tombait directement dans mon champ d’expertise; la défense était solide, aucun doute là-dessus. La compagnie adverse allait clairement dédommager et ici, on parlait avec plusieurs zéros. C’est lorsque la secrétaire raccrocha le téléphone que mes yeux se posèrent à nouveau sur elle; qui par la même occasion, me fit signe de la suivre. Je déglutissais rapidement ma dernière gorgée de l’excellent café italien servi un peu plus tôt avant de me diriger, les bras chargés des différents dossiers, vers les bureaux. Afin de débriefer sur la suite de mes actions avec les avocats de la firme, je devais également discuter avec celui qui était le plus directement concerné, avant le père bien entendu; le fils Jimmy O’Reilly. Avec qui, j’avais déjà vu en long et en large l’affaire en question. Une attitude particulière, mais certes, nous étions sur la même longueur d’onde pour le déroulement des choses; et c’est tout ce qui comptait réellement. Pénétrant finalement dans la salle de réunion, mon regard fit un bref tour de la pièce; évidemment, je baissais moindrement le taux de testostérone présent. Et fallait autant bien qu’O’Reilly et moi-même, faisions exception sur les têtes blanches. Par habitude, les traits de mon visage évitèrent de trahir un certain mécontentement de ma part; mais si l’un d’eux osait souligner l’un de ces détails dans des propos arrogants, il se verrait rapidement remis à sa place par mes soins. Je m’avançais alors vers la chaise libre qui m’était réservée, mon regard porté vers lui à la suite de ses mots.  J’affichais un large sourire, suivis d’un léger mouvement de tête approbateur. «Bonjour à vous tous, messieurs. Merci monsieur O’Reilly de me recevoir dans vos bureaux.» Évidemment il était plus logique, qu’une seule personne se déplace pour dix autres, que l’inverse. Mais par principe, les remercîments étaient toujours signe de bonne foi. «Alors sans vous faire attendre plus longtemps, je vous suggère que nous commencions dès maintenant cette réunion. Je suis certaine que nous en avons tous beaucoup sur les bras.» Si quelqu’un souhaitait tout de même faire un quelconque commentaire avant le début de cette session, il en était là l’occasion. Autrement, mes dossiers ouverts devant moi, j’étais prête à débuter.

Installée au bout de la table de réunion, suivit des autres avocats de la boîte, mon regard se penchât vers l’autre extrémité de la table. Se tenant là Jimmy O’Reilly, qui tâcha de me remercier une seconde fois; je lui envoyai un signe de tête, par gratitude. C’était un rendez-vous formel, comme j’en avais l’habitude régulièrement. Mais évidemment, ce n’était pas tous les jours que mon patron me confiait des cas autant importants. Du moins, ce n’était pas tous des boîtes connues mondialement. Ce dernier acquiesçait à mes propos, je comprenais parfaitement que ces messieurs seraient éventuellement réquisitionnés ailleurs qu’à cette table. Alors j’allais faire rapidement, histoire de mettre à jour tout le monde dans mes avancements, après tout c’était un travail d’équipe en biais avec eux. Tant que l’essentiel était tiré de cette rencontre, cela m’allait parfaitement. « Aucun problème pour moi monsieur O’Reilly. Au besoin, je m’entretiendrai avec vous par la suite. » S’il advenait que certains détails avaient besoin d’être revus par lui, j’étais à sa disposition pour répondre à ses questions. Avec le salaire que j’en tirais, c’était littéralement la moindre des choses. Mais à le voir aller, j’étais convaincue qu’on n’allait pas y passer la journée non plus. Maintenant que le signal était lancé, qu’aucun notre point allait être entamer, j’étais prête à livrer la marchandise. « Alors messieurs, vous avez chacun devant vous une copie du dossier concernant mes relevés des deux dernières semaines. J’ai pu m’entretenir avec l’avocat de leur compagnie et évidemment, ils reconnaissent maintenant les allégations retenues contre eux face à nos preuves. Maintenant, deux options s’offrent à vous. Vous obtenez douze millions en dédommagement de leur part, ce qui était votre offre de départ. Autrement, on pousse encore un peu et vous amenez la compagnie hors compétition, soit en faillite. »  Bien entendu, la seconde option demandait plus de temps et plus d’argent, mais parfois, le jeu en valait la chandelle. En plus de récupérer leur argent, ils pourraient éliminer un compétiteur. Ce choix demanderait également une plus grande attention, il serait facile de faire un faux pas, autant que de se contenter de ces millions. Aux dépits de mon patron qui préfèrerais l’avoir facile, j’étais personnellement prête à relever le défi. « Peut-importe votre décision, je vous soutiendrai. Prenez simplement conscience des risques, c’est vous qui voyez. » C’était définitivement ce que l’on appelait un quitte ou double.

