Tout va pour le mieux dans le meilleur dans le meilleur des mondes ∆ Nina & Jo'

Tout va pour le mieux dans le meilleur dans le meilleur des mondes
Nina & Jo'

Par quoi devrais-je commencer ? Il faut que je joigne sa famille, oh merde, il faut que je joigne son frère jumeau. Une vraie plaie ce gars là… Non peut-être qu’il faut que j’appelle l’entreprise des pompes funèbres avant. Mais laquelle choisir ? Celle qui a la plus belle devanture ? Faut dire que je m’y connais pas trop en macchabée… Y’a des organisateurs d’enterrement comme il y a des organisateurs de mariage ? Ce serait cool ! Mais ça coûterait une blinde… Pis comment j’annonce ça à son père moi ? « Hé Teddy, ton gosse a crevé, tu devrais venir à Wellington. En plus y’a moyen que ce soit un meurtre ». Si je m’y attendais… Intoxication à l’arsenic à première vue. Le médecin légiste, sur place, a dit qu’il fallait une grande quantité de ce poison pour en mourir. Un des flics a ajouté qu’il trouvait ça suspect… SUSPECT ! Mais il n’avait pas d’ennemi, c’était ma petite fraise à la crème chantilly… Peut-être que c’était le facteur, il m’a dit qu’il l’appréciait pas trop… Non, là je divague. En plus, généralement, il y a une sorte de réception après la cérémonie avec un repas, des fleurs et tout le tintouin. Je suis la seule de ses proches présente ici pour le moment, donc c’est à moi, aussi, de l’organiser. Enfin, je ne sais pas. Je devrais peut-être faire servir des nachos, il adorait les nachos… En même ça ne fait pas très classe, mais, il n’était pas spécialement classieux. Je pense qu’il aurait aimé une petite fête pour célébrer sa vie plutôt qu’une cérémonie déprimante pour pleurer sa mort. Cependant, je ne pense pas que sa famille sera du même avis. Teddy est tellement gentil, je l’adore mais, il se laisse complètement contrôler par sa femme qui est tout le contraire de lui. Et je ne parle même pas de son jumeau, alors lui… C’est le plus grand crevard que la Terre n’est jamais connu et je ne plaisante pas. Bref, conclusion : c’est un beau merdier !

Dire qu’il est mort à peine deux heures avant que j’arrive chez lui, j’aurais sans doute pu l’aider si j’avais pris le vol précédent… Je ne sais pas, je ne sais plus. Me voilà paniquée, dans la rue, avec mes bagages à la main. Je n’ai pas grand chose, certes, mais ça pèse tout de même son poids. Les mains tremblantes j’essai d’appeler mes cousines, aucune ne répond. Je ressaie plusieurs fois, finissant par balancer mon téléphone contre le sol de frustration. Une vieille dame me regarde d’un air moralisateur. Je souris de toutes mes dents, hausse les épaules et ramasse mon portable délicatement. Par chance, il n’a rien, m’enfin il ne va pas me servir à grand chose si personne ne daigne me répondre ! Je commence une nouvelle fois le numéro de Maia en croisant les doigts :

-Tu vas répondreeee, je sais que tu vas répondreee…

Je fredonne ce petit air comme s’il s’agissait d’une formule magique qui obligerait ma cousine à décrocher son téléphone. Seulement, la magie n’existe aucunement. Bien évidemment, elle ne décroche pas. Quelle journée ! Je pourrais appeler Nina, c’est vrai, mais je sais qu’elle travaille et je ne veux pas la déranger. Je sais qu’elle a du mal niveau fric en ce moment et je ne voudrais pas lui faire quitter son travail pour moi. Surtout que je ne saurais pas vraiment quoi lui dire. « Devines quoi, je suis SDF maintenant, oui l’ami chez qui je devrais vivre est capute ! » Y’a mieux comme retrouvailles. Ça fait plus de deux ans qu’on ne s’aient pas vues, on avait l’habitude de se retrouver chaque vacances mais, je n’ai pas pu venir l’année dernière à cause de l’état de Tucker qui se dégradait… Il faut absolument que je pose mes valises, elles commencent à me couper la circulation du sang. Je ne voudrais pas perdre un bras, ce serait ballot ! Si on y réfléchit bien, sans bras, on ne fait plus rien… On ne peut plus écrire, on ne peut pas porter d’objet, on ne… Je recommence à divaguer là… Reprenant un peu mes esprits, je demande à chaque âme qui passe s’il ne connait pas un endroit où on peut dormir qui ne coûterait pas une blinde. Entres regards étranges et condescendance, je n’obtiens que peu de réponse. Imaginez ma surprise quand c’est une femme totalement bourrée qui m’indique le chemin à suivre. Reprise d’un soudain regain d’énergie je la remercie :

-Super, c’est super, un mobile-home ! Ouais… C’est parfait, je me suis toujours vue dans un esprit un peu simpliste de toute manière, sans chichi. Sauf pour les fringues, j’adore les fringues… M’enfin, merci beaucoup.

