Fous de motos [ft. Derek]

De temps en temps, Wade sentait qu'à cause du travail, des interventions, du sport, son corps avait tendance à s'endolorir. Rien de méchant ou de grave, bien sûr, mais quand même, ça l'amenait parfois à être moins souple, moins efficace lors de ses interventions. Du haut de ses 33 ans passés, il savait que tous les petits excès de sa jeunesse, s'accumulaient. Aussi, il allait régulièrement voir un kiné, pour l'aider à bien bouger. C'était quelque chose de préventif, de confortable, mais il préférait prévenir que guérir. Surtout qu'il avait pu constater au sein de la caserne, le désastre du temps sur les hommes plus âgés que lui. Certains levaient le pied de façon précoce, au début de la quarantaine, parce qu'ils ne pouvaient plus bouger et au delà de leur cruel manque d'efficacité, ils devenaient aussi un danger pour le groupe. Alors ils finissaient leur carrière dans des bureaux, un peu au calme, mais surtout au placard. Clairement, Wade ne voulait pas finir comme ça. Il lui fallait sa dose d'adrénaline et il comptait bien tirer jusqu'à ses 60 balais au moins, en allant sur le terrain. Parce que ça le faisait vibrer... Alors pour s'épargner un avenir qu'il aurait pu regretter, il couplait son kiné avec de l'ostéopathie. Et sur Island Bay, il avait trouvé son bonheur, en la personne de Derek Haynes. Brun ténébreux, il fallait admettre qu'il était plutôt beau gosse. Clairement à son goût ! Mais Wade n'aimait pas mélanger les relations professionnelles avec des choses plus intimes. Et puis, il avait compris, sans lui poser la question, que Derek n'était pas intéressé par la gente masculine.

Cela ne les empêcha pas de sympathiser dès leur première séance. En fait, le praticien était très sympa à cotoyer. Ils se découvrirent une passion commune pour les motos, et notamment pour les courses. A leurs heures perdues, qui pour Wade étaient de moins en moins nombreuses, ils allaient sur des circuits se faire quelques sueurs froides aux commandes de bolides qui les faisaient rêver, très clairement. Sur le plan médical, Derek était efficace. Il ne lui fallait pas longtemps pour trouver les points de blocage. En général, un simple coup lui suffisait. Et ensuite, par le biais de manipulations méticuleuses, il remettait tout en place. Wade sortait de son cabinet comme sur un nuage. Le corps légèrement courbaturé, mais toujours détendu. Ce soir, il était le dernier patient de Derek. Il avait pris le dernier créneau de rendez-vous afin qu'ils ne soient pas pressés par le temps. Ils devaient causer de leur prochaine virée entre potes, de la course de motos qui auraient lieue sur Auckland. Un rendez-vous à ne pas manquer pour ces deux passionnés en herbe ! Et puis, en se voyant en fin de journée, Wade pouvait bénéficier d'une meilleur efficacité, puisqu'il ne travaillait pas le lendemain et qu'il finissait son service. Il prit les transports en commun pour se rendre à son cabinet. On lui avait déconseillé de conduire après les séances, parce que ça pouvait entrainer un assoupissement. Responsable, bien qu'il soit casse-cou, Wade avait décidé d'écouter les conseils. Surtout que là, ça pouvait mettre en danger la vie des autres. Des vies qu'il avait pour mission de sauver au travers de son métier.

Une fois dans la salle d'attente, il attendit son tour. Qui ne tarda pas. Derek raccompagna son patient précédent jusqu'à la porte. Et alors qu'il faisait signe à Wade de venir, celui-ci se leva et entra dans le cabinet. Il affichait un sourire enchanté, ravi.

- Salut Derek ! Comment tu vas ?

Pendant que celui-ci préparait la table, Wade, qui connaissait le rituel parce qu'il était habitué, se déshabilla pour se mettre en boxer. Il donna quelques indications à son interlocuteur :

- J'ai quelques douleurs au niveau des lombaires et des cervicales, un peu comme si j'étais "compressé" dans ces zones... je sais que tu vas me gronder, mais j'ai pas été très raisonnable sur la dernière intervention... il y avait un homme inconscient dans un logement en flammes, et comme ça menaçait, je l'ai porté sur mon dos... il devait faire dans les 90 kilos, quelque chose du genre, bref un gorille quoi... mais à ma décharge, je ne pouvais pas faire autrement !

- Oui, j'ai commencé à 6h. Avec une petite pause en début d'après-midi, sur ordre de mon supérieur. Sinon, à part mon dos, ça va ! J'ai hâte qu'on se fasse cette course moto !

