That's just the first page of a whole book (+) Matthew & Lou



Un peu mal à l’aise, Lou inspire profondément et expire lentement. Pendant quelques secondes, elle se demande ce qui lui a pris de se laisser entraîner dans toute cette histoire. Réservée au premier abord, la jeune femme a plus l’impression d’avoir l’air coincée devant cet appareil photo et tout ce matériel professionnel. Heureusement, la personne qui se tient derrière, en l’occurrence un homme, semble avoir l’habitude de ce genre de situation. Il l’aide à se détendre et a même lancé deux ou trois plaisanteries pour qu’elle se mette à rire et ait donc l’air plus naturel. « Je suis désolée, c’est la première fois que je fais ça. » Pourtant, quelque part, c’est presque étonnant. Sans forcément être à la pointe de la mode, Lou aime s’acheter de nouvelles fringues, bien s’habiller et aussi se maquiller. D’ailleurs, en règle générale, elle aime tout ce qui met en valeur sa féminité et ce jusqu’au bout des ongles. Avec deux soeurs aînées, elle a appris il y a longtemps déjà à assortir les couleurs, à bien utiliser les produits de beauté et à ne pas trop en faire. Le shopping est à ses yeux l’une des meilleures thérapies et elle peut passer des heures à essayer des tenues. Bref, sans être une professionnelle de ce milieu, Lou apprécie la mode et c’est probablement la raison pour laquelle elle s’est laissée convaincre par sa meilleure amie de se lancer aujourd’hui. Ce n’est pas grand-chose, c’est sûr, une séance photos qui ne l’engage à rien - mais pour elle, c’est déjà un pas en avant. Parce que comme le sait déjà tout son entourage, la bibliothécaire ne se trouve pas assez mince, ni même assez belle, alors s’exposer ainsi à un appareil photo est un progrès en soi. Heureusement, le dénommé Matthew, ainsi qu’il s’est présenté, a beaucoup d’idées et lui donne des instructions bien précises. Ça l’arrange bien, parce que comme ça, elle n’a qu’à suivre ce qu’il dit en espérant que le résultat sera un minimum satisfaisant. Et à un moment, elle ose même faire une suggestion, sans savoir si c’est une bonne idée ou pas. « Et si je me mettais plutôt comme ça ? » propose-t-elle, de plus en plus détendue au fur et à mesure que les minutes s’égrènent. Ils sont sur la plage, il fait beau, il n’y a quasiment aucun curieux - bref, elle aurait pu tomber sur bien pire comme décor pour poser pour une collection de l’été à venir.



En quelques minutes, Lou a déjà compris que Matthew est un professionnel. Ce n’est pas quelqu’un qui a été engagé à la va-vite et qui vient d’apprendre sur le tas. Non, il a visiblement de l’expérience en la matière, qu’il s’agisse de guider la personne qui pose, de jongler avec différentes personnalités ou encore de la photographie en elle-même. Lâche-toi. Ne fais pas attention à moi. Fais-moi sortir cette beauté. Des instructions simples, même si elles ne le sont pas forcément à appliquer. Mais de fait, Lou arrive de plus en plus à se détendre. Elle tente de ne plus penser à l’objectif, ni aux personnes qui pourraient regarder ces photos, ni à Matthew même si c’est plus difficile étant donné qu’elle l’entend. La seule évocation d’une quelconque beauté, cachée ou non, l’a fait rougir, mais elle a fait abstraction. Après tout, le photographe a l’habitude de travailler avec les mannequins, alors… Assurément, son manque d’assurance est l’une des choses qui lui fait le plus défaut dans la vie quotidienne. Poser l’aidera peut-être à y remédier ne serait-ce qu’un tout petit peu. En tout cas, Lou est certaine que c’est pour qu’elle se lâche qu’Aela l’a poussée dans cette direction. Sa meilleure amie, elle, est déjà pleine d’assurance. En même temps, elle est tellement canon que c’est bien normal. C’est sûrement elle qui devrait être à sa place, d’ailleurs. Mais ce n’est pas le cas et la benjamine des Wade est décidée à faire de son mieux. C’était gênant au début, mais ça l’est de moins en moins. Il a raison, il n’y a que lui et il se contente de faire son travail au maximum de leurs possibilités. Et au final, la séance se passe beaucoup mieux qu’elle l’aurait espéré. Ses craintes s’avèrent non fondées et, au moment où ils prennent une pause, Lou est même suffisamment à l’aise pour échanger avec Matthew. « Tu as l’habitude de travailler avec des débutants ou des amateurs ? Ça doit faire longtemps que tu fais ça, non ? » Il lui tend à nouveau un verre d’eau qu’elle prend en le remerciant. Elle commence déjà à se montrer pipelette, ce qui est bon signe en ce qui la concerne. « Tu es british, je me trompe pas ? L’accent est très reconnaissable. »



