Perdue dans la foule ◊ Ft. Jude Hurley

- Je pense que vous devriez vous essayer à l'écriture expressive.

- Qu'est-ce que c'est ?

- L'écriture expressive est très souvent conseillée aux personnes dépressives ou ayant vécu des expériences traumatisantes. Chaque jour, une fois par semaine ou même dès que vous en ressentez le besoin ou l'envie, accordez-vous quinze à vingt minutes pour écrire. Que ce soit dans un carnet spécialement dédié ou sur de simples feuilles, cela importe peu, l'important est que vous puissiez mettre des mots sur ce que vous ressentez. Vous pouvez décrire votre journée, un événement marquant de votre vie, heureux ou non, ce que vous ressentez à l'instant T... Écrivez absolument tout ce qui vous vient à l'esprit.

N'ayant rien à perdre et tout à y gagner, Lorcan avait donc suivi le conseil de son psychiatre : il écrivait. Rien qui puisse un jour gagner une prestigieuse récompense littéraire, car là n'était pas le but recherché, mais il écrivait. Parce qu'il en avait besoin, parce que ça lui faisait du bien. Il écrivait dès qu'il en ressentait le besoin, et toujours plus que vingt minutes, mais il écrivait. Le plus souvent, il n'écrivait même pas des phrases complètes, juste quelques mots jetés sur le papier les uns à la suite des autres, sans ordre précis. Et parfois, quand il arrivait à organiser ses pensées, il écrivait des lettres Lui étant destinées. Des lettres qu'Elle ne liraient jamais, étant donné qu'il n'avait ni le courage ni l'envie de les lui envoyer. Les risques étaient trop grands, l'acte en lui-même parfaitement contre-productif.

- Lorcan ?

Ses parents, son frère et sa belle-sœur l'observaient, leur deux enfants et sa propre fille étant trop absorbés par leur coloriage pour seulement s'apercevoir de son bref moment d'égarement. Lorcan avait bien conscience qu'aucun des quatre autres adultes présents n'allait porter le moindre jugement à son encontre, mais ses parents avaient eu la gentillesse de l'inviter à passer la journée en famille, de l'inviter déjeuner dans ce restaurant et voilà qu'il ramenait l'attention sur lui. Rangeant son carnet et son stylo dans la sacoche qui ne le quittait jamais lorsqu'il sortait de chez lui, Lorcan s'éclipsa pour aller payer la note en dépit des protestations de ses parents, une brève fuite en avant pour échapper aux regards et se faire pardonner.

Pour une faute qui n'en était sans doutes pas une, sa famille se contentant de le remercier en lui affirmant qu'il n'avait pas été obligé de payer le repas, avant que les exclamations des trois enfants impatients d'aller faire un tour dans le centre commercial tout proche n'attirent toute leur attention. Et les enfants étant ce qu'ils sont, des enfants, le petit groupe se scinda en trois : son père et son frère avec l'aîné de celui-ci, sa mère et sa belle-sœur avec le second, Lorcan restant avec sa fille, cette dernière n'étant nullement intéressée par les articles de sport ou un nouveau casque audio comme ses cousins.

- Mon poignet me gratte... Et ça va pas être pratique d'essayer des vêtements avec cette attelle...

Entendre sa fille se plaindre, visiblement plus ennuyée par le manque de praticité de l'attelle enserrant son poignet foulé que par le fait même d'avoir celui-ci immobilisé depuis sa chute, ramena un véritable sourire sur les lèvres de Lorcan, qui faillit plusieurs fois éclater de rire en l'entendant râler des cabines d'essayage sur "cette fichue attelle".

- Jaina ? Jaina ?! JAINA ?!

Ils avaient fait la dernière boutique, Jaina était rhabillée pour toute l'année à venir, et elle avait disparu, encore présente à ses côtés quelques secondes auparavant. Disparue, dans la foule dense de clients présents dans le centre commercial.

