Fight the fear [ft. Clay]

Cette soirée au beer festival s'était bien passée. Si l'on omettait le moment où Clay avait succombé à une crise de panique, conséquence directe de son traumatisme mal guéri, l'ambiance fut très agréable. Comme il l'avait promis, il se chargeait de raccompagner sa collègue chez elle. Ils ne faisaient pas partie de la même garde, et il aurait adoré l'avoir dans son équipe, parce qu'il l'appréciait. Pourtant malgré cela, ils s'entendaient bien. Clay avait pu compter sur Wade lorsqu'elle avait été particulièrement secouée par un riverain harassé d'entendre la sirène hurler sous ses fenêtres. Et dès que le capitaine sentait qu'elle était tendue, que son réflexe d'auto-défense surgissait, il s'arrangeait pour lui occuper l'esprit, lui changer les idées. Une démarche salutaire, agréable pour elle. Surtout qu'il ne lui mettait jamais la pression, il partait du principe que si elle voulait en parler, il serait une oreille attentive et un soutien moral. Mais si elle ne le souhaitait pas, il assurerait quand même son rôle d'épaule et bouffée d'air frais. Wade se savait chanceux. De son expérience à l'armée, il n'en avait tiré aucun traumatisme. Tout s'était même plutôt bien passé, pour son esprit. Et pourtant, il connut lui aussi des situations particulièrement complexes et choquantes. Depuis la mort de sa mère, il s'était construit un dispositif de défense, pour externaliser les choses, dès qu'elles entraient en lui. Et cette méthode, redoutable, lui permettait aussi de relativiser le quotidien. Pourquoi se stresser sur des sujets qui n'en valaient pas la peine ? Pourquoi accumuler les images du passé quand l'avenir vous tendait les bras ? Sans dire qu'il tournait vite les pages, une chose restait certaine : jamais il ne pourrait renoncer à son optimisme. C'était ancré en lui, dans son ADN.

Clay et lui quittèrent le groupe et marchèrent tranquillement vers le parking. Il n'avait pas besoin d'être devin pour sentir l'appréhension qui habitait sa collègue. Il ne comprit pas vraiment pourquoi, au début. Il pensa qu'il s'agissait encore d'un reliquat du train fantôme. Il ignorait ce qui avait pu la saisir au corps de façon aussi brutale, mais pas question de parler de l'incident sauf si elle le souhaitait. A la place, Wade préféra discuter d'un sujet susceptible de lui changer les idées :

- C'était sympa comme soirée ! La bière était franchement agréable ! Faudra peut-être qu'on s'organise un truc dans un bar un de ces quatre ! Pourquoi pas une soirée bowling ! Ou un escape game, tiens ! Hé, mais ce n'est pas bête ça ! On pourrait même s'organiser ça à la caserne ! Genre pour la soirée d'Halloween ou pour la Saint Sylvestre ! On ferait deux parcours distincts pour chaque équipe, avec chacun leur lot d'énigmes à résoudre, comme ça, pas de triche et on peut organiser tout ça de façon à ne pas gêner le service ! Qu'est-ce que tu en penses ? Je vais en toucher deux mots aux autres, demain !

L'idée de faire une nouvelle soirée ensemble l'enchantait. Le problème de sa fonction de capitaine, c'est qu'il n'avait plus cette camaraderie d'antan. Il essayait de se montrer présent, de plaisanter, de se mêler à son équipe mais les obligations administratives le conduisaient à s'isoler. Si cela ne changeait pas l'ambiance générale, il voyait bien qu'il était plus distant, par la force des choses. Ils continuaient à marcher. A un moment, Wade, pas rassasié par son repas pourtant assez gras, proposa :

- Et si on allait se manger une glace ? Si tu n'es pas trop crevée, bien sûr ! Je n'ai pas eu ma dose de sucre et à ce stade, je vais finir par faire de l'hypoglycémie, vois-tu !

Il hocha la tête, en prenant un air faussement fatigué. Puis il pouffa de rire. Il était comme ça, Wade, il aimait l'autodérision et plaisanter. L'humour, il considérait que ça ajoutait de belles couleurs à la vie ! Et donc que ça lui était indissociable ! En papotant, ils étaient arrivés près de la moto. Magnifique Harley Davidson ! Wade en caressa le siège de cuir, de façon totalement inconsciente. Voilà qui en disait long sur son adoration. La Streetfighter 975 était un modèle sportif, loin de sa sœur connotée biker. Et pas franchement du genre à rassurer quelqu'un qui appréhendait de monter sur une deux-roues motorisée. C'est en voyant le regard inquiet de Clay qu'il comprit ce qu'elle appréhendait tant ! Ok, il ne ferait pas des pointes de vitesse avec elle ! Wade plongea ses yeux verts perçants dans les siens et posa sa main sur son épaule :

