Cooking Day (Liam)

S’interrompant un instant, Ava réattacha ses cheveux en queue de cheval avant de reprendre où elle en était. A l’aide d’un grand rouleau à pâtisserie en bois, elle étala la pâte de façon à ce qu’elle ne colle pas. Aujourd’hui, la brune jouait le commis d’un binôme de choix. Restaurateur et pâtissier, Liam l’avait accompagnée dans ce beau projet sur lequel ils étaient occupés aujourd’hui. Les deux partenaires de cuisine s’étaient rencontrés quelques mois auparavant sur une affaire peu joyeuse, en rapport à un proche disparu du jeune homme, une affaire qui avait été résolue. Un groupe de jeunes avait profané des tombes avec des tags. Les auteurs avaient heureusement été retrouvés et condamnés à des heures de travail d'intérêt général. Quant à Liam et Ava, ils avaient développé un début de belle amitié depuis. Le but de la journée ? L’école où était inscrit le fils d’Ava avait mis ses cuisines et son réfectoire à disposition de plusieurs bénévoles pour préparer (et servir) un repas pour une association qui accompagnait les familles de policiers touchées par le deuil et dans le besoin d’un soutien matériel ou moral, que ce soit pour l’enfant devenu orphelin d’un parent, un mari ou une épouse qui se retrouvait seul, un frère ou une sœur perdu(e)…

Pour tout un tas de raisons évidentes, cette cause touchait forcément Ava de près. Dès son arrivée en Nouvelle-Zélande, elle n’avait donc pas hésité à rejoindre le groupe et à s’y investir. Les fonds récoltés par le repas seraient directement reversés à l’association. Les plats étaient déjà prêts et réservés au frais en attendant la soirée. Une centaine de personnes étaient attendues. Parmi les binômes présents, la brune était maintenant occupée sur le dessert avec Liam : une tarte aux kiwis. Ce serait à la fois bon et local. Elle avait été séduite par l’idée proposée. « J’espère que je ne vais pas massacrer cette pauvre pâte. » Lança-t-elle en souriant. Ava était plutôt douée en cuisine mais elle essayait de ne pas trainer et de suivre les recommandations de son équipier. Il supervisait les opérations du dessert dans l’ensemble. « Dernière grosse étape de la journée et puis on arrivera au bout. Merci encore d’être venu. » Quand la policière lui avait proposé de joindre ses forces, il avait accepté sans hésiter. « Tu n’as pas dû prendre sur tes heures à la boutique ? » S’inquiéta-t-elle. Par définition, c’était le genre d’occasion où l’on « donnait » de son temps sans regarder mais Ava lui posait tout de même la question.



Vêtu de sa tenue blanche habituelle, Liam s’affaire sur le plan de travail. Pour ceux qui n’ont jamais travaillé dans le domaine de la restauration, il est difficile de se rendre compte que ce travail peut être plus physique qu’on le pense. Si Liam aime se dépenser en salle dans le cadre d’une discipline sportive qu’il classerait parmi l’une des plus exigeantes au monde, il est parfois déjà fatigué en ressortant de son travail. C’est particulièrement le cas s’il y a des commandes de dernière minute, par exemple. Mais aujourd’hui, ce n’est rien de tel. Aujourd’hui, il s’agit de la réalisation d’un projet prévu depuis plusieurs semaines déjà et bien organisé. Il y a du monde pour récolter des fonds pour une association s’occupant de familles de policiers endeuillées. Ils se trouvent actuellement dans une cuisine scolaire, laquelle est plutôt bien équipée. Liam y a déjà travaillé, il connaît donc l’endroit et se sent parfaitement à l’aise, dans son élément. Les équipes sont réparties en binôme et, bien sûr, il est avec Ava. Ce n’est pas une flic comme les autres pour lui. C’est elle qui, peu après son arrivée à Island Bay, a réussi à identifier le groupe de jeunes qui s’amusait à décorer les tombes d’une manière indigne. Quand il y repense, ça fait frémir Liam, car se rendre au cimetière et découvrir la pierre de sa nièce adorée taguée l’avait plongé dans un mélange d’indignation, de colère et de tristesse. Forcément, c’était un sujet qui le touchait et il avait suivi de près l’affaire, soulagé d’apprendre que les coupables avaient été retrouvés et qu’ils ne recommenceraient donc probablement plus. Et au cours de l’enquête, il s’était rapproché d’Ava, cette brune déterminée et compatissante. Aujourd’hui, c’est tout naturel de travailler avec elle.