HJ:

... ||

Sa fille était encore présente à ses côtés quelques instants encore. Cela signifiait donc qu'elle n'avait pas pu partir bien loin, de sorte qu'il lui serait facile de la retrouver. Seule une personne capable de penser rationnellement dans pareille situation pouvait se convaincre de pareille chose. Malheureusement pour lui, Lorcan n'entrait nullement dans cette catégorie. Son cœur battait à toute rompe dans sa poitrine, comme prêt à s'en échapper, la tête lui tournait et tandis qu'il fouillait la foule du regard pour y discerner la petite silhouette de sa fille, sa raison cédait à chaque instant un peu plus de terrain à sa panique, ses efforts restant vains. Il lui semblait même que la foule s'était faite plus dense, indifférente à sa détresse. Où était Jaina ? Où était sa fille ? Encouragée par son angoisse, son imagination lui laissait se représenter milles scénarios catastrophes : et si sa fille ne parvenait pas à retrouver son chemin jusqu'à lui ? Et si elle se blessait, plus gravement que la dernière fois ? Et si, par une affreuse coïncidence, Elle était venue jusqu'ici et en profitait pour lui arracher son enfant ?

Où était Jaina ? Où était sa fille ? S'il n'en était pas encore réduit à hurler à pleins poumons le prénom de sa fille au beau milieu du centre, c'était bien parce qu'il avait la gorge trop serrée pour ce faire. Jusqu'à apercevoir même fugacement, enfin, les teintes orangées de la robe de sa fille. Assise sur un banc, quelques mètres plus loin à peine, celle-ci n'était pas seule. Qui l'accompagnait, cette question restant pour Lorcan étrangement secondaire, le soulagement primant sur tout le reste. Ou presque.

- Jaina ! Ne me refais plus jamais ça ! Plus jamais tu ne t'éloignes de moi sans me prévenir avant, c'est compris ?!

Le père de famille s'était laissé tombé près de sa progéniture bien-aimée, la panique s'étant emparé de lui quelques instants auparavant s'atténuant peu à peu, brièvement remplacée par la honte de sa réaction. Le ton de sa voix était plus dur qu'il ne l'aurait voulu - il n'aimait pas élever la voix plus que nécessaire, préférant la discussion aux cris et sa fille était encore une enfant, il était donc normal qu'elle agisse comme telle - et voir son enfant se recroqueviller faiblement sur elle-même lui fit mal. Un rappel sans doutes un peu trop douloureux... d'avant.

- Je suis désolé d'avoir crié Jaina, mais j'ai vraiment, vraiment eu peur en te voyant disparaître comme ça. Tu vas bien ?

Lorcan tenta un faible sourire à l'intention de sa fille, le ton de sa voix s'étant fait plus doux. Un moyen de montrer à cette dernière que sa réaction, quoiqu'aussi excessive qu'inhabituelle, était bien le résultat de son inquiétude, non pas d'une réelle colère.

- Désolée Papa... mais regarde, c'est la gentille pompière de l'autre jour !

Avait-elle déjà oublié sa "disparition" ou s'agissait-il là d'une simple distraction pour orienter la discussion ? Au final, Lorcan n'y accordait que peu d'importance, accueillant même la chose avec reconnaissance : sa fille allait bien, ayant eu la chance de tomber sur une personne qu'elle connaissait déjà, quoique très brièvement. Il n'y avait donc plus de réelle raison de s'inquiéter autant.

- Merci de l'avoir retrouvée, c'est bien la première fois que Jaina profite que j'ai le dos tourné pour disparaître comme ça. Entre aujourd'hui et la dernière fois, Mademoiselle Jude, votre présence arrive toujours à point nommé.

Lorsque sa fille s'était blessée en jouant, il s'était précipité à la caserne des pompiers plutôt qu'à l'hôpital. Et s'il avait retenu le prénom de la jeune femme, c'était bien car cette dernière s'était présentée à sa fille en s'occupant de son poignet blessé.

... ||

Maintenant que tout danger semblait écarté, et que sa fille semblait avoir compris qu'elle ne devait plus s'éloigner de lui sans au moins le prévenir au préalable, Lorcan parvenait à réfléchir plus posément. La suite logique des choses serait de remercier une nouvelle fois Mademoiselle Hurley, d'aller récupérer les nouveaux vêtements de sa fille puis ensuite retrouver le reste de leur famille pour reprendre le cours de leur après-midi comme si rien ne s'était passé. Comme si presque rien ne s'était passé. Pareil programme avait certes quelque chose de particulièrement attirant mais Lorcan ne se voyait pas agir ainsi. Non, s'il agissait de la sorte, ce serait comme aller à l'encontre de l'une des nombreuses valeurs avec lesquelles ses parents l'avaient élevé : l'une d'elle étant que l'on ne profitait pas de la générosité des gens. Recevoir sans donner en échange, ce n'était pas vraiment pas dans sa nature. Surtout quand c'était la deuxième fois qu'une même personne lui venait en aide.

