Une situation des plus gênantes ∞ Saad & Ollie

Neuf heures du matin, je suis de repos aujourd'hui, j'en profite pour faire la grasse matinée. Enfin du moins, c'est ce que je pensais faire, puisque des coups à ma porte me réveille en sursaut. Je me précipite vers l'entrée de mon loft pour ouvrir en maugréant :

-Oui bah, ça va, j'arrive !

Ma tenue est plus que légère, je ne suis qu'en nuisette noire ornée de dentelle pourtant, je m'en fiche, je déteste être réveillée en sursaut et je tiens seulement à retourner dans mon lit le plus vite possible. Pis je ne suis pas trop du genre pudique pour être franche, je me fiche du regard des autres. Je plisse les yeux quand je me rends compte que c'est un homme brun qui me fait face, si je ne me trompe pas je ne le connais pas. Quoique ça peut être un autre de mes frères et soeurs dont je ne connais pas l'existence, après tout qui sait ! J'avoue que la nouvelle que m'a annoncé mon père il y a quelques jours m'a quand même assez secoué. J'ai une soeur, une petit soeur avec qui ma mère s'est barré quand elle était enceinte d'elle alors que je n'avais encore qu'un an... Vous voyez le genre... Et pire encore mon père, qui a été loin d'être la figure parental que l'on pouvait espérer avoir, m'annonce ça au téléphone sans plus d'explication. Depuis c'est un peu le bordel dans ma tête, je ne sais plus trop quoi penser. Alors j'enchaîne les gardes et les sorties pour éviter de trop me pencher sur la question. Tous le monde sait que je gamberge beaucoup trop de nature, alors là, si je ne m'occupais pas, ce serait l'horreur, j'imploserais.

Je fixe le jeune homme l'air de dire "qu'est-ce que tu me veux ?". Il m'explique alors qu'il est tombé en panne et qu'il aimerait savoir si je n'aurais pas une jerricane pour le dépanner. Une chance pour lui, je n'ai emménagé ici qu'il y a très peu de temps, alors je sais un peu où tout se trouve et il s'avère que je me rappelle avoir ranger l'objet en question dans la buanderie. À pieds nus je m'y dirige et arrive à atteindre tant bien que mal la jerricane rangée sur une haute étagère. De retour au salon, je lui tends vivement l'objet, avec qu'une seule envie qu'il s'en aille bien vite pour que je puisse retournée tranquillement me coucher. Sauf que je ne savais pas qu'il restait un peu d'essence dans le récipient, et je quand lui donne, le contenu se renverse par terre, et pire encore, sur son t-shirt. Et merde ! Je peux dire adieu à ma grasse mat'. Bien obligée, je lui propose de laver son haut au plus vite pour essayer de retirer la tâche avant qu'elle ne s'incruste, je m'obtempère. Je lui explique que je dois bien avoir un t-shirt ou deux dans un placard qui pourraient lui aller. Disons que j'ai connu pas mal d'hommes et qu'ils oublient parfois quelques trucs chez moi. Je mets donc à tremper le haut taché avant de me diriger vers ma chambre en quête de quelque chose qui pourrait correspondre. Je trouve un t-shirt noir, colle V, tout simple qui devrait être à sa taille.

Resté là où je l'avais laissé, je m'approche pour lui donner le t-shirt en m'expliquant :

-C'est du M je pense que ça devrait convenir. Encore désolée pour l'essence je ne pensais du tout qu'il pouvait en rester, je ne suis pas bien réveillée comme vous pouvez le voir.

Je devais avoir une tête à faire trembler les morts, en fait, honnêtement je n'en ai aucune idée, je n'ai pas pris le temps de me regarder. J'espérais juste ne pas avoir les cheveux trop emmêlés. Quand j'arrive un peu près à son hauteur, je glisse sur une minuscule flaque d'essence que je n'avais pas vue. Il me rattrape in extremis tandis que je fais tomber le t-shirt au sol, prise de court. Nous nous retrouvons collés l'un à l'autre, je le regarde quelques instants avant qu'un son ne détourne mon attention vers la porte d'entrée qui est resté ouverte. C'est... c'est mon père, il se racle la gorge pour se donner une contenance. Qu'est-ce qu'il fiche ici ? Il ne vient jamais me voir... Surprise je m'exclame :

-PAPA ?!

Il se force à sourire et je le vois fixer un point précis avec attention. Il s'agit de moi en fait, enfin, plutôt de l'inconnu et moi qui sommes toujours pressées l'un contre l'autre. Par réflexe je me recule et manque de nouveau de perdre l'équilibre à cause du liquide sur le sol. Il dit calmement :

-Ravie de voir que tu t'amuses.

