dancing in the moonlight (natalie)

Le rendez-vous avait été pris sur la plage. Le vendredi qui suivait, nous nous reverrons. L’idée était loin de me déplaire, je crois qu’elle m’enjouait et c’est ce qui fit passer la semaine vite. Ce serait mentir de dire que chaque jour, je n’espérais pas voir la jeune femme passer la porte du café durant mes heures de travail. Ce n’est malheureusement pas arrivé, mais la déception s’échappait vite lorsque je revoyais nos derniers messages échangés. Je n’ai aucune idée de où cela va nous mener, mais pour une fois, je n’ai pas envie de me fermer de portes. Dans la semaine, j’envoie un message à ma petite sœur. Ce n’est pas tout, mais si je veux pouvoir retrouver Natalie vendredi soir, je dois pouvoir faire garder Elliot. Ça serait quand même dommage de devoir annuler, alors que j’ai du monde autour de moi, du monde qui adore avoir le petit garçon qui plus est. Elle accepte, mais je sens déjà que je vais le regretter. Rares sont les fois où je parle de mes soirées avec eux. Je n’aime pas trop ça, surtout quand ce n’est pas fait pour durer. Mais il faut dire que Lou a tendance à être un peu curieuse parfois et qu’elle arrive bien souvent à me tirer les vers du nez, ou au moins à savoir avec qui j’étais. Le soir venu, j’arrive chez la plus jeune des Wade avec le petit garçon et toutes ses affaires. Vêtue d’une combinaison noire et blanche, avec un certain décolleté, je vois le regard de ma sœur se poser sur moi et un sourire qui en dit long. « Aucun commentaire sur ma tenue. » J’en ai peut-être un peu trop fait, je ne sais pas. J’ai passé de longues minutes devant ma penderie à me demander ce que je pourrais bien mettre. Ce rendez-vous, je ne sais pas trop ce que c’est finalement. Alors ça ne m'a pas vraiment aidé lorsque j'ai dû faire un choix. « Je t'envoie un message avant de venir le récupérer, ça te va ? » Je peux paraître un peu expéditive, mais si je ne veux pas être en retard, je ne dois pas traîner. « Ça te laissera un peu de temps pour te réveiller en douceur et pour cacher tous les papiers des friandises que tu vas lui donner. » Je la taquine gentiment. Mais il faut être honnête, elle me sauve la vie ce soir. « Merci beaucoup. Je te raconterais tout. » Je dépose un tendre baiser sur la joue de mon fils, puis sur celle de Lou, avant de la prendre dans mes bras. « Enfin.. peut-être. » Dis-je juste avant de partir et de refermer la porte derrière moi, histoire qu'elle n'est pas le temps de me répondre. Sans attendre plus longtemps, je remonte dans la voiture et prend la direction du logement de Natalie. En arrivant, je remarque qu'elle habite dans la même rue que mon frère. S'il remarque ça, entre lui et Lou, je vais en entendre parler. Je récupère ce que j'ai posé sur le siège passager un peu plus tôt, une bouteille de vin. Je n'allais quand même pas venir les mains vides. Je m'avance jusqu'à sa porte et sonne. J'ignore pourquoi, mais mon coeur s'accélère doucement, comme si j'étais en train de vivre mon premier rendez-vous. La jeune femme ne tarde pas à venir m'ouvrir et dès que mon regard se pose sur elle, je ne peux m'empêcher de sourire. « Bonsoir. J'espère que je ne suis pas en retard, j'ai eu la malchance d'avoir tous les feux au rouge sur la route. Tu dois sûrement avoir prévu le vin, mais je ne voulais pas venir les mains vides. » Je lui tends alors la bouteille que j'ai achetée quelques jours auparavant.