- " Je vais essayer de poursuivre mes achats.. si j'y arrive..c'est fou le monde qu'il y a aujourd'hui ! Faites attention à vous deux.. "

- Attendez !

La jeune femme blonde avait commencé à s'éloigner, mais Lorcan ne pouvait pas la laisser partir ainsi. Il voulait absolument faire quelque chose pour la remercier, et pensait avoir là l'occasion rêvée de le faire.

- Attendez, vous ne pouvez pas partir comme ça. Enfin, pardon, évidemment que vous pouvez partir si vous le voulez mais c'est la deuxième fois que vous nous aidez. Pour la première, j'imagine que vous allez me dire que vous n'avez fait que votre travail mais pour aujourd'hui, presque rien ne vous y obligeait. Et très honnêtement, je n'ai pas très envie de me contenter d'un simple "merci" pour vous remercier de tout ce que vous avez fait pour ma fille. Si vous le voulez, je pourrais vous accompagner pendant que vous terminez vos achats ?

Rien n'obligeait son interlocutrice à accepter quoi que ce soit de sa part. Il le savait, bien entendu. Mais espérait malgré tout que cette dernière accepterait ne serait-ce que ce petit geste de sa part. Ce n'était pas grand-chose mais c'était quelque chose.

- S'il vous plaît Madame, dites oui ! Vous voudrez pas boire un café avec mon papa aussi ? En plus, vous avez même pas à craindre quoi que ce soit de plus, il cherche pas une amoureuse pour remplacer Maman donc ce sera vraiment qu'un café si vous acceptez.

- ...

Et Jaina qui parlait ainsi, un sourire innocent comme seuls les enfants étaient capables accroché aux lèvres, dans l'attente d'une réaction quelconque - idéalement, positive - de la jeune femme blonde en face d'elle. Parfaitement innocente, comme s'il n'y avait aucun mal à dire les choses comme elles lui passaient à l'esprit, et totalement ignorante de l'effet que sa franchise pouvait avoir sur les gens. Dans le cas de son propre père, l'envie d'être soudainement très loin d'ici, gêné.

- Jaina...

- Bien quoi ? Un merci, c'est pas forcément suffisant et c'est vrai, tu cherches pas une amoureuse et... Et je suis désolée Mademoiselle, je dis souvent tout ce qui me passe par la tête sans forcément réfléchir avant de le faire.

Sa fille tournant un regard vaguement craintif vers lui - craignait-elle de le voir s'énerver à nouveau contre elle ? - Lorcan lui ébouriffa les cheveux en souriant, préférant nettement l'entendre se plaindre qu'il était en train de la décoiffer. Dans le cas présent, sa franchise n'avait rien de mal en soi étant donné qu'elle n'avait pas pensé à mal, mais une petite discussion ne serait sans doutes pas de trop une fois de retour à la maison. Certaines personnes ne réagissaient pas très bien à une trop grande franchise, et Lorcan voulait que sa fille en soit bien consciente.

... ||

" Bon, je peux pas ne pas refuser...on continu les achats et on boit ce café alors.. "

Il se mentirait sans doutes à lui-même si Lorcan n'admettait pas être soulagé par la réaction, très nettement positive, de la jeune femme. Il n'avait pu s'empêcher de craindre, ne serait-ce qu'un instant, de l'avoir mise mal à l'aise avec sa proposition de l'accompagner pour le reste de ses achats, que le franc-parler de son enfant lui déplaise. Quand bien même leurs intentions à eux deux étaient dénuées de toute malice. Mais elle avait accepté alors il était en droit de penser que, peut-être, leur présence lui était agréable ? Ou leur rencontre, quoiqu'angoissante au début, constituait peut-être une sorte de pause fort bienvenue dans une journée qui semblait parfois s'écouler à toute vitesse ? Pour elle, Lorcan ne pouvait le dire mais pour lui, toutes les conditions étaient réunies pour donner lieu à un bon moment, surtout si cela permettait à sa fille d'oublier sa mésaventure. Tout le monde y trouvait donc son compte, au final.

