I'll be all you need and more (Erin)



Silencieusement, Nate attache sa ceinture. Puis il attend qu’Erin fasse de même avant de démarrer la voiture. « Comment tu te sens ? » Nate n’est pas sûr que ce soit la question à poser, mais il s’intéresse sincèrement à son état. Sa cure de désintoxication a forcément été éprouvante et il espère que ce soit une bonne chose dans tous les sens du mot qu’elle soit arrivée à son terme. Ça ne lui rappelle que trop le passage de sa soeur dans un établissement spécialisé, même si ce n’est pas tout à fait la même chose. Ce n’était ni le même problème ni les mêmes causes profondes (probablement), mais il n’empêche que ça fait remonter dans son esprit des souvenirs désagréables. Et si tout ce qu’il souhaite, c’est que la situation s’améliore et qu’elle aille mieux, Nate se doute que ce sera un combat de longue haleine. Malheureusement, il ne peut pas faire grand-chose pour l’aider. Mais le peu qui est dans ses cordes, il est tout à fait disposé à le faire. « En tout cas, je suis content de te revoir. » Il aurait préféré que ce soit en d’autres circonstances, bien sûr. Mais quoi qu’il en soit, il éprouve toujours de la joie au moment de la retrouver. Pourtant, il ne la connaît pas si bien que ça. Leurs rencontres se sont faites au fil des années et au gré de villes et d’autres. Mais dès le début, l’attirance a été magnétique. Il la trouve différente et, venant de Nate, ça veut dire beaucoup de choses.

C’est pour ça que c’est lui qui vient la chercher, aujourd’hui. Parce qu’il se sent lié à elle, même s’ils ne le sont pas réellement d’un point de vue objectif. Ils ne sont même pas à proprement parler amis - alors oui, leur relation est difficile à définir. Mais Nate s’en fiche un peu. Tout ce qui compte, aujourd’hui, c’est d’être là pour elle. Tout ce qui compte, c’est d’essayer de l’aider à remonter la pente. « Je te dépose chez ton frère, c’est ça ? » Discrètement - ou pas -, le co-pilote glisse un regard vers sa passagère de la journée. Il se doute qu’elle en a bavé. Pourtant, tout ce qu’il voit, à l’instant précis, c’est à quel point elle est belle avec ses cheveux bruns qui volent au vent et cet air farouche qui est le sien. « Est-ce que tu voudrais qu’on s’arrête ailleurs avant ? »

La liberté, enfin. A sa sortie, Erin avait pris de grandes inspirations. Elle y goûtait à plein poumons. Dans le centre, les premières semaines avaient été difficiles. Les carences, le manque, l’irritation, les crises de colère liées au deuil d’Arielle, les calmants du personnel soignant. Mais elle avait aussi rencontré des gens qui se battaient contre les mêmes démons, qui luttaient pour leur survie. Et au fur et à mesure, la peine et la colère s’étaient atténué, donnant place à des moments de partage et d’humanité. La tristesse n’avait pas disparu mais Erin avait appris à l’endiguer tout comme elle ne ressentait plus cette sensation de manque insupportable dans son corps. Le vide avait trouvé sa place ailleurs, niché dans son cœur. Un trou béant, déjà existant quand des membres de sa famille avaient quitté ce monde, puis il s’était agrandi. A présent, Erin ne le sentait plus constamment peser sur sa conscience.

Au début, sa famille était venue la voir puisque les visites étaient autorisées, mais les retrouvailles se transformaient souvent en règlement de compte au point que les cris résonnent dans la chambre et troublent les autres patients. Il était devenu préférable qu’Erin ne les voit plus pendant un moment. Durant sa convalescence, Nate et elle avaient repris contact par téléphone. Par la presse, le pilote avait appris ce qui lui était arrivé et il lui avait demandé des nouvelles. Au final, les deux avaient échangé et il lui avait proposé de passer la chercher à sa sortie, une option qu’Erin préférait à celle de sa famille, même si elle devait se résigner : l’autorisation de sortie dépendait de la garantie d’un proche de veiller sur elle, dans les jours suivants celle-ci. En parfait petit frère, Liam s’était porté volontaire, même si la perspective d’habiter chez lui n’enchantait guère Erin.

C’était bizarre de revoir Nate en Nouvelle-Zélande, eux qui se croisaient toujours ailleurs et par hasard. Voilà que la première fois qu’ils fixaient « une rencontre » était celle d’un moment où elle ne pouvait pas cacher ses failles. Afin qu’elle puisse filer en toute discrétion et d’éviter des médias trop curieux, il avait pris soin de se garer à l’arrière du bâtiment. Quand Nate démarra la voiture, elle baissa la vitre de la voiture et alluma une clope. Mon dieu, qu’elle était bonne, celle-là. Erin s’était juré d’avoir sa dose de nicotine dès sa sortie. « Libre. » Voilà comment elle se sentait. Il lui confia qu’il était content de la revoir. « Moi aussi. Tu repars quand ? » Via des textos, la brune avait compris qu’il était en Nouvelle-Zélande pour les fêtes mais Nate ne s’état pas étendu. « Oui, c’est ça. » Erin tira une nouvelle bouffée de la clope et inspira longuement. Des mèches de cheveux volaient à travers la fenêtre et masquaient en partie son visage. Ainsi, elle ne remarqua pas les regards de côté de Nate. « Une petite glisse sur la patinoire ? » Cette idée ne risquait pas de tomber dans l’oreille d’un sourd.


Libre. Nate hoche la tête en signe d’assentiment, pouvant seulement imaginer ce qu’elle ressent. Lui, en tout cas, il s’était inquiété - pas tant de la savoir là-bas, mais plutôt d’apprendre le combat qu’elle menait. Il avait su par la presse qu’elle avait failli y passer et, après ça, ils avaient repris contact par textos. Parce qu’il faut dire qu’en réalité, ils n’ont jamais beaucoup communiqué sans être face à face. Ils ne se sont même jamais rencontrés dans leur pays natal, leurs retrouvailles se faisant toujours au hasard, à l’étranger, au gré du travail de l’un et de l’autre. Mais un lien s’est tissé entre eux et il n’est jamais trop tard pour changer les choses. En tout cas, aujourd’hui, Nate a envie d’être là pour elle. Il espère bien pouvoir veiller un peu sur elle, pour l’aider. Seulement, son travail ne lui permet évidemment pas d’être tout le temps à Island Bay, alors il est soulagé qu’elle ait de la famille et un patron dont elle est proche. « Après-demain, je fais un tronçon Tahiti-San Francisco, donc je serai pas de retour avant dix jours. » Rejoindre la côte ouest des Etats-Unis fait partie de ses trajets les plus longs. « Le reste du mois devrait être plus tranquille, enfin je vais m’absenter un peu moins longtemps, puisque j’irai surtout en Australie. » D’ailleurs, une petite escapade est aussi prévue avec sa fratrie, une de celles qui le réjouissent d’avance. « Et toi, selon les recommandations médicales, tu es censée rester à domicile pour l’instant, ou tu peux bouger à ta guise ? »