Hein ? Quoi ? Mais de quoi il parle ? Soudain je comprends : je suis en nuisette dans mon salon accompagnée d'un homme torse nu et, il y a moins de trente secondes, nous étions collées l'un à l'autre. Il a du mal interpréter la situation. J'avoue qu'elle peut prêter à confusion, c'est pour cela que je précise :

-Ce n'est pas du tout...

Il ne me laisse pas finir, il lève sa main d'un air autoritaire comme pour me dire de me taire. Moi qui d'habitude suis si imperturbable, je ne saurais pas trop l'expliquer mais, la lueur que je vois dans ses yeux m'empêche d'émettre ne serait-ce qu'un seul son de plus. Serait-il content ? On dirait du bonheur que je vois dans son regard..

-Je suis heureux de te voir pour une fois avec un homme. Sincèrement, je commençais à me faire du soucis, tu ne peux pas savoir à quel point je suis soulagé. Je suis sûr que ce garçon est un homme très bien et je serais ravi d'apprendre à le connaître.

Je suis sciée. Incapable de bouger ou de prononcer un mot. La panique se lit dans mes yeux. Comment ose-t-il me dire qu'il est soulagé ? Il ne m'a élevé, il m'a refilé à sa mère dès qu'il en a eu l'occasion, ne me sortant que pour certaines soirées soirées ou dîners mondain, il n'a pas le droit d'être soulagé ! Et puis, comment ça il se fait du soucis ! Je vais très bien, merci ! Je ne veux pas de relation avec un homme et je m'en porte bien ! La seule chose qui m'ennuie en ce moment, c'est de savoir que j'ai une soeur dont je ne connais rien, hormis ça je suis au top ! D'où pense-t-il pouvoir me juger ? Et même depuis quand 'intéresse-t-il assez à ma vie pour perdre son temps avec ? Avant que je ne puisse en placer une, il continue :

-Alors, Ollie comment s'appelle ton petit-ami ?

Le mot petit-ami sonne étrangement à mes oreilles, je n'en ai jamais eu, alors ça peut se comprendre. Pour moi les relations sont vouées à l'échec alors je préfère garder les choses simples. Son air tout heureux me déconcerte, je ne sais plus quoi dire et je n'arrive à rien faire d'autre que bégayer :

-Je, je..

J'ai envie de lui dire la vérité pour en finir avec tout ça au plus vite mais, quelque part, je redoute la déception que je verrais dans ses yeux quand il comprendra qu'il s'est trompé.

Je suis dans la merde, vraiment, vraiment dans la merde... Qu'est-ce qui cloche chez moi ? Pourquoi je ne lui ai pas dit directement que je ne connaissais cet homme que depuis dix minutes tout au plus ? Je me croyais indépendante, je pensais que mon père n'avait plus aucune emprise sur moi mais, visiblement, je me trompais. C'est plutôt logique quand on y pense, j'ai déjà été abandonné par ma mère, je ne tiens pas non plus à être reniée par mon père. Sauf que, si on réfléchit pragmatiquement, ça a déjà été fait lorsqu'il m'a confié à une grand-mère acariâtre car il n'avait, soit-disant, pas le temps. Conclusion : je suis pathétique, j'attends l'approbation d'une personne qui ne le mérite pas. Et j'ai entraîné un homme dans mes conneries. En effet, lorsqu'il a vu mon regard paniqué, il a cru bon de jouer le jeu :

-Saad Lewis ! Enchanté ! J’aurais espéré vous rencontrez d’en d’autres circonstances.

Au moins maintenant je connais son nom. C'est déjà ça... J'octroie un grand sourire, légèrement crispé à mon père. Dans quoi est-ce que je me suis embarquée ? Je ne connais rien de ce gars, comment suis-je censé prétendre qu'il mon petit-ami ? Et puis, petit-ami, je n'ai jamais eu de tel chose, comment mon père peut-il croire que j'ai pu changer du tout au tout de la sorte ? Lui-même, après que ma mère l'ai quitté, n'a jamais eu de véritables relations, je ne comprends pas comment il peut souhaiter que je me case. Quoiqu'il en soit, il faut que je me décide à parler, avant que ça ne devienne vraiment l'horreur. Je jette un coup d'oeil à l'homme qui a pour prénom Saad et tapote maladroitement son épaule avant d'annoncer à l'attention de mon père :  

-Et oui Saad est mon... petit-ami. Dis, tu dois être fatigué, que dirais-tu de dormir un peu, je peux t'indiquer le nom d'un très bon hôtel, une amie à moi le possède ?

