A to the B - Bailey

Le silence règne dans la maison, ce qui a encore quelque chose d’inhabituel en soi. Décidément, Bailey ne s’habitue toujours pas à ce que ses enfants soient parfois loin d’elle. Si dans les premières heures elle est contente d’avoir un peu de temps pour elle (et malheureusement, ça ne veut pas toujours dire se détendre dans un bain moussant, mais aussi pouvoir effectuer correctement les tâches ménagères), un sentiment de manque s’installe rapidement. Mais comme toujours, elle se dit qu’elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même. C’est elle qui a fait voler leur vie de famille en éclat. C’est elle qui a voulu que les choses changent, même si au fond c’était déjà le cas et que sa décision n’a fait que rendre les choses plus officielles. Et parfois, elle est rongée par le remords et les regrets. Mais ces derniers ont toujours quelque chose à voir avec ses enfants. Elle ne pense pas tellement à son mariage clairement raté, parce que même si ça lui procure un sentiment d’échec, c’est au fond un soulagement de pouvoir retrouver une forme de célibat. C’était de plus en plus difficile de donner le change, en fait. Parce que oui, elle en était arrivée là. James non plus ne s’était pas beaucoup foulé, du moins à ses yeux et, même s’il a montré sa tristesse, elle n’était pas sûre qu’il ait été vraiment surpris. Depuis, leur relation se réduisait à des discussions basiques concernant les enfants, qu’il s’agisse de régler les détails pratiques ou de parler d’un souci rencontré par l’un des deux petits. Et l’absence de James ne lui pèse pas vraiment, même si ça lui a fait tout drôle de dormir à nouveau seule dans un grand lit. En revanche, l’absence momentanée de ses enfants, c’est une autre histoire.

Mais aujourd’hui, la rousse n’aura peut-être pas le loisir de se morfondre à cette pensée. Car après avoir nettoyé la maison de fond en comble (on ne l’appelle pas Monica pour rien), elle a préparé sa semaine à venir puis s’est attelée à la correction d’un paquet de copies. Les sourcils parfois froncés, elle rature ou elle met des pouces en l’air. Concentrée, elle n’entend pas les coups frappés contre la porte d’entrée et la voix de sa soeur aînée la fait sursauter. « Heureusement qu’on est censées être encore trop jeunes pour les crises cardiaques. » Elle se lève pour serrer brièvement Alexie dans ses bras. « Tu tombes bien, j’avais besoin d’une pause. Il m’arrive encore de me demander pourquoi j’ai choisi ce métier. » Elle se passe une main dans les cheveux, avant de s’arrêter net suite à la remarque de la brune. « Bah merci. Dis tout de suite que je suis moche. » Elle lève les yeux au ciel, avant de ranger son bureau. Puis elle conduit sa soeur dans la cuisine. « Qu’est-ce que je te sers à boire ? J’ai acheté des pâtisseries hier, alors autant y aller à fond. » Elle dresse rapidement la table tout en écoutant sa soeur évoquer leur benjamine. « Mauvaise nouvelle, alors. Je peux comprendre, c’est pas forcément évident… Mais ce sera un crève-coeur pour maman. » Bailey a toujours été la plus diplomates des quatre, tentant de favoriser l’entente entre tout le monde. « Mais je te promets d’essayer d’être forte. » Elle s’assoit à son tour, prête à faire le plein de sucre. Elle prétend en avoir besoin pour recharger les batteries de son cerveau, même si elle a une pensée coupable quand elle pense à son sport avec Trey. « Les enfants sont partis avec leur papa passer la journée au bord de la mer. Ils vont en profiter toute la belle saison. James voulait les emmener au zoo, mais ils n’ont pas envie d’y aller quand tu ne travaille pas, c’est pas trop mignon ? »