Ca se sentait, au ton de sa voix. Rhodes était tout excité à l'idée d'aller sur un circuit avec sa moto et de faire une petite compétition avec Derek. Les deux s'étaient trouvé cette passion commune bêtement, alors que Wade avait vu la Ducati de son ostéopathe garée devant son cabinet. Et c'était de là que tout partait. De fil en aiguille, à mesure que Wade apprenait à se détendre pendant leurs séances, ils se retrouvaient en dehors de leur travail pour parler mécanique, accessoires, assister à des courses, parfois y participer, comme ça serait le cas le week-end suivant. Et à chaque fois, ils échangeaient aussi quelques mots sur leurs vies respectives. En fait, la séance tournait souvent à un échange amical, loin du formalisme professionnel habituel. Et finalement, ça rendait tout plus agréable. Et le temps passait plus vite. Wade laissa tomber ses bras le long de son corps, s'exécutant à la demande de Derek. Il avait totalement confiance en lui. Au début ce ne fut pas évident. Comme souvent, d'ailleurs. Il fallait toujours quelques séances pour la personne soit relaxée. Et quand il comparait avec les premières, il voyait nettement la différence. Le fait de ne pas être tendu, de se laisser faire, ça offrait une vraie parenthèse, pendant laquelle Rhodes lâchait prise. Il arrivait même à savoir à peu près quand Derek allait agir. Là, par exemple, il s'enquit de la santé de l'homme qui avait été sauvé in extremis. Détourner l'attention pour surprendre et éviter les résistances. Un classique. Alors qu'il soupira d'aise quand sa nuque craqua, il répondit à la question :

- Il a été un peu intoxiqué au monoxyde mais les nouvelles que j'ai eu de l'hôpital étaient rassurantes. Il va s'en sortir. Il a eu une grosse frayeur. A voir s'il n'en garde pas un traumatisme, mais bon, généralement, les gens parviennent à le surmonter.

Il demandait toujours des nouvelles des gens qu'il sauvait ou aidait lors de ses interventions. Ca ne paraissait pas important, comme ça, mais pour lui, s'enquérir de l'état de santé des personnes qu'il avait juré de protéger et d'aider, ça comptait beaucoup. C'était ce qui le motivait à se lever tous les matins, ce qui lui permettait de se sentir utile. Son métier comportait parfois des mauvaises nouvelles. Tout le monde ne survivait pas. Quand ils trouvaient des morts sur les lieux de l'intervention, ça faisait toujours moins "mal" que lorsqu'il apprenait que l'un de ses rescapés avait trépassé. Forcément, ça jouait sur le moral. Il parvenait à se détacher de tout ça, en positivant. Merci l'armée et son entrainement permettant de se détacher des évènements graves. Après, tout n'était pas rose pour les militaires, il en savait quelque chose, puisqu'il était bénévole au sein d'une association d'anciens combattants. Il voyait bien que cette capacité à aller de l'avant et à se concentrer sur le positif, n'était pas innée. Beaucoup peinaient à l'apprendre et à l'employer au quotidien. Certes, Wade n'était pas parfait et il lui arrivait parfois d'avoir le moral dans les chaussettes. Mais généralement, il restait une source d'optimisme et il avait le chic pour changer les idées des gens, par une blague, la plupart du temps.

- Non, pas de vertige, tout va bien. C'est tellement bon, ton truc là...

Il s'allongea ensuite sur la table, à plat dos. Derek avait bien aménagé son cabinet. On s'y sentait bien, parce que le cadre était plutôt chaleureux, plutôt accueillant. Ca changeait des salles de soin aux couleurs très froides, sans décoration quelconque. Ici, il existait un charme certain, plutôt plaisant. Alors qu'il ne pouvait que regarder le plafond, Wade poursuivit, parvenant à se détendre avec beaucoup d'aisance. Il ne releva pas la dernière phrase de Derek, même si l'envie de faire une remarque grivoise lui effleura l'esprit.

- Je ne sais pas si tu as vu, mais la semaine prochaine, ils font une exposition de motos de collection pas loin de la zone industrielle. Ca pourrait être sympa d'y faire un tour. Je me suis renseigné, ils ne vont pas vendre les modèles. C'est dommage... moi qui cherchais l'occasion de claquer de l'argent ! Hahaha !

Il ajouta, en souriant :

- Rien à voir, je me posais une question l'autre jour. C'est bien joli d'être ostéo ! Tu prends soin des autres, mais finalement, toi, qui prend soin de toi ? Je veux dire, comment tu fais si tu dois te faire débloquer quelque chose ? Tu vas voir un autre ostéo ?

- Tu sais, ma satisfaction personnelle, c'est de servir les citoyens de cette ville et des alentours. C'est une mission très noble, protéger et servir. En fait ça l'a toujours été même à l'armée. Et je ne sais pas, j'ai ça dans les gènes, je ne me pose même pas la question de savoir si je pourrais faire autre chose. Un jour peut-être, quand j'aurais atteint la date de péremption !