Je prie pour qu'il accepte, oh pitié, dis oui. On pourrait croire que je suis bien naïve, je devrais pourtant savoir que mon père ne fait jamais ce qu'on attend de lui. Bien au contraire, on dirait, qu'inconsciemment, il fait tout ce que les autres ne tiennent pas qu'ils fassent. On pourrait appeler ça, sa spécialité, ainsi donc il répond :

-Bien sûr que non voyons ! Je viens seulement d'arriver, je tiens à te parler un peu tout de même. Et puis, après avoir fait une telle annonce, tu ne peux pas juste me tenir en haleine ainsi. Je veux tout savoir sur ce jeune homme. Par contre... je pense qu'il serait judicieux que tu enfiles une tenue... plus approprié disons.

Il parle d'un ton autoritaire qui ne laissent aucune équivoque, je n'ai pas mon mot à dire. Instinctivement je baisse la tête pour regarder ma nuisette. En effet, ce n'est pas le mieux pour parler à son père surtout en présence d'un inconnu. Un inconnu avec qui je suis censé sortir. Touuuuuut est normal. Toute gênée d'un coup par ma tenue, je dis rapidement, en levant un indexe :

-Je... je reviens tout de suite. Asseyez-vous sur le canapé et surtout... attendez mon retour avant de parler. Je ne voudrais pas manquer une seule miette de la conversation. Hein, vous avez compris on ne parle pas.

Je lançai un regard intense à mon père, sa signification est sans équivoque : "tais-toi". Il me répond pas son petit sourire qui en somme veut dire que je peux me gratter. Je marche à reculons jusqu'à l'escalier, vixant les deux hommes en espérant que la situation ne parte pas trop en cacahuète, enfin si ce n'est pas déjà le cas. Une fois hors de portée de leur vision, je cours jusqu'à ma chambre. Je laisse la porte ouverte pour pouvoir intervenir si jamais j'entends que ça dégénère. L'optimisme ne sert à rien dans ce genre de situation, je sais très bien que ça ne va pas aller, ça ne peut pas. J'enfile rapidement une combi-shirt noire, très classe (elle peut l'être vu le prix auquel je l'ai payé). Je mets rapidement mes talons vernis aux pieds quand j'entends mon père :

-Alors dites-moi, quelles sont réellement vos intentions vis à vis de ma fille ?

Oh non papa ! C'est la meilleure de l'année celle-là, il s'est toujours bien fichue de ce qui pouvait m'arriver et là, tout d'un coup, ça l'intéresse. Je m'apprête à me ruer dans le salon à la rescousse de Saad lorsque j'aperçois mon reflet dans le miroir. Je ne peux y retourner comme ça, mes cheveux sont une véritable catastrophe ! Où est-ce que j'ai bien pu mettre la brosse ? Je retourne toute ma chambre pour la trouver, me cognant contre la table de nuit au passage.

-Aiiiiiie putain !

-Tout va Ollie ?

-Oui oui tout va bien, deux secondes, je descends. Surtout ne faites rien !

Je suis complètement paniquée, je dois bien l'avouer. Je finis par trouver ma brosse, je passe trente secondes par la salle de bain pour me brosser rapidement les dents et me débarbouiller le visage. Ça doit faire cinq minutes que je suis partie, ça fait bien trop longtemps. Je redescends le plus vite possible et trouve les garçons, sur le canapé, un verre à la main.

-Je vois que vous avez trouvé les boissons, tout va bien ?

Je lance un regard désolée à l'homme qui porte désormais le t-shirt d'une de mes anciennes aventures. J'essaie de le sonder pour voir si tout va bien. Je ne sais même pas ce qu'il a pu répondre à mon père quant à ses "intentions" envers moi. Après tout, il me connaît pas du tout, il ne sait pas comment je suis, s'il a commencé à faire une tirade romantique ça ne va pas bien se passer...

-Oui tout va bien, ton ami est charmant.

Ah bon ? Bah tant mieux. Je m'apprêtais à m'asseoir sur le fauteuil près du canapé mais mon père me lance un regard septique. Bien évidemment, c'est logique, je devrais à côté de mon petit-ami. Mon dieu, ce salon s'est transformé en mon enfer personnel, c'est génial. Je prends donc place à côté de lui et me force à poser une main sur sa cuisse pour plus de crédibilité. Il faut que je reste concentrée. Je jette un oeil à Saad et lui octroie une moue confuse.

-Vous discutiez de quoi de beau ?

Il faut que je me décide à faire la conversation, plus vite tout ça sera finit, plus vite je pourrais tout oublier.

-J'interrogeais justement Saad sur son métier. Ton boulot est déjà très prenant, je me demandais si vous arriviez à vous voir régulièrement.

Son métier... Son métier ?!? C'est beaucoup trop compliqué, je ne sais rien sur lui comment je pourrais répondre à cela ? Je me contente donc d'être le plus vague possible, en espérant que Saad comblera les trous.

-On arrive à se voir, oui, n'est-ce pas mon... ange ?