- Hey... ça va aller d'accord ? Elle peut faire peur comme ça, mais tu verras, elle est très confortable. J'ai un casque dans le coffre sous le siège, je pense qu'il devrait t'aller, au pire, je peux le régler. Tu vas voir, c'est assez plaisant quand on est dessus ! Tu n'auras qu'à te tenir à ma taille, tu peux même serrer si jamais tu le souhaites. Et si tu as peur, tu peux te coller contre mon dos, d'accord ? Tu sais, je conduis des motos depuis que j'ai 15 ans ! Et celle-ci, ça fait bien cinq ans que je l'ai ! C'est un petit bijou ! Je la maîtrise ! Au pire, si tu ne te sens pas bien ou que tu trouves que je vais trop vite, tu me le dis, ok ? Viens, déjà, teste le siège, assieds-toi dessus, tu ne risques rien ! Regarde, tu as un creux ici, c'est là que tu seras assise et du coup calée. Tu ne pourras pas glisser en arrière !

Il se montrait très pédagogue. Wade n'était pas du genre à se moquer des autres parce qu'ils avaient peur. Il essayait toujours de dédramatiser les craintes d'autrui. Son côté courageux transparaissait toujours, que ça soit au travail ou dans sa vie personnelle. En fait, la peur lui était étrangère. Quand il nourrissait une appréhension, il s'intéressait à l'objet de celle-ci. Ainsi son objectif restait d'apprendre et de comprendre ce qui l'entourait. Mine de rien, quand on fournissait ce travail là, on réglait 90% de son problème. L'ignorance restait mère de toutes les phobies. Il lui tendit la main pour l'aider à monter sur le siège. De toute façon, si vraiment elle était bloquée à l'idée de faire de la moto, Wade pouvait appeler un taxi. Ça ne lui posait aucun problème. Il ne proposa pas cette solution. D'abord parce qu'il voulait voir si Clay arrivait à surmonter sa crainte et ensuite parce qu'il aimait l'idée de ne pas céder aussi vite à la facilité. Ça poussait les gens à franchir leurs limites. Et quoiqu'on en dise, ça entraînait toujours des conséquences positives pour eux. Voilà qui démontrerait, par exemple, à Clay, qu'elle était quelqu'un de fort, capable de regarder ses peurs en face et de ne plus fuir. Rhodes n'était pas psychologue, contrairement à elle, mais il se persuadait d'une chose : faire front restait la solution la plus efficace pour le bien-être personnel et pour gagner en confiance. Un petit pas pour l'Homme mais un grand pas pour l'humanité !

Wade pouvait parfois donner l'impression qu'il débarquait de la cambrousse, parce qu'il n'était pas au courant de la célébrité de certaines personnes de son entourage. La preuve, avec Sunwei Park, quelques semaines plus tôt, où il avait eu du mal à croire qu'en face de lui, au milieu de ce parc où il faisait sa séance de sport, se trouvait le vrai artiste, compositeur et interprète de la chanson sur laquelle il adorait se déhancher à outrance. Il ne savait donc pas trop ce que le nom Marlowe ouvrait comme portes, mais cela dit, il appréciait la façon que Clay avait, pour rester simple et accessible. Le danger de la célébrité, c'était de devenir particulièrement snob, surtout avec des gens comme lui, qui ne pétaient pas plus haut que leur derrière et qui aimait les choses simples. Il hocha la tête pour valider l'idée du glacier artisanal. Si en prime elle connaissait une bonne adresse, voilà qui éclairait davantage leur fin de soirée. En tout cas, avec Wade, il était courant de voir la vie du bon côté. Il se concentrait toujours sur le positif. Cela n'enlevait pas le négatif, bien sûr, mais au moins, ça permettait de relativiser. Le fait de marcher semblait libérer un peu Clay, puisqu'elle parla ouvertement de l'incident dans le train fantôme. Wade n'y avait pas assisté, il était arrivé après, quand tout le monde se trouvait dehors. Cependant, il avait aussitôt remarqué l'attitude de sa coéquipière et bien évidemment, il fit tout ce qui était en son pouvoir pour focaliser l'attention des autres ailleurs, afin qu'elle n'ait pas en plus le sentiment de gêne et de lourdeur que l'on peut avoir lorsque l'on est subitement et malgré soi, le centre de l'attention. Il se montrait prévenant à son égard, encore plus quand elle manifestait des signes manifestes de déstabilisation. Alors que Clay s'interrogea sur ce qu'il pouvait bien penser d'elle, ils entrèrent chez le glacier. Effectivement, s'appeler Marlowe ouvrait des portes ! Ou alors c'était tout simplement parce que Clay était une femme bien, sous tous rapports et particulièrement avenante avec les autres ?