Je me dirige donc vers South Bay, tant bien que mal, avec mes bagages aux mains. Je prends le mobile-home le moins cher. La proprio est plutôt sympa même s’il me semble un peu graveleux. Le mobile-home est pas mal, petit mais, tout à fait correct. Après avoir rangé un minimum mes affaires, j’essaie de dessiner mais je ne tiens pas en place. Je me retrouve à tourner en rond littéralement.

-C’est quand même pas la première fois que quelqu’un meure dans ce monde, les gens le gèrent très bien. Pourquoi ne suis-je pas capable de me comporter normalement ? Je ne suis pas stupide, enfin, je crois pas. Peut-être après tout. Je veux dire… Je… Pourquoi je ne pleure pas ? Tout le monde pleure dans ce genre de situation. Je devrais pleurer non ? Rhooo, c’est trop dur…

Voilà que je parle toute seule maintenant. C’est tout simplement pas possible, je vais sérieusement devenir timbrée. Il faut que je me change les idées, il le faut absolument. Résolue à demander de l’aide, j’envoie un message à Nina, en espérant ne pas la déranger. Elle me dit qu’il n’y a pas de soucis, que je peux passer au bar sans problème. Je ne lui dit rien quand à la mort de mon ami, d’ailleurs je ne compte pas le faire. J’ai pris la décision de m’amuser, d’oublier. Pis, ça ne sers à rien de parler de ce genre de chose de toute manière, qu’est-ce qu’il a dire ? Rien voilà.

Après avoir demandé mon chemin, je me retrouve dans le bar où bosse mon amie. En quelque sorte, je pense que, maintenant qu’il est mort, Nina est la personne dont je suis la plus proche. J’ai toujours eu moins de mal à lui parler qu’aux autres. Sans doute parce qu’elle me ressemble. Dans la foule, je cherche la tête rousse, des yeux. Le bar a l’air pas mal populaire, il y a du monde. Je suis sûre que mon ami aurait adoré venir ici. NON ! On ne pense pas à lui, on s’amuse, c’est un ordre ! Oui, je me donne des ordres à moi-même et alors ? Je finis par voir Nina, près du bar, je souris instinctivement soulagée. Je me fraye un chemin entre les tables maladroitement (parce que, oui, il n’y a plus godiche que moi, je suis une vraie catastrophe ambulante) jusqu’à arriver près d’elle. Je la serre dans mes bras avant de lui dire :

-Nina, ça me fait tellement plaisir de te voir ! Ça fait un bail ! Tu dois avoir un tas de truc à me raconter ! J’attends, balance les infos.

Je parais un peu trop sur les nerfs, un peu trop enthousiaste. J’évite soigneusement de lui demander comment elle va parce que je sais pertinemment que la question va se retourner contre moi. Et, la dernière chose dont j’ai envie, c’est de parler de moi. Je prends place sur un chaise au bar, un sourire figée aux lèvres.

-Alors tu travailles ici maintenant ? Ça fait longtemps ? Tu te plais ?

Trop de questions à la suite, dites trop précipitamment. J’essaie de paraitre normale, guillerette comme à l’accoutumé mais j’ai bien du mal à donner le change. J’espère simplement qu’elle ne s’en rendra pas compte. Sur les nerfs, je ne peux m’empêcher de jouer avec une petite ombrelle restée sur le comptoir. Je me la mets dans les cheveux, près dans l’oreille et rit comme l’andouille que je suis :

-Je dois avoir la classe comme ça, non ?

J’en viens à la conclusion suivante : je serais une très très mauvaise actrice.

Tout va pour le mieux dans le meilleur dans le meilleur des mondes
Nina & Jo'

Garder le sourire me semble bien facile, je vais finir par me demander si quelque chose cloche chez moi. Je sais qu'il est mort et c'est triste mais, je ne suis pas... submergé par mes émotions. C'est vraiment déroutant. Je secoue la tête comme pour envoyer tout ça au loin. Je suis avec Nina que je n'ai pas vu depuis un long, je dois me concentrer sur elle. Ça ne va pas être difficile, elle me dit qu'elle a pas mal de chose à me raconter mais qu'elle ne sont pas forcément très bonnes. Ça m'inquiète, je sais que la vie peut vraiment être merdique parfois. Demandez à mon frère. Je croise mes bras que j'appuie contre le comptoir et plisse les yeux d'intérêt. Avant même que je puisse en placer une, elle me dit ne pas vouloir plomber l'ambiance. Bah on est deux comme ça ! C'est étrange qu'on est le même réflexe de ne pas se confier et d'essayer de s'amuser plutôt que de parler de ce qui nous blesse. Souvent, j'ai l'impression qu'on se ressemble sur certains aspects. Ainsi on évite les sujets qui fâchent en parlant de son travail. Pourtant, quelque part je touche du doigt les quelques problèmes qui peuplent son existence. En effet, il paraît que son ancien patron était... disons le franchement un enfoiré.