« J’en doute pas… Je dois commencer à devenir dure d’oreille. » Si Bailey n’a pas fini la correction de ses copies, elle n’est néanmoins pas mécontente de prendre une pause. « Non, c’était bien aujourd’hui. Mais j’ai pas vu le temps passer… Et j’étais sur une copie particulièrement médiocre, je sais pas s’il faut en rire ou en pleurer. » Elle met rapidement de l’ordre sur son bureau. Parce que même si elle y reviendra tout à l’heure pour finir le travail, elle ne supporte pas que ce soit mal rangé. Avec un enfant en bas âge, c’est beaucoup de boulot, mais il paraît que chaque humain a ses petites obsessions. « J’adorerais que tu m’aides à corriger, crois-moi… Je pensais pas que t’avais gardé des souvenirs aussi précis de tes cours de physique de Terminale » lance-t-elle en riant. La rousse aime taquiner son aînée, mais celle-ci le lui rend bien. D’ailleurs, sa remarque à propos de son physique n’était peut-être même pas vraiment pour l’embêter. « Donc, je suis moche, mais j’ai de beaux cheveux. Ça me fait une belle jambe ! » Elle roule les yeux vers le ciel pour prétendre qu’elle est vexée, mais elle sait que ça ne partait pas d’une mauvaise intention. Et puis Alexie n’a peut-être pas tort. Si elle dit que Bailey a une sale mine, c’est que ça doit être le cas. Des cernes ? De nouvelles rides d’inquiétude ? La trentenaire n’en sait trop rien et elle n’a même pas la force d’y penser. Elle se contente de conduire sa soeur dans la cuisine où elles pourront manger un morceau. « Lulu et ses pâtisseries finiront vraiment par gagner la bataille sur mes hanches. » Elle ouvre le réfrigérateur pour apporter à table tout ce dont elles ont besoin. « Bien sûr que j’ai du jus de fruits. Dans une maison avec Kayla et Ethan, c’est un indispensable, crois-moi. Il y a orange et ananas, je sors les deux. »

Une fois installée, la rousse prend une cuillère pour se délecter d’un mille-feuilles. Cette pause goûter est décidément plus que la bienvenue. « Je préfère pas me prononcer sur leur tante préférée, au cas où nos petites soeurs auraient installé des micros à mon insu dans cette cuisine » plaisante-t-elle. « Mais c’est sûr que t’es super avec eux. Ils sont toujours excités quand ils savent qu’ils vont passer du temps avec toi, ça en deviendrait presque vexant pour les parents que nous sommes. » La seule chose qui rend Bailey un peu mal à l’aise, c’est que la brune n’est pas au courant de leur situation conjugale. Ça rend parfois la conversation un peu délicate. « Tu vas faire des heureux le week-end prochain. Mais ce sera seulement James qui les y accompagnera. On a… Euh… Une organisation différente, maintenant. » Autrement dit, James s’en occupe le week-end et elle la semaine, même s’il leur arrive de faire des exceptions. Mais la prof n’a pas très envie d’embêter sa soeur avec ses problèmes, même si cette dernière est sans doute la personne la plus bienveillante au monde - la preuve supplémentaire avec une idée géniale de cadeau pour leur maman. « J’arrive pas à croire que j’y ai pas pensé ! Bien sûr, ce serait vraiment super pour elle. Pour les deux, d’ailleurs. Tu penses que Cassie participera aussi ou ce sera juste toi et moi ? » Tout en parlant, Bailey fait le plein de sucre. Si elle est loin d’être riche, elle aime faire plaisir à sa famille et les fêtes font clairement partie de ses moments préférées de l’année, même si elle les redoute un peu cette fois-ci. « Ce serait tellement bien, n’empêche, si on pouvait partir aussi. » Elle sort son téléphone portable et ouvre l’application Notes. « Bon, je suis pas encore tout à fait au point sur les cadeaux, j’avoue. Mais il faut que ce soit prêt  et littéralement emballé avant la moitié du mois au maximum. Qu’est-ce que tu offres à papa ? Je suis sûre qu’il serait le plus heureux du monde avec de nouveaux outils pour la ferme. »