Et être amusante, la séance shopping qui suivit ne manqua pas de l'être, à tel point que Lorcan ne vit même pas le temps passer, ce qui arrivait seulement lorsqu'il emmenait sa fille renouveler sa garde-robe. Que cette dernière ai toujours une idée bien précise des vêtements qu'elle voulait - pratiques pour bouger et sans la moindre touche de rose si possible - aidait déjà grandement à limiter le temps passé en boutique mais il ne rechignait jamais à jouer le papa'razzi quand elle avait envie de s'amuser à jouer les mannequins. Et quand lui-même devait s'acheter de nouveaux vêtements, il était bien du genre à commander en ligne ou à acheter en plusieurs exemplaires un même vêtement, juste pour passer encore moins de temps dans les boutiques.

Trop naïf, sans doutes, pour ne serait-ce qu'y penser, le jeune homme ne se doutait pas de l'image que le trio renvoyait dans chaque boutique, dans l'esprit de chaque employé qui les voyait avant qu'une tâche inhérente à leur fonction ne se rappelle à leur bon souvenir : celle d'une petite famille profitant d'un agréable moment ensembles. Il n'y avait aucun mal à penser ainsi, il serait même difficile d'en faire autrement. La mère et la fille riaient ensembles, la fille approuvant chacun des choix de sa mère en n'hésitant pourtant pas, si le besoin s'en faisait sentir, à donner une opinion tout à fait contraire, tandis que le père se contentait de sourire, bien heureux d'être ne serait-ce que témoin de ces instants. Même si dans le cas de Lorcan, son sourire dissimulait surtout la pointe de tristesse qui lui perçait le cœur. L'image que tous trois renvoyaient n'avait rien de réelle. N'était rien de plus qu'une douce illusion. Car Elle n'avait jamais eu ce genre d'instants avec Jaina. Jamais Elle ne lui avait proposé de faire les boutiques de vêtements en sa compagnie, un manquement à son rôle maternel parmi bien tant d'autres. Et les rares fois où Elle l'avait fait, sans doutes agacée de l'entendre lui répéter que leur fille avait besoin de sa mère, Jaina était toujours revenue les yeux bordés de larmes, ses espoirs de voir la femme lui ayant donné la vie lui accorder ne serait-ce qu'un semblant d'affection encore un peu plus réduits à néant, silencieuse jusqu'à l'heure du coucher où elle osait enfin lui raconter à voix basse, presque dans un murmure, ce qu'elle avait fait pour s'attirer les foudres de sa mère. Ne pas réussir à tenir à sa place, parler un peu trop fort, demander à être accompagnée pour satisfaire une envie pressante... En somme, agir comme une enfant, et non pas comme quelqu'un qui devait être vue mais certainement pas entendue. A chaque fois il l'avait consolée, lui promettant que les choses se passeraient mieux la prochaine fois. Mensonge qu'aucun des deux ne parvenait pourtant à croire...... jusqu'à aujourd'hui.

Car Jaina appréciait ce moment, il n'y avait qu'à voir son sourire lumineux et l'entendre rire pour le voir. Elle appréciait ce moment, comme elle aurait dû le vivre en compagnie de sa mère, donc dans un sens, la promesse que les choses se passeraient mieux la prochaine fois était donc tenue. Tiré de ses pensées par sa fille qui lui demandait de regarder Mademoiselle Hurley, actuellement habillée d'une robe qui la mettait parfaitement en valeur. Dans cette situation, d'autres pourraient en profiter pour se rincer l'œil sans honte aucune, voir tenter quelque chose pour avoir plus, mais Lorcan regardait tout à fait respectueusement, sans arrière-pensée aucune. Pourquoi en aurait-il d'ailleurs ?

- Papa, papa, papaaaa ! On peut aller dans cette boutique ? Il faut qu'on aille dans cette boutique ! S'il te plaaaaît !? T'es le meilleur papa du monde, tu le sais hein ?