Alors qu’il lui demande s’ils ont un arrêt à faire avant de rejoindre la maison d’un autre Millstone, Erin évoque la patinoire. Aussitôt, le sourire de Nate s’élargit. C’est clair que ce n’est pas lui qui va refuser. « Avec plaisir. Glisser sur la glace sera donc la première façon de célébrer ton retour à la liberté. » Et il est sûr que ça fera du bien à la jeune femme, à lui aussi d’ailleurs, c’est toujours le cas. Sans plus tarder, le co-pilote prend donc la direction de la patinoire. C’est un endroit qu’il connaît bien, puisque quand il est sur le sol néo-zélandais, il s’y rend régulièrement pour ses entraînements de hockey sur glace. Il appartient à une équipe non-professionnelle dans laquelle il joue comme défenseur gauche. Ça l’amuse, ça lui permet de se défouler un peu en-dehors du vélo ou du jogging, bref il aime beaucoup ça. « La dernière fois qu’on a patiné ensemble, on était au Japon, je m’en souviens. » Quelques minutes plus tard, ils sont arrivés à la patinoire. Nate garde ses patins dans la voiture, mais ils passent par le stand de location pour Erin. « Prête ? » Dès que c’est le cas, il lui tend la main et ils s’élancent ensemble sur la glace.

Ce lien qu’ils partageaient était particulier, c’était comme une bulle qu’elle cherchait à préserver, qu’elle avait gardé à l’abri de toute l’agitation de sa vie. De la presse, de ses proches, de ses vices. Erin ne voulait pas que cette relation aventureuse soit intoxiquée par les vagues houleuses de son existence. Pourtant, quand ils avaient repris contact par téléphone, la discussion avait été facile, fluide. Il arrivait à lui parler sans qu’elle se braque, qu’elle le fuit. Enfermée dans le centre, la jeune femme avait eu l’impression de retrouver un fragment de cette bulle d’oxygène, cette bulle l’avait aidé à respirer, à retrouver une légèreté qui ne l’habitait plus depuis la disparition d’Arielle. Il avait trouvé une fissure dans le mur qu’elle avait érigé et il l’avait franchie. Dans l’oubli de tout le reste, Nate était devenu un des éléments stables de sa vie. D’une certaine manière, il en faisait partie depuis des années, il n’avait jamais été éclaboussé par le mode de vie d’Erin. Alors pourquoi donc avait-elle accepté de le revoir en Nouvelle-Zélande ? De l’amener à entrer dans les failles de sa vie ? Peut-être, parce qu’Erin avait besoin de s’évader, de respirer, de retrouver sa liberté. Sans se soucier du lendemain.

Deux jours. Nate repartait dans deux petits jours. Leurs retrouvailles ne seraient que de courte durée, aussi brèves que leurs rencontres à l’étranger. Dix jours d’absence. Le pilote voyageait beaucoup. Cette réponse avait un côté rassurant, leurs habitudes ne changeraient pas. Ils ne se reverraient pas dans l’immédiat. C’était bizarre de le penser mais c’était sans doute mieux ainsi. « San Francisco, ça me rappelle des souvenirs. » Un sourire étira les lèvres d’Erin. La jeune femme avait donné plusieurs concerts dans cette ville. Et elle y avait déjà croisé Nate aussi, notamment le soir de son extinction de voix. Il avait encore été sa bulle de préservation ce jour-là, son échappatoire, une alternative aux drogues dont elle dépendait déjà. « Surtout en Australie ? C’est un voyage en famille ? » Le mot lui avait mis la puce à l’oreille. En tant que pilote, il ne restait jamais longtemps au même endroit, sauf pour formation ou vacances personnelles. Le Jenkins se rendait sur les terres natales de la chanteuse, bien qu’elle soit née en Nouvelle-Zélande. Nate lui posa alors une question fâcheuse, une inquiétude dans la voix à laquelle elle ne s’attendait pas. Il était évident qu’elle ne devait pas se retrouver seule mais elle se fichait bien de ce qui avait été préconisé. Erin mènerait sa vie comme elle l’entendait. « Oui, ils ont conseillé à mon entourage de veiller sur moi mais je peux bouger comme bon me semble. Ce n’est pas ce qui m’aurait empêché. » Elle ne sous-entendait pas qu’elle allait foutre sa santé en l’air, elle essayerait de garder une ligne de conduite, cependant elle ne vivrait pas sur le dos de sa famille, encore moins dans un climat tendu. Autant replonger tout de suite, et plutôt deux fois qu’une. Terminant sa cigarette ; Erin la jeta par la fenêtre, sa conscience n’étant pas hantée par des principes écologiques. Nate lui demanda alors si elle préférait directement rentrer chez son frère ou faire un arrêt avant. Une idée lui était venue naturellement, une idée qu’il accepta sans hésiter. « Vendu. » Nate bifurqua vers la patinoire. A son tour, il évoqua un de leurs souvenirs, la voix rieuse. « Tu veux dire quand tu as fini les fesses par terre, en essayant de faire un salto arrière ? » L’un comme l’autre était doué pour le patinage mais les atouts de Nate différaient de ceux d’Erin, plus à l’aise dans l’exécution de figures artistiques diverses que dans la maitrise d’un palet. Ainsi, elle glissait aisément sur un pied ou en tournoyant de tous les côtés tandis que Nate « courait » sur la glace, capable d’encaisser des chocs violents.  

Quelques minutes plus tard, ils entrèrent dans la patinoire. A défaut d’avoir sa paire, Erin loua des patins et les chaussa avant de rejoindre le pilote sur la glace. Opinant de la tête, elle saisit la main que Nate lui tendit et elle s’élança avec lui. Tous les deux à l’aise, ils glissèrent bientôt fluidement et naturellement sur la glace.  