« Si je fais du surf une fois par semaine, tu penses que ça suffira à compenser mes excès à moi aussi ? » demande Bailey d’un ton rêveur. Pourtant, il n’y en a pas tant que ça. La rousse est assez attachée à l’alimentation saine et c’est d’autant plus vrai depuis qu’elle a des enfants. Mais il faut savoir se faire plaisir de temps à autre et d’ailleurs, Bailey ne doute pas que dès qu’elle a le dos tourné, Alexie offre à ses enfants des choses bien grasses et sucrées. « Tu leur dis oui aussi à des glaces juste avant le dîner même si j’ai interdit le sucre après 17h, c’est ça ? » demande-t-elle un prenant un air suspicieux - alors qu’en réalité, ça fait des années qu’elle n’est pas dupe. « Enfin, quel que soit le nombre de consignes que je peux donner et auxquelles tu te soustrais allègrement, je comprends qu’ils te trouvent tellement plus cool que moi. Je suis sûre que bientôt, Kayla me claquera la porte de sa chambre au nez alors qu’à toi, elle te racontera toutes ses histoires de coeur. » Mais elle a beau faire semblant de râler, elle est heureuse que ses enfants aiment autant leurs tantes. Et quand elle pense au chagrin de son aînée en apprenant qu’elle ne pourrait pas avoir d’enfants, Bailey espère que ça lui apporte un peu de réconfort quand elle peut prendre soin des siens même si ce ne sera jamais la même chose. Alexie déborde d’amour et ils ont beaucoup de chance de l’avoir dans leur vie.

Et en parlant d’amour familial, si les deux frangines sont réunies c’est justement pour discuter cadeaux de Noël. « D’accord, je peux lui en parler si tu veux, comme ça on aura le temps de s’organiser à l’avance. » Bailey note ça dans l’application correspondante avant de relever la tête. « Une machine à coudre pour maman de la part de papa, c’est parfait. En tout cas, je le reconnais bien là. Chaque année, c’est maman qui choisit les cadeaux des enfants parce qu’il a trop peur de se tromper, comme il dit. » Tout en parlant, elle continue à consulter ses notes. « Dani est heureuse à chaque fois qu’on lui offre un coupon-cadeau d’une grande enseigne américaine, alors… Il me manque plus qu’à choisir laquelle. » Ce n’est pas très personnel à ses yeux, mais en plus d’être physiquement éloignée, leur benjamine a des goûts bien précis. Au moins, elle n’aura pas besoin d’échanger le cadeau s’il ne lui plaît pas, puisqu’elle le choisira elle-même. « Et la dernière fois, Cassie m’a parlé d’une machine qui fait presque des miracles dans la cuisine. Je pensais pas lui offrir le l’électro-ménager un jour, mais elle avait l’air d’en avoir bien envie. » La rousse pioche à nouveau un peu de gâteau. Elle dit que ça l’aide à se concentrer. « Oui, ce serait parfait si on achetait la caisse à outils toutes les deux. Ce serait bien qu’on aille faire les courses ensemble, je n’ai pas cours le mercredi ni le samedi, donc tu me diras quel jour tu ne travailles pas. »