- D'accord, d'accord ! s'amusa le meilleur papa du monde en question, parfaitement incapable de refuser ça à sa fille, une boutique de déguisements étant pour elle un véritable paradis sur terre. D'autant que Mademoiselle Hurley venait de saisir sa fille par la main pour qu'elles entrent ensembles dans la boutique en question donc la question d'accepter ou non d'y entrer ne se posait même plus. Tant qu'il y était, la boutique proposant également des articles de fête et l'anniversaire de Jaina approchant à grands pas - coïncidant d'ailleurs parfaitement avec le 25 Décembre, jour de sa naissance - il pouvait bien en profiter pour se donner quelques idées pour décorer la maison le jour J. Ce qu'il fit donc, bien trop vite concentré sur sa tâche pour faire trop attention à ce qui l'entourait. S'il l'avait fait, sans doutes aurait-il pu remarquer Mademoiselle Hurley avant qu'elle ne lui saute dessus, un masque de Scream sur le visage. Une plaisanterie tout ce qu'il y avait de plus innocente, le voir sursauter la faisant rire aux éclats tandis que lui calmait les battements soudainement affolés de son cœur, finissant également par en rire.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Tu as eu une petite frayeur de rien du tout Papa ? Un grand garçon comme toi ?

A voir les trois costumes qu'elle tenait dans les bras, Jaina semblait avoir trouvé son bonheur dans la boutique, même si à voir son petit sourire en coin, elle semblait bien plus amusée par ce qui venait de se passer. Quelle trahison, voilà qu'il ne pouvait même pas escompter sur le soutien de sa propre fille. Faisant mine d'être vexé, il alla donc payer les costumes repérés par sa fille, prolongeant sa comédie quelques instants seulement après qu'ils aient quitté la boutique.

" On le boit où ce café alors ? "

- Eh bien, il y a un petit café pas loin. C'est le genre à facilement passer inaperçu face aux grosses chaînes bien connues mais on y est toujours très bien installés et leur café caramel est à tomber par terre.

Le père de famille n'avait pas eu besoin de plus de quelques secondes pour y songer. Le genre de café fréquenté presque uniquement par les connaisseurs, ce qui signifiait qu'il y avait toujours peu de monde, qui ne payait pas de mine à première vue mais qui abritait des fauteuils confortables au possible, ainsi qu'un coin bibliothèque. Et le wifi gratuit. Et un café si délicieux que si la chose était possible, il en achèterait par palettes entières ? C'était dans ce café qu'il devait aller. Mais pour le moment, point d'achat par palette entière, il se contenterait bien d'une énorme tasse du-dit café, cet après-midi l'avait épuisé.

" On aura bien réussit à amener ton papa dans nos boutiques ! "

Mademoiselle Hurley et Jaina semblaient également aussi ravies l'une que l'autre du déroulement de cet après-midi, allant jusqu'à échanger un câlin ensembles. Une vision qui fit sourire Lorcan : si cet après-midi les avaient rendues heureuses toutes les deux, il avait toutes les raisons de l'être aussi.

- Oh ça oui, et croyez-moi, c'est bien plus difficile qu'on ne le pense ! Quand il est question de faire les boutiques pour moi, je préfère y passer le moins de temps possible.

- Ça c'est bien vrai, il aime pas du tout ça, il y a toujours trop de monde pour lui, expliqua un peu mieux Jaina. Je peux avoir un chocolat chaud ?

- Oui, tu peux avoir un chocolat chaud. Ce sera un énorme latté caramel pour moi et pour vous ?

Déjà s'approchait l'un des serveurs, tout sourire - l'absence d'une foule de clients considérant leur temps comme bien plus important que celui des autres et n'ayant donc pas la patience d'attendre aidant sans doutes à la décontraction - et prêt à prendre leur commande.  Ce qu'il fit quelques instants plus tard.

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Cet après-midi était particulièrement agréable, Lorcan voulait bien l'admettre. Pour tout dire, si on le lui demandait, il n'aurait sans doutes pas trop de mal à avouer que c'était même la première fois qu'il s'amusait autant depuis... eh bien, un certain bout de temps. Non pas que sa vie de tous les jours soit triste et ennuyeuse à en pleurer - avec une présence aussi positive et énergique que Jaina pour l'éclairer, "morne" n'était clairement pas l'adjectif le plus adéquat pour décrire son existence - mais cet après-midi avait ranimé chez lui des souvenirs d'une époque passée. De ce temps d'avant où sa famille proche était encore un nous trois plutôt qu'un nous deux. Un après-midi, certes très agréable, que Lorcan n'était pourtant pas mécontent de voir toucher à sa fin par une petite pause caféinée. Non pas qu'il soit soudainement lassé de la présence de Jude et désireux de mettre un terme à ce moment mais pour lui, les lieux publics encombrés de monde avaient quelque chose d'étouffant. Fort heureusement pour lui, de l'espacement des tables les unes des autres au étagères couvertes de livres dans un coin, qui offraient donc de multiples raisons de ne pas forcément engager la conversation avec qui que ce soit, ce café semblait avoir été pensé pour les individus qui, comme lui, tenaient au calme et à leur tranquillité. Un excellent point donc.