Ils commandèrent, après que Wade ait répondu à Clay qu'il préférait une glace vanille/café, des plus banales, certes, mais le dicton ne disait-il pas, que les recettes les plus simples sont souvent les meilleures ? Glaces en main, ils sortirent et regagnèrent le parking. Profitant du calme et du fait qu'ils soient tous les deux, Rhodes jugea opportun de répondre, avec son calme habituel et surtout son ton doux, compréhensif. Il était toujours présent pour les autres. C'était sa mission, son rôle et presque son devoir, comme il aimait se le dire quand il y repensait.

- Tu sais, civil ou militaire, y'a pas beaucoup de différence. Je crois qu'un SPT, il s'en fout pas mal que tu aies été dans l'armée ou pas. Disons que les traumatismes ne sont peut-être pas les mêmes, mais ça n'empêche pas que nous sommes tous humains et que nous avons chacun une façon de réagir à une situation traumatisante. La tienne n'est pas ridicule ou dingue. En fait, je crois que personne ne peut la juger, personne n'en a le droit. Je n'en souffre pas et je m'estime chanceux. Car je sais, pour l'avoir vu dans mon entourage, à quel point c'est compliqué à vivre comme situation.

Il lui fit un sourire confiant. Wade savait trouver les mots pour rassurer les autres et il adoptait toujours une attitude prudente, surtout dans le cas de syndromes post-traumatiques. Le danger derrière était bien réel pour les personnes qui en souffraient. D'ailleurs, il l'avait vu, ça donnait lieu à des drames parfois, parce que sous-estimé, un SPT conduisait parfois des gens au suicide... C'était pour ça qu'il s'était engagé dans une association d'anciens combattants, parce qu'il avait pris conscience qu'il pouvait peut-être aider des gens à se sortir de ce cercle vicieux et à reprendre une vie normale. Alors qu'ils mangeaient leurs glaces, Wade ajouta, bienveillant :

- En fait, le plus important, c'est que tu prennes soin de toi et que tu ne restes pas toute seule. Tout le monde ne comprend peut-être pas ce que tu traverses, mais même si je ne l'ai pas vécu moi-même, ça ne veut pas dire que j'y suis insensible. Si tu as besoin ou si tu veux m'en parler, tu peux. Si tu ne le souhaites pas, pas de problème, nul ne peut te forcer. Mais je suis là, d'accord ? C'est à ça que sert un ami !

Alors qu'ils se trouvaient devant la moto et qu'il perçut le trouble de Clay, il tenta de la rassurer. Déjà, il trouvait intéressant qu'elle monte à cheval. Lui n'en avait jamais fait et peut-être qu'un jour, la providence ferait qu'il y remédierait ? En tout cas, il ne fermait pas la porte à cette découverte équestre. Il termina sa glace, qu'il avait limite englouti. Oui, mieux valait l'avoir en photo plutôt qu'à table, par moments. Il ouvrit le coffre sous le siège et en sortit deux casques. Première étape, équiper Clay. Il s'approcha d'elle et lui mit doucement l'accessoire (vital) sur la tête. Il s'occupa de l'ajuster, pour s'assurer qu'il la protège bien. Il avait confiance en lui et le trajet serait probablement sûr, mais il valait mieux être prudent. S'il maîtrisait son véhicule, il n'avait malheureusement pas le même contrôle sur les autres usagers de la route. Et pour l'avoir vécu une fois, en tant que piéton, un accident pouvait très vite arriver ! Alors qu'elle était parée, il démarra l'engin. Le moteur démarra dans un bruit particulièrement bruyant. Vu la cylindrée, c'était assez logique. Il n'avait pas trafiqué le pot d'échappement, laissant celui d'origine. Ca avait de quoi impressionner en tout cas. Il mit son casque à son tour et monta en premier sur la selle, appelons-la ainsi. Il tendit la main à Clay pour qu'elle le rejoigne. Tout excité à l'idée d'être sur sa moto, il fit la conversation :

- C'est un vrai régal, de rouler dessus ! La sensation de liberté est exceptionnelle ! Tu peux mettre tes pieds sur les deux barres métalliques là, sur le côté, tu seras beaucoup plus confortable ! Tu me dis quand tu es prête !

Il lui montra les barres en question et attendit son feu vert pour démarrer. Il était évident qu'il serait prudent. L'idée n'était pas de la choquer davantage en roulant comme un malade. L'accélération de sa moto était particulièrement puissante, aussi, opterait-il pour une conduite douce et souple, histoire que ce baptême de Harley ne vire pas au cauchemar pour son coéquipière !