I'll choose you over and over again (Millstone)

Les yeux étrécis en signe de concentration, installé au ras des fesses sur le canapé et se mordant la lèvre inférieure, Liam a les yeux rivés sur l’écran de télévision. Il a eu une dure journée de travail et maintenant, samedi soir, il a envie de souffler un peu. Et surtout, un match important se joue à l’Eden Park, à Auckland. Les All Blacks affrontent les Wallabies, un moment à la fois attendu et redouté des fans de rugby des deux pays. D’ailleurs, en raison de ses origines paternelles, Liam serait censé être plutôt pour les jaunes et verts. Mais même si ses deux parents viennent à la base de l’étranger, le jeune homme, lui, a la sensation d’être un pur produit kiwi. C’est parce qu’il n’a jamais vécu en Australie comme son père et encore moins dans un des pays latinos-américains dont sa mère tient ses origines. La Nouvelle-Zélande, c’est chez lui. Alors depuis qu’il est enfant, comme les autres garçons à l’école, il supporte l’équipe des noirs. Depuis qu’il est enfant, il a dans ses placards un de leurs maillots, changeant au fil des années pour coller à sa taille. Adolescent, il aimait s’installer devant un grand écran pour partager ce genre de moments avec Chance. Le rugby n’est pas le sport national pour rien et la sorte d’allégeance de Liam aux All Blacks n’est pas près de changer.

Mais alors qu’il est à fond dans son match, Liam sent une tornade s’approcher de lui. Trop concentré sur le match, il n’y prête pas trop attention au début. Mais rapidement, il n’a plus trop le choix de faire autrement. « Qu’est-ce que tu fais ? » Une longue chevelure brune commence à lui cacher la vue tandis que Lily se met à l’embrasser. Il lui rend son baiser pendant quelques secondes avant de s’écarter légèrement. « Je peux finir mon match, s’il te plaît ? Ensuite, je te promets de bien m’occuper de toi. » Il glisse une main dans la sienne, mais reporte l’attention sur la télévision. Mais bientôt, il a l’impression qu’une sorte de tension se répand dans l’air ambiant. Le pâtissier se rend compte que sa femme n’a pas gardé sa main dans la sienne et il n’en faut pas plus pour qu’il comprenne que quelque chose cloche. Poussant un petit soupir résigné, il attrape la télécommande et éteint la télévision. Puis il se tourne vers Lily, qui a les lèvres pincées comme à chaque fois qu’elle est contrariée. Il se demande donc à quelle sauce il va être mangé et hésite à passer directement aux excuses comme d’habitude, avant de décider qu’il vaut mieux essayer de comprendre. « Qu’est-ce qui se passe ? »

Pour une fois, Liam a deviné juste. Il est rare qu’il comprenne avant explications pourquoi sa femme lui fait la tête, mais cette fois, c’était relativement évident. Il faut dire qu’à peu près tout, dans l’esprit de Lily ces dernières semaines, semble revenir au même sujet. Le jeune homme a l’impression qu’elle ne parle que de sa future grossesse et, pire encore, qu’elle pense, respire et vit bébé. Il s’efforce de s’en accommoder, parce qu’il sait à quel point son désir d’enfanter est fort, que ça s’assimile chez elle plus à un réel besoin, qu’il soit purement biologique ou non. Mais il n’aurait pas pensé que ça finirait par devenir obsessionnel, parce que c’est bel et bien le mot approprié. Elle lit à peu près tout ce qu’elle peut trouver sur le sujet, elle a consulté leur médecin traitant à plusieurs reprises, elle fait des calculs qu’il trouve incompréhensibles… Et à côté de ça, lui se sent complètement dépassé. C’est clair qu’il s’investit moins dans toute cette histoire, il prend un peu les choses comme elles viennent. Il sait que la nature est bien faite et, vu leur âge, il ne doute pas qu’une bonne nouvelle arrivera bientôt. Il y aura déjà suffisamment d’énergie à mettre après, alors il n’a pas très envie de se prendre la tête maintenant. Mais forcément, ça amène quelques tensions, même si Liam s’efforce de refouler tout sentiment négatif qu’il pourrait avoir à ce sujet.