Je déteste ce genre de surnom mielleux mais je suppose que c'est ce qu'on dit quand on sort avec quelqu'un, alors, et bien... je dis. Je n'ai quand même pas pu m'empêcher de grimacer légèrement quand je me suis tournée vers "mon petit-ami". Mon père semble en forme, il continue son petit interrogatoire comme si rien n'était.

-Excusez ma curiosité mais, vous semblez différent du genre d'hommes que je vois généralement avec ma fille, en bien je vous l'assure... Qu'est-ce qui vous a plut l'un chez l'autre en premier lieu ?

J'écarquille les yeux. Il n'a vu que des amis à moi, il n'est pas gonflé quand même ! Ils sont très bien mes amis ! En tout cas voilà qu'il me pose une nouvelle colle, qu'est-ce qui aurait bien pu me plaire chez lui ? Si j'avais été avec quelqu'un d'autre que mon père j'aurais répondu en plaisantant que c'était son physique mais, je ne le peux décemment pas ici. Je me retourne complètement vers Saad, toujours la main posée sur sa cuisse, je lui lance un regard tétanisée. Espérons qu'il ait plus d'imagination que moi en ce moment même car, moi, rien ne me vient. Je ne le connais pas après tout.

Ainsi donc me voilà séchée par une question de mon père. Une chance pour moi, Saad semble plus à l'aise à l'idée de le baratiner sur le moment. Sa réponse bien qu'assez flou reste fort intelligente. Un savant mélange de mensonge et de vérité, c'est la clé du succès d'après ce qu'on dit. En tout cas je lui tire mon chapeau, dans l'état de nerf dans lequel je me trouve, il m'aurait été tout bonnement impossible de donner une réponse aussi adéquate. Je me contente donc de hocher la tête vivement quand je l'entends dire :

-Vous allez surement être étonné mais sa maladresse à eu un rôle très important dans notre histoire…

Je jette un coup d'oeil au t-shirt que je lui ai prêté il y a quelques minutes. Ce qu'il dit me fait sourire mais j'essaie de le cacher. Mon père est très doué pour déceler le mensonge, il est avocat après tout. Le tout est d'être le plus convaincant possible avec lui. Alors je le regarde droit dans les yeux, espérant paraître le plus amoureuse possible. Si les acteurs de cinéma y arrive je ne vois pas pourquoi je ne pourrais le faire. J'ai bien du mal à soutenir son regard, il est intense et moi je ne suis que trop peu à l'aise avec ce genre de chose. Alors je détourne le regard e souriant tout de même pour donner le change. Surprise, je l'entends continuer :

-Elle m’a renversée un verre dessus puis on a discuté longuement et j’ai été séduit par son naturel, sa simplicité, son énergie et sa passion pour son métier. Et puis votre fille est resplendissante…

Ça fait pas mal de compliment dis donc. Il a visé juste pour certains traits de mes caractères, c'en est troublant. Je suis sciée par le fait qu'il puisse dire me trouver belle alors que vingt minutes plus tôt je lui ouvrais la porte au saut du lui complètement débraillée et négligée. J'imagine que c'est tout simplement la chose à dire, généralement quand on se lance dans une relation avec quelqu'un c'est que cette personne nous plaît un minimum sur le plan physique. Donc logiquement n'importe qui aurait répondue de la sorte. Je lui adresse tout de même un merci silencieux que seul lui peut voir. Il faut que je me décide à répondre à mon tour, après tout c'est une question qui nous était adressé à nous deux. Je me contente d'ajouter, restant le plus vague possible :

-Et c'est réciproque !

J'enlève ma main de sa cuisse, la sensation inhabituelle de chaleur sur ma pomme me gênant quelque peu. C'est dure à expliquer mais ça me dérange, j'ai l'impression que c'est plus intime que je ne peux le supporter. Je ne sais pas trop comment je vais être capable de me dépatouiller de cette situation, mon père peut être un vrai requin, il creuse, il creuse, sans jamais s'arrêter. Je le sais, je l'ai vu à l'oeuvre. Je décide à mon tour de me servir à boire, Dieu sait que j'en ai besoin. Je veille à ne pas trop abuser sur la quantité non plus, histoire de ne pas trop montrer à quel point je suis mal à l'aise. Non pas parce que ça pourrait nous griller Saad et moi, il serait naturelle que je sois nerveuse à l'idée que mon père rencontre mon petit-ami. Je tiens seulement à éviter de me retrouver pompette devant eux. Je tiens plutôt bien l'alcool en général mais, à jeun, c'est une horreur, un verre ou deux et je danse sur les tables. Je bois une lampée du liquide ambrée quand j'entends Saad reprendre la parole. Je me retourne instinctivement vers lui, fébrile à l'idée de savoir ce qu'il va dire. Je ne suis pas en confiance, c'est le moins qu'on puisse dire.