Il se mit à rire. C'est vrai qu'il était difficile d'imaginer Wade faire autre chose de sa vie que pompier. En fait, comme le lui disait son père, on le voyait soit mourir au combat, soit entretenir une forme olympique pour retarder l'âge de la retraite. Il optait pour la deuxième solution. Certes, il ne manquait pas de courage mais la vie, il y tenait. Il la mettait en danger pour l'adrénaline, toujours en prenant des risques mesurés. Peut-être qu'un jour il se planterait en beauté et qu'il le paierait durement, mais pour l'instant, une bonne étoile veillait sur lui. Il croyait à la bienveillance de Dieu à son égard. En faisait ses bonnes actions, en aidant les autres sans rien demander en retour, il respectait le message d'amour que le créateur avait souhaité transmettre. Et en tant que pompier, il ne fauchait plus de vies humaines, juste des flammes, celles de l'enfer, comme il s'amusait à le dire. La religion, il n'entretenait pas de lien puissant avec. Il était croyant et depuis peu, il pratiquait à nouveau certains rituels. En réalité, il faisait partie de ces penseurs libéraux et progressistes sur bien des aspects. Condamnait-il l'avortement par exemple ? Non. Tout simplement parce qu'il faisait confiance en la médecine pour estimer à partir de quel moment un foetus était un être vivant ou non. Quant aux questions sur la vie intime des gens, il s'en moquait. Que des gens de même sexe veuillent fonder une famille, qu'un individu veuille vivre avec un genre différente, ça ne lui posait aucun problème. Chacun vivait comme il l'entendait, il n'allait pas tenter de convaincre qui que ce soit d'épouser sa foi. En tout cas, lui, il croyait en un Dieu protecteur et bienveillant, tolérant, reprenant un point simple de la Bible, qui disait qu'il avait créé l'homme à son image. Dans ce cas, toute cette diversité morale émanait du tout-puissant. CQFD.

- Y'en aura peut-être à retaper, qui sait ? Je t'enverrais l'heure par SMS. Je sais qu'il y a des stands divers, souvent pour des modèles neufs, mais on aura une bonne surprise, j'espère !

A l'idée d'aller au salon avec Derek, Wade était heureux. Ca se sentait. En fait, il se rendait compte qu'il possédait beaucoup de relations amicales avec des femmes, mais assez peu avec des hommes. Peut-être pour éviter un excès de testostérone qui lui aurait fait prendre des risques inconsidérés ? En tout cas, ce n'était pas avec son ostéopathe qu'il pourrait s'assagir, ça non... Il s'exécuta en se mettant sur le côté. Derek ne tarda pas à sentir un point sensible. Wade n'étant pas douillet il se laissa faire sans sourciller et sans grimacer. Sa capacité à n'avoir peur de rien impressionnait toujours. Il lui arrivait d'appréhender des choses qu'il ne connaissait pas mais ça durait quelques minutes, grand max ! Ensuite, sa curiosité reprenait le dessus et il s'intéressait aux choses. Cela lui permettait de ne pas avoir peur. La plupart des phobies restaient liées à des méconnaissances absolues. En l'espèce, il plaçait sa confiance en Derek, parce qu'il était diplômé et qu'il connaissait son métier. Cela lui-ci évoqua sa méthode pour prendre soin de lui et cela semblait quelque peu excessif. Peut-être trop pour être sérieux d'ailleurs. Il parla de la kiné qui bossait avec lui dans le même cabinet. Et Wade ne put s'empêcher de sourire :

- Petit coquin ! Mais oui, je l'ai déjà vue ! Et je dois dire que tu as bon goût ! Elle est charmante ! Vous iriez très bien ensemble, d'ailleurs, maintenant que tu en parles !

Il lui fit un clin d'oeil taquin avant de passer sur le ventre, s'exécutant à la demande son praticien. Dans cette position, il ne voyait pas Derek, mais ce n'était guère gênant. Il eut un petit rire quand l'ostéopathe s'immisça un peu dans sa vie privée. Il ne le rembarra pas, après tout, ils pouvaient parler de ces sujets librement, depuis qu'ils se connaissaient. Ils se faisaient confiance. Rhodes reprit donc :

- A vrai dire, je pensais que quelqu'un pourrait prendre soin de moi, un certain Calvin... mais il se trouve que cet enfoiré était marié... et qu'il me l'a caché. Donc, je l'ai rayé de ma vie. Et j'ai décidé que pour un petit temps, au moins, je m'abstiendrais de toute nouvelle relation sentimentale, tu vois ? On va dire que je ne suis pas maso, je n'aime pas trop souffrir... bref !