En deux clics, Bailey a envoyé à Alex une note. « Voilà la liste des enfants. Ce qui est coché, c’est ce que James et moi avons déjà prévu d’acheter. Et oui, celle de Kayla est courte parce que, comme tu l’auras vu, elle réclame un iPad. » Bailey n’est pas franchement pour les écrans pour les enfants, mais vu la situation familiale, elle se voyait mal refuser ça à sa fille. Et puis elle se dit qu’elle pourra en réglementer l’utilisation, notamment en gardant l’appareil avec elle la nuit. « Elle a fait une lettre au Père Noël avec son petit frère, c’est trop mignon. Je suis pas sûre qu’Ethan ait tout compris, mais visiblement il avait déjà une idée bien précise de ce qu’il voulait. » Des jouets de pacotille pour la plupart, une liste plus longue mais moins onéreuse que celle de son aînée. Mais encore une fois, quelque part, Bailey a presque envie de compenser ce qui se passe à la maison avec des cadeaux. Ça ne sera jamais le cas, bien sûr, rien ne peut remplacer deux parents qui s’aiment. Mais c’est quand même un désir assez naturel de vouloir les gâter un peu plus. « Euh… Je sais pas encore. » C’est la partie délicate, celle qui va sûrement poser problème, à savoir l’organisation des fêtes. Mais la brune ne risque pas de comprendre parce qu’elle n’est tout simplement pas au courant de la situation. « Alex, j’ai quelque chose à te dire… Reste bien assise, s’il te plaît. » Parce que oui, c’est le genre de nouvelle qui risque de causer un choc chez les Holt et c’est bien compréhensible. « James et moi, on… On n’est plus ensemble. Ça fait un petit moment déjà qu’on est séparés. Il est parti vivre ailleurs et c’était ce que je voulais. » Et elle lui a remis les papiers du divorce, mais ça fait peut-être beaucoup comme aveux, non ? « Il ne m’a pas trompée, il ne m’a pas tapée, il ne s’est rien passé de dramatique… C’est juste… C’est un peu compliqué, je voudrais pas avoir l’air de me trouver des excuses. Mais… Je suis désolée de te dire ça comme ça. Je voulais déjà t’en parler, sauf que… » C’est délicat. C’est difficile à dire. « Si tu as des reproches à faire, je suis prête à encaisser aussi. Enfin, je crois. »


« Je t’ai pas dit ? J’ai repris un peu le sport. Je dis un peu, parce que c’est pas aussi fréquent que ça devrait sûrement l’être. » Juste au moment où elle prononce ces mots, Bailey se rend compte qu’elle aurait mieux fait de garder la bouche fermée. Car si elle refait un peu de sport, c’est en compagnie de Trey, hors elle se voit mal avouer sans détours à son aînée qu’elle revoit son meilleur ami de lycée. Bientôt, elle en arriverait à expliquer qu’elle a aussi dormi deux nuits dans le lit de Trey sans qu’il se passe quoi que ce soit entre eux (enfin, hormis un baiser) et ça, c’est hors de question. Il faudrait commencer par le début et la rousse a peur de se lancer. Pourtant, il va falloir qu’elle le fasse avant les fêtes, c’est une certitude. Elle se voit mal débarquer lors du réveillon chez ses parents en annonçant que James a une grippe carabinée alors qu’elle apprend à ses enfants que le mensonge c’est mal.

Alors pour l’instant, Bailey se plonge avec Alex dans une ambiance plus joyeuse, celle des cadeaux. Enfin, la course n’est pas toujours agréable, mais c’est précisément pour ça qu’elle prêche (enfin, soûle ses soeurs plutôt) depuis des années que la clé de la réussite, c’est une bonne organisation. « C’est vrai, je suis impressionnée ! » Elle se rend alors compte que ses propos pourraient être mal interprétés, alors elle essaye de se reprendre. « Enfin, non que ce soit vraiment étonnant, mais tu comprends, si tu as commencé tes achats avant moi, alors nos frangines ne manqueraient pas de le noter dans les annales familiales. » Parce qu’entre elles, aucune ne manque une occasion pour embêter l’autre. « Oui, ça passe trop vite. Quand elle se trouvera trop grande pour ça, tu pourras toujours jouer avec Ethan… » Voir ses enfants pousser aussi rapidement est parfois un crève-coeur.