-Mais parlez moi de vous ! Je vous avoue qu’Ollie et moi n’avons pas encore engagé la conversation sur notre famille car c’est un sujet assez délicat pour moi…

C'est une bonne tentative que d'essayer de faire parler mon père de lui. Il adore s'étendre sur sa vie de grand avocat, sur ses succès, sur son prestige. Se vanter c'est sa spécialité. Je dirais mieux encore, il aime se vendre à quiconque croise son chemin. Quand on connaît la vérité sur lui je peux vous dire que c'est agaçant.

-Que dire vraiment ? Je suis un avocat assez côté, je voyage beaucoup. Ma petite puce a dû en souffrir, je m'en rends compte mais, ça lui a permis de vivre une vie confortable. J'aime mon métier, j'aime mon rang. J'adorerais qu'Ollie fréquente plus la haute société comme j'ai l'habitude de le faire. C'est pour cette raison que je suis agréablement surpris de voir qu'elle entretient une relation avec un chef d'entreprise. Mais, nous ne sommes pas ici pour parler de moi... Si je suis venue, c'est pour avoir des nouvelles de mon petit ange.

Ma petite puce, mon petit ange... c'est quoi ça ??? Il n'a jamais parlé de moi en ces termes auparavant. Et voilà que maintenant qu'il me voit au près d'un riche homme, il se décide à vanter mes louanges. Ça me met hors de moi, vraiment. Je peine sérieusement à garder mon calme. Pour me donner une constante, je serre et desserre un coussin qui se trouve entre Saad et moi. Encore une remarque de ce genre et je jure sur tout ce que j'ai sur Terre que je lui rentre dedans et que je le fais sortir de là en le frappant s'il le faut. Il a toujours été évident qu'il se fichait de m'abandonner, il ne daignait que me porter de l'attention quand il avait une soirée à laquelle je devais absolument participer pour son image. Bouillant intérieurement, je ne m'empêcher de rétorquer un peu sèchement :

-Il paraît qu'il y a toujours plusieurs versions d'une même histoire.

Mon père grimace légèrement mais ne se laisse pas démonter. Au contraire, j'ai l'impression qu'il fait tout pour poser les pires questions qu'on poser au monde.

-Une question me vient à l'esprit dites moi, avez déjà parler enfants ? J'imagine que vous en voulez tout les deux ? Il est important de préserver la lignée pour des gens tels que nous.

C'en est trop pour moi, je sens que je vais péter un câble. Ce n'est simplement pas possible qu'il se permettre d'enter dans ma vie de la sorte. Après tout ce temps, après tout ce qui s'est passé. Je viens d'atteindre mon point de rupture, là, c'est finit. Je n'en peux simplement plus. Il veut la guerre, il va l'avoir. S'il croit que je ne suis pas capable de le remettre à sa place, il se trompe. J'ai bien changé depuis que je suis partie d'Akaora, j'ai évolué, j'ai murie. Je me tourne vers Saad rapidement :

-Tu voulais en savoir plus sur mon père ?

Je jette un regard mauvais à mon géniteur. Je suis en furie à l'instant même et rien ni personne ne pourra m'empêcher de dire ce que j'ai à dire.

-Tu veux connaître la raison de sa venue ? Il ne vient jamais en fait, c'est exceptionnel, je ne l'avais plus vue en personne depuis mes dix-huit ans, ma remise de diplôme. S'il est là aujourd'hui c'est parce qu'il m'a appris il y a peu que ma mère, qui nous a abandonné quand j'avais un an, était enceinte lorsqu'elle l'a fait. Ce qui veut dire que j'ai une petite soeur dont je ne connais rien. On ne peut pas dire non plus que je connaisse grand chose de mon père en fait. Il m'a refilé à ma grand-mère quand j'avais quoi quatre ans ? Il n'avait pas le temps soit disant... N'est-ce pas papa ? Je ne l'ai vu qu'occasionnellement depuis. Un jour, je suis venue lui rendre visite avec les cheveux permanentés et il ne s'est rendu compte que de rien... C'est pour dire à dire quel point il s'intéresse à moi ! Oh et, la seule raison pour laquelle il s'intéresse à toi, c'est parce qu'il espère secrètement que tu es une bonne position pour s'en vanter auprès de ses collègues...

-Ollie !

-Il n'y a pas de Ollie qui tienne papa. J'ai trouvé un gars qui m'aime mais ça tu t'en fiches, les seuls trucs que tu tiens à savoir ce sont ceux qui peuvent t'aider toi.