-T'aurais dû lui en foutre une avant de partir ! Mais t'as bien fait, je suis contente que tu te sentes bien ici, ça a l'air sympa.

Je ris doucement. Je plaisante, je plaisante mais je n'en pense pas moins. Je déteste les patrons qui essaient de profiter de leur statues, ils me répugnent. Dieu sait que j'en ai fait des petits boulots avec des patrons louches et le moins qu'on puisse dire c'est que ce n'est jamais drôle. Je suis fière d'elle, ce n'est pas facile de prendre la décision de démissionner, surtout quand on est pas sûre à 100% de retrouver du boulot. C'est courageux, j'ai eu du mal à le faire personnellement. Je rajoute tout de même, avec le plus grand des sérieux, pour qu'elle sache que je suis là pour elle :

-Tu ne veux pas parler maintenant de tes ennuis, on en parle pas. Mais sache que dès que tu veux te confier, je serais là ! Toujours et encore, tellement que tu en aurais marre. Je te jure, tu pourras plus me supporter !

L'autodérision est un trait de caractère dominant chez moi. Je ne me prends pas du tout au sérieux, je trouve que la vie est tout de suite moins drôle si on le fait. Je la trouve bien gentille avec moi quand elle me parle mon allure avec l'ombrelle. Ça la représente bien, j'aurais du mal à la visualiser méchante. Je fais tourner la petite ombrelle sur mon oreille et hausse les sourcils avant de rétorquer :

-Il faut bien avouer que tout me va, c'est autant une qualité qu'un fardeau je dois avouer.

J'éclate de rire, un peu de mégalomanie ne peut pas faire de mal aussi. Je voulais essayer de rester sérieuse mais je n'y suis pas arriver. Ce rire était d'ailleurs plus nerveux contre chose, j'ai du mal à tenir en place. J'ai beau essayer de ne pas y penser, c'est un fait, Thomas est mort. Il est mort, vraiment... Et c'est à moi qu'incombe la tâche de m'occuper de tout, notamment de prévenir sa famille. Soudain, je me lève et tape les mains sur la table énergiquement. J'ai complètement oublié de lui parler de toute cette histoire ! Ça date un peu mais, ça mérite d'être raconté. Elle va se fiche de moi à un point. Cela dit je me demande comment lui annoncer...

-Il faut que je te parle d'un truc mais... premièrement tu dois me jurer de ne pas juger ! Promesse du petit doigt ?

Je ne sais pourquoi j'ai toujours adoré les promesses du petit doigt, je trouve ça trop mignon, vraiment. Je l'utilise tout le temps avec ma famille, j'en faisais des virtuelles avec mes cousins, cousines ! C'est mon truc si on peut dire. J'essaie d'organiser mes pensées pour raconter l'histoire le plus justement possible. Mais forcément, Thomas en fait parti donc c'est assez difficile, j'ai peur de m'embrouiller, peur qu'elle me demande de ses nouvelles... Pourtant, je me lance car s'il y a bien quelque chose que je sais, c'est qu'il ne faut pas laisser guider par ses peurs :

-Donc voilà comme tu le sais mon père est très ami avec notre ancien voisin et nous ses enfants très amis avec les siens... Bref, je t'apprends rien. J'adorais... je veux dire j'adore Thomas mais ça été plus compliqué avec son jumeau Enzo. On s'apprécie pas voilà, seulement il y a peu près deux ans... un peu moins... on a... ben a couché ensemble. On était bourré mais on l'a fait. Depuis c'est bizarre, je peux toujours pas le voir mais, c'est bizarre, voilà...

Ça fait beaucoup de voilà. Comme j'en avais peur, je m'embrouille. Je dois avouer que je n'assume pas ce qui s'est passé durant cette soirée. Je ne sais que trop peu comment ça a pu arriver. On ne s'aime pas, c'est un fait, on se disputait énormément étant enfant, c'était l'horreur. Et ça ne s'est pas arrangé en grandissant , bien au contraire. Je ne saurais pas l'expliquer, ça s'est juste passé et je le regrette. Déjà pour mon estime personnel, coucher avec quelqu'un qu'on ne supporte pas, ce n'est pas bien. Ensuite, tout a changé, je ne sais plus trop que faire, comment agir, ouais c'est bizarre. C'est le mot... Et dire que c'est à moi de lui annoncer que son frère est mort, c'est juste la pire chose qui pouvait se passer.