Lorsqu'elle ouvre la porte, je ne peux m'empêcher de sourire. Durant toute la semaine, je me suis remémoré les deux fois où nous nous sommes vues. Inconsciemment, je me suis amusée à dessiner chacun de ses traits dans mon esprit, mais finalement, mon imagination est bien loin de la réalité. « Bonsoir ! Pas du tout, le repas est presque près. Le timing est parfait. » Intérieurement, je soupire. Être en retard, ce n'est pas quelque chose que j'apprécie. Une habitude que j'ai gardée du temps où je travaillais en tant que chargée de recrutement, j'aimais que mes rendez-vous soit à l'heure pour ne pas me faire perdre de temps. « Oh merci, c'est vraiment gentil de ta part. Mais entre, je t'en prie. » La jeune femme récupère la bouteille que j'ai amenée et se recule légèrement pour me permettre d'entrer. « Et surtout, fais comme chez toi, si tu as besoin de déposer quoi que ce soit. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Je retire la veste que j'ai mise pour me couvrir le peu de temps où j'étais dehors. Même si ce n'est pas longtemps, ça serait dommage d'attraper quelques choses, c'est l'hiver en ce moment, il ne faut pas l'oublier. Je dépose ensuite le vêtement à l'endroit qu'elle m'indique et je la suis lorsqu'elle s'avance dans sa maison. « Alors est-ce que je peux t'offrir quelque chose à boire ? De l'eau ? Ou peut-être du vin blanc ? J'ai pris une légère avance sur la bouteille juste avant ton arrivée. » Un sourire se dessine sur mes lèvres lorsque je l'entends prononcer ces mots. « Je pense que je vais te suivre et partir sur du vin blanc. » Autant bien se lancer dans la soirée, non ? Et puis, ce serait quand même triste de la laisser boire toute seule. « Une chose est sûre, ça sent hyper bon. C'est toi qui a cuisiné ? » Ne connaissant pas vraiment la jeune femme, je ne peux pas savoir en quoi elle est douée. Mais qui sait, peut-être que dans une autre vie, elle aurait pu être chef-cuisinière. « Est-ce que tu as besoin d'aide pour quelque chose ? » Autant que je serve à quelque chose. Même si pour le coup, si elle a préparé quelque chose d'européen, je ne pourrais que suivre ses indications à la règle et non improviser comme il m'arrive souvent de le faire. Je ne quitte pas la jeune femme des yeux, enfin presque. Le temps de quelques instants, je tourne la tête vers le reste de la pièce et je reste sans voix en voyant ce qui se trouve à sa fenêtre. « Waouh, la vue que tu as. » Si la porte d'entrée donne sur la rue, les fenêtres de la pièce de vie donnent sur l'océan. Je ne sais pas si c'est l'heure qui fait ça, avec le coucher de soleil, mais la vue est magnifique. Ça me plairait de pouvoir me lever chaque matin et de voir cette étendue d'eau en prenant mon petit-déjeuner. L'eau, d'aussi loin que je m'en souvienne, j'en ai toujours été fan et pourtant, nous ne passons pas tellement de temps à la plage avec Elliot. Avec mon travail qui se trouve au nord de la ville et son école à l'ouest, nous favorisons les balades en centre-ville, mais nous passons à côté de beaucoup de choses. « J'aimerais bien avoir la même, mais malheureusement je ne vis pas dans le bon quartier. » East Bay, un quartier un peu plus familial et où les loyers sont sûrement moins chers. Avant, j'aurais certainement pu me permettre de vivre ici, mais lorsque j'ai pris la décision de démissionner pour travailler au café, je le savais. C'était loin de me déranger, même si aujourd'hui, je me dis que j'aurais pu lui offrir beaucoup plus de choses.