Il était un peu surpris que Derek lui parle de Jude. Comment pouvait-il savoir qu'elle était jolie ? Sa curiosité piquée au vif, il poursuivit :

- Oui, j'ai une nouvelle recrue, elle s'appelle Jude et franchement, c'est un bijou ! Elle est volontaire, autonome, elle a du cran ! Elle me plait, oui, peut-être pas au sens où tu l'entends. En fait, il y a une sorte de connexion entre nous, une forme de respect, d'amitié, peut-être... je ne pense pas que ça aille plus loin. Je ne mélange jamais le travail et les sentiments, ça fait toujours mauvais genre et ça peut se retourner contre elle pour sa carrière, tu vois ? Bon, qui t'a balancé cette info d'ailleurs ? Que j'avais une nouvelle recrue et qu'elle était très agréable à regarder ? Je veux des noms, Derek ! Faut passer à table et me balancer la taupe qui cause sur mon compte ! Sinon, je repeins ta Ducati en rose bonbon, pour la peine !

C'était une fausse menace, jamais Wade ne ferait de mal à une moto. Signe qu'il était parfaitement détendu, Rhodes se laissait faire, attendant la réponse de son ami.

Wade se releva en douceur. Il fallait toujours y aller mollo après une séance d'ostéopathie, déjà parce que les sensations procurées par les séances pouvaient conduire à ressentir des choses étranges, comme des vertiges, des fourmillements, parfois des sensations bizarres dans les articulations et les muscles. Et puis ensuite parce que c'était absolument contre-productif d'être brutal après un moment sensé vous détendre. Ces conseils, données par Derek dès leur première séance, n'étaient pas tombés dans l'oreille d'un sourd. Wade les avait bien enregistrés, au point de les respecter scrupuleusement à chaque fois qu'ils se voyaient. Après un petit moment assis, il se leva sur ses deux jambes et fit quelques pas. Il se sentait... mieux, soulagé et en même temps un peu endolori comme après une bonne séance de sport. A côté de ça, il avait l'impression de bouillir de l'intérieur, comme si la température de la pièce avait été augmentée de façon exponentielle. Les effets de cette séance sur sa circulation sanguine. Franchement, ça faisait un bien fou ! Il afficha un sourire satisfait. Et il répondit avec humour à sa demande, sur son état :

- Je me sens revigoré et en même temps un peu épuisé ! Mais ça fait du bien ! Tu as des mains magiques, Derek ! J'espère qu'on te le dit souvent ! Et pas que dans ce contexte !

Taquin, Wade ? Oui un peu ! En même temps, il avait devant lui un beau gosse, qui pouvait répondre à son archétype de mec. Ténébreux, souriant, sympa... dommage qu'il ait une préférence marquée pour les femmes. Mais bon, c'était la vie, il n'en ferait pas une maladie ! N'empêche, ces dames étaient chanceuses s'il s'appliquait autant avec elles qu'avec ses patients ! Bien qu'il n'ai jamais été partisan des clichés, Wade devait admettre qu'entre eux deux, c'était typique d'une relation mec à mec. Il leur arrivait de parler de choses qui n'entraient pas dans le cadre médical ou sportif. De leur vie privée, de leurs anecdotes. Parait-il qu'il existe un mot valise pour qualifier cela : bromance ? En tout cas, ils parlaient parfois crû. Et sans forcément être vulgaires et pesants. Juste qu'ils n'y allaient pas par quatre chemins. Même si Wade avait bien compris que sur le plan sentimental, son ami était un peu en lambeaux, cela ne l'empêchait pas de le titiller un peu sur ce terrain. Après tout, un homme à terre n'a pas d'autre choix que de se relever pour avancer. En essayant d'introduire de l'amusement et du jeu à ce sujet, il espérait que Derek tourne la page et qu'il puisse aller de l'avant. Une technique apprise à l'association des anciens combattants où il était bénévole depuis des années. Ils appelaient ça "le retournement positif" chez les psys ! Lui il n'en savait rien ! En tout cas, il cherchait toujours à aider Derek et pas à lui faire du mal ou éprouver des regrets.  C'est peut-être pour ça qu'ils arrivaient à être aussi complices. Mine de rien, il fallait avoir confiance pour se laisser craquer les articulation par quelqu'un, même diplômé et formé et le tout quasiment à poil !

- Prochainement, j'aimerais bien faire des activités dans la neige ! Oh, ne me regarde pas comme ça, pas ce genre d'activité là ! Du sport ! J'ai envie de sentir le froid piquant et tout ! Mais j'hésite ! J'aimerais bien me lancer dans du snowboard ! J'ai rencontré une fille l'autre jour au marché, elle avait l'air de s'y connaître ! Je suis assez curieux et je pense qu'elle peut m'aider à découvrir cette nouvelle activité ! En tout cas, je suis déterminé !

