Music is in the air - Beer Festival (Nathan)

En quelques jours mes perspectives professionnelles ont complètement changé. Mon retour du Chili censé être provisoire, se transforme peu à peu en du définitif, je n'arrive pas encore m’en réjouir entièrement, mais plus les jours passent et plus je me dis que ma place est ici. Après avoir enchaîné depuis plusieurs mois des essais plus ou moins concluant de serveuse à Island Bay ou à Wellington, plutôt moins que plus d’ailleurs, j’enchaine les bonnes nouvelles. Un boulot fixe récemment obtenu au Bar huppé le Red Room à Wellington et j’ai été appelée hier pour combler un set d’une heure aux platines pour animer le Beer Festival de Wellington. Ma mère était en train de faire la sieste, j’ai hurlé, dansé, téléphone à la main au milieu du salon et je crois qu’elle a cru qu’il avait eu un tremblement de terre dans son rêve tellement je hurlais de joie. Être sur scène, les gens qui dansent, qui vibrent, qui répondent, juste durant cette petite heure, je savais que j’étais à ma place. C’est là que je me sens le mieux. Et quand je descend de l’estrade après avoir tout donné, je trouve Nathan à m’attendre et je lui saute au cou en hurlant sans ménager ses oreilles, mais il a l’habitude de mes sautes d’humeur volcaniques et euphoriques. Je l’ai prévenu ce matin de ma prestation au festival et il n’était pas sûr de pouvoir se libérer à la dernière minute avec son travail prenant au commissariat ; un vrai bonheur d’avoir la surprise de le trouver là.

— Alors ??? Tu étais là ? Tu m’as écoutée ??

Je dois probablement sauter dans ses bras comme un kangourou en plein bush, l'adrénaline de la scène coule encore dans mes veines et je déborde d’énergie le sourire aux lèvres. J’ai bien besoin d’un rafraîchissement et je montre à mon frère une petite “paillote” façon pub irlandais au calme un peu plus loin de la scène.


— Viens allons là bas, ils servent de la super bière artisanale !

Mon frère est mon modèle et je suis heureuse qu’il soit venu pour m’écouter, j’ai tellement besoin qu’il soit fier de moi et ces derniers temps c’était pas vraiment le cas avec tous mes déboires,  il sourit de mon enthousiasme mais alors qu’on s'assoit et que je nous commande deux pintes d’ambrée de leur bière artisanale, je vois à son visage que quelque chose cloche.

— Nathan, Javier... Dit moi tout… Tu es sûr que ça va ?

Pour un ton plus solennel, j’utilise souvent le prénom chilien de Nate, prenant l’accent hispanique de notre père, comme pour lui rappeler notre lien de sang si cher et qu’il peut tout me dire. Mon frère n’est vraiment pas du genre à tirer la tronche, et encore moins au milieu d’un festival de musique super cool avec de la bière à tous les stands alors il est temps qu’il passe à table.

HARLEY-

Alors qu’on nous sert nos deux bières à table, mon sourire s’élargit. Taquiner mon frère est depuis toujours une seconde nature, surtout quand il fait son grand frère protecteur comme si j’avais encore dix ans. Je prends une longue gorgée de ma pinte en le regardant droit dans les yeux en guise de raillerie. Et oui Nathan… la petite sœur a bien grandit, elle boit de la bière, abuse des excès et elle en est fière. Il lève les yeux au ciel, il ne fallait rien de plus pour déclencher mon rire et détendre l'atmosphère. Pourtant quand je vois le regard soucieux de Nathan, je me demande quelle connerie j’ai bien pu faire encore, pour que non seulement il ne rit pas en retour mais qu'il reste aussi sérieux, alors que je sais qu’il a déjà bu une bière et qu’il ne tient pas beaucoup l’alcool.

— Lipp ? Euh ouais… mais… c’est pas ce que tu crois.

Sujet éludé. Pourquoi en fait-il une affaire d’état ? Alors ce fameux Lipp rencontré l’autre jour au Red Room est donc son collègue. Voilà pourquoi il me rappelait quelque chose.

— Bon surtout ne t’inquiète pas. J’ai trouvé un nouveau boulot. Lipp est juste un client. C’est plutôt une bonne nouvelle hein ?! Ça me permet d’avoir un revenu fixe tout en acceptant comme aujourd’hui des cachets pour être DJ. En vivre est vraiment compliqué tant que je ne suis pas connue en Nouvelle-Zélande, ça ne fait que quelques mois que je suis revenue. Oui. Je sais tu te dis, génial, elle se projette à rester ici. Et bien…. oui… je me fais doucement à l’idée de m’installer à nouveau près de la famille. C’est ici que je me sens bien. Peut-être même que je devrais me trouver un appartement.

Voilà. J’ai lancé la bombe. Ce que toute ma famille attend de m’entendre dire depuis des mois et je suis sûr que ça va lui faire très plaisir. En espérant faire passer la pilule ainsi de l’endroit où je travaille. Et même… retourner la situation à mon avantage. Au tapis le grand frère.

— Et puis... dit moi toi... Tu faisais quoi au Red Room exactement ?! On sait tous les deux que ce n’est pas le genre d’endroit où un homme marié devrait trainer. Oui c’est là que je travaille à présent. Non pas comme danseuse, tu sais que j’ai deux pieds gauche. Comme barmaid, le patron est réglo et c’est un endroit très classe.

Je fais mine d’être outrée en prenant mon air le plus sévère, en essayant surtout de ne pas imaginer Nathan en train de reluquer le cul des danseuses. Mais c’est vrai au fond que je suis inquiète pour mon frère ces derniers temps. Joséphine est de moins en moins à la maison, elle a même raté un dîner de famille pour l’anniversaire de maman le mois dernier. Ils ont toujours été mes modèles tous les deux, ce couple si extraordinaire, libres et en même temps si fusionnels. Si l’univers les sépare, comment moi je suis censée croire à nouveau en l’amour ?

— Tu es sur qu’il n’y a que ça ? Il faut que j’aille rendre visite à Joséphine à la maison pour savoir enfin la vérité ?

Et je vais probablement le faire d’ailleurs. Parce que j’ai besoin d'éclaircir certaines choses avec ma belle sœur. Elle était ma confidente quand j’étais adolescente. Aujourd’hui… même si elle et Nathan sont venus me voir souvent en voyage quand j’habitais en Amérique latine, depuis que je suis rentrée… c’est comme elle m'était étrangère...