Mes sourcils se froncèrent légèrement, suite aux mots du jeune entrepreneur. Ce serait se mentir de dire que ce n’était pas une réaction à laquelle je ne me m’attendais pas, mais le manque d’un minimum de satisfaction se fit paraître sur mon visage. Après avoir passé la semaine à m’en prendre sans relâche aux avocats de la compagnie adverse, histoire d’enfin leur faire reconnaître leurs torts; j’avais plus avancé sur l’affaire en quelques jours que ses avocats avaient pu le faire en plus de temps. Malgré ce détail, un petit rire résonna dans ma tête; je pouvais certainement faire mieux, il avait raison. Je venais déjà de leur faire gagner une grosse longueur d’avance en un rien de temps, alors s’il voulait quelques millions de plus ? Pourquoi pas. J’étais payé ridiculement cher pour que ma réponse en soit autrement. « Je comprends parfaitement votre constat. On les tient effectivement par le cou, alors si c’est ce que vous souhaitez ... » Cette offre l’insultait, bien évidemment. Mais comme les douze millions étaient ce qu’il réquisitionnait au départ, il fallait commencer par là. Mais en contrepartie, plus le temps avançait, plus les avocats à la défense de la compagnie avaient une chance de répliquer une carte qui pourrait leur jouer gros. Si les O’Reilly leur jouaient dans les pattes trop longtemps, ils pourraient décider de leur renvoyer la balle en pleine gueule et de les poursuivre à leur tour pour abus – une réquisition sur une trop longue période de temps. Il ne fallait tout de même pas prendre les adversaires pour des cons, il suffisait d’un bon contact avec l’un des juges; et se serait gagné pour eux. Fallait faire vite, et c’était maintenant que ça se jouait. « Alors, Monsieur O’Reilly, entre vous et vos avocats, quel était le chiffre exactement que vous aviez en tête ? » Histoire d’être à la hauteur des attentes, je n’allais certainement pas les décevoir une deuxième fois. « Le temps joue malheureusement contre nous, mais dès demain, je vous assure que votre affaire sera réglée. Au prix que vous le souhaitez, rien de moins » Une phrase gagnante, qui avait su en charmer plus d’un dans le milieu. Et c’était ça au fond le secret, ça sonnait bien aux oreilles du patron; tout le monde était content, parce que je n’avais jamais eu peur une seule fois de remuer ciel et terre pour chaque pièce de plus qu’il y avait à gagner.

Je constatais assez rapidement que chacun à cette table semblait s’impatienter. Moi la première, fallait que les choses bougent. Et à voir O’Reilly qui se tenait toujours devant moi, de l’autre côté de la table; fallait que ça bouge gros. Cent millions ? C’est en premier, un rictus que je retenus, évidemment je n’allais pas lui rire en pleine figure – ce n’était pas ma façon d’agir non plus. Mais j’étais à me demander s’il me prenait réellement au sérieux. Devant cette demande, dans le meilleur des mondes,  la compagnie adverse en aura marre et acceptera au plus vite. Mais étant réaliste, le montant démesuré n’allait que rendre la partie de jeu plus longue à jouer. Au mieux, la compagnie en accepterait la moitié ou encore soixante-dix pourcents, si je me fiais à mon expérience, là maintenant. « Cent millions soit-il. Mais j’ai également besoin de savoir à quel point exactement vous seriez prêt à retrancher? Soyons réaliste. » S’ils voulaient que les choses s’arrangent rapidement et comme il se devait, je devais m’attendre au mieux comme au pire. Ainsi, je vis quelques regards dubitatifs à la suite de mes propos. Bien évidemment que les papiers ne seraient pas signés demain première heure et qu'un procès serait terminé en un claquement de doigt; tout le monde ici présent le savait pertinemment. Mais la chose qu’ils ignoraient exactement était de ce que j’allais faire de mon temps, la minute où je sortirais un pied hors de cet immeuble. Quitte à y passer la nuit, je savais très pertinemment quel effet cela procurait chez l’adversaire lorsque l’expression ‘’s’acharner’’ entrait en ligne de compte. Avec les années, j’en avais fait mon atout; quelques coups de téléphone aux bonnes personnes, trouver le juge qui vous signe des papiers plus rapidement qu’un autre, et le tour est joué. « Bien entendu monsieur O’Reilly. Vous pouvez spécialement compter sur moi là-dessus. » J’étais définitivement prête à lui en mettre pleins les yeux. Tout simplement parce qu’il ne donnait pas du tout l’air impressionnable, j’allais lui montrer un sacré tour de magie. «Donnez-moi 24 heures et vous aurez des nouvelles de moi. En positif bien entendu. Je n’aurai peut-être pas les cent millions dans une mallette sur votre table, mais on n’y sera plus très loin. »