Avec une petite lueur dans les yeux, il poursuivit, sourire aux lèvres :

- Puis je compte bien m'envoyer en l'air ! Hé, doucement, bro', pas au sens où tu l'entends ! Non, Jude et moi, nous faisons une escapade wingsuit pendant 5 jours, la semaine prochaine ! Nous allons sur le Mont Ruapehu ! Au programme, randonnée, nature, isolement ! Nous allons dormir dans des tentes et puis une fois au sommet du Mont, tu sais quoi ? Je vais me jeter dans le vide !!! J'ai tellement hâte ! Tu n'as pas idée ! J'adore la sensation que ça procure ! C'est presque comme un orgasme, tu vois ? Tu ne contrôles pratiquement plus rien, tu es emporté, ton coeur bat si fort qu'il pourrait sortir de ta poitrine ! C'est tellement jouissif !

On sentait qu'il décrivait les sensations avec une certaine justesse. Il trouvait des mots pour partager des concepts parfois abstraits, et faciliter ainsi la communication. Alors que Derek l'examinait, pour voir s'il y avait encore des choses à remettre en place, Wade lui donna une tape sur le torse et ajouta, en riant :

- Je sais ce que tu vas me dire, je pars en excursion avec Jude, il va se passer un truc. T'as peut-être raison, parce que franchement, oui, elle est jolie. Mais comme j'ai dit, nous travaillons ensemble, à la caserne. Je ne vois pas trop comment nous pourrions gérer ça, surtout qu'elle est nouvelle et tout. Imagine un peu la réputation que ça va lui faire si ça s'apprend hein ? La fille qui couche avec son supérieur... j'ai pas envie que ça lui ferme des portes, tu vois ? Elle a un sacré potentiel ! Et un sacré caractère aussi ! Sauf que toi et moi, on sait comment ça fonctionne... On pardonne tout aux mecs, mais une nana est jugée de façon bien plus sévère. Et puis, je ne veux pas non plus que ça la blesse, je n'imagine pas une relation durable ou quoi. J'ai donné pour le moment. Je sais que c'est souvent ce que les gens attendent... mais personnellement, je préfère des histoires sans lendemain, au moins, comme ça, personne ne me brise le coeur.

- Je veux bien te croire... et de toi à moi, quel dommage de pas l'avoir expérimenté moi-même !

Il répondit à l'air taquin de Derek par un sourire amusé. Bon, son pote devait bien se douter que s'il avait éprouvé ne serait-ce qu'une once d'attirance pour la gent masculine, Wade n'aurait pas hésité à être un peu plus entreprenant. Sans être ultra-séducteur, Rhodes savait se défendre. Quand quelqu'un lui plaisait et qu'il sentait une réciprocité, il n'y allait pas par quatre chemins. L'homme, si sage et si patient, allait droit au but et ne perdait pas l'occasion de signifier franchement ce qu'il ressentait. En tout cas, même si les mains de Haynes ne faisaient rien d'autre que lui remettre les os en place, et corriger les problèmes de posture, ça restait plaisant et agréable. Et puis, peut-être que le fait qu'ils parlent de tout, de rien, qu'ils partagent des éléments de leurs vies personnelles, ça créait quelque chose de plus. Pas de l'amour, non, mais une amitié, une bromance, comme on disait dans le jargon. N'empêche qu'il n'avait pas fallu grand chose pour que Derek devienne son meilleur ami. Il se sentait en confiance avec lui, suffisamment au point de parler sport et d'oser des blagues grivoises. Comme lorsqu'ils évoquèrent le snowboard et que l'ostéopathe raconta une anecdote sur son essai avec le snowboard. Wade éclata de rire et lui répondit, du tac-au-tac, en gardant son expression taquine :

- Oh, ça me fait pas peur, tu sais ! J'ai le cul bien entraîné !

Il éclata de rire, sans évacuer le double sens que comportait son propos. De toute façon, si Derek trouvait ça choquant, il le lui dirait, ils pouvaient tout se dire. Wade n'était pas un pervers sexuel, qui ne pensait qu'à ça à longueur de journée. Il appréciait le sexe, comme beaucoup de gens, mais voilà, il ne s'en vantait pas. Là, ils en discutaient parce que le sujet avait été amené sur la table. On voyait bien, en plus que ce qui l'emballait plus qu'une partie de jambes en l'air, c'était l'adrénaline. Il y était totalement dépendant. Sa vie tournait autour des sensations fortes. Il ne pouvait s'empêcher d'avoir sa dose de sensations fortes de façon régulière. Le wingsuit n'était, ni plus ni moins, qu'une façon d'exulter et d'atteindre un état de jouissance intérieure. Difficile à décrire, quand on n'était pas la personne concernée, et pourtant, le pompier prenait vraiment un plaisir de fou dans ce genre d'activités. Ca se voyait à la façon, presque enfantine, avec laquelle il en parlait.