En venant ici, je ne savais pas trop à quoi m'attendre pour la soirée. Était-ce finalement que pour un verre ou pour un peu plus que ça ? En sentant l'odeur qui se dégageait de sa maison, j'avais en partie répondu à mes questions. Mais j'étais sûre d'une chose, cette soirée allait être riche en surprises. En apprendre plus sur la jeune femme, ça passait aussi par ses talents culinaires et pleins d'autres choses encore qui peuvent surgir à tout moment. « Oh, merci ! Enfin, ce n'est pas grand-chose. En toute honnêteté, je suis loin d'être une grande cuisinière, mais tant qu'à t'inviter chez moi, c'était la moindre des choses de t'accueillir sans l'aide d'un traiteur. » Cela aurait très bien pu faire l'affaire, mais je suis néanmoins touchée de l'attention : elle n'a pas joué la carte de la facilité. « Mais ça me fait sincèrement plaisir. Sauf si tu m'annonces à l'instant que tu es végétarienne ? Je crois que les pizzerias sont encore ouverte à cette heure-ci ! » Je la regarde et aussi sérieusement que possible je grimace, commençant à lui faire croire que son repas ne va pas convenir. Cependant, je n'arrive pas à rester bien longtemps ainsi. Rapidement, je me mets à rire avant de la rassurer. « Non c'est bon, tu n'as pas de soucis à te faire. » Il est vrai que dans notre échange de messages, nous n'avons pas abordé ce sujet, mais heureusement pour elle, je ne suis pas très compliquée, surtout en terme de nourriture. « Non merci, c'est gentil mais tout devrait être prêt d'une minute à l'autre. » Me répond-elle suite à ma proposition d'aide. Ce n'est pas une mauvaise chose, mon dernier repas remonte à ce midi et il n'est pas impossible que mon ventre commence à faire du bruit dans quelques minutes. « Effectivement, je me sens toujours très chanceuse d'habiter ici. » Je récupère le verre qu'elle me tend et je l'écoute attentivement. « C'est certain que c'est une chance énorme, mais je suis aussi certaine qu'il y a plusieurs autres beaux endroits pour y vivre ? Bien que je n'aie pas encore eu la chance de tout visiter Island Bay. » « C'est le cas et je dis cela en connaissance de cause. J'ai grandi à l'ouest, je vis à l'est, je travaille au nord et je suis actuellement au sud. » Je rigole légèrement avant de poursuivre. « Chaque quartier à son petit charme. Certains plus grand que d'autres. » Autant dire que je connais un minimum chacun des quartier de la ville. J'ai même rapidement habité en centre-ville durant mes études. J'étais plus proches de tout et ça me plaisait. Ça fait maintenant plusieurs années que je vis à East Bay et je m'y plais bien, mais quand je m'imagine ici, les pieds dans l'eau chaque soir, ça me donne presque envie d'un peu de changements. Quittant l'extérieur des yeux, je reporte mon attention sur la jeune femme et lève mon verre en sa direction. « À cette soirée ? » Un large sourire se dessine sur mes lèvres, avant que je ne vienne entrechoquer mon verre contre le sien. « Ça va, tu te fais doucement à ta nouvelle vie ? » Je viens alors porter le verre à mes lèvres pour boire une gorgée du vin qui s'y trouve. « Beaucoup de travail je suppose. Avocate, ce n'est sûrement pas le métier le plus reposant, mais il doit être passionnant, surtout quand on aime ce que l'on fait. » Et à première vue, c'est le cas de la jeune femme.

C’est un peu cruel, mais je ne peux pas m’empêcher de plaisanter au sujet de mes préférences alimentaires. Il est vrai que nous n’en avons pas parlé avant aujourd’hui, ce qui était finalement un peu risqué. Même si je suppose que quand on est végétarien, c’est un détail que l’on précise quand on se fait inviter. « Je suis rassurée, j'ai vraiment cru pendant un moment que je n'aurais pas eu la chance de te montrer mes talents de cuisinière !  Enfin, s'il s'avère que mes talents ne sont pas aussi bons, je garde quand même en tête l'option de la pizza. » Je rigole légèrement à sa remarque. Il est vrai que c’est une éventuellement solution de secours, même si je n’ai aucun doute sur ses talents culinaires. « Ah oui ? Alors je ne pourrai certainement pas te faire concurrence là-dessus ! Mais je n'en doute pas un seul instant. Tant qu'à moi, je trouve que la ville possède réellement un charme particulier. Tout autant que ses habitants. » Le sourire qui accompagne ses propos me fait complètement craquer. Plus le temps passe à ses côtés et plus je tombe sous son charme, mais après seulement trois rencontres, c’est peut-être précipiter un peu les