-Sois pas méchante hein, je m'en veux déjà assez ! Tiens d'ailleurs, faut me le faire oublier, tu me sers un verre ?

Quelle belle conclusion, je veux me bourrer la tronche. Décidément je vais de mieux en mieux. Je la sens bien cette soirée, je vais finir en PLS dans la rue, ça va être du jolie.

Tout va pour le mieux dans le meilleur dans le meilleur des mondes
Nina & Jo'

Je suis ravie d'entendre que l'espèce de pervers a eu ce qu'il méritait, une bonne gifle. J'aurais bien aimé voir ça, je suis bien placée pour savoir que Nina n'est pas du genre violente, pas du tout. Si elle en est venu à s'en prendre physiquement à quelqu'un c'est qu'il l'excédait vraiment, ça a dû être quelque chose. Ce que je peux dire, c'est que ce geste était totalement justifié, jamais un patron ne devrait toucher son employé de la sorte. Quand je pense que certains ont le culot de dire par la suite que ce n'est qu'affectif, pourtant étrangement ils ne le font jamais entre hommes. Coïncidence ? Je ne crois pas. Quoiqu'il en soit, je suis ravie de voir qu'elle se plaît ici, ça me rassure. On passe bon nombres d'heures au travail, une grande partie de notre vie en réalité, il est important de s'y plaire un minimum ou tout du moins de s'y sentir à l'aise. J'avais une amie qui travaillait dans une boîte en France où elle ne se sentait pas bien du tout. Elle était dans le bâtiment, métier généralement plutôt masculin, de nombreux collègues à elle l'a draguait insistamment pendant les heures de travail. Elle a finit par se dégouter de son métier, que pourtant, elle adorait. Elle en avait la boule au ventre, ça me rendait malade. Tout ça pour dire qu'il faut se sentir respecter dans son travail, c'est ma moindre des choses.

J'éclate d'un rire léger quand elle me dit qu'il lui en faudrait beaucoup pour se lasser de moi au point d'en être énervé. Quelle femme de peu de foi ! Elle me connaît mal si elle pense que je ne saurais pas être présente au point d'être invivable. J'aime à croire que ma capacité à être extrêmement chiante est une des qualités. Oui en effet, je considère ça comme une grande qualité ! Imaginez, un jour, on vous invite à sortir, le gars est un peu benêt, il ne comprend pas que vous ne voulez pas de lui et continue à vous courtiser. Être en mesure de devenir chiante peut s'avérer être un avantage considérable. Il finira par s'enfuir en courant ! Et ainsi vous aurez la paix, pas bête la guêpe hein ? Et encore, ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autre ! Croisant les bras, plissant les yeux, je fixe mon ami d'un air de défi.

-Ne me sous-estime pas jeune Padawan, tu finirais par pleurer de frustration si  je me décide à te suivre comme ton ombre ! Je dirais même mieux, tu finirais pas te cogner la tête contre les murs en espérant que je parte !

Comme d'habitude, je sors mes fameuses déductions rocambolesques à la rousse. Et encore je trouve que je ne pars pas trop loin par rapport à ce que je suis capable de faire. Je lui tapote le nez en rythme en lui disant à mon tour

-Moi aussi je serais contente de passer du temps avec toi, Pumkin !

Pumkin est un surnom que j'aime bien lui donner, un clin d'oeil à sa couleur de chose pis je trouve ça tout simplement mignon. En plus, c'est de saison. Aucune raison de ne pas l'utiliser donc ! J'avoue que ce petit brin de femme m'avait manqué, je suis contente d'être ici. Ça marque une nouvelle vie à l'opposé de mon ancienne, avec ses avantages et ses inconvénients. Ce que je trouve ironique, c'est que je ne suis libérée du poids qu'était l'état de santé de mon frère mais au contraire je suis rajoutée celui de la mort de Thomas et de tous les choix que cela implique. J'imagine que c'est quelque part ma punition pour avoir osé abandonner mon frère...

Comme elle me promet de ne pas juger mes choix, je lui explique la situation. Je n'omets aucun détail, ça me fait réellement étrange de parler de tout ça. J'ai l'impression que tout devient plus réel, quelque part, ça me fait peur. Comment ai-je pu faire ça ? Je me le demande encore. Elle aussi semble perplexe face à ce que je lui raconte, elle qualifie même mon acte de bizarre.

-Je sais bien, ça ne ressemble pas, j'ai pourtant l'impression de me respecter plus que ça...