« Et moi donc. » Nate échange un regard complice avec Erin. Il est étrange que, bien qu’ils soit difficile de qualifier leur relation, ils aient déjà partagé beaucoup de choses ensemble. Aux yeux du Jenkins, il ne s’agit pas d’une simple aventure. Il le sait parce que, si c’était le cas, il ne se serait pas fait du souci pour elle. Si elle n’avait pas été différente des autres, il ne serait pas allé la chercher à la fin de sa cure de désintoxication. Il en est conscient ; mais pour l’instant, il ne se pose pas trop de questions. Il ne sait peut-être pas exactement ce dont elle a besoin, mais il est prêt à le devenir dans le but de la soutenir dans les moments difficiles qu’elle rencontre. « On n’aura pas le plaisir de se retrouver par coïncidence dans la même ville à l’étranger, mais au moins, je sais que tu es ici. » Théoriquement, ils pourraient se voir quand ils veulent. Dans la pratique, Nate n’est pas tout le temps sur le territoire néo-zélandais. « Oui, je vais passer un long week-end sur la Gold Coast avec mon frère et mes soeurs. On essaye de se faire ce genre de choses régulièrement, même si c’est pas forcément longtemps ni loin. Et après ça, j’ai quelques vols prévus entre plusieurs villes australiennes et Auckland. »

En parlant de famille, Erin aussi va passer du temps avec la sienne. Mais contrairement au trentenaire, la brune n’a pas l’air de s’en réjouir beaucoup. Nate ne sait pas exactement quelles relations elle entretient avec ses proches et il n’a pas l’intention de s’aventure en terrain qui semble miné. Il espère seulement qu’elle sera entre de bonnes mains et que son frère notamment saura veiller sur elle. Parce qu’Erin aura beau prétendre qu’elle n’en a pas besoin, le brun pense sincèrement qu’il lui faut quelqu’un d’attentionné en ce moment. « Tu pourrais passer chez moi, quand je serai de retour entre deux vols. Je te ferai visiter, si tu veux. » Ils vont probablement passer un peu plus de temps ensemble, dans l’avenir proche. Rien que dans l’immédiat, la proposition de la patinoire paraît tout à fait alléchante, malgré les taquineries de la Millstone. « Bizarrement, je me souviens pas de ça. » Ils s’élancent ensemble sur la glace, main dans la main. Ils ont la chance d’avoir ça en commun, ils sont à l’aise. Alors il ne leur faut pas très longtemps pour prendre de la vitesse et commencer à exécuter des figures plus ou moins artistiques. C’est comme s’ils dansaient ensemble, même si Erin est clairement plus gracieuse que Nate. « T’es incroyablement douée » lui souffle-t-il quand elle se retrouve brièvement dans ses bras. Puis il tend à nouveau le bras avec un sourire, pour qu’elle puisse effectuer une autre figure. Elle a l’air libérée, ses cheveux soyeux volant autour d’elle - et à l’instant précis, il la trouve vraiment belle.

Avant sa cure, Erin n’avait plus été qu’une égoïste abrutie par les drogues dont elle se gavait pour effacer le monde qui lui brulait les yeux. Et il avait suffi que Nate entre dans sa vie pour que leurs rencontres la chamboulent dans ses habitudes. En un regard, il la déstabilisait par l’éclat lumineux dans ses prunelles. Il était bien plus imprévisible pour la chanteuse que quoique ce soit d’autre parce que l’effet qu’il exerçait sur elle était inexplicable. Aussi inattendu que leurs retrouvailles ponctuelles à travers les années. « Oui, je ne vais pas bouger tout de suite. Tu comptes venir me voir entre deux vols ? » Demanda-t-elle sur le ton de l’humour. Erin n’était pas sûre d’avoir compris le sens de sa phrase. Certes, la chanteuse resterait sur Island Bay mais leur relation n’avait jamais fonctionné ainsi auparavant, c’est-à-dire autrement que via leurs rencontres hasardeuses. Mais ils avaient aussi beaucoup échangé depuis qu’elle était en désintoxication, ce qui les avaient rapprochés. Pendant qu’il conduisait, le pilote lui parla de son prochain voyage, non lié à son travail mais à des vacances en famille. La destination suscita un sourire sur les lèvres d’Erin. « Oh mais tu vas sur mes terres ! Mes parents sont originaires de la Gold Coast justement. Tu connais sûrement déjà les magnifiques plages à perte de vue… » Il reprendrait ensuite le travail en reliant Auckland vers différentes villes australiennes. Le pilote ne serait donc pas dans le coin ces prochains jours. Erin était contente qu’il s’entende si bien avec sa famille. Elle ne pourrait jamais partager plus de quelques heures en compagnie de ses proches. La jeune femme n’arrivait plus à supporter l’ambiance glaciale de la famille depuis la disparition de son grand-frère et de sa nièce. Nate lui proposa ensuite de passer chez lui quand il rentrerait. « Avec plaisir. Je dois m’attendre à trouver des maquettes d’avion et une collection d’uniformes ? » Petite taquinerie. Quand ils se croisaient à l’étranger, le pilote descendait dans un hôtel pour la nuit et portait souvent son uniforme de commandant de bord ; ce qui ne laissait pas Erin indifférente. Ils décidèrent ensuite d’aller partager un moment sur la patinoire. Faisant partie de l’équipe de hockey, Nate y avait accès en dehors des heures d’ouverture, ils seraient tranquilles. Ce qui était indispensable pour ne pas que des gens rameutent autour d’Erin après le tapage que son entrée en désintoxication avait engendré dans la presse. « Je vois, tu souffres de mémoire sélective. » Après avoir enfilé les patins, ils s’élancèrent ensemble sur la glace, à l’aise. Très vite, Erin retrouva ses marques et elle prit de la vitesse pour s’échauffer. Lorsqu’elle sentit le bon moment, elle lâcha la main de Nate et effectua une figure technique dans les airs avant de se réceptionner gracieusement. Un peu rouillée, elle n’avait pourtant pas oublié tous ses acquis dans le patinage artistique. Les joues rosies par le froid, Erin se rapprocha à nouveau de Nate pour glisser avec lui. Il l’accompagnait et la relâchait au gré de ses envies, admirant la légèreté de la jeune femme sur la glace. « Et toi tu es le partenaire idéal. » Répondit-elle, heureuse de pouvoir patiner avec quelqu’un qui se déplaçait à cette vitesse. Sortie de son contexte, cette phrase pouvait sonner bizarrement mais ce n'était pas le cas. Elle effectua une autre figure puis revint près de lui. Ils avaient ralenti et s’étaient rapprochés du bord pour reprendre leur souffle. « On fait la course jusque l’autre côté ? Le premier arrivé pourra donner un gage ou poser la question qu’il voudra. » En vitesse pure, Nate avait un avantage, déjà parce qu’il avait pas mal pratiqué récemment mais Erin était plus légère donc chacun avait ses chances.