Mais ce qui préoccupe encore plus la maman à l’instant précis, c’est qu’elle comprend que l’heure de vérité a sonné. Elle observe sa soeur se figer, puis se décomposer à l'annonce de la nouvelle. Elle en a peut-être trop dit d’un coup, parce que la soigneuse a visiblement du mal à assimiler. Ou alors, le fait en lui-même est vraiment trop inattendu, ce qui n’aurait rien d’étonnant. James et Bailey ont su donner le change pendant longtemps. « Euh… Oui, on est séparés. » Presque aussitôt, la rousse a envie de s’éloigner un peu de sa soeur qui lui donne l’impression d’être une cocotte-minute. Elle aurait peut-être dû lui en parler autrement, mais est-ce qu’il y a vraiment une bonne manière d’annoncer les choses ? « Sauf que… J’ai peur de vous décevoir. Sauf que c’est difficile pour moi d’avouer mon échec et que chez les Holt, quand on se marie, c’est pour la vie. » C’est le cas en général, bien sûr. Mais certains prennent leurs voeux plus à la légère que d’autres et c’est précisément ce que leurs parents ont appris aux filles à ne pas faire. Eux, ils sont toujours ensemble, contre vents et marées. « Non, je pense pas que tu me juges, je sais bien que t’es pas comme ça… Mais s’il y a une bagnole sur laquelle tu devrais jeter des oeufs, c’est peut-être la mienne. C’est moi qui ai demandé à James de s’en aller et s’il m’a laissé la maison pour l’instant, c’est seulement parce que c’est mieux pour les enfants. Il ne veut pas signer les papiers du divorce. » Elle adresse un sourire faible à la brune. Elle sait qu’au fond, elle ne pourra pas passer à côté de la partie explications. « On a commencé à s’éloigner peu après la naissance d’Ethan… Ou peut-être un peu avant. La fin de ma grossesse n’a pas été facile, tu dois t’en souvenir. Ça a peut-être mis notre couple un peu à l’épreuve, comme tant d’autres avant et après nous. Je sais pas exactement ce qui s’est passé… Mais on a commencé à s’éloigner. Physiquement, émotionnellement. Peut-être que je l’ai un peu délaissé avec l’arrivée d’un nouveau-né, c’est une erreur que les mamans commettent souvent. Il me paraissait plus distant, plus froid, peut-être par ma faute. On a essayé, je t’assure. On a parlé. On a même consulté quelqu’un. Je peux pas te dire si j’ai fait tout ce qu’il fallait, parce que j’en sais rien et j’en saurais peut-être jamais rien. Mais… Ça fait plus de deux ans qu’on se bat pour sauver notre mariage qui bat de l’aile… Je suis fatiguée et j’ai perdu espoir. Je sais, c’est nul, tu dois penser que je me trouve des excuses alors que je lui ai dit oui pour la vie. Mais… Je crois qu’il avait renoncé, lui aussi, ces derniers mois, il sortait plus souvent, il me laissait tout gérer à la maison. Et moi non plus j’y arrivais plus… Je pense que c’est plus de ma faute que de la sienne si on en est là, je n'ai pas dû en faire suffisamment. Mais c’était trop, même pour moi. » En-dehors de son état d’épuisement, elle ne se retrouvait plus, cantonnée à ces rôles - et il ne l’aidait pas du tout. Depuis qu’elle a retrouvé Trey notamment, elle se sent un peu revivre en tant que femme, mais ça, c’est une autre histoire. « Je suis désolée, Alex. Et… J’aurai toujours besoin des câlins de ma grande soeur, même si… Même si je pense pas les mériter. »

Rieuse, Bailey lève à son tour son verre pour porter le toast à son aînée. « Et en parlant de toi, est-ce que Gus fêtera Noël avec nous ou pas ? Il faut que je sache, histoire de prévoir quelque chose s’il t’accompagne. » Pour le coup, Bailey n’en a aucune idée. Après tout, l’amitié de Gus avec Alex n’a évolué que récemment et elle ne sait pas s’ils en sont au stade déjà au de faire des compromis pour les fêtes ou encore à celui de le passer chacun dans sa famille. Mais comme d’habitude, la rousse a besoin d’un certain contrôle et elle détesterait n’avoir aucun cadeau pour un invité (surprise ou pas), d’où la question qu’elle pose à sa soeur. Et en même temps, elle voudrait prendre un peu des nouvelles d’eux, espérant que tout se passe pour le mieux. Parce que le moins qu’on puisse dire de son côté, c’est que ce n’est pas fameux. Et c’est aussi le moment d’en parler, au moins avant le réveillon, au moins avant de l’annoncer à leurs parents abasourdis. Alors Bailey se lance… Mais elle est hésitante, elle se perd en explications, elle essaye d’éclaircir les choses sans avoir trop l’air de se trouver des excuses. Elle ne sait pas si elle arrive à se faire comprendre, parce qu’au final il n’y a peut-être pas grand-chose à comprendre. Quoi qu’il en soit, la brune ne réagit pas vite. Pendant un moment, elle reste immobile, les sourcils froncés, comme si elle essayait d’assimiler ce flot d’informations délivré par une Bailey un peu anxieuse.