Oui... Bon j'ai peut-être un peu exagéré. J'ai sans doute même aggravé la situation, je n'aurais jamais dû mêler encore plus Saad dans cette histoire, j'ai eu tord, je l'avoue. Mais, c'est la faute à mon père... Oui c'est de sa faute, il me met hors de moi. Il n'a pas le droit de s'attendre à ce que je l'accueille à bras ouvert comme si ne rien était...

-Ollie, sois raisonnable. Je sais bien que je ne me suis pas toujours bien comporté mais, j'ai fait de mon mieux... Je suis réellement content de te voir heureuse, crois le bien. Pour le prouvez, je vais vous donner... Attendez... J'ai ce voyage pour deux personnes offert par ma compagnie , vous n'avez qu'à y aller. Partez en amoureux, ça vous fera du bien !  

Il se fiche de moi, il veut m'acheter maintenant, ce n'est pas possible. Je n'en peux plus. Je veux bien qu'il ait souffert du départ de ma mère mais, ça n'excuse pas tout. S'il croit que nous donner une bout de papier va tout arranger entre lui et moi, il se fourre le doigt fans l'oeil et jusqu'au coup.

-On ne veut pas de ton voyage papa...

-J'insiste, c'est à Dubaï, c'est à voir. Je sais que tu n'as voyagé nulle part appart à New-York et à Paris Ollie, ce serait une occasion unique. Et tenez, je vous fait ce chèque, d'un montant très raisonnable, pour que vous puissiez profiter. Je vous le donne à vous Saad, acceptez-le, j'insiste. Ça excusera la petite scène à laquelle vous venez juste d'assister.

Je le vois tendre le chèque et le bon pour le voyage d'un air résignée et ferme au bel inconnu à côté de moi. C'est de pire en pire, la situation ne cesse de se dégrader. La façon qu'il a de dire que je n'ai voyagé qu'à deux endroits est si hautaine. Surtout qu'il s'agit de deux destinations incontournables. Cela montre bien qu'il est dans son monde. Il est pas croyable. Je ne sais même plus comment réagir, que faire, que dire. Il est simplement cintré. Il insiste de nouveau en disant :

-Vous décollez dans dix jours. Ça nous laissera le temps de faire connaissance Saad.

-Papa arrê...

-Il suffit Ollie, tu t'es déjà assez donné en spectacle. Ton ami va accepter ma proposition et j'espère que ce voyage permettra de renforcer votre relation.

J'ai l'impression que je vais exploser. Je regarde Saad et mon père à tour de rôle, si vous savez tout ce que je voudrais lui dire en ce moment. Pourtant je me retiens parce que mon "petit-ami" est ici. La détresse se lit dans mes yeux, mes émotions menacent de me rendre folle. Il me prend pour une andouille en plus ! Je crois que c'est le pire, vraiment. Je me force à me reprendre, respirant lentement, calmement. Tout les regards sont maintenant tournés vers Saad. En effet, mon père lui tend toujours les papiers. Et moi je le fixe espérant, quelque part, qu'il est la solution que je désespère personnellement à trouver.

Je m'étouffe, clairement je suis à deux doigts de décéder. J'ai bien du mal à arrêter de tousser, je dois être toute rouge, c'est l'horreur. Je suis obligée de m'éclipser quelques secondes à la cuisine pour me servir un verre d'eau. L'alcool, quand on a la gorge en feu, ce n'est pas vraiment conseillé. Saad bosse à Lewis Corporation, Saad est même le patron de la firme ! C'est quoi ça ? Mon père doit être en train d'avoir un orgasme en ce moment même, sans déconné ! Et ça me mets tellement en rogne de lui faire ce plaisir en ce moment. J'aurais pu tomber sur n'importe qui, c'est vrai, il aurait pu être éboueur, caissier ou même chômeur... Mais non, au lieu de ça, il dirige une firme internationale. Il doit avoir tellement d'argent, tellement de reconnaissance... Je suis sûr que mon père est aux anges ! Quelle plaie !

-Excusez-moi, j'ai avalé de travers... Ça m'arrive souvent.

J'essaie de convaincre mon père que ça n'a rien à voir avec l'annonce du métier de Saad. Rien de bien compliqué puisqu'il ne me connaît pas vraiment, il ne saurait même pas dire si j'avais quelques problèmes de santé... Je ne suis pas bien étonnée de voir qu'il ne cille pas à ma remarque. Quel faux jeton ! Il m'horripile, j'ai bien du mal à rester face à lui en ce moment. Il faut tout de même que je reste calme, je suis maître de moi-même et je compte bien le rester. Je ne tiens pas à ce qu'il est tant de d'emprise sur moi. Je veux être détachée. Pendant, que je suis occupée à reprendre une respiration un peu près normale, un débat s'installe entre mon père et Saad quand à leur métier.