« Eh bien, pourquoi pas, si tu veux bien. » Erin n’a pas l’air de le prendre au sérieux, mais Nate sait qu’elle plaisante seulement parce qu’ils ne se sont jamais vraiment vus en Nouvelle-Zélande. La magie de leurs rencontres, pendant des années, résidait peut-être précisément dans le fait qu’elles se faisaient au hasard et au gré de leurs déplacements. Mais au fil du temps, un lien s’est tissé entre eux. Désormais, ils sont bien loin de la première fois où il l’a abordée à Singapour, dans un bar. Ils sont forcément plus proches maintenant, la preuve étant que Nate se soucie suffisamment d’elle pour aller la chercher à la sortie de sa cure de désintoxication. Alors avec l’évolution de leur relation, même s’il n’est pas forcément facile de mettre des mots là-dessus, ce n’est sans doute pas étonnant qu’il ait envie de la voir un peu plus souvent. Mais bien sûr, il n’est pas tout le temps dans les parages et, d’ailleurs, ils évoquent ses vols à venir. « C’est vrai, tu es une Aussie en fait ? » Il y a sans doute beaucoup de choses que Nate a encore à découvrir au sujet d’Erin. Ce n’est là qu’un exemple simple, mais il ne doute pas que ça finira par arriver. « Oui, à chaque fois que je vais dans le coin, je ne manque jamais d’aller m’étendre sur une plages, c’est vraiment beau. Tu as déjà eu l’occasion de retourner sur la terre de tes ancêtres ? » Mais en-dehors de ses déplacements, Nate propose aussi à Erin de faire un tour chez lui. Ce serait la première fois. La plaisanterie de la brune, qui évoque des clichés, le fait rire. « La collection d’uniformes, c’est sûr ! Les maquettes d’avions… J’en avais pas mal quand j’étais adolescent, mais j’en ai gardé seulement deux ou trois, je crois. En revanche, tu peux être sûre de croiser mon chat. »

Sur ces plaisanteries, les deux passionnés de patinage qu’ils sont se lancent ensemble sur la glace. Nate a l’habitude de venir ici dans le cadre de ses entraînements pour l’équipe amatrice, mais ce n’est pas la même chose. Aujourd’hui, il est là avec Erin et ça lui procure encore plus de plaisir. Après quelques figures artistiques, effectuées ensemble ou non, la jeune femme propose une course avec une petite victoire à la clé. « C’est parti ! » Il attend qu’elle soit en position et, aussitôt, il se lance. Il est concentré sur leur point d’arrivée, même s’il a aussi envie de rire. Tout le long, la course est serrée et Nate sent la présence d’Erin tout près de lui. Finalement, il la dépasse un peu, mais au dernier moment il tourne la tête pour lui attraper la main et c’est ensemble qu’ils arrivent de l’autre côté. En raison de la vitesse, Nate manque de s’écraser contre la barrière et il se met de dos, attrapant Erin dans ses bras pour éviter qu’elle se fasse mal à cause de lui. Il se met à rire. « Comme ça… Chacun y aura droit. » Il la relâche avant de s’appuyer contre la barrière. « Je peux commencer ? Je préfère poser une question. » Il y en a quelques-unes qui lui viennent en tête, mais une en particulier lui paraît importante à l’instant précis. « Qu’est-ce que tu souhaites le plus pour l’avenir ? »

Erin ne répondit plus quand Nate proposa de venir la voir pendant qu’elle resterait à Island Bay. La magie de leur rencontre à l’étranger était leur côté hasardeux. Et puis, c’était comme si elle le gardait en dehors de son monde. Loin de la musique, loin des médias, loin de sa vie. Pas qu’elle ne voulait pas l’inclure et elle ne cachait pas ce qu’elle était mais elle l’avait préservé des complexités du milieu dans lequel elle travaillait. Erin était une personnalité connue et cette célébrité s’accompagnait de bons et de mauvais aspects. Cette relation, peu importe ce qu’elle était, elle ne désirait pas la mettre en avant. C’était son jardin secret. Mais ne l’avait-elle pas déjà impliqué en répondant à ses messages et en acceptant qu’il vienne la chercher ? Nate savait qu’elle n’allait pas bien, il s’inquiétait et il voulait la revoir. Jamais, Erin ne lui avouerait de vive voix que ses visites seraient comme une bouffée d’oxygène dans son retour au monde extérieur. Sa fierté l’en préservait. Alors, elle se contenta d’hocher la tête et accueillit avec bonheur le sujet suivant. Nate partait en vacances avec sa famille, dans le pays et la région d’origine de d’Erin. « A la base oui, même si je suis née en Nouvelle-Zélande. » Ce qui était drôle, c’était quand les médias australiens la traitaient comme une enfant du pays alors que la presse néozélandaise rappelait qu’elle avait grandi sur ses terres. Se sentait-elle plus Aussie ? Pas vraiment. De son pays d’origine, Erin n’avait que le souvenir des vacances ou de visites en famille. Elle était donc partagée entre les deux mais si on lui posait la question, son pays de cœur restait la Nouvelle-Zélande. « Oui, j’y suis retournée plusieurs fois. J’ai encore de la famille là-bas. Et puis, j’y ai donné des concerts bien sûr. » En tant qu’artiste à succès, la jeune femme avait pratiquement voyagé dans tous les continents du monde. En écho à sa proposition de la revoir, Nate lui proposa aussi de venir lui rendre visite. La perspective d’en découvrir plus sur lui éveilla la curiosité de la jeune femme. Tout comme elle, le pilote ne se dévoilait pas facilement. « C’est pas mal de te voir en « civil » aussi. » Le regard mutin d’Erin se posa à nouveau sur Nate, puis elle réagit à ce qu’il avait dit. « Exact, pourquoi t’embêter avec les miniatures, maintenant que tu pilotes les vrais. Et je serai ravie de rencontrer ton chat. C’est plutôt un petit félin apeuré ou un gros matou pot de colle ? » Le duo de patineurs s’élança ensuite sur la glace. Entre prise de vitesse, figures artistiques et plaisir de glisser ensemble, Erin se détendait et ne voyait plus le temps passer. Les jambes légères, elle flirtait avec les lois de l’équilibre en dépit d’un manque de pratique. Quel sentiment libérateur ! De meilleure humeur, elle lança un petit jeu, celui d’une course avec un gage ou une vérité à la clef pour le vainqueur. Cet esprit de jeu. Il n’avait pas de fin. Jamais. C’était ainsi, il revenait toujours quand ils se voyaient. Et c’était sans doute ce qui avait rendu leur relation unique. Jamais, ils ne s’arrêtaient. Erin bousculait le Nate discipliné et il le lui rendait bien. Ils se placèrent et s’élancèrent à toute vitesse. La jeune femme démarra moins fort que le Jenkins, elle le talonna mais ne réussit pas à rattraper son retard. Finalement, il ralentit légèrement pour lui attraper la main et terminer la course ensemble. N’ayant pas suffisamment ralenti, la vitesse l’emporta avec un petit fracas contre la barrière. Nate encaissa le choc dans son dos et réceptionna Erin dans ses bras pour amortir son arrivée. Essoufflée, la jeune femme se concentra sur sa respiration et ne se rendit pas tout de suite compte de leur proximité, joignant son rire à celui du pilote. « Eh ben, bravo ! » Il était habitué à encaisser avec le hockey. Elle s’appuya sur le rebord, à côté de lui et écouta sa question puisque c’était ce qu’il avait choisi. Une question qui paraissait simple, et pourtant qui était compliquée pour elle. Il y a quelques mois, elle n’avait même plus envie d’en envisager un, d’avenir. Pas sans Arielle. Alors, il lui avait fallu du temps pour se reconstruire et à présent, elle prenait un jour après l’autre. Néanmoins, il y avait une chose qui se dessinait dans sa tête. « J’aimerai retrouver le plaisir de chanter et de jouer de la musique. C’est ce qui me porte. » Erin aussi avait le loisir de lui donner un gage ou de lui poser une question. Il y en avait bien une qui lui brûlait les lèvres, à cause de son instinct de protection, et tant pis pour le côté sérieux, elle n’aurait peut-être pas d’autre occasion. « Pourquoi tu as tenu à venir me chercher ? Toi qui as déjà si peu de temps avec tes obligations professionnelles pour profiter de ta famille. » Sans parler de la tornade dans laquelle il risquait de se retrouver si on le voyait trainer avec elle. Une artiste droguée, c’était son étiquette, authentique.