« Tu te débrouilles très bien ! » lui assure-t-il, jetant un coup d’oeil à la pâte à tarte. « Encore un peu plus fine et elle sera parfaite. » Il est sur son terrain et c’est son domaine, mais il s’efforce quand même de ne pas se montrer trop directif. Il sait à quel point ça peut déplaire à certains et il peut le comprendre, même si en ayant été commis ou second de cuisine pendant des années, il n’avait guère le choix que de se soumettre à toutes les instructions du chef. Luana, elle, lui laisse beaucoup plus de libertés, ce qui a assurément un côté épanouissant. « Si, mais ma chef est cool. Elle soutient beaucoup de bonnes causes, alors… Je me rattraperai à un autre moment, c’est pas du tout un problème. » Lily aussi a compris pourquoi il avait encore plus eu envie que d’habitude de participer à cette journée. Pour lui, c’était naturel. « Tu sais, c’est un peu ma façon de dire merci. T’offrir une boîte de pâtisseries n’était pas grand-chose, après ce que tu as fait pour toutes les familles du coin qui ont perdu un proche… C’est normal d’aider. Et puis c’est pas mon travail pour rien, hein ? Ça me fait plaisir. » Il y a franchement pire au monde que de devoir s’affairer en cuisine à ses yeux, c’est une certitude. « Je vais mettre la crème au réfrigérateur et on va juste pré-cuire la pâte pendant environ cinq minutes pour qu’elle ne se détrempe pas à son contact, ça ne donnerait pas une texture très agréable. » Il s’exécute, tout en donnant d’autres instructions. « Je vais m’occuper des moules. Pendant ce temps, tu peux préchauffer le four au thermostat sept. » Ce ne sont pas des étapes très longues, mais tout aussi nécessaires que les autres. « Une fois que la pâte sera assez fine, tu veux bien couper les kiwis en rondelles, s’il te plaît ? » Quelques minutes plus tard, les moules sont enfournés. « Une fois la pâte pré-cuite, on versera la crème et on y déposera les rondelles de kiwi en essayant de faire quelque chose de joli. Encore trente minutes au four et le tour sera joué. » Pendant ce temps, il commence à ranger un peu autour de lui. « Ça va, tu n’es pas trop fatiguée ? »

Encourageant, Liam adressa des conseils à Ava pour rendre la pâte plus fine. C’était plus facile de l’acheter toute faite mais le but était quand même de rendre le repas le meilleur possible et d’essayer de tout préparer maison. Et puis, avec un pâtissier professionnel qui était venu les aider, ça aurait été dommage de ne pas profiter de ses talents. Il s’était même libéré de son travail pour participer aux préparatifs. « C’est cool si tu as une chef sympa. Je crois que tu ne travaillais pas principalement dans la pâtisserie avant ? » La policière ne se souvenait pas de tout mais il lui avait raconté avoir été en Europe, ce qui lui avait permis d’élargir son savoir culinaire et d’apprendre plein de nouvelles choses. « Je te retourne le même argument. Je n'ai fait que mon travail. Mais c’est gentil, merci. Nous ne sommes jamais de trop pour les bonnes causes. » L’affaire que Liam venait d’évoquer était quand même le comble de l’inacceptable. Les morts méritaient de reposer en paix. De son côté, Ava ne lui avait pas caché ce qui était arrivé. Elle lui avait brièvement évoqué la perte de son mari dans l’exercice de ses fonctions et à quel point le sujet la touchait de près mais elle avait préféré ne pas s’étaler et ils n’en avaient plus reparlé. Occupé sur la crème, Liam lui expliqua ensuite les étapes suivantes. « Ça marche, Rémy ». Répondit-elle sur le ton de l’humour. Petite référence à un célèbre Disney-Pixar où le véritable chef est caché sous une toque et guide ses commis. Elle connaissait les dessins animés par cœur avec son fils. Ava mit à préchauffer le four conformément aux instructions et elle attrapa ensuite les kiwis qu’elle entreprit de découper. Habituée à préparer des plats Lucas et elle, la brune avait un bon rythme de travail. Il n’y avait pas qu’une tarte à faire et ils n’étaient pas les seuls à s’affairer sur le dessert. D’autres binômes suivaient le mouvement. C’était agréable de travailler avec Liam car il menait la danse sans être autoritaire. Les deux se concentrèrent sur leurs tâches respectives puis prirent une petite pause quand Liam enfourna les moules et qu’Ava termina de couper les kiwis en rondelles. « Non ça va, j’trouve ça excitant, le marathon cuisine. On s’amuse bien tous ensemble. Et toi ? » Les bénévoles préparaient le repas depuis plusieurs heures mais la motivation ne flanchait pas étant donné que c’était pour une bonne cause.