-Bien évidemment jeune homme, je peux le comprendre. Je suis ravi de voir que vous gérez si bien votre vie professionnelle. Cela dit vous savez ce qu'on dit quand à l'humilité ? Vous aurez bien le temps de vous vendre quand l'occasion serait opportune.

Mon père dans toute sa splendeur : lui prend plaisir à se vanter encore et encore quand à sa situation mais, les autres doivent rester complètement modeste en toute circonstance. Cependant, même si le ton de sa phrase était plutôt moralisateur, je vois son petit sourire et je sais pertinemment ce qu'il signifie. Il se lèche les badines d'avance à l'idée des conversations futures qu'il aura avec ses amis du country club. "Ma fille est actuellement avec le PDG de la firme Lewis Corporation. [...] Oui oui, ils sont très amoureux. [...] Je serais ravi d'aider à organiser le mariage bien évidemment." Rien que de l'imaginer, j'ai envie de me pendre. Le pire c'est que je suis sûre à 100% qu'il va le dire de cette manière, je connais sa façon de fonctionner par coeur. Je décide de couper court, la dernière chose dont j'ai envie c'est de débattre sur ce genre de sujet.

-Inutile s'étendre sur un sujet si subjectif.

Mon ton ne laisse nullement place à des revendications. Sujet clos, point barre. La conversation se dégrade de plus en plus. Mon père ne démord de son idée de voyage, Saad se "vexe" si on peut dire ça comme ça et moi je là, comme une con. Pire encore, Saad se lève et suggère l'idée que je parte avec mon père... Je lui lance le pire regard de l'histoire de l'humanité. De quoi il se mêle lui ? Je veux bien avouer que cette situation n'est pas simple mais c'est lui qui l'a choisi. C'est lui qui s'est présenté comme mon petit-ami. Si c'est pour m'enfoncer par derrière, autant qu'il s'abstienne. Je préfèrerais me faire torturer pendant des heures, que dis-je, des jours plutôt que de retrouver plusieurs jours seule avec mon père !

-Qu'est-ce qui est vexant ? Que j'offre un voyage à ma fille et son ami ? Que je leur offre un cadeau ? Ce n'est pas pourtant ce que les pères font ? Surveillez vos paroles tout de même jeune homme, l'insolence n'est jamais bien loin. J'apprécie votre intrépidité croyez-le bien, je me reconnais en vous. Mais, refuser un cadeau, ça ne se fait pas. Mais pour ce qui de partir avec ma fille, c'est...

-Or de question.

Je finis sa phrase à sa place. Je commence réellement à avoir l'envie de tout envoyer bouler. J'ai le cerveau en surchauffe, j'en ai marre, vraiment. Dire qu'il y a encore moins d'une heure, j'étais tranquillement allongée dans mon lit, calmement. Soudain, une idée me vient en tête, et j'éclate dire rire. Un fou rire incontrôlable. Une fois un minimum calmée, je lance :

-Vous savez ce qui m'étonne réellement ? C'est qu'autant l'un que l'autre, vous tenez tellement à prendre des décisions à ma place. Toi tu veux que je parte en voyage avec Saad et inversement. Mais dites-moi, est-ce quelqu'un, ne serait-ce que quelques secondes, s'est demandé ce que je voulais MOI ?Non pas même un instant ? C'est bien ce que je pensais

-Ollie...

-Je pense que c'est très clair. Vous savez ce que je vous suggère moi ? De partir en vacances tout les deux. Vous faites la paire, vraiment !

J'avoue que c'est un peu gonflé de ma part d'en vouloir à Saad pour ça. En effet, il n'est rien pour moi, il est normal qu'il essaie de se sortir de cette situation de quelque manière que ce soit. Pourtant, je ne saurais l'expliquer, il m'a énervé. Pourquoi ? Tout simplement parce que j'aurais aimé avec du soutient face à mon père. C'est un peu incongru de ma part pourtant, c'est la vérité. Je me sens tiraillée de toute part, par mon père et par cet homme et le moins qu'on puisse dire c'est que je n'aime pas ça...

Alors il va se calmer le coco et vite fait ! Je ne fais pas de scène ! Je n'ai jamais fait de scène ! À qui j'en ferais au juste ? Personne : puisque je ne sors avec personne. CQFD. Ainsi, je lui lance un regard noir, mécontente de sa réplique. Toute cette situation est bien trop loufoque, même pour moi. Surtout pour moi. Je suis méfiante, ce n'est un secret pour personne et là, en cet instant, je dois avoir foi en un total inconnu. C'est tout simplement aberrant. Ça ne peut pas marcher. Il faut absolument que je mette un terme à toute cette situation et plus vite que ça ! Je saute sur l'occasion quand j'entends Saad accepter la proposition de mon père. Voilà comment je vais procéder : j'acquiescerai, dirai que nous serons heureux de partir ensemble, je virerai mon père puis l'inconnu au plus vite, je retournerai dans mon lit et ferai comme si rien de tout ça n'était arrivé. Pas mal comme plan, non ? Je rigole bien sûr, ce plan est horrible, ridicule au possible mais c'est le meilleur que j'ai pour le moment. Et je compte bien le mener à bien, c'est ce pourquoi je dis :

-Ce voyage peut être pas mal après tout, merci papa.