Alors qu’Erin lui parle de l’Australie, évoquant à la fois sa famille et des déplacements professionnels dans le pays d’origine de ses parents, Nate préfère ne pas rebondir au sujet de ses concerts. Il pense que ça lui manque et qu’elle ne pourra pas reprendre dans l’immédiat, aussi poursuit-il sur le sujet de l’humour. « Tu trouves ? Pourtant, toutes les femmes ou presque préfèrent l’uniforme, c’est bien connu. » Il lui adresse un clin d’oeil, même s’il se doute que ce n’est qu’un cliché. Néanmoins, il a eu l’occasion de le vérifier à plusieurs reprises : il a l’impression que ça ne fait pas le même effet une fois qu’il s’est changé. Mais en l’occurrence, le co-pilote taquine seulement Erin, avant d’en profiter pour l’inviter à passer chez lui à l’occasion. « Un gros matou pot de colle… Quand je suis là il a tendance à s’installer systématiquement sur moi, mais c’est peut-être parce qu’il sait que je finis toujours par repartir. » Pendant plusieurs années, O’Malley a été son seul compagnon à la maison. Ils ont accueilli une autre colocataire plus récemment, ou de la famille plutôt, ce qui est rassurant pour le chat quand Nate doit se déplacer.

En-dehors des nouvelles qu’ils échangent, les deux jeunes gens sont enthousiastes pour partager une de leurs passions communes. Sur la glace, ils s’amusent bien ensemble. Pour le Jenkins, il n’y a pas la pression des entraînements et surtout, c’est un véritable plaisir de l’admirer évoluer au sein de la patinoire. Même si elle n’y est plus venue depuis longtemps, elle retrouve vite son aisance et, plus encore sa grâce. Mais bien entendu, ils ne peuvent pas se contenter de patiner simplement à deux. Non, il leur faut un peu de défi et de jeu… Qui finit par déboucher sur le choix entre gage et question. Une forme d’action ou vérité, en somme. Nate veut savoir ce qu’elle souhaite le plus pour l’avenir et elle évoque le plaisir de chanter et de jouer de la musique. Il a bien envie d’approfondir, mais ce n’est pas son tour… Et la question d’Erin ne le surprend pas vraiment, au final. Mais il est compliqué d’y répondre, principalement parce que le brun lui-même n’est pas sûr de la réponse - même s’il a bien une petite idée, difficile à admettre. Néanmoins, il décide d’assumer un minimum, plongeant son regard dans celui de la jeune femme. « J’avais envie de trouver du temps pour toi… Parce que je t’aime bien. » Bon, d’accord, il peut mieux faire. En plus, ils ne sont même pas vraiment amis dans le sens conventionnel du terme, alors ce n’est peut-être pas très crédible dit comme ça. Il décide donc de poursuivre. « Dès la première fois où on s’est rencontrés à Singapour, j’ai su que tu étais différente. Spéciale. Au fil du temps, on a continué à se voir même si on n’avait pas de raison particulière de le faire… Donc j’avais envie d’être là pour toi. » Il finit par détacher son regard du sien, mais sans s’éloigner d’elle. « J’ai une dernière question… Avant de partir sur un gage. Si tu pouvais changer une seule chose, tu ferais quoi ? » Il voudrait connaître son plus grand regret dans la vie, comme ça, il peut éventuellement identifier la cause de sa déchéance pour pouvoir mieux l’aider.