Soudain, une voix s’éleva dans les cuisines. « Maman ! Tu n’as pas vu mon téléphone ? » Son fils était aussi venu donner un coup de main et s’était occupé d’aménager un peu la salle avec des copains à lui et d’autres bénévoles. « Viens, je voudrai te présenter quelqu’un. » Sautillant, le garçon se rapprocha de sa mère. « Liam, voici Lucas, mon fils. Lucas, Liam, un ami. C’est lui qui chapeaute le dessert. » Lucas salua le pâtissier et échangea un peu avec lui puis Ava lui montra les rondelles de kiwi et lui demanda si tout se passait bien de son côté. Visiblement pressé de retourner auprès de ses copains, il répéta ensuite sa question à sa mère. Il était déjà âgé de douze ans mais Ava respectait certains principes et limitait encore son utilisation quotidienne sur le téléphone, surtout dans des journées comme celle-ci où le but était d’aider et de ne pas passer sa vie sur un écran. Toutefois, il avait bien travaillé alors elle l’autorisa à le prendre. « Il est dans mon sac, là-bas. Prends une petite pause et n’oublie pas d’aller aider à dresser les tables ensuite. » De façon générale, son fils était agréable mais il se rebellait beaucoup par rapport à ses cours dernièrement. Toujours marqué par ce qui s’était passé un an auparavant, il avait du mal à s’adapter à cette nouvelle vie sans son père. Sans demander son reste, Lucas se dirigea vers le sac et repartit ensuite avec le précieux appareil. « C’est notre avenir : des jeunes hyperconnectés. » Glissa-t-elle en riant doucement. Ava n’était pas une mère trop stricte mais elle n’autorisait pas tout, cela dit elle n’avait pas d’exemple en la matière puisque c’était surtout son frère et un peu son père qui l’avaient élevée. Sa mère s’était tirée quand elle était petite. « Et toi tu as des enfants ? » Malgré son jeune âge, Liam était marié et avec la même femme depuis longtemps alors c’était possible. Les deux amis n’avaient pas encore abordé tous les sujets. Par la suite, Ava demanda si tout se passait bien auprès de plusieurs autres binômes puis elle revint près de Liam. Jetant un coup d’œil au four, elle constata que la demi-heure était bientôt écoulée. Le temps passait tellement vite.



« Non, c’est bien ça. J’ai suivi une formation générale à l’école, puis je me suis perfectionné au cours de mes stages en m’essayant à la cuisine de différents pays, mais je ne me suis jamais spécialisé en pâtisserie. J’avais appris les bases quand j’étais plus jeune, j’en faisais parfois pour donner un coup de main et aussi à la maison, mais ça n’a jamais été mon domaine principale jusqu’à récemment. Mais je dois dire que quand tu connais déjà un minimum, ce n’est pas si compliqué, même si les desserts sont un art à part entière. » Ou en tout cas, c’est comme ça qu’il voit les choses. Quoi qu’il en soit, Liam est content d’apprendre à se perfectionner dans un tout autre domaine et plus encore de végétaliser des classiques pour la boutique de Luana. Mais il n’oublie pas que même si c’est une passion pour lui, ce n’est pas forcément le cas de tout le monde. Il sourit quand Ava lui donne un surnom en référence à un dessin animé et quand elle le rassure en disant que c’est plutôt amusant comme activité. Elle lui retourne tout de même la question. « Oh non, j’ai fait des journées voire des moitiés de nuits beaucoup plus fatigantes que ça. » L’habitude, ça aide. Du coup, il est impressionné par les bénévoles qui sont pour la plupart des amateurs mais dont l’enthousiasme semble à toute épreuve - ils s’activent tous ensemble depuis plusieurs heures déjà. « C’est incroyable, on dirait une fourmilière, tu trouves pas ? »