Comme beaucoup de professionnels de la photographie, le dénommé Matthew semble passionné par son métier. Il lui apprend qu’il travaille dans la mode depuis huit ans déjà, mais qu’au lycée il se promenait déjà avec son appareil un peu partout. Lou, elle, n’a jamais vraiment fait de photographie. Elle s’est plutôt intéressée à la musique et notamment à la batterie, même si l’un n’empêche pas l’autre. Mais ça fait toujours plaisir de voir quelqu’un qui est dévoué à son travail, parce qu’il faut croire que ça devient de plus en plus rare aujourd’hui. D’ailleurs, après quelques mots échangés, il lui fait signe que c’est l’heure de reprendre. L’horloge avance relativement vite et, au fil des clichés, Lou doit régulièrement se changer pour poser dans différentes tenues. Il y en a certaines qu’elle adore et d’autres qu’elle ne porterait pas forcément parce que les goûts et les couleurs ne se discutent pas, mais globalement elle aime ce qui est proposé. Ça l’aide d’ailleurs à se lâcher complètement et, à la fin de la séance, elle réussit à suivre complètement les instructions de Matthew. Détendue, naturelle, elle en vient même à s’amuser. Elle ne regrette plus d’être venue et, quelque part, elle se dit presque qu’elle se laisserait à nouveau entraîner dans ce genre d’aventure plus facilement. Et une fois le shooting terminé, elle a hâte de voir ce que ça donne, autant impatiente qu’anxieuse du résultat. Mais dans l’immédiat, elle bavarde à nouveau un peu avec le photographe qui lui confirme qu’il est bien originaire d’Angleterre. « Je viens d’ici » précise-t-elle quand il lui retourne la question. Rien de plus banal sans doute, mais c’est la stricte vérité. « Je venais déjà sur cette plage quand j’étais petite, mais je n’aurais jamais cru y poser pour des photos de mode un jour » ajoute-t-elle en riant. « Et tu es ici depuis longtemps ? » En tout cas, il n’a rien perdu de son accent, mais ça peut ne rien vouloir dire du tout. « En tout cas, merci… De ne me pas m’avoir brusquée et tout. C’était agréable de travailler avec toi. »

Sa séance terminée, sa tenue habituelle retrouvée, Lou recommence à discuter avec le photographe. Il lui apprend qu’il est arrivé de Grande-Bretagne peu de temps auparavant, à Halloween, pour voir quelqu’un. Fronçant légèrement les sourcils, elle se rend compte que cette anecdote titille quelque chose dans sa mémoire. « Oh, c’est marrant, j’ai entendu une histoire similaire récemment. » Mais c’est sûr qu’il ne doit pas être le seul à avoir débarqué à Island Bay à la fin du mois d’octobre, alors elle n’y prête pas spécialement attention. En fait, son attention est vite détournée par les photographies que le trentenaire lui montre. Avec intérêt, elle y jette un coup d’oeil. Impressionnée, elle a un hochement de tête approbateur. « C’est vrai, vous avez fait un super boulot. » La luminosité, les angles de prise, les poses demandées, tout ça ressort vraiment bien. La jeune femme ne va pas parler d’elle-même, parce qu’elle trouve qu’il y aurait toujours quelque chose à redire… D’ailleurs, elle a du mal à ne pas continuer à penser que des inconnus vont voir ces clichés. Mais globalement, elle est satisfaite. Néanmoins, elle est très surprise de se voir proposer une suite. « Vous êtes sérieux ? » Elle n’aurait pas pensé entendre ça, étant donné que sa meilleure amie a mis un moment à la convaincre et qu’elle a accepté sans rien espérer. Mais maintenant qu’elle y pense, ça mérite effectivement réflexion. « Je pense que ça me plairait bien. » Elle prend la carte tendue et la range dans sa poche, se disant qu’il ne faut pas s’emballer tout de suite mais qu’elle va probablement le rappeler. Et avec un sourire, elle lui serre la main. « Je m’appelle Lou. » Elle se souvient qu’il lui a déjà dit son prénom, mais alors qu’il le répète, ça fait un déclic dans la tête de la Néo-Zélandaise. Elle fronce à nouveau les sourcils, se demandant si la coïncidence est possible. Sûrement, oui, mais Island Bay est quand même une petite bourgade. Alors, piquée dans sa curiosité, elle a envie d’en avoir le coeur net. « Lou Wade » précise-t-elle, se demandant si ça suffira à le faire réagir s’il est bien celui auquel elle pense. Mais comme ce ne sera peut-être pas le cas, elle décide de poser carrément la question. « Est-ce que, par hasard, la personne que vous êtes venu voir s’appelle Robin ? »