Ce que me dit Nina ensuite ne me rassure pas le moins du monde. Pire que ça, cela provoque en moins une sorte d'état de panique silencieux (sans doute excessif, je suppose que la mort de mon ami m'a quelque part rendue plus fébrile, à fleur de peau). Comment ça, je l'aime bien ? Non je ne l'aime pas, je ne l'ai jamais aimé. Il a toujours été infecte avec moi, certes je lui rendais bien mais tout de même. On se disputait sans cesse, on ne pouvait pas se supporter plus de trente minutes... Comment aurai-je pu l'aimer ? Non, non, non ! J'avoue que quelque part nos joutes verbales me faisait marrer... Mais ça ne veut pas dire pour autant que je l'apprécie, non ? Je pense simplement être en mesure de reconnaître son sens de la répartie aiguisé. Pis voilà maintenant elle parle de tension sexuelle, il n'y a pas de tension sexuelle ! Il a exactement la même tête que Thomas et il ne me plaisait pas, enfin avait... Imaginez-moi deux secondes avec Enzo, ce serait l'horreur, on passerait notre temps à se rabaisser l'un l'autre. On finirait sûrement par s'entre-tuer... Je réfléchie trop là, il faut que je me calme...

-Autant te l'avouer, je préfère mettre tout ça sur le compte de l'alcool. Ce serait trop affreux d'imaginer cinq secondes qu'il me plaît... Je veux dire tu l'as vu une fois ou deux quand il venait en vacances avec nous... Tu sais comment il est ? Ce serait, je veux dire, BEURK !

Il n'y a pas d'autre mot que BEURK pour exprimer ce que fait me ressentir la possibilité de ressentir quelque chose pour lui, j'en ai la chair de poule. J'éclate d'un rire jaune quand elle me demande si j'en ai parlé avec lui. Parler avec Enzo, sérieusement, ça me possible tout simplement ridicule. Je n'en ai jamais été capable, ça partait toujours en cacahuète, excepté une fois. Mais c'était exceptionnel, mon frère Tucker m'avait mené la vie dure en me jetant un peau de crayon en pleine figure et Enzo m'avait vue ensanglanté.

-Lui et moi ne sommes pas vraiment du genre à parler à coeur ouvert si tu vois ce que je veux dire. Les seuls fois où s'est revenu sur le tapis il me dit que je suis secrètement accros à son corps de rêve et se marre donc bon...

En soit ce n'est pas quelque chose de très grave, ce n'est pas comme si on était amis avant. C'est seulement qu'on est amené à se voir souvent et que c'est très gênant, je peine à le regarder dans les yeux depuis, c'est dire.

-J'aimerais simplement que ce ne soit jamais produit, tu vois ? Pour mon ego en fait, je ne comprends pas comment j'ai pu faire ça avec lui. Ça me semble surréaliste.

Elle me demande alors ce que je veux à boire. J'hésite en plusieurs boissons qui me tente bien sur le moment, pourtant je n'arrive pas à faire un choix. Alors je décrète, en tapant du poing sur la table :

-Je te laisse choisir, vends-moi du rêve !

Voilà que, alors que la mort de Thomas ne quittait pas mon esprit, je me retrouve maintenant aussi à ressasser cette histoire avec Enzo, de mieux en mieux. Bravo Jo' ! C'est ainsi que, tout naturellement, me vient l'idée de retourner la conversation sur Nina plutôt que sur moi.

-Et toi alors, pas de partie de jambe en l'air honteuse à me raconter ?

Pitié dis moi oui que je ne me sente pas la pire personne de la Terre !

Tout va pour le mieux dans le meilleur dans le meilleur des mondes
Nina & Jo'

Ma chiantitude a l'air d'être un sujet passionnant. En effet, mine de rien, cela fait tout de même un bout de temps qu'on débat dessus. C'est vrai qu'il y a beaucoup à dire, j'ai une grand panoplie de choses horripilantes, voir exaspérantes sous le coude. Je peux être très inventive, enfin, je peux surtout partir loin. Il suffit de demander à mon frère Danny, quand j'avais l'envie de le lui mener la vie impossible, je me débrouillais pas mal ! Une fois,  j'ai même réussie à l'obliger à m'acheter une glace pour que je le laisse tranquille. Il n'était pas très content mais moi, j'ai eu mon sorbet citron. Mon amie me demande si j'aurais quelque raison de la suivre, je fais mine de réfléchir même si je sais pertinemment qu'il n'y en a aucune. Elle en plaisante et je rétorque, quand elle me dit que ça peut avoir quelques avantages :

-Surtout vu ta capacité incroyable à te mettre dans la merde, oui, ça pourrait s'avérer avantageux !