En parlant de bénévoles, il y a aussi des plus jeunes, pré-adolescents et adolescents, pas en cuisine mais dans la salle à manger du réfectoire. C’est l’un d’entre eux qui vient s’adresser à eux et Liam comprend vite qu’il s’agit de son fils. D’ailleurs, elle les présente l’un à l’autre. « Salut Lucas ! » Le pâtissier tope dans la main du garçon. « Alors, ça avance comment dans la salle à manger ? » Lucas et lui échangent quelques mots tandis que le garçon récupère son téléphone portable. Puis alors qu’il repart, la brune fait une remarque sur les jeunes d’aujourd’hui. « Oui, c’est vrai… C’était pas plus mal qu’avant on ait eu beaucoup moins d’appareils de ce genre. Même moi, je me rends compte que je perds parfois un temps fou à scroller bêtement sur un écran pour rien de bien intéressant, en fin de compte. » Il hausse légèrement les épaules tout en se penchant pour vérifier la cuisson de la tarte enfournée. Puis il se redresse pour répondre à la question d’Ava. « Non, pas d’enfants… Ou du moins, pas encore. On va dire que c’est en projet » précise-t-il en riant, même si le sujet est parfois épineux chez lui. « Ma femme en veut depuis longtemps, c’est plus moi qui suis un peu plus craintif » ajoute-t-il en souriant, parce que le mot lui paraît à la fois approprié et étrange. « C’est pas trop dur pour toi, de l’élever toute seule ? » se risque-t-il à demander, surpris que les circonstances de leur rencontre les aient déjà amenés à discuter de sujets plutôt personnels. Tout en parlant, il sort la recette du dernier dessert qu’ils ont à préparer ensemble ce soir, à savoir un gâteau cookie.

Liam expliqua brièvement son parcours à Ava. Il avait commencé une formation classique avant de se diversifier dans la cuisine étrangère à travers des stages mais il n’avait jamais suivi de spécialisation en pâtisserie. Cependant, il avait rapidement réussi à se perfectionner grâce à ses bases dans le domaine. « On a de la chance de t’avoir aujourd’hui pour superviser tous les desserts. » Même si l’équipe de bénévole accumulait déjà de longues heures en cuisine, tout le monde s’affairait dans une bonne ambiance. Pour Ava, ça lui permettait aussi de déconnecter de son travail et de se changer les idées. De son côté, Liam avait l’habitude et il s’étonnait de la motivation des gens. Quand le pâtissier compara le travail tous ensemble à celui d’une fourmilière, Ava éclata de rire. « J’sais pas, j’avais jamais entendu ça. » Toutefois, Liam n’était pas si loin de la vérité. Tout le monde s’entraidait dans un même but, telles des fourmis ouvrières. Soudain, son fils les rejoignit pour demander après son téléphone. La lieutenante de police lui présenta d’abord Liam avant de répondre à sa question. « Bien ! On a presque fini. » Pressé, Lucas ne tarda pas à retourner voir ses amis dans la salle à manger après quelques mots échangés avec l’ami de sa mère. Ava glissa un commentaire sur l’hyper-connectivité des jeunes, raison pour laquelle elle limitait encore l’utilisation de son fils, lui donnant principalement son téléphone quand il était à l’école pour pouvoir la joindre à tout moment. Liam aussi se rendait compte des changements, que ce soit au niveau de la jeune génération et de la sienne aussi. « Oui, on perd un temps fou sur les smartphones et parfois on perd de vue l’essentiel. » Les employeurs forçaient leurs employés à utiliser de plus en plus les technologies aussi, à se moderniser. Liam jeta un œil à la cuisson de la tarte puis l’informa qu’il n’avait pas encore d’enfants. Sa femme était prête, lui pas encore. « Craintif par rapport à la responsabilité que ça représente ? » Demanda-t-elle. « Tu as tout le temps de voir. » Peut-être que Liam aurait envie plus tard et si pas, avoir un enfant n’était pas une obligation. Il fallait sentir le bon moment. Pour Ava, Lucas était son plus grand bonheur.