Néanmoins, à certains moments, c’est plus difficile qu’à d’autres. « Ma puce… Tu sais bien que j’ai toujours envie de toi… » Au moins, les choses sont claires. Elle n’a jamais eu de doutes à se faire à ce sujet, c’est sûr. « Mais… Tu penses pas que ça pouvait attendre la fin de mon match ? » La réalité, ce n’est même pas que ce match est si important que ça. En temps normal, il aurait répondu à ses avances sans la moindre hésitation. Mais justement, ces temps derniers, leur vie de couple n’est plus très normale. Leurs rapports intimes sont dictés par le cycle menstruel de la brune et, pour lui, ça a quelque chose de franchement frustrant. Il aimerait retrouver un peu de spontanéité, sans avoir à s’entendre dire qu’il vaut mieux attendre quelques jours parce que ça leur donnera plus de chances d’obtenir le résultat convoité. « Le médecin a dit que c’était tout à fait normal… Que comme tu prends la pilule depuis plus de dix ans, ça peut prendre un peu de temps pour que ton corps retrouve un rythme naturel. Je sais que tu as hâte, mais je pense vraiment que si on se montre patients, on finira par avoir une bonne nouvelle. » Il a conscience que ça peut être aussi frustrant pour elle. Mais ces temps derniers, il a tellement mis de côté ses sentiments personnels qu’il a l’impression que ça finira par exploser s’il ne les exprime pas calmement. « Tu penses pas qu’on peut faire… Euh… Comme d’habitude, sans calculs, sans pression ? »



Sceptique, dubitatif, Liam préfère néanmoins s’abstenir de répondre et il se contente d’observer Lily. Ceci dit, il n’en pense pas moins. Il doute fortement qu’attendre à peu près une demie-heure changera quoi que ce soit au résultat d’un quelconque test de grossesse, mais après tout, il n’y connaît rien. Il sait aussi que Lily, elle, s’est documentée à ce sujet autant qu’il est humainement possible de le faire - elle en a d’ailleurs repoussé les limites, à l’humble avis du jeune homme. Mais ce dernier n’arrive pas à déterminer si ce qu’elle est dit est véritablement sincère ou dicté plutôt par ce besoin obsessionnel qu’elle ressent. Alors comme il craint les représailles, il s’efforce de rester silencieux. Mais ce n’est pas toujours facile, notamment quand elle insinue qu’ils n’en font pas assez. C’est clair qu’il n’est pas d’accord. « Et tu trouves pas qu’on force assez les choses comme ça ? » Après tout, ce n’est pas la première fois qu’elle lui fait un topo précis de l’ovulation et du moment durant lequel ils ont le plus de chances de procréer. Ce n’est pas le premier mois qu’ils se conforment presque exactement aux recommandations, médicales, scientifiques ou quelles qu’elles soient. Il comprend que ça puisse la frustrer que ça ne fonctionne pas le début, mais avec sa propre frustration ça devient lourd à gérer. Pour l’instant, il arrive encore à la contenir, mais il voit bien que sa femme est en train de se mettre en colère. Ce qu’elle lui demande n’est pas du tout difficile à faire, c’est clair. Le truc, c’est seulement qu’il est fatigué de tout ça, de cette spontanéité qui a disparu.