- Tu sais, quand tu es habitué, tu t'y fais vite. Et c'est ça le problème, c'est que dès que tu as pris le pli, ça devient moins intéressant, moins satisfaisant, ça te pousse à chercher quelque chose de plus stimulant ! C'est un cercle vertueux ! Ou vicieux, ça dépend comment tu te places ! Jude est dans le même état d'esprit que moi ! Je ne sais pas si elle serait capable d'aller aussi loin mais en tout cas, elle ne se laisse pas démonter ! Elle a du mordant !

Il laissa échapper un léger soupir de contentement quand il exerça une pression sur ses lombaires. Avec le poids qu'il avait du porter, le geste le soulageait grandement et lui procura une sensation de bien-être exceptionnelle. Presque de façon instantanée, les muscles de son dos se relâchèrent. Il ne savait pas trop ce que Derek lui avait fait, là, mais c'était ultra-efficace ! Il resta en place, tout en l'écoutant parler. Voilà qu'il lui exposait une théorie sur le fait que Jude ne cherchait peut-être rien de sérieux, elle aussi. En tout objectivité, il l'ignorait. Mais il savait une chose, si jamais ça se passait de façon plus qu'amicale, ce serait difficile à gérer au quotidien. A un moment ou un autre, il craignait un peu qu'elle ne s'attache. Et ça, il n'était pas prêt à l'envisager. Trop de déconvenues amoureuses par le passé... Puis, comme il l'avait dit, le fait qu'ils travaillent ensemble risquait fort de générer une tension palpable. Dès qu'on mettait du sexe dans l'équation, ça compliquait beaucoup ! Cela dit, Haynes n'avait pas tort. Peut-être que s'il y avait alchimie et s'ils étaient sur la même longueur d'ondes, il se tracassait pour rien. Il verrait bien. Bien qu'il resta silencieux, Wade n'en était pas moins à l'écoute. Ca ne voulait pas dire qu'il suivrait les conseils de son ami, parce qu'il était entêté. Mais il pouvait réfléchir en ayant un autre angle de vue, maintenant. Etonnant d'entendre Derek parler ainsi, en tout cas, lui qui n'appliquait pas ses conseils à lui-même. Il se leva à nouveau et fit quelques pas. Cette fois, le résultat fut bien visible. Wade semblait beaucoup plus souple, ses mouvements plus fluides. Et il se tenait plus droit. Laissant Derek juger si la séance était terminée et efficace, il lui lança :

- Tu sais ce que moi, je pense ? Que tu devrais aussi appliquer tes propres conseils ! Si quelqu'un te plait, tu devrais foncer et laisser faire les choses, bro ! Je sais que c'est pas simple pour toi, mais quand on tombe de cheval, il faut remonter dessus ! Tiens... ça me fait penser que j'ai un exercice incendie à aller superviser dans une écurie, d'ici quelques jours... Ordre du chef ! Bref, en tout cas, je ne sais pas ce que tu as touché, là, mais j'ai l'impression d'avoir 20 ans ! Je me sens prêt à faire un saut en parachute !

Il mit alternativement son poing dans sa paume, faisant craquer ses doigts. Il lui jeta un regard déterminé, le même que celui qu'il avait lorsqu'il partait en intervention. Un mélange d'envie et de sérieux qui laissait présager qu'il était presque sur les starting-blocks pour mettre sa parole à exécution.

- Je pense que je vais voir ce qui va se passer, avec Jude... mais il y a peu de chances que je mélange le sexe avec le boulot... c'est pas vraiment dans mes plans ou mes envies. Quand bien même, elle est plus qu'agréable à regarder ! Alors, Doc ? On a terminé la séance ou tu veux encore me tripoter un peu ? Tu sais que je ne dis pas non, hein !

- Tu me connais, tu sais que je fais faire attention... au moins jusqu'à demain matin !