Ça m'écorche presque la gorge de devoir le remercier. Je retiens une grimace, ce n'est le moment de lâcher prise. Je me retourne ensuite pour faire face à Saad et lui lance le plus beau faux sourire du monde avant de déclarer :

-Bien sûr que ça ne me dérange pas de partir avec toi. On est ensemble, non ? C'est logique que je veuille passer du temps avec toi. C'est juste que j'apprécie que peu les combats de coq voilà tout.

Pur mensonge. Jamais je ne partirais avec lui, un total inconnu. Tout ce que je dis n'est que balivernes depuis tout à l'heure de toute manière, pourquoi changer les bonnes habitudes ? J'imagine que ça devrait me permettre de me sortir de cette situation bien gênante alors je n'hésite pas. Je n'aime pas mentir, c'est vrai, j'aime la franchise, mais au point où on en est, l'honnêteté n'est même plus à envisager. Alors, je m'enfonce encore un peu plus dans le mensonge :

-Bon papa, je n'ai aucune intention de te virer mais Saad et moi devons déjeuner chez des amis tout à l'heure, il faut encore que nous préparions correctement. Pour tout te dire, ce sont des investisseurs potentiels, alors je ne voudrais louper l'occasion de me faire de telles relations. C'est très important pour mon affaire.

Sans rigoler, qu'est-ce que je peux en sortir des conneries ! On pourrait me décerner un oscar, c'est délicieusement ironique. Bien sûr, mon père est très heureux d'apprendre que nous allons partager un repas avec des personnes fortunés, il en va de soit. Il nous fait donc son petit sourire avant de se diriger vers la porte.

-Je ne voudrais pas vous déranger. Je suis heureux que vous acceptiez ce voyage en tout cas. Très satisfait de vous savoir ensemble.

-On sait, merci, au revoir papa.

-Au revoir les jeunes. Je reste un moment ici Ollie, on aura le temps de se voir. Je t'appelle.

Bien que cette idée me révulse, je hoche la tête en souriant. Le fait que mon père puisse penser une seule seconde que j'accepte la situation prouve bien, encore une fois, qu'il ne me connaît pas. Mais alors, vraiment pas. Mon côté buté est sans doute le trait de caractère qui se remarque le plus chez moi. J'ai un sale caractère, c'est de notoriété commune. J'en viens à me dire qu'il ne cherche pas à essayer de me comprendre vu comment ça évolue. Il claque la porte un peu fort à mon goût, il faut toujours qu'il soigne ses entrées et sorties comme s'il était je ne sais pas trop qui. Je souffle, soulagée et m'affale sur le canapé quelques instants. Les yeux fermés, je profite du calme environnant avant de me rappeler que j'ai encore quelqu'un à virer. Je me relève donc difficilement, l'envie n'y est pas, et, je lui dis posément :

-Désolée pour tout ça. Vous vous êtes embarqués dans une drôle de situation à cause de moi.

Les billets posés sur la table me nargue. C'est comme un rappel de la présence de mon père et ça je ne supporte pas. Je reporte mon attention sur le brun et sourit quelque peu. J'attrape les billets et lui les tend.

-Je m'excuse également pour mon père et la dispute que nous avons eu. Les relations sont tendues comme vous pouvez le voir. Tenez, prenez ça, partez avec une amie à vous. Et surtout, ne le prenez pas mal, je ne peux pas voir ses billets sans avoir envie de les déchirer en milles morceaux et je suis contre le gaspillage. J'ai bien conscience que vous avez de l'argent et je ne vous fait pas la charité. Vous me rendriez un service, de plus, comme ça, mon père croirait qu'on est bel et bien parti ensemble.

La dernière chose que je veux, c'est me disputer avec lui. Je veux seulement que tout ça se termine au plus vite et je ne veux plus avoir à penser à tout ce que mon père a dit.

-Juste prenez-les et vous déciderez plus tard si vous voulez partir ou non. S'il-vous-plaît.

Je me dire alors vers la porte, lance un dernier sourire à Saad, avant de conclure en lui tendant ma carte :

-Je ne vais pas vous retenir plus longtemps. Tenez prenez mon numéro, comme ça, vous pourrez me tenir au courant pour le voyage.

Quand j'y repense, toute cette histoire est folle, je n'arrive pas à y croire moi-même. Je n'imagine même pas l'état dans lequel doit être Saad.