Je ris à gorge déployée, si on est totalement honnête ma boutade est autant valable pour elle que pour moi. Peut-être même plus pour moi d'ailleurs. J'ai la chance de me retrouver encore et encore dans des situations originales, plus farfelues les unes que les autres. Je me rappelle encore la fois où je m'étais retrouvé dans la goulotte d'un clown, au cirque, en train de débattre avec lui sur un sujet des plus intéressants. À savoir : qui sont les plus drôles, les clowns tristes ou les clowns normaux. J'avais une préférence pour les tristes, et lui, comme il ne l'était pas, préférait évidemment les autres.

Apparemment elle aime le surnom que je lui donne. Tant mieux, je sais que ça peut être très chiant quand on vous surnomme d'une façon que vous n'appréciez pas. Enzo avait l'habitude de m'appeler la folle-dingue, dans un sens ça aurait pu me faire rire mais, vu la maladie dont mon frère est atteint, ça avait plus tendance à m'énerver qu'autre chose. Il sentait que ça m'agaçait et ça le faisait bien marrer le crétin. Oui, parce que moi je l'appelais crétin. Je l'appelle toujours comme ça d'ailleurs. Bah quoi, faut bien se défendre, non ? Bref quoiqu'il en soit, je suis un peu surprise d'apprendre que je suis la seule à l'appeler ainsi. Je trouve ce surnom trop géniale, vraiment ! Je ne comprends pas que tout le monde ne l'utilise pas. Je pourrais créer une sorte de publicité pour ce surnom, j'en serais capable, ce serait plutôt drôle à faire. Je l'aime trop et il faut soutenir les choses qu'on aime. Je l'ai appris à mes dépends. Il y avait ce parc à Lunel, où j'adorais aller, ils ont envisagé la construction d'un immeuble à cet endroit. Je me suis dit que je verrais bien et j'ai vu, le parc a été rasé. Comme quoi, tout peut disparaître en fumé, même la vie d'un proche, surtout la vie d'un proche... La vie de Thomas... Mais, ce n'est pas le sujet. D'un ton enjoué, je dis alors, masquant ma tristesse au passage :

-Ravie de voir que tu apprécies ton surnom, Pumkin !

Ce qu'elle me dit ensuite me rassure grandement. "C'est arrivé et puis c'est tout". Je n'ai jamais rien entendu de plus vrai. J'aime me dire qu'il n'y a pas de destin, qu'il n'y a que nos choix. Et quelques fois, on en fait des mauvais.

-Merci, tu sais toujours quoi dire.

Je ris doucement quand elle m'intime de ne plus boire quand il est non loin. C'est une bonne idée, ça c'est sûr, peut-être une des meilleures qu'elle a jamais eu. Si je n'avais pas bu à cette fichue soirée, on en serait pas là.

-C'est une bonne résolution que je compte bien suivre ! Des fois, je me dis même que je ne devrais plus boire du tout, mais je doute vraiment ne pas déroger à celle-là.

Je fais une moue contrite. En effet, il y a peu de chance. Surtout en ce moment. Quand les temps sont durs, un peu d'alcool ne peut pas faire de mal, tout les soucis s'envolent comme s'ils n'avaient jamais existé, enfin, du moins pour un temps. Vous avez ce qu'on dit, l'alcool ne résout pas les problèmes mais l'eau et le lait non plus. En ce moment précis, je ne dirais pas non à un petit verre d'ailleurs.

Décidément Nina est pleine de bonnes idées, elle me conseille de ne pas trop y penser. C'est sans doute la plus intelligente de mes options même si c'est plus facile à dire qu'à faire. Quoique dans un sens, je préfère encore penser au fiasco avec Enzo qu'à la scène d'horreur que j'ai vu chez Thomas. C'est ce pourquoi je me contente de hocher la tête.

Quand Nina revient avec deux shots, je souris. Ça ne doit pas être très bien vu de boire avec des clients, je suppose qu'elle ne doit pas le faire souvent. Quelque part, on peut dire que j'ai le droit à un traitement de faveur, ce que je trouve assez amusant. Je prends le petit verre en main et lance :

-Tchin !

La tequila me brûle un peu la gorge, j'ai toujours adoré cette sensation, c'est comme si on était décapé de l'intérieur. Je suis une de ces personnes qui aiment l'alcool et pour ses effets et pour son goût. Beaucoup aiment seulement se sentir grisé, ce n'est pas mon cas.

Le sujet de conversation dévie maintenant sur elle. Ma question semble la faire réfléchir ce qui laisse présager une conversation croustillante. Mes préférées, après tout, il n'y a pas que moi qui doit confesser ses erreurs, ce serait injuste. Non à l'injustice ! Ce qu'elle me dit alors me laisse sur le cul, complètement. Elle est nounou et elle se tape son patron. Dans ma tête des imagines horribles défilent, je vois le père de famille dégarni et un peu grassouillé avec la jeune nounou alors que sa femme est au travail. Dieu sait que je ne juge personne mais, je dois avouer que ça me surprend un peu d'elle. Je ne l'aurais pas imaginé dans ce délire là. Ainsi quand elle me demande si je visualise ce genre de cliché je réponds rapidement :

-Ah bah oui, je vois très bien..