Et finalement, Alexie se lève pour lui faire un câlin. Soulagée, apaisée, la mère de famille se laisse aller contre sa soeur, profitant du répit que représente cette étreinte. Et elle trouve que quelque part, ses paroles sont pleines de sagesse, même si Bailey aurait préféré que son mariage se termine autrement. « C’est sûr que dans un couple, les torts sont souvent partagés… » Mais elle pense quand même que la plus grande partie lui revient. Pourtant, son sentiment de culpabilité n’est pas assez fort pour la pousser à demander à James de revenir à la maison. « En tout cas, je lui serai toujours reconnaissante. Il a ses défauts, comme moi, mais il m’a offert de belles années et, surtout, les deux plus beaux cadeaux de ma vie. » Sans lui, elle n’aurait rien eu de tout ça. Et oui, leurs enfants font qu’il y aura toujours un lien entre eux, même s’il n’est pas de nature amoureuse. « C’est juste que… On sera peut-être plus heureux maintenant, en étant séparés, mais c’est quand même dommage. Surtout pour les enfants… Enfin, ils restent la priorité absolue. J’imagine bien qu’on ne peut pas ne pas souffrir de voir ses parents divorcer… Mais on fait de notre mieux pour les épargner, ou quel que soit le mot approprié. »

Avec un faible sourire, Bailey constate qu’Alex a toujours les mêmes réflexes pour la réconforter. C’est quand même dingue, elle a trente-quatre ans, a deux enfants, un mariage à son actif, est professeur dans un lycée - et pourtant, elle a toujours besoin de sa grande soeur. « Merci… C’est gentil de ta part de me dire tout ça… Et surtout d’être un soutien inébranlable. Je sais pas comment je ferais sans toi. » Il y aurait encore plein de choses à confier, comme comment elle s’est perdue au milieu de tous les rôles qu’elle s’étaient attribués, ou encore comment Trey lui fait ressentir des choses qu’elle avait presque oubliées. Mais la rousse estime que, pour l’instant, elle en a dit suffisamment. Ça fait déjà beaucoup de choses à assimiler pour Alex, elle ne voudrait pas la noyer sous des nouvelles assimilables à des bombes. « Peut-être que si tu étais dans la pièce à côté pendant que je parle à papa et maman, je serais rassurée » ajoute-t-elle avec le même air penaud qu’elle prenait quand elle avait douze ans. C’est sûr qu’à l’instant précis, il doit y avoir une ressemblance flagrante avec Kayla. « Je sais, je suis désolée. Je voulais pas… Je voulais pas t’embêter avec mes problèmes. Mais je vais faire des efforts pour communiquer plus, ou mieux en tout cas. » Ça veut aussi dire qu’en temps voulu, elle aura d’autres choses à lui dire. « Le tact mais aussi la loyauté d’un éléphant… Tu sais ce qu’on dit à propos de leur volonté de se protéger mutuellement. »