Mais la brune passe d’une extrême à l’autre et, quand elle rallume la télévision en annonçant son intention de se coucher, Liam comprend qu’ils ne sont pas sortis de l’auberge. Il déteste les conflits, il déteste l’absence de paix. Il commence à culpabiliser de ne pas avoir simplement dit oui, peu importe à quel point ça lui pèse que leur vie de couple ne soit pas idéale en ce moment. Alors il pousse un soupir et éteint à nouveau la télévision. Il sait que s’il laisse Lily ruminer ses sombres pensées, elle sera encore plus fâchée contre lui. Alors il se lève lentement, rejoint la chambre et se couche près d’elle. « Je suis désolé. » Des excuses ne sont pas toujours faciles à présenter, surtout quand on n’est pas persuadé d’avoir tort. Mais la vie de couple a appris au pâtissier depuis longtemps que c’est beaucoup plus simple que de laisser l’orgueil prendre le dessus. « Je t’ai dit que j’avais envie qu’on fonde notre famille et c’est vrai. J’y pense moins que toi, mais ça veut pas dire que j’ai changé d’avis. » Il se doute que c’est probablement l’une des craintes de la jeune femme et il veut la rassurer à ce sujet. Mais pour lui prouver sa bonne foi, il sait aussi qu’il faut qu’il fasse un pas vers elle, même s’il reste certain que ça ne sert à rien de trop en faire. « Ça fait à peu près quatre mois qu’on essaie. Est-ce que tu veuilles qu’on aille consulter un spécialiste à Wellington ? »

« Je sais que c’est l’impression que tu as, mais c’est faux… » Liam écoute Lily exprimer ses sentiments et, ces derniers temps, elle a tendance à se répéter un peu. Visiblement, c’est un véritable fardeau pour elle, cette pensée que son envie n’est pas si partagée que ça. Le jeune homme commence à se dire que les mots sont inutiles dans ce cas, qu’il n’arrivera pas à la rassurer seulement en paroles. Elle doit décidément trouver qu’il n’en fait pas assez et cette pensée l’attriste un peu. Il voudrait vraiment lui faire comprendre qu’elle se trompe, mais il ne sait plus comment faire. Il ne pourra pas partager le même degré d’empressement qu’elle, il pense sincèrement que ce n’est pas possible tellement elle est rongée par ce besoin de maternité. Mais il faudra bien qu’ils trouvent un moyen de s’accorder ou, du moins, de se réconcilier. « Et je suis désolé de te donner cette impression. Mais j’ai vraiment l’impression qu’on fait tout ce qu’on peut. » Ou du moins, c’était vrai jusque-là. Cette idée d’aller consulter un spécialiste est nouvelle, parce que tout naturellement ils ont d’abord essayé sans se prendre la tête. C’est devant l’absence de résultat positif qu’ils ont commencé à faire plus attention aux dates et à faire des calculs. Mais les mois s’écoulent et, désormais, la possibilité d’un rendez-vous médical s’impose de plus en plus.

La brune a l’air d’accord avec lui, mais elle en parle comme s’il n’était pas concerné. « Je crois que je suis bien obligé de venir aussi… » Liam comprend que, pour l’instant, elle est un peu en colère contre lui. C’est probablement la raison pour laquelle il est pour l’instant exclu de l’équation. Mais il doute que ce soit une bonne idée. « Il aura peut-être des questions à me poser, sur mes antécédents médicaux, sur les maladies qu’il y a dans ma famille, je sais pas s’il voudra faire des tests ou quoi. » Parce que si ça se trouve, le problème vient de lui. Et si cette idée lui fait clairement peur, il sait qu’il faudra bien qu’il affronte cette possibilité un jour ou l’autre. « On est une équipe. Je vais t’accompagner. » Il ne lui laisse pas le choix, en fait. Et tandis qu’il se tourne vers elle, il sent son coeur se serrer. Il soulève la couverture pour tenter de sécher ses larmes. « On va faire le maximum, je te le promets. » Il caresse lentement la joue de sa femme, avant de se décider à se lancer. Pour lui aussi, ce qu’il ressent devient lourd. Et n’est-ce pas ça aussi, le mariage, partager ses craintes ? « Lily… Si jamais… Si jamais c’est de ma faute… Je veux dire, si c’était à cause de moi qu’on a du mal à concevoir… Est-ce que tu m’en voudrais ? »