Il se mit à rire bêtement. Même s'il s'entrainait et qu'il faisait attention à lui, il ne pouvait jamais résister à l'appel de l'adrénaline et de l'aventure. Donc, Derek avait probablement autant de chances de ne pas le revoir incessamment sous peu dans son cabinet que de bénéficier d'une journée calme et paisible, sans patient à traiter. C'est que l'expertise dont il faisait tout le temps preuve, jouait en sa faveur. Son nom se glissait dans les conversations des gens, lorsqu'ils parlaient de douleur au dos, ou de blocages. "Tu devrais aller voir le Docteur Haynes, il est au top !". Voilà le genre de bouche à oreille qui permettait de grossir sa clientèle, et de s'assurer une certaine prospérité. Et en complément, après des journées bien denses, Derek héritait d'une fatigue certaine ! Wade la perçut dès qu'il se lava les mains, comme une chape de plomb, qui tombait sur les épaules. Il l'observa et eut un sourire en coin lorsqu'il anticipa son propos. Il le connaissait bien. Le brun se laissa tomber sur le canapé, qui occupait le coin de son bureau. Rhodes s'avança vers lui :

- Je vais te dire ce qu'un certain Derek Haynes m'a dit un jour : il faut savoir prendre soin de toi avant de prendre trop soin des autres, sinon tu ne pourras plus les aider. Tu t'en rappelles ? Moi oui ! Alors je ne m'en fais, je te fais confiance pour mettre en pratique tes bons conseils ! De toute façon, si tu ne le fais pas, tu sais que je vais venir te botter le cul... donc...

Il lui adressa un regard complice. Il tapa vivement dans ses mains et reprit, énergique :

- Bon et tu me fais quoi là ??? Allez, hop ! Lève moi ce joli petit cul musclé de canapé et amène-toi ! On va se manger ou se boire un truc ensemble, ça va te détendre ! C'est marrant, à chaque séance, j'ai l'impression de te vampiriser ! Genre j'ai absorbé ta force vitale, je pète la forme et toi, tu es rincé ! Un remontant ne te fera pas de mal ! Et puis il faut qu'on s'organise, mec ! Tu ne te rends pas compte ! On doit causer d'un tas de choses !

Il lui tendit la main pour l'inviter à se relever. Pas de répit pour les braves ! L'invitation de Rhodes était difficilement négociable, surtout qu'il avait l'intention de payer pour eux deux. Un moyen de donner un genre de pourboire à Derek, qui d'ailleurs, n'avait pas encaissé ! Wade s'en rendit compte et sortit la somme attendue pour la lui donner. Ca, c'était un truc sur lequel il était intraitable. Pas question de se faire soigner à l'oeil ! Il payait toujours sa consultation et ne perdait pas le nord. Une fois Derek avait tenté de noyer le poisson, mais il avait eu à faire avec l'entêtement de son ami. C'est que quand Wade avait une idée dans la tête, il ne l'avait pas ailleurs !

- Allez, papi ! On se remue ! Et que ça saute ! Je te laisse le choix du resto, tiens ! Pour te motiver ! Tant qu'on finit pas dans la pizzeria dégueulasse de la dernière fois... bon Dieu, tu sais que j'ai été malade pendant deux jours ? C'était pas bon et je suis sûr que les services d'hygiène sanitaire ont peur d'y rentrer ! J'en reviens pas de m'être planté à ce point ! On aurait pu s'empoisonner ! Vraiment !

Pour le coup, l'idée était venue de lui et il la regrettait. A un moment, il avait été tellement mal, qu'il avait songé à appeler les services d'urgence. Finalement, il s'était remis de son indigestion, et il se promit de boycotter cet endroit qui paraissait rustique sur le papier mais qui était un véritable désastre sur tous les plans.

Le fait de sortir, cela leur fit le plus grand bien. En fait l'air était encore doux, légèrement colporté par une petite brise appréciable. Il y avait même un petit parfum printanier, des odeurs de fleurs. Le temps était clément en ce moment et beaucoup de gens en profitaient. Ils allaient se balader dans les rues, profiter un peu de la météo splendide, des rayons du soleil. Le soir, même quand la nuit tombait, ils pouvaient abuser de la douceur, en poursuivant leurs promenades. On aurait pu donc se demander pourquoi Derek enfilait son blouson de motard. Ceux qui se posaient la question n'était pas très habitués à la moto. Quand on circulait sans aucune protection, à une vitesse assez soutenue, l'air devenait piquant, glacial aussi. Et mieux valait donc se couvrir. Au moins le temps du trajet. En plus, bien que ça paraisse dérisoire, posséder une surcouche de vêtement pouvait énormément aider en cas d'accident. Même à 50 km/h, quand finissait par terre, à traîner sur plusieurs mètres, les brûlures étaient systématiques. Et ne parlons même pas des écorchures. Contrairement à ce que l'on pouvait penser, les blouson de motard n'était pas qu'un accessoire sympa. Il sauvait des épidermes ! En tout cas, Wade trouva tout à fait normal qu'il se protège. Il lui répondit :

- Non, je suis venu en transports en commun. Comme tu m'avais déconseillé de conduire après nos séances... Oh tiens, d'ailleurs, maintenant que j'y pense, j'ai un petit cadeau pour toi !