choses. Néanmoins, en réponse à ces mots, je suis bien incapable d’empêcher mon corps de réagir : naturellement, je pince ma lèvre inférieure entre mes dents. « À cette soirée ! » Je bois une gorgée du vin, avant de l’interroger sur sa vie ici. « Oui, tranquillement ! Le temps passe vite, faut dire. Ça fait déjà un peu plus de six mois que je suis installée et je commence sincèrement à envisager terminer mes jours ici. » C’est toujours quelque chose qui fait plaisir à entendre, surtout quand on tient à sa ville natale, comme moi. Dans le fond, j'espère y avoir été pour quelque chose, même si mes recommandations n'ont été faites que pour certains lieux. « Effectivement, s'en est presque un mode de vie assez particulier. Mais comme tu l'as dit, quand on a la chance de faire un métier que l'on aime, on s'y accroche. Même si au départ, ce n'était pas mon premier choix, j'adore énormément ce que je fais. » Je suis assez surprise d'entendre cela. Je ne sais pas, je crois que l'image qu'elle renvoie comme assez bien au métier d'avocate, il est donc difficile pour moi de l'imaginer faire autre chose. « Vraiment ? Et tu voulais faire quoi avant ? » Je suis peut-être un peu trop curieuse, c'est vrai. Mais j'ai envie d'en apprendre un peu plus sur elle, de la connaître mieux. La jeune femme s'éloigne un peu pour récupérer ce qui semble être prêt en cuisine. Alors que je m'apprête à lui proposer de l'aide, je vois que Natalie s'en sort très bien toute seule. Rapidement, les deux assiettes sont prêtes et elle revient vers moi. Nous nous installons à table et je détaille ce qui se trouve face à moi. « Si c'est aussi beau que bon, nous allons nous régaler. » Ce plat ne semble pas être le plus sophistiqué qu'il existe, mais cela ne le rend pas moins parfait. Je préfère même cela à un repas gastronomique, ce n'est pas ce que j'ai l'habitude de manger. Sans plus attendre, je découpe un morceau et le mets dans ma bouche. « C'est très bon. » J'ignore si elle a l'habitude de cuisiner, même si ce n'est qu'une fois par semaine, mais elle s'en sort plutôt bien. « Il va falloir que je prenne des cours. Sinon je ne serais jamais à la hauteur quand ce sera à ton tour de venir chez moi. » J'anticipe déjà les choses, sous-entendant mon envie de ne pas m'arrêter à ce repas.

À l'évocation de son métier, la jeune femme m'avoue qu'il ne s'agissait pas de son premier choix. Intriguée par cela, je lui demande ce qu'elle aurait voulu faire sinon. « Enfin, disons surtout ça m'a été imposé. Ma famille possède une compagnie en Angleterre et mon père tenait à ce que je mette la main à la pâte, comme on dit. » À l'entendre, j'ai l'impression que sa famille est importante ou au moins, qu'elle a un certain pouvoir. Néanmoins, Natalie est ici désormais, toute seule. J'ignore si cela fait partie des plans de sa famille, si elle sert à étendre leur nom en dehors de l'Europe ou si à l'inverse, elle est ici pour s'éloigner un peu de ses origines. Il y a encore beaucoup de choses que j'ignore sur elle, mais je ne suis pas sûre qu'aborder ce sujet ce soir soit une bonne idée, surtout s'il y a une sombre histoire dessous. « Mais si j'avais réellement choisi, je crois que ça aurait été pianiste. Professeure. probablement. Comme ma mère l'était. » Un sourire se dessine sur mes lèvres, naturellement. Avec cette anecdote, j'apprends indirectement qu'elle sait faire du piano et qu'elle aimait suffisamment ça pour vouloir l'enseigner. Natalie s'absente quelques secondes, le temps d'aller chercher le plat qu'elle a préparé. Je ne peux m'empêcher de faire un compliment lorsque je découvre ce qu'il y a dans l'assiette face à moi. Et je ne m'arrête pas là, puisque ce que je goûte est très bon. « Merci, heureuse que ça te plaise ! » Après ça, je ne peux m'empêcher d'exprimer le fait que la prochaine fois, ce sera à mon tour de l'inviter. Non pas pour faire un concours, mais parce que je suis persuadée que j'aurais envie de la revoir après cette soirée. « Oh mais sincèrement, je n'ai aucun mérite, c'est une vieille recette de ma mère. Et c'est vraiment grâce à elle s'il n'y a rien de calciné dans nos assiettes ce soir. Alors vraiment, je suis certaine que c'est moi qui en prendrai un coup... Lorsque j'aurai la chance de venir chez toi. » Une recette de famille, c’est encore mieux. Elle a fait quelque chose qu’elle connaissant et dans laquelle il était facile d’y mettre du cœur. « Et toi dis moi ? Ça fait longtemps que tu travailles au café ? » « Non, pas