Le jeune homme lui demanda ensuite si élever son fils toute seule n’était pas trop difficile. Le sujet était encore sensible et frais pour elle. Son mari n’avait disparu que depuis un an. Néanmoins, brune y répondit honnêtement. « D’un point de vue organisationnel, ce n’est pas facile non. Mais j’ai pu m’arranger avec mon responsable pour ne pas faire trop souvent des horaires décalés, il est compréhensif. Ma famille de Nouvelle-Zélande m’aide aussi. » Elle avait retrouvé son cousin Asher ici, qui l’avait temporairement accueillie chez lui jusqu’à ce qu’elle trouve une maison, et les parents de son cousin l’aidaient aussi quand il fallait aller chercher son fils à l’école et qu’elle n’avait pas réussi à se libérer. « Le plus dur, c’est le manque. Il y a un vide difficile à combler. J’essaie d’être forte pour lui. Lucas a passé une année perturbée et il ne s’en est toujours pas remis. Le déménagement nous a fait du bien mais n’a pas tout atténué. » Son fils faisait ressortir son caractère à l’école, répondait aux profs, se rebellait. C’était une mauvaise période liée à la tristesse. Il essayait de se trouver et de se construire sans son père. C’était pour cette raison qu’Ava essayait de ne pas trop jouer la mère autoritaire et qu’en même temps, elle ne lâchait pas la bride non plus. « Il est courageux et je suis fière de lui. On y arrivera. » Peu après le décès de son mari, Ava s’était investie dans le travail, se renfermant sur elle-même et elle avait commis une grave faute professionnelle qui l’avait conduite à une suspension temporaire. Si elle s’était ressaisie, c’était bien grâce à son fils. Depuis qu’ils étaient arrivés à Island Bay, la brune voyait l’avenir différemment, de façon plus positive. Oui, tout allait bien se passer maintenant. « Comme toutes les familles pour lesquelles cette association existe. » Quand on voyait ce qui se passait dans certaines familles, elle n’était pas ici pour se plaindre et elle ne le faisait certainement pas. Adressant un grand sourire à Liam, Ava se reconcentra sur l’objectif du jour. Ils terminèrent la cuisson de la tarte au kiwi et commencèrent à préparer les ingrédients pour le dernier – et pas des moins alléchants – dessert.