Il fouilla dans la poche de sa veste de demi-saison, pour sortir une petite boite. Ca ressemblait, à s'y méprendre, à un étui à bague de fiançailles, mais ce n'en était pas un ! A l'intérieur, se trouvait une porte clé, avec le logo Ducati en recto et sur le verso, les initiales DH, pour Derek Haynes.

- Joyeux anniversaire, un peu en retard ! J'avais pas pu venir à cette période là, à cause de grosses interventions. Et puis après, les choses en amenant d'autre, j'ai oublié de te l'apporter. Ca faisait un petit moment que je pensais à ce cadeau, parce que je sais que tu l'aimes ta Ducati. Je me suis dit qu'en plus avec tes initiales, ça aurait encore plus de classe !

Il hocha la tête. Ils avaient deux solutions maintenant, soit Derek partait en moto de son côté et Wade le rejoignait au bar, soit il embarquait avec lui, mais il n'avait pas de casque. Il ne voulait pas lui faire porter la responsabilité d'un tel choix. Aussi, il ajouta :

- Les bus sont assez réguliers, pour le centre-ville. Ce ne serait pas prudent que je monte avec toi sans casque. Alors on peut s'y retrouver ? A priori, tu y seras avant moi, attends-moi à l'intérieur. Je ne devrais pas être long. Pas de folie ! Je sais que tu rêverais de voir des pompiers en action mais j'ai pas envie de te ramasser à la petite cuillère, moi !

L'hôpital qui se foutait de la charité. Wade avait tendance à surdoser la vitesse quand il était sur sa Harley...

Demander à Wade de ne pas offrir quelque chose pour l'anniversaire de quelqu'un, c'était un peu comme lui demander l'impossible. Il n'aimait pas arriver les mains vides chez les autres et encore moins rater l'occasion de leur faire un cadeau. Il était comme ça, que voulez-vous ? Et Derek ne pouvait pas le lui reprocher puisque lui aussi, il avait tendance à aider les autres. La preuve, il était retourné dans son cabinet pour vérifier s'il n'avait pas un deuxième casque. L'aurait-il fait pour une autre personne que Wade ? Peut-être que oui, peut-être que non. Mais ce qui comptait, finalement, c'était qu'il y pense. Les intentions sont toujours de bonnes choses, au quotidien. Pendant que son ami s'était absenté, Wade examina la Ducati avec attention. Il sortit son téléphone pour la prendre en photo. Voilà un beau bolide ! Et loin d'être désagréable à utiliser en plus ! Bichonnée par son propriétaire, la moto étincelait à la lueur du lampadaire. Quand Derek revint, il lui tendit un casque et une veste. Wade les essaya, le casque fut un peu juste, il le régla de sorte qu'il soit bien en place. Pour le veste, elle lui alla comme un gant. A vrai dire, rien de bien étonnant. Les deux hommes faisaient à peu près la même taille et possédaient une carrure assez identique, des épaules larges, une silhouette sportive et aucun ne souffrait d'embonpoint ! Une fois paré, Wade monta à son tour pour venir se loger derrière Derek. La situation ne manqua pas de les faire sourire. Rhodes, le premier.

- En profiter moi ? Allons, ça n'est pas mon genre ! Mais dis donc, c'est que c'est confortable !

Il bougea de sorte de faire bouger un peu les suspensions et ajouta, taquin :

- Bonnes suspensions ! Ca doit être plutôt pratique pour s'envoyer en l'air dessus...

Il éclata d'un rire gras. Wade ne ratait pas une occasion quand quelqu'un lui plaisait. Pour Derek, il savait que ça n'aboutirait jamais à rien d'autre que de l'amitié. Et ce n'était pas grave ! Les blagues graveleuses, les mots tendancieux, l'ostéopathe y était habitué. Il fallait prendre ça avec beaucoup d'humour et de détachement. C'est comme ça que Wade le tournait en tout cas. Derek effectua une petite manœuvre pour quitter son stationnement. Et puis ils se mirent en route. Quel plaisir que de sentir le moteur de la bécane vibrer sous les coups d'accélération de son conducteur ! Wade s'était cramponné à la taille de Derek, histoire de ne pas finir les quatre fers en l'air au milieu de la route. Il laissa plusieurs fois échapper des "youhou" enthousiastes, notamment quand Haynes fit une pique au delà de la vitesse autorisée. Ils ne tardèrent pas à arriver au bar, dans lequel ils passèrent le reste de la soirée, en parlant de tout, de rien, mais surtout de cette course de moto prévue dans leurs agendas et qui les rendaient aussi espiègles que des écoliers !