tellement au final. » Trois ans. Au final c’est assez court, surtout quand on vieillit. « Je travaillais à Wellington avant, dans un bureau. Un peu comme toi. J’étais chargée de recrutement pour une grosse entreprise et un jour, j’ai démissionné pour faire quelque chose qui me permettait d’avoir des horaires plus souples. » Sur le coup, ma mère n’a pas été très enchantée. J’avais fait cinq ans d’études pour finalement aller travailler dans un endroit où j’aurais pu finir sans aucun diplôme. « Je.. » À ce moment précis, je réalise que le sujet d’Eliott n’a jamais été abordé avant. Quelle mère indigne. Mais c’est pour me protéger, en quelques sortes. J’aborde jamais le petit garçon au premier rendez-vous, pour éviter de trop en dire si jamais ça se termine mal ou pour éviter de faire fuir la personne. Est-ce un premier rendez-vous ce soir ? Je n’en sais rien à vrai dire. Cependant, ça fait plusieurs fois que nous nous voyons et si je veux être honnête avec elle, sans omettre une partie de mon histoire, je dois lui parler de mon fils. « Je suis tombée enceinte. Je savais que le père ne pourrait pas m’aider, pas beaucoup en tout cas, alors j’ai fait le choix de changer de carrière. » Je ne le regrette pas aujourd’hui, je peux passer du temps avec lui et le voir grandir pleinement. En restant à mon ancien travail, je n’aurais pu le voir que le soir et encore, il aurait souvent été couché.

La discussion prend un tournant auquel je ne m'attendais pas. En effet, rapidement dans la soirée, je me retrouve à aborder le thème d'Elliot, mon fils. C'est un sujet que je n'avais pas parlé avec elle, peut-être de peur de l'effrayer. Il est vrai que ce n'est pas toujours évident pour tout le monde, de trouver sa place auprès d'un enfant existant ou même d'imaginer sa vie avec un enfant. C'est peut-être se projeter loin de penser déjà à cela, mais autant être fixée maintenant. Natalie est exactement mon genre de femme, ce serait dommage de continuer à nous voir si c'est pour apprendre plus tard qu'elle ne supporte pas les enfants. « Oh, je vois. » Trois petits mots. Trois mots finalement difficile à interpréter. Ils peuvent à la fois tout et rien dire. Mais rapidement la jeune femme enchaîne et cela me retire un poids. « Je comprends parfaitement ton choix. J'aurais sincèrement fait la même chose. » Un sourire se dessine sur mes lèvres, alors que je mange une nouvelle bouchée de mon assiette. « Alors ce petit amour a déjà trois ans, c'est ça ? Je suis certaine que ça doit être extraordinaire d'avoir cet amour inconditionnel avec toi. » À ce moment précis, je ne peux m'empêcher de penser à mon fils. Il n'est jamais loin dans mon esprit, mais parler de lui le ramène au premier plan. « Oui, c'est ça. Le temps passe vite. » Je le revois encore tout petit, à la maternité, quelques heures seulement après mon accouchement. Mais les années se sont écoulées et aujourd'hui, il fait partie de la catégorie "petit garçon". « Il s'appelle Elliot. » Je donne certains détails, ce sera plus facile de parler de lui avec un prénom. Néanmoins, je me garde bien de lui raconter toute l’histoire. Peut-être plus tard. Mais j’ai peur qu’elle ne me voit plus pareil quand elle saura la vérité. J’ai quand même eu cet enfant avec un homme marié, je ne suis pas sûre que ça fasse de moi quelqu’un de bien. « Avant son arrivée, je ne pensais pas pouvoir aimer quelqu’un aussi fort. » J’avais toujours eu en tête l’idée qu’un jour je deviendrais mère, mais je ne l’avais pas vraiment planifié. Durant toute ma grossesse, j’ai paniqué à l’idée de ne pas être à la hauteur, mais quand ils m’ont mis le petit garçon dans les bras, j’ai oublié tous mes doutes et je suis complètement tombée en amour d’Elliot. L’instinct maternel a dû faire son travail et maintenant, je n’imagine plus ma vie sans lui. Il lui a donné un sens. « C’est quelque chose qui fait partie de tes plans à toi aussi ? De devenir mère. » En réponse à ma révélation, elle m’a pas parlé d’enfants de son côté, je suppose donc qu’elle n’est pas mère. Mais peut-être que l’idée lui a déjà traversé l’esprit. « Je ne te jugerais pas si ce n’est pas le cas, je comprends parfaitement qu’on ne veuille pas avoir d’enfants. » J’ai vécu au sein d’une famille nombreuse, je me suis occupée de mes frères et sœurs, alors je pense qu’instinctivement, j’ai toujours voulu avoir ma propre famille. Mais c’est propre à moi et il est tout à fait normal que ce ne soit pas le cas chez tout le monde.