" Vous habitez ici depuis longtemps? "

La question coulait de source. Enfin, lorsque l'on rencontrait quelqu'un pour la première fois, il était naturel de vouloir en savoir un peu plus sur cette personne. Et tant que la curiosité première ne se transformait pas en interrogatoire malaisant, il n'y avait aucun mal à poser quelques questions.

- Pas vraiment, nous ne sommes à Island Bay que depuis quelques mois seulement. Pour des raisons que je n'ai aucune envie d'évoquer, déménager pour repartir sur de nouvelles bases nous semblait la meilleure chose à faire, répondit le père de famille avec un sourire qui n'avait rien de forcé. Merci beaucoup.

Ce remerciement s'adressait bien évidemment au serveur qui, ayant achevé la préparation de leur commande, était donc revenu vers leur table pour déposer chaque boisson devant qui l'avait demandée avant de repartir aussitôt s'occuper de quelques nouveaux clients s'installant tout juste à une autre table.

- C'est à cause de Maman qu'on a dû le faire, déclara pourtant Jaina, sans qu'il songe à l'interrompre. Si lui-même s'y refusait autant que possible, libre à sa fille d'évoquer sa mère si elle en avait envie. Je suis trop petite pour répéter les mots que mon oncle utilise parfois pour la qualifier quand on est tous en famille et qu'il croit que je l'entend pas mais c'est pas le genre de personne avec qui vous voudrez passer Noël. Mais bon, elle est très loin d'ici, papa et moi sommes très bien sans elle, tout le monde est content ! Waouh, ils ont mis des marshmallows dans leur chocolat, c'est juste trop bon !

Et sa fille qui entamait joyeusement sa boisson chaude, comme si rien n'était. Et lui qui ne pouvait pas s'empêcher de sourire. D'en rire même. Sa fille était comme ça : qu'elle le fasse exprès ou non, passer d'un sujet de conversation à un autre en quelques secondes ne lui posait aucun problème. C'était sans doutes pour le mieux d'ailleurs, il ne voulait pas la voir perdre son excellente humeur pour le reste de la journée. Il nota pourtant dans un coin de son esprit d'avoir une petite discussion avec son frère sur les injures qu'il enseignait à sa fille, même sans s'en rendre compte.

- Et vous Jude ? Vous habitez à Island Bay depuis quand ?! Est-ce que vous êtes mariée ?! Non, vous ne l'êtes pas, vous avez pas de bague ! Est-ce que vous avez un petit ami ?! Ou bien mieux : un chien ?! J'adore les chiens, surtout les grands ! Depuis quand vous travaillez chez les pompiers ?! C'est dur comme métier ?! Mais ça doit aussi être incroyablement bien d'être pompière non ?!

- Jaina, calmes-toi un peu s'il te plaît. Ce n'est pas très poli de poser autant de questions, surtout trop personnelles, à quelqu'un, l'interrompit Lorcan sans savoir où se mettre, bien embarrassé par l'enthousiasme de sa fille. Et lui qui, plus tôt dans l'après-midi, considérait qu'il était naturel de faire preuve de curiosité sans que cela vire à l'interrogatoire particulièrement gênant... Excuses-toi s'il te plaît.

- Désolée Mademoiselle Jude...

Nouveau regard en coin de sa fille vers lui, cherchant encore à discerner s'il était en colère ou non. Et là encore, il ne l'était pas, même si ce n'était pas à lui d'en juger. Disons que quand sa fille voulait savoir quelque chose, un feu nourri de questions était toujours sa première réaction.

- Néanmoins... Je dois bien avouer être aussi curieux que la petite curieuse ici présente : j'imagine bien qu'être pompière n'est pas la profession la plus "facile" qui soit mais il doit bien y avoir quelques compensations.

D'accord, il voulait bien l'avouer. Lui aussi était curieux.

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