Si elle est surprise de se voir proposer une éventuelle suite pour poser pour un photographe professionnel (et qu’elle se promet d’y réfléchir), Lou l’est encore plus quand elle commence à faire des liens. Mais l’agitation dans son cerveau a besoin d’être apaisée, d’où sa question sans détours. Et quand il vient lui confirmer ce qu’elle croyait avoir deviné, un sourire se dessine sur les lèvres de la jeune femme. « Oui, je sais que je lui ressemble pas beaucoup, mais c’est bien ma grande soeur. » Robin a la peau plutôt pâle, tandis que Lou se rapproche plus de Celeste avec un teint plus bronzé. Après tout, elles n’ont pas le même père que l’aînée, même si elles portent toutes le même nom. Mais ça n’a fait aucune différence dans la fratrie, d’autant plus que Robin est celle qui a le plus connu leur père. Une belle famille, grande aussi, comme le souligne Matthew. Lou en a l’habitude. Pour elle, une maison remplie, pleine de vie et d’éclats de rire, sans compter la quasi-impossibilité de trouver un moment de solitude en-dehors du sommeil, c’est tout à fait normal. Même si elle leur a parfois crié à la figure qu’elle aimerait bien un peu d’intimité quand elle était en pleine crise d’adolescence, elle n’imagine pas sa vie autrement que dans sa famille nombreuse. « Tu n’as pas idée… On est cinq en tout, trois filles et deux garçons. C’est moi la dernière. Enfin, j’ai un frère jumeau, mais il est né deux minutes avant, alors techniquement… » Elle commence à s’éparpiller, comme à chaque fois qu’il est question des membres de sa famille. Il y a de quoi se perdre si on ne les connaît pas, mais après tout, si Lou a bien saisi l’histoire, il va bien falloir que le photographe les fasse, non ? « Alors… Officiellement bienvenue au pays. » Elle n’ose pas lui demander combien de temps il compte rester, sinon ça donnerait l’impression de se transformer en interrogatoire familial. Néanmoins, elle ne résiste pas à la tentation de le taquiner un peu. « Très romantique, traverser la moitié du globe pour retrouver quelqu’un. Je serais folle de joie si un mec faisait ça pour moi. » Et un mec plutôt beau gosse, en plus… Parce que maintenant qu’elle sait qu’il a un rapport avec sa soeur, c’est le genre de choses auquel Lou prête attention. Elle ne connaît pas bien les détails de leur histoire, Robin lui en a touché deux mots, mais la benjamine sent qu’elle aura plein de questions la prochaine fois qu’elle verra son aînée. « Alors j’imagine que même en-dehors d’une séance photos, on sera amenés à se croiser à nouveau ? »

Esquissant un sourire suite à la plaisanterie de Matthew, Lou songe qu’elle s’entendra sans doute bien avec lui. Il va jusqu’à lui dire qu’elle aussi rencontrera sans doute un homme qui sera capable de faire preuve d’un tel romantisme envers elle. Et même si la jeune femme en doute, elle se contente de hocher la tête en signe d’assentiment. Après tout, c’est gentil, ce qu’il vient de dire. Oui, le peu qu’elle a vu du photographe lui plaît bien et c’est sûrement une bonne chose. Parce que même si Lou ne sait pas très bien où en sont Robin et lui, elle a une petite idée de la question vu qu’il a parcouru des milliers de kilomètres pour la retrouver. Alors ce n’est sans doute pas la dernière fois qu’elle le voit… Après, à voir s’il survit aux repas familiaux agités. Quand il lui dit que ce sera seulement si les Wade l’acceptent, la brune hausse vaguement les épaules. « Je vois pas pourquoi ce serait pas le cas. Tant que tu n’es pas en cavale en fuite avec une femme restée au pays, il devrait pas y avoir de problème… » Elle a pris un exemple un peu extrême, mais c’est justement pour lui montrer qu’il n’a pas à s’inquiéter. Lou, en tout cas, ne se mêle pas de la vie privée de ses frères et soeurs, ce qui relève assurément du bon sens élémentaire. En fait, elle se trouve plutôt chanceuse d’être née dans une famille tolérante et ouverte d’esprit et elle n’hésite pas appuyer ce point auprès du britannique. « C’est sûr que si tu présentes ça comme ça, c’est bizarre… Mais mes soeurs sont cool, promis. » Elle n’est pas sûre de comprendre ce qu’il voulait dire par ça va jaser, ou du moins dans quel sens il l’entendait, mais elle ne compte pas lui demander. Ils ne se connaissent pas encore assez bien pour parler de ce genre de choses et, de son côté, elle tient juste à le rassurer un minimum - d’autant plus que, comme elle le disait un peu plus tôt, ils vont sûrement être amenés à se revoir. « Je vais devoir y aller, j’avais seulement ma matinée, mais je reprends le travail… En tout cas, c’était un plaisir de te rencontrer. On se dit à bientôt » conclut-elle en lui adressant un large sourire. Puis elle rassemble ses affaires et, après un dernier signe de la main, elle quitte la plage. Elle va avoir des choses à raconter (et surtout, à demander) à sa soeur aînée, c’est sûr.