Parler d'Elliot, ça me remplit de joie. C'est vrai, je ne l'avais pas fait avant, pas avec elle, mais je ne voulais pas la faire fuir. « Quel joli prénom ! » Un prénom qui lui colle à la peau même et qui me tient particulièrement à coeur, car il vient de moi : Archie n'a pas vraiment eu son mot à dire. « Je n'en doute même pas un seul instant. » C'est quelque chose auquelle nous ne sommes pas préparées, mais quand ils arrivent dans nos vies, c'est automatique. Arrive mon tour de poser des questions. Étant sur le sujet des enfants, c'est naturellement que je la questionne dessus. Elle n'a pas fait référence à un fils ou une fille, alors c'est qu'elle ne doit pas en avoir. Néanmoins, ne connaissant pas son passé, j'espère ne pas me lancer dans un sujet sensible. « Non, ce n'est pas pour cette raison.. enfin. Je dois dire que j'aurais probablement aimé avoir ma propre famille. Mais à cause du travail, enfin... J'ai peut-être raté l'occasion, comme beaucoup d'autre chose d'ailleurs. » Ayant dû mettre ma carrière de côté, je ne peux que la comprendre. Cela a été mon choix d'arrêter, mais beaucoup de personnes ne le font pas et je les applaudis, car cela doit être toute une organisation pour enchaîner la journée au bureau et le soir à la maison. « Quoiqu'il est jamais trop tard, j'imagine ? » Je hoche doucement la tête. Elle a raison. D'ailleurs, si j'en avais l'occasion, je crois que je voudrais un autre enfant. Mais pour ça, il faut être deux. La jeune femme débarrasse la table, puis revient vers moi avec un autre verre de vin. Elle sait comment y faire. Je l'attrape et suis ensuite Natalie à l'extérieur. Je m’avance doucement vers le bord de la terrasse pour regarder la mer au loin. C’est tellement beau. « Je suis vraiment ravie d'avoir ces discussions avec toi ce soir. » Je me retourne vers elle et plante mon regard dans le sien, un large sourire sur les lèvres. « C’est un plaisir partagé. » Sa douceur me fait fondre. Je bois une nouvelle gorgée de mon vin et dépose mon verre sur la clôture de sa terrasse, avant de m’avancer vers elle. « Viens. » Je prends sa main dans la mienne et je commence doucement à courir vers la plage. Être au plus près des vagues ne rendra ce moment que plus beau. D’ailleurs, nous restons silencieuses face à la vue qui s’offre à nous. « Est-ce que je peux être honnête avec toi ? » Il fallait bien que quelqu’un parle un peu. Je me retourne pour me retrouver face à elle. Depuis tout à l’heure, je n’ai pas lâché sa main, mais c’est loin de me déranger. « Tu me plais. » Je n’y vais pas par quatre chemins. J’ai toujours eu tendance à faire cela pour mes relations, même si avec Archie, il a bien souvent fallu que je reste dans l’ombre de sa relation publique. Sur le coup, je n’ai pas réfléchi, mais je sens l’angoisse qui monte, à mesure que mon coeur s’accélère. Et si ce n’était pas réciproque ? Et puis mince, au point où j’en suis, autant aller jusque bout. Je rapproche mon bras de mon corps, entraînant ainsi la réduction de l’espace entre Natalie et moi. Elle ne s’éloigne pas, c’est déjà ça. Alors je continue de prendre mon courage à deux mains et je viens déposer mes lèvres contre les siennes.