« J’pensais que la présence de mes enfants, c’était déjà le plus beau cadeau… » Bailey a régulièrement joué cette carte au fil des années pour plaisanter, mais ça la fait toujours autant rire. Elle sait qu’ils ne pourraient pas recevoir plus d’amour qu’au sein de leur famille et, comme ils sont à ce jour les seuls petits-enfants, ils profitent un peu de leur statut privilégié. Et si pendant plus de dix ans, Bailey a été celle qui a eu la vie la plus stable, c’est peut-être sur le point de changer. « Je sais pas trop… Si tu lui proposes et qu’il avait envie de rester auprès des siens, il risquerait de se sentir obligé de te dire oui. » Les fêtes à partager entre les deux familles au sein d’un couple, c’est toujours un peu la galère. Le mieux, c’est probablement de tourner et Bailey avait trouvé un équilibre dans son mariage, mais ce n’est pas forcément facile. « Tu connais le topo, la vie de couple est faite de compromis. » Non qu’elle se considère comme un exemple étant donné la situation dans laquelle elle se trouve, mais elle ne fait qu’énoncer un principe que beaucoup ont compris et essayent tant bien que mal d’appliquer. « Ça me paraît bien, ce que tu dis. Chacun dans sa famille et après, vous faites votre fête à vous deux, c’est sympa aussi ! » Elle n’avait jamais pensé à ça, mais elle félicite l’initiative de sa soeur aînée.

Et si Alexie débute une toute nouvelle ère de sa vie, c’est aussi le cas de Bailey. Seulement, c’est dans le sens inverse… « Oui, Kayla pose beaucoup de questions. Enfin, c’était surtout le cas au début… Il y a quelques semaines de ça. Maintenant, elle a l’air de commencer à s’habituer à la situation, même si bien sûr elle est triste. Ethan, lui, ne comprend pas bien ce qu’il se passe. Je le lui ai expliqué simplement, comme quand il m’a demandé au début quand son papa reviendrait à la maison, mais globalement ça a l’air moins l’air de le déranger que sa soeur. » Encore une fois, la rousse ne sait pas si c’est le mot adapté, mais elle s’efforce simplement de faire à Alex une sorte de résumé de la situation. « James et moi, on s’est mis d’accord sur ce qu’il faut leur dire ou pas. On arrive encore à s’accorder là-dessus, même si… Enfin, même si ce n’est pas le cas sur le reste. Mais tant pis, c’est l’essentiel. » Leurs prises de tête restent fréquentes, mais ils font l’impasse quand il s’agit des enfants et de leur bien-être. « Enfin, pas mal de challenges à surmonter dans le futur, j’imagine… Mais comme tu dis, on va gérer. » Ils ne seront ni les premiers, ni les derniers.

« C’est vrai, tu le feras avec moi ? » Presque surprise, Bailey relève les yeux vers la brune. Bon, en réalité, ce n’est pas tellement étonnant. Alexie est une soeur aînée modèle et, entre elles, les soeurs Holt se sont toujours soutenues. Mais là, Bailey n’aurait même pas osé en demander autant. « C’est vraiment gentil de ta part, merci. » Même si elle n’a pas peur de ses parents, elle appréhende en revanche de lire une quelconque déception dans ses yeux. Avec sa soeur, ce sera plus rassurant. « Oui, je sais bien que tu seras toujours là pour m’écouter et tout… En théorie, en tout cas. En pratique, tu sais comme c’est facile de s’isoler avec ses problèmes parfois… » Pourtant, la mère de famille a une entière confiance en la soigneuse. Seulement, la situation n’était pas seulement compliquée à gérer et à vivre, mais aussi à expliquer tout court. Maintenant qu’elle s’est confiée à au moins une personne de sa famille, Bailey se sent un peu soulagée. Il reste encore du chemin à parcourir, mais elle se sent déjà moins seule. « Et tout le monde adore les éléphants, n’est-ce pas ? » Elle lui adresse un sourire, avant de poser sa main sur la sienne. « Merci, Alex… Pour tout. »