« C’est ça. Je compte plus le nombre de fois où ma femme m’a fait la tête parce que je suis sur mon téléphone alors qu’elle est juste là, à côté de moi. » Dans le fond, Liam ne peut pas tellement blâmer les adolescents, parce qu’il n’est pas mieux. La seule différence, c’est qu’il dispose de moins de temps pour en perdre sur les réseaux sociaux. Entre le travail, les tâches ménagères et l’investissement que représente la vie de couple et le mariage, l’emploi du temps est vite rempli. Mais quand ils évoquent le sujet bébé, ce n’est pas tant à ça que Liam pense. En fait, Ava a bien deviné ce qu’il en est. « Exactement… De ne pas savoir faire, de mal de m’y prendre, plein de choses de ce genre. » Ce sont peut-être des choses tout à fait naturelles, mais plus fortes chez certaines personnes que d’autres. Et quand la brune lui dit qu’il a le temps, il se contente de hocher la tête en signe d’assentiment. C’est vrai, il le sait. Mais Lily, elle, ressent ce besoin bien plus que lui et il n’a pas envie de la faire attendre indéfiniment. C’est sûr, lui aussi en a envie, mais si on devait attendre qu’il soit totalement prêt, ce moment n’arriverait sans doute jamais. « Et toi, tu es devenue maman à quel âge ? » Il ne la connaît pas depuis longtemps et il ne la connaît pas bien. Mais il sait qu’elle a perdu son mari et qu’elle a emménagé à Island Bay ensuite. « Je suis content que ton responsable soit compréhensif et que tu aies de la famille ici pour t’aider. » Il sait à quel point c’est important d’être entouré en période de deuil. Il se souvient que parmi les pires moments sont ceux avec lesquels on se retrouve seul avec ses pensées, ses souvenirs et ses regrets. « J’ose même pas imaginer ce que c’est de perdre sa moitié, ou son papa à un si jeune âge. » Lui-même a perdu son frère à l’âge adulte et il aura toujours cette peine au fond de son coeur, mais il se doute bien que ce n’est pas tout à fait pareil. Il a pu compter sur son papa en grandissant. Et aujourd’hui, il n’arrive pas à imaginer sa vie s’il perdait Lily. « Vous êtes courageux tous les deux. Tu peux être fière de toi aussi, Ava. » Le sujet abordé était sensible et en même temps, ils n’avaient pas le loisir de s’apitoyer là-dessus et c’est peut-être ce qui rendait la conversation moins difficile. Ils discutaient mais ils devaient aussi s’activer, pour l’association, pour la bonne cause, pour eux. « Le gâteau cookie est super simple à faire, tu verras. Et en même temps, il a un succès fou à chaque fois. Je vais m’occuper du mélange liquide et toi du mélange sec, ensuite on assemblera le tout. » Il lui donne les quantités de farine et de levure, sans oublier la pincée de sel, à mélanger ensemble. De son côté, il s’occupe de la margarine et du sucre. Ce sont des étapes rapides. « On rajoute le mélange de farine au reste… Puis les pépites de chocolat. J’ai déjà mesuré la quantité, tu peux t’en occuper, s’il te plaît ? Je vais vérifier notre tarte. » Pendant qu’Ava termine la préparation du gâteau cookie, le pâtissier sort la tarte du four et baisse un peu la température. Enfin, ils versent l’appareil à gâteau dans le moule approprié. « Et voilà ! Notre dernier dessert est au four. Tu te sens pas un peu comme dans Top Chef ? »