Prendre les choses en main. Ce n’est pas quelque chose que je pensais faire ce soir, mais finalement, au vu de la situation, c’est exactement ce qu’il doit se passer. Le moment est parfait, l’endroit aussi. Alors une fois mon regard ancré dans le sien, je puise dans mon courage et lui avoue clairement qu’elle me plaît. Elle est belle, douce et intelligente, qui ne craquerait pas face à elle ? La révélation faite, je nous rapproche l’une de l’autre et mes lèvres viennent épouser les siennes. Je sens ensuite sa main s’installer au creux de ma joue et je comprends alors que mon attirance est un minimum réciproque. Ce moment est court, mais pas moins intense. Natalie s’éloigne légèrement, souhaitant visiblement briser le silence, à son tour. « Écoute, je crois sincèrement que je t’apprécie bien plus que ce que j'aurais pu imaginer il y a à peine quelques heures... Sincèrement. » Sa phrase a pourtant bien commencé, mais il faut être bête pour ne pas comprendre que ce qui va suivre commence par un "mais". Son visage ne ressemble plus à celui qu’elle avait il y a quelques minutes, son air est grave, ce qui est loin de me rassurer. « Mais je n'ai pas été tout à fait honnête avec toi par rapport à mon déménagement ici, en Nouvelle-Zélande. » Bingo, je visais juste. Les explications de la jeune femme ne sont pas encore très précises, elle doit sûrement vouloir amener doucement les choses. Mais plus elle attend et plus je sens mon cœur se serrer. Qu’a-t-elle bien pu faire ? Ou alors, est-elle arrivée en ville pour suivre quelqu’un ? Une personne qui n’est pas là ce soir, mais qui fait partie de sa vie les autres jours. Difficilement, Natalie poursuit son récit. « J'ai perdu mon... Enfin, j'ai été renvoyée après qu'une des employées de la compagnie ait tentée de me poursuive pour harcèlement sexuel. Mais c'était à tort, jamais je n'aurais.. » Comme par réflexe, je me recule subitement face à cette annonce. Tout semble s'écrouler sur mes pieds. J'ai l'impression d'être maudite : lorsque je commence à m'attacher à des personnes, on dirait qu'il est obligé pour moi d'apprendre qu'ils ont un certain bagage derrière eux. Archie avait une double-vie et elle.. elle est accusée d'agression sexuelle. Je ne sais même pas quoi en penser. « Quoi.. » Dis-je simplement, doucement, comme un réflexe. J'ai l'impression que tout ceci n'est pas réel, ça ne peut pas l'être. « Alors mon père m'a donné deux choix... Soit une carrière loin de lui, ou une vie normale avec lui et mon frère. » À ces mots, je comprends que sa carrière est vraiment importante pour elle. Enfin, il doit y avoir de cela, même si je suppose que rester à Londres, avec une vie "normale", c'était devoir avouer que cette femme avait raison. Je ne sais pas, je ne sais plus. C'est peut-être un mensonge, mais c'est peut-être vrai aussi. Les fois où nous nous sommes vues, nous n'avons pas vraiment parlé de nos passés. Je ne la connais pas vraiment, j'ignore ce qu'elle est capable de faire ou non. Et puis, pour une fois, j'aimerais que les choses soient simples. Avec une telle histoire, je ne sais pas si cela sera possible. Machinalement, je passe l'une de mes mains dans mes cheveux, avant de planter de nouveau mon regard dans le sien. « Je.. je suis désolée. Je ne peux pas. » Pour l'instant, la révélation est trop fraîche pour que je puisse bien réfléchir et analyser ce qu'elle vient de me dire. « Je suis désolée. » Je balance doucement ma tête de gauche à droite, triste de devoir faire cela, mais c'est la seule chose qui me semble censée. Je m'éloigne doucement d'elle, lui faisant au début face, puis je me retourne et accélère mon pas pour quitter cette plage et pouvoir rentrer chez moi au plus vite.