Paradoxalement, alors que le mariage de Bailey s’est cassé la figure, Alexie, elle, est en pleine découverte d’une toute nouvelle histoire d’amour. Enfin, en réalité, pour beaucoup de leurs proches, celle-ci était prévisible à des kilomètres ou, plutôt, depuis des années. Un soupir général de soulagement avait été poussée quand finalement l’aînée de la fratrie leur avait annoncé la bonne nouvelle. Et depuis, Bailey constate avec plaisir que sa soeur semble vraiment s’épanouir. En même temps, on dit souvent qu’une relation amoureuse est encore plus belle et plus forte lorsqu’elle est basée sur l’amitié. Et lorsque cette pensée traverse l’esprit de la rousse, forcément, ça l’amène à Trey. Elle devrait probablement dire à Alex qu’elle l’a croisé par hasard au parc. Elle devrait sûrement encore plus lui dire qu’ils se sont revus à plusieurs reprises depuis, qu’il s’agisse de faire un peu de sport ou de manger ensemble. Mais encore une fois, elle se dit qu’elle va y aller pas à pas. Elle vient à peine d’annoncer à sa soeur qu’elle a signé les papiers de son divorce, si maintenant elle lui apprend qu’elle a retrouvé celui qui a été son meilleur ami pendant une bonne dizaine d’années, un lien qui n’a pas lieu d’être risque vite d’être fait. De toute façon, Bailey est sortie de ses pensées par une vision d’horreur qui vient de s’imposer à elle et, en effet, elle esquisse une grimace. « Je vous adore ensemble et tout, mais par pitié, parle pas de ça… Et encore moins devant les enfants, ils vont demander à voir ça et tout » ajoute-t-elle en riant.

Malgré les taquineries qui seront probablement toujours présentes si elles se retrouvent ensemble en maison de retraite, les soeurs Holt sont solidaires entre elles, prêtes à faire front uni face aux difficultés et autres épreuves. Parfois, c’est peut-être sans limites… « Non merci, ça va aller. Je veux pas que mes enfants roulent dans une voiture rayée, si ça se trouve Kayla va bientôt atteindre l’âge où on a honte pour un oui ou pour un non. » Mais elle rit de bon coeur face à la blague de son aînée, même si elle se demande d’où ça peut bien sortir. « Toujours eu envie, c’est vrai ? Eh bien… Moi non plus, je sais pas pourquoi. Navrée de ne pas pouvoir t’aider à réaliser tes rêves » plaisante-t-elle à nouveau. Bailey préfère en rire qu’en pleurer, même si c’est qu’elle a fait pendant des heures et des heures quand elle s’est rendu compte à quel point elle avait laissé son mariage battre de l’aile. Et si elle ne se sent pas obligée de faire bonne figure face à Alexie parce qu’elles peuvent à peu près tout se dire, elle n’a pour l’heure pas envie de se répandre en lamentations. Elle appréhende déjà suffisamment le moment de dire la vérité à ses parents qui sont plutôt traditionnels - dans le bon sens du terme. Mais là encore, elle ne sera pas seule et ça la rassure. « C’est vrai, je me suis souvent demandé à quoi ça servait, d’avoir trois soeurs… » Et même si elle taquine encore, la rousse est reconnaissante.

« Je suis pas sûre que Kayla soit d’accord, mais… Si tu veux. » Bailey adresse un sourire à Alex. Maintenant qu’elle a parlé de ce qu’elle avait sur le coeur, la mère de famille se sent plus détendue, comme un peu apaisée. Partager des confidences (lourdes qui plus est) avec sa grande soeur lui a toujours fait cet effet, de toute manière. Maintenant, il est temps de passer à autre chose, du moins pour l’instant. « On a fait le tour des cadeaux et des listes, je crois ? » Elle jette un coup d’oeil à la sienne et, effectivement, celle-ci est complète. « Si tu as encore du temps devant toi, ça te dirait qu’on regarde un film comique ensemble ? Rien que toutes les deux, comme avant. Il y a de la crème glacée aussi au congélateur, au cas où il te reste de la place après les pâtisseries de Lulu. » Elle a envie de rigoler un peu avec sa soeur et de passer du temps avec elle sans avoir à penser à l’échec de son mariage.