Visiblement, Liam aussi était contaminé par le virus des téléphones, au détriment parfois de sa femme. Les jeunes paraissaient plus hyperconnectés que les adultes parce qu’ils avaient plus de temps et moins de responsabilités mais la génération au-dessus consacrait aussi pas mal de leur temps libre aux réseaux sociaux et autres médias. Ils en avaient juste moins entre la vie active et la vie de famille. D’ailleurs, Ava et Liam parlaient du projet du couple d’avoir des enfants. La femme du pâtissier en désirait un depuis longtemps, alors que le jeune homme avait du mal de se projeter. Il confirma à la brune qu’il redoutait de ne pas savoir s’y prendre. « Je crois que tu partages les craintes de toute personne censée… On ne naît pas parent, on le devient. C’est une phrase bateau que je te sors, mais c’est vrai. Il n’y a pas de mode d’emploi. Chaque famille est différente. Ça ira pour vous aussi, je n’en doute pas. » La jeune femme se retrouvait en Liam, elle avait partagé les mêmes doutes. Lucas n’était pas le fruit d’un accident, il avait été désiré. Mais Ava avait craint de ne pas être une bonne mère, elle qui n’avait pas eu d’exemple en la matière. Elle ne voulait pas répéter les erreurs de ses parents. Elle s’était aussi demandé si avoir deux parents policiers ne comportaient pas un risque pour l’enfant et la réalité lui avait en partie donné raison mais son mari et elle n’allaient pas s’empêcher de former une vie de famille pour ce seul motif. Ils avaient connu de belles années tous ensemble. « L’important, c’est de ne surtout pas faire un enfant juste pour faire plaisir à l’autre, il faut être prêt à deux. Sentir le bon moment. » Peut-être qu’Ava outrepassait légèrement leur conversation amicale mais elle préférait l’avertir. Parfois, il arrivait pour l’un des deux partenaires de faire un enfant pour calmer les tensions avec l’autre ou lui faire plaisir, et au final, ça créait d’autres problèmes dans un couple. Dans d’autres cas, l’un des deux ne souhaitait pas d’enfant du tout, d’où l’importance de bien communiquer assez tôt dans une relation sérieuse afin qu’aucun des deux amoureux ne soit pris de court. « A 24 ans. J’étais déjà avec Kayden depuis plusieurs années et on a voulu agrandir la famille. » Le couple avait ensuite essayé d’avoir un deuxième enfant quelques années plus tard mais avec le stress et la pression du travail, les horaires décalés, ils avaient repoussé le projet, puis celui-ci ne s’était pas représenté. Eduquer un enfant prenait déjà du temps. Aujourd’hui, Ava devait tout gérer de front. Déposer et aller rechercher son fils à l’école, l’emmener aux rendez-vous médicaux ou aux entrainements de basket, aller aux matchs, aux réunions de parents, le déposer chez des copains… C’était toute une organisation. Heureusement, la brune pouvait compter sur des proches en Nouvelle-Zélande et sur un chef compréhensif. Liam compatissait et n’osait pas imaginer ce que ça faisait de perdre sa moitié ou son parent, affirmant à Ava qu’elle aussi était courageuse. « C’est gentil, merci. » Ça faisait du bien à la jeune femme d’en parler dans un contexte pas trop lourd. En effet, si Liam et elle étaient présents aujourd’hui, c’était pour toutes ces familles qui comme la sienne avaient perdus un proche dans l’exercice de ses fonctions et qui étaient dans des conditions parfois bien plus précaires. Ils se concentrèrent donc sur la suite du programme : un gâteau cookie. « Tu m’étonnes qu’il a un succès fou. Rien que le nom donne déjà envie de le manger. » Liam donna de nouvelles instructions à la lieutenante qui les suivit à la lettre. Il lui proposa ensuite de s’occuper du mélange de farine et des pépites de chocolat pendant qu’il vérifiait la tarte aux kiwis. « Hanlala. Elle est belle et en plus elle sent bon ! » Liam finalisa ensuite la dernière étape du gâteau cookie avant de le glisser dans le four. « On a fini dans les temps. Super travail d’équipe ! » Lança Ava en riant. Il ne restait plus qu’à attendre la cuisson de dernier dessert et commencer à ranger un peu le plan de travail. Les autres binômes s’affairaient aussi sur leurs dernières étapes. « Si un peu. Tu ris, mais je regarde parfois ces émissions, j’y ai appris plein de petites astuces. Je trouve qu’elles mettent en lumière le métier de cuisinier. » Ava débarrassa les ustensiles sur la table devant elle et commença à les laver.



« Oui, j’imagine qu’on apprend toujours plus ou moins sur le tas. En tout cas, c’est ce que m’ont dit beaucoup de parents. » Liam pense notamment à Trey, qui n’a pas vraiment eu le loisir de se préparer psychologiquement. Il a été mis un peu devant le fait accompli et, pourtant, il assure dans son rôle. Il assure même dans plusieurs rôles en quelque sorte, puisqu’il doit désormais élever son fils seul et Liam le trouve admirable. C’est aussi ce qu’il ressent vis-à-vis d’Ava. Il se sentirait totalement incapable de s’occuper seul d’un enfant, même si sa famille l’entourait, même s’il n’avait pas vraiment le choix. C’est pour ça qu’il n’hésite pas à leur dire haut et fort à quel point il les trouve courageux et dévoués. Bien entendu, le sujet est un peu sensible alors ils ne s’attardent pas spécialement là-dessus. Mais au moins, le jeune homme a réussi à lui dire ce qu’il en pensait. Et assurément, ce moment partagé pour la bonne cause le rapproche d’Ava. Non seulement ils ont travaillé ensemble pendant plusieurs heures d’affilée, mais ils ont aussi évoqué des sujets plus personnels, ce qui peut leur faire du bien à tous les deux. C’est son cas à lui, en tout cas. Il a aussi pu exprimer sa reconnaissance, pas seulement en paroles, mais au moins il a pu faire quelque chose pour le montrer un minimum.