« Un aimant à femme, un aimant à chat. Dis-moi, quelque chose te résiste encore en ce monde ? » Erin lui rendit la taquinerie et se concentra ensuite sur la glace. Même si elle n’était pas débutante, elle n’avait pas patiné depuis longtemps. Pourtant, elle retrouva rapidement ses sensations et elle glissa fluidement sur le sol gelé, jouant l’équilibriste dans l’une ou l’autre figure artistique. En dépit d’une innocence envolée depuis ses concours de patinage, Erin n’avait rien perdu de sa grâce d’antan. Patiner lui vidait la tête, la détendait. Dans cette discipline, elle se sentait déconnectée du monde pour ne plus être raccordée qu’à l’essentiel. Et l’essentiel pour l’instant était ce moment de bonheur et de légèreté qu’elle partageait avec Nate. Il était entré dans sa bulle. Sans l’éclater. Partenaire doué, il glissait sur la glace avec aisance et fluidité, surpassant la souplesse d’Erin par une pointe de vitesse. Il se faufila jusqu’à l’autre bord comme une fusée en plein vol, atterrissant avec fracas de l’autre côté. Nate lui accorda un ex-aequo inattendu et par le biais d’une sorte d’action ou vérité, il lui demanda ce qu’elle envisageait pour l’avenir. D’avenir, Erin n’en voyait pas. Il était trop tôt pour se projeter. Tout était si incertain. Demain, elle pouvait se réveiller, prendre sa guitare et gratter son instrument dans une frénésie d’inspiration. Ou alors, la chanteuse était tout autant capable de céder à ses vices passés et de sombrer à nouveau. Bien qu’elle ne l’admettrait jamais, son psychologique se vautrait dans des méandres fragiles qu’elle continuait d’explorer jour après jour. Quelle était la limite à ne pas dépasser, la frontière à franchir pour ne plus jamais être tentée de tout foutre en l’air ? C’était si bon, pourtant, de se détacher de la réalité. De trouver que le rêve était mieux à vivre. Enfin ça, c’était ce qu’elle pensait l’hiver dernier quand elle était au plus bas dans sa descente aux enfers. Maintenant, Erin devait reprendre le cours de sa vie, trouver le moyen d’avancer. Ce n’était pas gagné. Elle n’avait envie de rien, à part de regagner sa liberté et de retrouver la musique. Oui, renouer avec sa passion, était un bon début. Juste pour le plaisir, d’abord. Peut-être sur le plan professionnel, ensuite. Finalement, Erin lui retourne une question aussi difficile à répondre pour lui que pour elle d’envisager l’avenir. Contre toute attente, Nate ne se déroba pas. Il plongea son regard dans le sien et lui adressa des mots inattendus. Des propos qui exprimaient… une forme d’attachement. Quelque part, elle s’en doutait. Pourquoi le pousser à poser des mots sur ce qui était implicite ? Parce qu’Erin avait besoin de savoir ce que tout ceci signifiait. Rien de plus qu’un réveil de leur lien spécial, et c’était rassurant. « Ah bon ? Je me suis donc présentée sous mon meilleur jour. » Répondit la brune dans un petit rire destiné à diluer le sérieux de cette réponse. Elle l’avait cherché mais c’est elle qui n’était pas préparée à cette déclaration. « Pourtant, tout ce qui a été dit dans la presse n’est pas qu’un tissu de mensonges, il y a une part de vérité. Ici, je ne suis pas seulement celle que tu as rencontré à Singapour, tu comprends ? » Il y avait encore tant de choses qu’il ignorait d’elle, et vice versa, et pourtant ces zones d’ombres les rapprochaient mystérieusement. Ces inconnues attiraient Erin, elles revêtaient un costume séduisant. A sa façon, la chanteuse venait de lui donner un avertissement. A lui de décider si par la suite, il s’entêtait à la voir en connaissance de cause : leur alchimie pouvait disparaitre à cause des sautes d’humeur imprévisibles de la jeune femme. « Mais je suis contente que tu sois là. Pour me rappeler d’où je viens. Sur ces patins. » Nouvelle pointe d’humour teintée d’un fond de vérité. Elle retombait en adolescence et ça faisait du bien. La main d’Erin effleura légèrement la joue froide de Nate, ce qui se rapprochait le plus d’un geste affectueux dans le cœur frigide de la jeune femme. Dans la foulée, elle se détacha de lui et s’éloigna du bord, avide de reprendre la glisse. Nate lui lança alors une seconde question. Effectuant un arc de cercle, elle rebroussa chemin et retrouva sa place à côté de lui. Vu ce qu’elle avait demandé, Erin ne broncha pas sur les règles du jeu. Au diable, les règles. « Oh, tu es chaud pour un gage maintenant ? Ce ne sera pas gratuit. Une nouvelle course s’impose, avec une figure cette fois. » Lança-t-elle, joueuse. Le regard de la jeune femme s’assombrit légèrement à l’évocation d’une seule chose qu’elle pourrait changer si elle en avait le pouvoir. Ce n’était même pas ses problèmes, ni son passé. Aujourd’hui, si Erin rencontrait un génie capable d’exaucer des vœux, elle le prierait de ressusciter Arielle. « J’essaierai d’arriver à temps pour ma meilleure amie. Je demanderai au ciel de la ramener. Elle… Je l’ai perdue en avril, l’année passée. Je donnerai n’importe quoi pour revenir en arrière. » La brune avait omis la cause de son décès. Perdre Arielle avait été la goutte qui avait fait déborder le vase. Erin avait complètement vrillé. « Et toi ? Que voudrais-tu changer ? » Finalement, elle était curieuse de sa réponse aussi.

« Je comprends… Enfin, je crois. » Mais bien sûr, Nate se sent quelque peu mitigé. Il n’a pas la prétention de dire qu’il connaît bien Erin, même s’il aimerait que ce soit le cas. Néanmoins, il ne peut s’empêcher de se dire que les moments où elle est loin de la presse, comme dans la chaleur d’un bar ou dans l’intimité d’une chambre d’hôtels, c’est là qu’elle est le plus… Elle-même. Mais il n’a pas envie de poursuivre sur ce sujet. Il a simplement répondu à la question qu’elle lui a posée, parce qu’il le fallait bien, pour suivre le jeu. Mais il est quand même content quand elle lui dit qu’ici, avec lui, elle se rappelle d’où elle vient. C’est peut-être une forme de plaisanterie, mais en même temps Nate se dit que ce genre de moments, passés à faire ce qu’elle aime, à regagner un peu de liberté, loin de la presse et de la mauvaise publicité, ça ne peut que l’aider. Ou en tout cas, c’est ce qu’il espère. Mais à travers ce jeu d’adolescent qu’elle a lancé, le Jenkins espère aussi en apprendre un peu plus sur elle, sur ce qu’elle souhaite, sur ce qu’elle regrette. Il a l’impression qu’en la cernant mieux, il pourra mieux l’aider. Or, c’est précisément ce qu’il veut faire.

Mais l’aveu d’Erin a de quoi surprendre même la personne la mieux préparée et, pendant instants, Nate reste silencieux, tentant d’assimiler ce qu’elle vient de lui dire. « Je suis désolé » souffle-t-il, conscient que ses mots sont vains. « Je suis sûr que si elle pouvait t’entendre, son coeur déborderait d’amour. » Un peu mal à l’aise, il se trémousse légèrement sur place. « En fait… Je pense que je peux te comprendre… Un peu. » Puisqu’elle lui a retourné la question, c’est à son tour de replonger dans la partie la plus douloureuse de son passé. « La situation n’était probablement pas la même… Mais j’ai perdu quelqu’un, moi aussi. » La femme de sa vie, en fait. Mais il se voit mal le dire comme ça. « C’était ma fiancée. Elle est tombée malade… Alors si je pouvais, je remonterais dans le temps pour consacrer ma vie entière à la médecine, aux recherches ou peu importe comment ça s’appelle, pour lui trouver un remède. Je retournerais plusieurs décennies en arrière si c’était possible, même si ça voudrait dire que je ne la connaîtrais jamais, ne serait-ce que pour lui offrir quelques années en plus sur cette Terre. » Et voilà. Ça fait beaucoup d’un coup. La séquence émotions a été déclenchée pour les deux et, en même temps, c’est probablement ce à quoi on peut s’attendre avec ce genre de questions. Néanmoins, le co-pilote est désireux de ne pas trop s’attarder sur ces deux fantômes du passé, deux femmes tellement aimées qu’il est si facile de sombrer en pensant à elles. « Bon, pour ce gage… Quelle figure tu veux ? En marche arrière, s’il te plaît, c’est ce dont j’ai le plus l’habitude avec le hockey… » Comparé au reste, leur jeu est bon enfant, alors autant le continuer. « On en fait une à deux et une autre chacun de son côté ? »