J'attends la suite avec impatience. Je suis quelque peu rassurée quand elle me dit qu'il n'est pas marié, c'est déjà ça. On peut enlever la femme du tableau. Il reste tout de même le vieux beauf dégarni cela-dit. Je me sens obligé de la rassurer même si je suis un peu déboussolée par son annonce, comme j'ai dit, je ne juges pas.

-S'il n'y a pas femme on ne peut pas dire que ce soit vraiment mal étiquement parlant.

Je hoche la tête vivement. Oui, au moins, elle est la maitresse de personne, ce qui est une très bonne chose. Je lui souris mais ce qu'elle me dit ensuite me le fait bien vite perdre. Je m'étouffe presque à vrai dire. Il est bien plus vieux... Bien plus vieux ? Mais à quel point ? Elle va tout de même pas me dire qu'elle couche avec un vieux croulant de cinquante ans ??? Je n'espère pas, elle mérite mieux quand même. Elle est toute jolie... Après avoir repris une respiration un peu près normale, je demande, les yeux légèrement plus ouvert que d'habitude :

-Mais à quel point plus vieux ? Il a quel âge ?

La surprise se lit dans le ton de ma voix. L'image du grasouillé dégarni reste dans ma tête sans jamais vouloir en sortir, c'est très frustrant. Je sais pourtant qu'elle m'a dit qu'il était mignon mais, quand même, j'ai beau adorer Georges Clooney par exemple, je ne verrais pas avoir des relations avec. Sa conclusion me laisse perplexe, j'ai limite envie de lui dire que, oui, ce n'est pas mieux. Mais je n'ai pas tout les éléments alors, évitons de sauter sur des conclusions hâtives. J'espère simplement que ce n'est pas un genre de vieux pervers qui lui propose de l'entretenir pour son argent ou quelque chose du genre. Le suspens est insoutenable, je veux tout savoir mais en même temps, j'ai peur de la braquer avec certaines de mes questions. Vous me connaissez, je n'ai pas de filtre, alors je ne peux m'empêcher de demander :

-T'as pas une petite photo ou un truc, je sais pas ?

Je veux savoir à quoi il ressemble, oui. Je veux vraiment savoir.

Tout va pour le mieux dans le meilleur dans le meilleur des mondes
Nina & Jo'

Me trouver un surnom, pourquoi pas. Jo' en est un en soit mais comme tout le monde m'appelle ainsi, ça en est presque devenu mon nom. Je ne connais personne qui m'appelle Johanna en fait, même mes employeurs m'appelaient Jo', c'est pour dire. Alors, oui, me trouver un surnom ce serait sympa. Surtout que j'aime beaucoup le principe de surnommer quelqu'un, je m'écouterais, je surnommerais tout le monde. D'ailleurs, pour être honnête, je le fais déjà, pas avec tout le monde tout le monde mais, avec une bonne partie du moins. Par contre, de là à trouver, moi, des suggestions, c'est autre chose.

-Ah bah je ne sais trop moi... À toi de te montrer inventive.

Toute souriante, je lui fais un clin d'oeil. Puérilement contente de lui octroyer un surnom alors qu'elle n'en a pas pour moi, je joue avec la petite ombrelle du cocktail, une mine satisfaite au visage. Je déchante vite quand elle émet l'hypothèse de trouver quelque chose que je n'aime. Elle est très douée elle aussi quand à ce qui est d'emmerder son monde, je ne doute pas une seconde qu'elle trouve un surnom bien horrible, rien que pour moi. C'est ce pourquoi je l'avertit, exagérant une mine menaçante :

-Fais attention, si tu ne veux pas que je t'appelles Poil-de-carrotte !

Une des pires surnoms qui existent si vous voulez mon avis, c'est tellement péjoratif. Incapable de rester sérieuse plus de deux secondes pour maintenir par moue menaçante, j'éclate de rire. Soudain, un souvenir me revient en mémoire. J'hésite à en parler car, si on y réfléchit bien, ce n'est pas forcément très flatteur pour moi. Mais bon, je suis avec Nina, je peux tout lui dire, puis, ce n'est pas comme si elle n'était pas déjà au courant.

-Mais j'ai déjà un surnom, tu ne te rappelles pas ? Je sais plus si c'était il y a trois ou quatre ans mais on s'était tous rejoint sur la plage, le premier jour des vacances. Il y avait mon frère, Danny, Billie, les jumeaux Tomson et toi. On avait fait un feu et je ne sais plus qui m'avait mis au défi de je ne sais plus quoi. Enzo, toujours aussi chiant qu'à son habitude, m'a appelé Wacky quand j'ai réussie le défi et vous avez tous repris le surnom. Toutes les vacances je me suis fait traiter de fofolle !