Maintenant que leur collaboration touche à sa fin, le pâtissier ressent beaucoup de satisfaction, celle du travail bien fait. « Je suis d’accord, on a bien bossé ensemble. » Il lui tend une main pour qu’elle la tape et, l’instant d’après, ils sont tous les deux en train de regarder la tarte au kiwi. « Tu penses qu’il y a des chances qu’on puisse en grignoter un bout ? » plaisante-t-il, avant de continuer sur la lancée du rangement. Leur boulot n’est pas tout à fait terminé, ils doivent encore ranger, nettoyer, puis attendre que le gâteau cookie soit cuit. Alors, ils s’y sont mis tous les deux, Ava à la plonge et Liam au rangement des ingrédients et au nettoyage du plan de travail. « Je ris, mais je regarde aussi les émissions culinaires parfois. Plus pour la compétition, je sais pas pourquoi, ça doit me rappeler la concurrence pendant les stages ou un truc dans le genre. » Tout en s’activant, ils continuent à échanger avec légèreté. « En tout cas, si tu peux refaire le gâteau cookie à la maison avec ton fils, n’hésite pas. S’il veut bien mettre la main à la pâte, non seulement vous passerez un peu de temps de qualité ensemble, mais en plus vous aurez un truc aussi facile à faire que bon comme résultat. » Une fois la vaisselle et le plan de travail propres, Liam se penche vers le four qu’il éteint. « Ça va cuire encore une ou deux minutes, il faut que ça reste fondant et que le dessus soit croustillant. » Il jette un coup d’oeil autour d’eux, pour voir où en sont les autres binômes. Effectivement, ils ont l’air d’être dans les temps. « Après ça, notre contribution en cuisine sera officiellement terminée. En tout cas, ça m’a fait plaisir de passer ce moment avec toi. »

Lorsque Liam sortit la tarte aux kiwis du four, il confia sur le ton de la plaisanterie qu’il aimerait bien la goûter. C’est vrai qu’elle donnait envie avec sa belle dorure. « Tu peux mais essaie de ne pas te faire attraper. » Répondit Ava en riant. L’ambiance était bon enfant alors personne ne lui dirait rien s’il chipait un morceau d’un dessert après une journée de dur labeur mais c’était quand même mieux d’en refaire une rien que pour eux avec les produits restants et de ne pas toucher aux desserts destinés pour le repas. De toute façon, Liam l’avait dit sur le ton de l’humour. Ils mirent ensuite cuire le gâteau cookie et commencèrent à ranger tout en délirant sur les émissions de cuisine du style Top Chef. « N’empêche, tu as dû faire plein de belles rencontres. Avec des grands chefs et des personnes de tout horizon. » Il lui avait déjà évoqué son grand voyage en Europe alors elle devinait qu’il était doué dans des cuisines diverses et variées. Liam l’encouragea ensuite à refaire le gâteau cookie chez elle avec son fils pour passer du temps de qualité ensemble en plus de manger un truc bon. « Oui, il n’est pas contraire pour ça. Parfois, il m’aide quand je rentre tard. Alors si en plus, c’est pour un bon gâteau, il ne se fera pas prier. » Lucas avait pris conscience que sa mère devait gérer beaucoup toute seule et donc il lui arrivait de prendre des initiatives. Cuisiner ensemble à l’occasion faisait partie des moments qu’ils partageaient entre mère et fils à présent. Liam surveilla la cuisson du dernier gâteau et géra l’ultime minute au four. « Ce sera très bon. Je pense que les jeunes ont fini de préparer la salle aussi. Tout est prêt pour ce soir. Il n’y aura plus « qu’à » comme on dit. On va tous prendre une pause et se changer avant de revenir plus tard. » Les fonds récoltés grâce à ce grand dîner servirait directement à l’association. Une centaine de personne étaient attendues. La soirée s’annonçait prometteuse. « Ça m’a fait plaisir de passer ce moment avec toi aussi. Merci encore ! » En plus d’apprendre de nouvelles astuces en cuisine, Ava avait trouvé la compagnie agréable et avait appris à mieux connaitre Liam. « Si tu veux passer avec ta femme tout à l’heure, vous êtes les bienvenus. » Ils se saluèrent et se promirent de se tenir au courant pour le soir-même ou lors d’une prochaine occasion.

Sujet terminé  

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