Le plus difficile pour Erin était de se dire que la disparition d’Arielle aurait pu être évitée. Sa meilleure amie était accroc aux substances chimiques depuis des années, elle avait vécu au moins deux overdoses plus jeune avant celle qui lui avait été fatale. Quand les deux amies consommaient ensemble, elles s’arrangeaient pour ne jamais finir à l’hôpital, une sorte de consommation consciente. Erin en prenait suffisamment pour tenir les tournées ou se mettre la tête à l’envers mais les doses ne l’avaient jamais mises en danger. Et puis, les années, le manque et l’habitude l’avaient poussée à explorer plus loin et à repousser ses limites. Des limites qu’Arielle avait déjà explosé depuis longtemps, au point qu’il lui avait été vivement recommandé d’arrêter net. Des recommandations qu’elle avait suivies… pendant un temps. Tellement bien suivies qu’Erin aussi l’avait enfin crue capable de s’en sortir. Mais une mauvaise soirée avait tout chamboulé. Arielle avait rechuté, imprudemment. Elle avait pris une dose trop violente pour son corps qui n’était plus habitué après des mois de sevrages. Elle était morte, seule, dans la déchéance. En mission professionnelle, Erin avait hurlé dans le studio télé qui l’avait invitée en interview. La jeune femme avait pris le premier taxi disponible pour rentrer et avait pressé le chauffeur jusqu’à l’hôpital. En courant dans les couloirs blancs, direction la chambre de l’aînée des enfants Walsh, elle était tombée sur Roméo qui avait fait rempart de son corps pour l’empêcher d’entrer. Il ne voulait pas qu’elle découvre le corps pâle, sans vie et abîmé de sa meilleure amie. Ne pas avoir pu lui faire ses adieux correctement lui restait en travers de la gorge, c’était la goutte qui avait fait déborder le vase, elle avait perdu les pédales. Sans son pilier, son repère, elle était perdue. Depuis qu’Arielle était entrée dans sa vie, Erin avait appris à ne plus vivre sans elle. Et elle n’était toujours pas sûre de savoir comment faire maintenant qu’elle avait retrouvé sa liberté. En dépit de sa confidence à Nate, la chanteuse ne détailla ni les circonstances du décès d’Arielle, ni son ressenti. La blessure était encore trop fraiche, trop profonde. Et c’est ce qui l’avait conduite en désintoxication par effet boule de neige. Alors, il valait mieux ne pas trop remuer tout cette histoire, elle qui venait à peine de sortir dans le monde extérieur. « Crois-moi, si elle pouvait m’entendre, on passerait notre temps à nous engueuler et puis à en rire. Pas à se faire des déclarations d’amour. » Répondit Erin. Un sourire étira ses lèvres en souvenir de leur amitié fusionnelle mais explosive. Par contre, Nate aussi avait perdu un être cher. Une fiancée. La révélation surprit la chanteuse. En dépit de leurs confidences dans les bars à l’étranger ou sur l’oreiller, il ne lui avait jamais parlé de cette femme. Et il était prêt à tout pour réécrire l’histoire pourvu qu’il réussisse à lui glaner des années de vie supplémentaires. « Je suis désolée que tu aies perdu une personne que tu aimais aussi. Je suis sûre qu’elle serait touchée par l’amour que tu lui portes toujours. La vie nous arrache parfois ceux qui comptent le plus pour nous sans qu’on sache pourquoi. » Il était évident que Nate était toujours très attaché à elle aussi. La disparition de sa femme remontait avant leur rencontre à eux en 2015, sinon il n’aurait pas fréquenté la brune. Par les mots qu’elle venait de formuler, Erin se référait aussi bien à la maladie de la fiancée de Nate qu’à l’accident qui avait emporté son frère et sa nièce chérie, un accident dont elle lui avait déjà parlé un jour. C’était terrible et incompréhensible. Malheureusement, le passé était figé et les pages souillées du livre ne s’arrachaient pas. Désireux de changer de sujet, le co-pilote lui reparla d’un gage alors qu’Erin avait proposé une nouvelle course avec une figure à la clef. Peu importe, en vrai. « A deux ? Tu as déjà fait des portés ? » En réalité, la jeune femme n’était pas très emballée par l’idée. Nate était certes un bon partenaire de glisse mais il n’était pas patineur artistique. Erin était capable de lâcher prise, de patiner à l’aveugle et de lui faire confiance tant qu’elle gardait ses pieds sur la glace. Dans les airs, il fallait plus de pratique. En revanche, Nate souhaitait une figure en marche arrière. « On peut tenter un simple, double ou triple Lutz, au choix. Tu connais ? » Cette figure en solo n’était pas simple à exécuter, elle demandait un bon équilibre corporel mais elle s’effectuait à reculons comme Nate le lui avait demandé. La difficulté augmentait avec le choix du nombre de rotations dans les airs.

Comme les questions sont assez personnelles, les réponses sont forcément chargées en émotions. Erin évoque la perte de sa meilleure amie, Nate celle de sa fiancée. Il n’en parle pas souvent, pourtant. Il a mis très longtemps avant d’en parler à Caitlin, avec laquelle il est pourtant sorti pendant près de trois ans. Et s’il ne le fait pas, ce n’est d’ailleurs pas parce qu’il ne pense pas à elle, ce serait faux de le dire. La réalité, c’est que même toutes ces années après, c’est encore un sujet douloureux à évoquer. Tant de projets rayés, de bonheurs ratés, d’amour à refouler - parfois, quand c’est trop difficile, quand il a vraiment besoin de se confier, il en parle à Jody ou encore à Cove. Mais avec les autres, c’est beaucoup plus rare. Certains sont même surpris d’apprendre qu’il a pu être fiancé, lui qui avait tant de mal à s’engager auprès de Caitlin qu’il appréciait pourtant beaucoup. C’est peut-être le cas d’Erin, d’ailleurs. Quoi qu’il en soit, celle-ci fait écho à ses propos en disant à son tour qu’elle est désolée. Nate hoche simplement la tête en signe d’assentiment à ses propos. Elle a raison : la vie peut parfois être d’une cruauté sans nom, sans raison apparente. Il n’y a sûrement pas d’explications, d’ailleurs, seulement de fâcheux concours de circonstances, des résultats de l’imperfection humaine, ce genre de choses. « Et on espère que quelque part, ils peuvent veiller sur nous et nous souhaiter tout le bonheur du monde, même si on n’y croit pas trop. »