C'était vraiment de bons souvenirs, j'adorais venir passer mes vacances ici : je retrouvais ma famille, je retrouvais Nina et d'autres amis. On sortait presque tout les soirs comme c'était l'été. On ne faisait pas grand chose, on traînait sur la plage, tranquillement. On s'amusait bien, à cette époque Thomas était toujours en vie... C'est étrange comme tout me ramène à lui, je suppose que c'est ce qui se passe quand on perd quelqu'un d'aussi proche. On ne peut pas arrêter de se souvenir de moments passés avec, puisqu'il était tout le temps là. Reprenant mes esprits, je rajoute hâtivement à Nina, pour éviter de lui donner le temps de chercher un nouveau surnom :

-Alors pas besoin d'en trouver un nouveau, je crois que celui-là entache mon image déjà bien assez.

Nous nous mettons ensuite d'accord sur ma consommation d'alcool future, un verre avec les bonnes personnes. Voilà qui me semble tout à fait raisonnable. Comme pour sceller un pacte, je lève le verre que je tiens dans la main et répète :

-Un verre ou deux, avec les bonnes personnes.

Je lui lance un regard appuyé en souriant car, là, je bois un verre, avec la bonne personne, une amie. Quoi de mieux ? Quand nous discutons de nos écarts de conduite, je sens Nina vraiment embêtée par le fait que ce soit avec son patron qu'elle est couchée. Bien que ce ne soit pas forcément la situation idéale, je n'aime pas la voir ainsi. Elle est adulte, elle peut faire ses propres choix. Si ça lui fait du bien, elle n'a pas à se sentir coupable. Enfin, j'espère quand même que ce n'est pas un vieux bof. Déterminée à lui remonter un peu le moral par rapport à ça, je déclare, toute joyeuse :

-Il te plaît ? Il s'y prend bien ? Oui ? Alors, continues Pumkin, tu te fiches que ce soit ton patron, tant qu'il reste un gars bien et qu'il ne profite pas de la situation ! Fais ton plaisir ! On est 21ème siècle, on couche avec qui on veut !

J'ai prononcé la dernière phrase un peu trop fort, un client attablé non loin de nous, nous fixe, les yeux écarquillés. Je soutiens son regard et il finit par le détourner. Je ris aux éclats, je me fiche de ce que les gens peuvent penser, pire encore, ce genre de situation me fait beaucoup rire comme vous le voyez !

Nina m'informe ensuite sur l'âge de son Don Juan. Joignant les mains comme si j'allais prier je m'affale sur le présentoir du bar en soupirant soulagée. Sous le regard perplexe de Nina, je m'explique :

-Merci mon dieu ! J'avais peur que tu tapes un vieux croulant ! Trente ans, c'est rien !!! Raison de plus pour te faire plaisir ! Je valide.

Soulagée, c'est le mot. J'ai vraiment cru pendant une seconde qu'elle se l'a joué petite minette accroché à son sugar daddy. Comme j'ai dit, je ne juge pas mais, je suis très contente néanmoins que ce ne soit pas le cas. Par contre, je suis très déçue de constater qu'elle n'a pas de photos. Maintenant que je sais qu'il ne s'agit pas d'un grand-père, j'aurais bien aimé voir de quoi il est fait. J'avoue être intriguée.

-Tu crois que ça dérangerait ton sexy patron d'avoir deux nounous pour le prix d'une le temps d'un soir ? Histoire que je jette un oeil ?

Je hausse les sourcils de façon suggestive exagérément, je dois avoir l'air d'une folle mais ce n'est pas grave, ça me fait marrer. C'était une proposition en l'air, je n'étais pas sérieuse mais plus j'y pense plus je me dis que ça pourrait se faire après tout. Quelque peu maussade, elle me dit ensuite ne pas être sûre que ça se reproduise. D'un petit sourire en coin, je rétorque :

-Pumkin tu es un canon et c'est un homme bien sûr que...

Je suis coupé par la sonnerie de mon téléphone, je décroche. C'est la police, ils veulent me voir. Hébétée, je ne suis que capable de répondre par la positive à toutes leurs questions. Quand ils raccrochent, je suis encore un peu sonnée. Je m'amusais bien avec Nina, j'en avais presque oublié toute cette histoire. Complètement déboussolée, je m'esquive en trouvant l'excuse la moins crédible du monde :

-Il faut que... Enfin je dois... Il y a ce chat et il est euh.. enfin bye ! On s'appelle !

Ridicule hein ? Ainsi, c'est comme ça que je quitte le bar, manquant de trébucher près de l'entrée.