Pour l’un comme pour l’autre, c’est difficile, alors ils reviennent à leur domaine de prédilection, à la raison de leur présence ici. « Oui… Mais c’était surtout pour rigoler avec les gars et, crois-moi, ils sont beaucoup plus lourds que toi. » Néanmoins, la jeune femme elle n’a pas l’air à l’aise avec cette idée, alors elle propose autre chose et Nate hoche à nouveau la tête en signe d’assentiment. « Je connais. Je propose de commencer par un simple… Et d’enchaîner avec un double ensuite. Enfin, tu peux faire un triple directement, si tu veux. » Pour sa part, le co-pilote va probablement en rester là. Tendant une main à Erin, ils s’élancent ensemble sur la piste, avant de se séparer pour effectuer chacun la figure de son côté. En tout cas, elle a respecté sa requête : l’appel se fait en arrière, la réception également en arrière… Il s’agit d’effectuer une rotation d’un tour en l’air, même si Nate aurait bien du mal à expliquer à quelqu’un qui ne s’y connaît pas du tout de quoi il s’agit. Mieux vaut encore le montrer. Et ils s’appliquent, chacun de son côté. Nate se souvient d’avoir mis un bon moment avant de réussir à exécuter cette figure, mais avec la pratique c’est venu, de manière plus fluide. Il effectue plusieurs Lutz, avant d’en faire un double. Puis il se remet à patiner simplement, appréciant la sensation de glisse qu’il n’éprouve pas beaucoup quand il est concentré pendant un entraînement, se laissant doucement porter vers l’entrée de la patinoire. « On devrait faire ça plus souvent… Si ça te tente. » Cette proposition s’ajoute à celle de passer visiter sa maison. Mais pour l’heure, c’est le moment de la déposer chez elle, enfin chez son frère. Ils se déchaussent tous les deux, Erin rapportant au stand les chaussures qu’elles a louées, avant qu’ils retournent s’installer dans la voiture. « N’oublie pas. Si t’as besoin de quoi que ce soit, tu peux m’appeler. » Leur relation est peut-être un peu difficile à décrire, mais il veut être là pour elle dans ces moments difficiles. Il espère aussi que ça se passera bien avec son frère et sa belle-soeur, chez qui il la dépose après quelques minutes de trajets. « Prends soin de toi, Erin. »

Erin ne le releva pas la réponse de Nate, une réponse qui la rendit songeuse. Oui, beaucoup de gens espéraient que leurs proches disparus jouissent d’une forme de vie après la mort, dans un monde meilleur, et qu’ils continuaient de veiller sur eux. Si c’était le cas, la jeune femme ne doutait pas que son frère ou son amie lui souhaiteraient d’être heureuse même si elle n’avait toujours pas trouvé comment avancer sans eux. Mais personne n’était capable d’affirmer qu'il existait un ailleurs quelque part. Les croyances d’Erin n’étaient pas figées, elle était simplement dans l’ignorance et ne savait pas. Avoir des hallucinations régulières de sa meilleure amie la troublait mais Arielle avait commencé à lui apparaître lorsqu’elle avait connu la sensation du manque et que les effets des substances chimiques dans son corps s’étaient estompés. A présent, Erin la voyait souvent à travers des rêves et des cauchemars. Son esprit n’arrivait tout simplement pas à faire le deuil de la jeune femme. Normal : tout lui rappelait Arielle. Island Bay, sa villa, le studio de musique. Elles passaient tout leur temps libre ensemble, partout, comme deux sœurs. Et maintenant, la chanteuse devait s’employer à retrouver le cours de sa vie sans elle, à commencer par la musique.

Pour l’heure, Erin profitait d’un moment de légèreté avec Nate sur cette patinoire. Elle prenait plaisir à glisser avec lui sur la glace, retrouvant de vieilles sensations. A l’aise, la jeune femme alterna des accélérations et des figures qu’elle avait apprises plus jeune. Finalement, le duo de patineurs s’était rejoint au bord pour ce petit jeu de question et réponse où ils s’étaient ouverts l’un à l’autre. A présent, Nate proposait carrément d’effectuer une figure ensemble, mais elle n’avait pas suffisamment confiance pour prendre le risque, même si le pilote se targuait d’avoir déjà porté des personnes beaucoup plus lourdes qu’elle. Ils se concentrèrent donc sur une autre figure, qu’elle découpa lentement à faible allure pour s’échauffer et se rappeler des bons gestes. Lorsqu’elle revint vers le bord, Nate lui attrapa la main pour qu’ils s’élancent ensemble sur la patinoire. Concentrée, Erin s’étira en arrière et effectua une double rotation avant de se réceptionner gracieusement. Elle n’avait plus son niveau d’antan et n’était pas prête à augmenter la difficulté : le but n’était pas de se blesser. Sur cette bonne note, la jeune femme glissa avec Nate jusqu’à la sortie de la patinoire où ils se déchaussèrent. « Oui, bien sûr. » Le pilote lui proposait de remettre le couvert, à l’occasion. Pourquoi pas. Depuis sa vie d’artiste à succès, il avait toujours été difficile pour Erin de se projeter, elle ne savait jamais de quoi le lendemain était fait et elle ne tirait généralement pas de plan sur la comète. Comme leurs rencontres à l’étranger, en fait. Mais elle allait passer les prochains mois à Island Bay, donc se projeter à court terme était devenu possible. A l’accueil, la chanteuse rendit le matériel loué puis elle rejoignit Nate à l’extérieur.

Dans la voiture, il lui rappela qu’elle pouvait l’appeler n’importe quand. Cette nouvelle dynamique entre eux était étrange mais bizarrement elle était contente de savoir qu’elle pouvait compter sur lui. Et qu’ils allaient se revoir dans un avenir proche. Pudique, elle exprima sa gratitude en peu de mots, gardant pour elle les troubles qui l’avaient traversée quand il lui avait fait une déclaration inattendue plus tôt dans la journée : il tenait à elle. « Ça marche. Merci. » Il lui avait offert un moment d’évasion avant qu’elle retrouve sa famille. Peu après, Nate la déposa devant la maison de son frère. Il lui adressa un dernier mot en guise d’aurevoir. Comme sur la patinoire, la main libre du co-pilote était posée sur celle d’Erin, leurs doigts s’entremêlaient. Ce geste était presque plus intime que les nuits passionnées qu’ils avaient partagées. Spontanément, la reine de glace se pencha vers lui et déposa un tendre baiser sur sa tempe. « A bientôt, Nate. » Anodine, cette phrase sonnait pourtant comme une promesse. La promesse de le revoir très vite, contrairement à toutes leurs précédentes retrouvailles. Les doigts d’Erin glissèrent de la main du jeune homme lorsque la chanteuse s’extirpa de la voiture pour rejoindre la maison de son frère.

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