Having a sister is like having a best friend you can't get rid of (Alexie)



Les cheveux ébouriffés, les joues rouges et la sueur dégoulinant le long de son dos, Bailey ne se sent clairement pas à son avantage. Mais pour l’instant, ça n’a pas beaucoup d’importance. Elle se trouve actuellement dans le grenier de ses parents, à remettre de l’ordre dans des cartons qui datent peut-être bien de Mathusalem. « Je sais que c’est facile d’accumuler des affaires, mais… Franchement, je pourrais pas dormir avec un tel fouillis au-dessus de ma chambre. » Bailey pousse un soupir dépité, continuant à s’affairer. Aujourd’hui, c’est dimanche et elle donne un coup de main à ses parents. Elle s’efforce de le faire assez régulièrement, même si d’habitude, elle est plutôt à l’extérieur en train de prendre soin des animaux ou de nettoyer la cour. Mais aujourd’hui, maman Holt leur a demandé, à elle et à Alexie, de ranger le grenier. Bailey a accepté, bien sûr. Pour elle, le ménage n’est pas vraiment une corvée. Ceci dit, elle ne s’attendait tout de même pas à un tel fouillis. En bonne maniaque qu’elle est, ce qui peut être étonnant quand on considère qu’elle a grandi dans une ferme, Bailey s’est sentie horrifiée. Et en même temps, c’était presque un défi à relever pour elle. La matinée touche à sa fin et elles ont bien avancé, même si Alex a régulièrement râlé face à une petite soeur qui, quand il s’agit de propreté et d’ordre, peut vite se montrer un peu trop directive.

« Je crois qu’on a presque fini, non ? » Avec son regard perçant d'obsessionnelle, la rousse parcourt des yeux la pièce. Elle est plutôt satisfaite du travail accompli. Et ensuite, elles auront leur récompense, puisque leur mère prépare un bon déjeuner. Leur père, lui, est dehors à s’occuper des animaux, avec leur troisième soeur. Bailey ne sait pas avec laquelle de ces trois personnes sont ses enfants, mais elle ne s’inquiète pas, parce qu’elle est certaine qu’ils sont entre de bonnes mains et en sécurité. « En tout cas, tu as assuré, merci ! » Il faut bien qu’elle dise quelques mots gentils à Alex. Elle ne compte plus le nombre de fois où son aînée a levé les yeux au ciel, visiblement exaspérée. « Et tu sais quoi ? J’ai gardé le meilleur pour la fin. Je te l’ai pas dit tout à l’heure parce que je voulais qu’on reste concentrées sur le travail, mais j’ai trouvé un carton d’album photos. Je suis sûre qu’on trouvera des trucs géniaux ! » Sans attendre, Bailey se rapproche dudit carton et s’assoit en face. Quand sa soeur la rejoint, elle a déjà commencé à feuilleter l’un des albums et elle se rend compte que ça date de l’époque où elles étaient au lycée. « C’était un de tes copains, ce gars avec des lunettes ? » Bailey s’attend à trouver des pépites et, effectivement, c’est le cas. « Oh, regarde, ça, c’était mon bal de fin du lycée… Trey m’avait accompagnée parce que j’avais personne. Il avait une copine à l’époque et, comme tu peux t’en douter, elle était furieuse. » Un sourire attendri naît sur les lèvres de Bailey. Trey est là pour elle depuis tellement longtemps… Presque aussitôt, Bailey se rend compte qu’il faut vraiment qu’elle en parle à Alexie. Elle ne sait pas comment aborder les choses, mais c’est sa soeur, elle finit toujours par tout lui dire ou presque. « D’ailleurs, à ce sujet, euh… Je l’ai croisé par hasard au parc, vers la fin du mois de novembre. Et depuis, on s’est revus plusieurs fois, pour manger, ce genre de choses. C’est avec lui que j’ai repris le sport, d’ailleurs. » Jusque-là, rien d’extraordinaire. Mais la suite, c’est la meilleure partie, du moins aux yeux d’une Bailey redevenue comme une adolescente énamourée. « Il a eu un petit garçon, Arun, il est né quelques mois avant Ethan. »

Les excuses d’Alexie font sourire Bailey. « Crois-moi, c’est seulement parce que Kayla n’a pas le droit de râler quand elle accomplit des tâches ménagères... Même Ethan ramasse ses jouets et nettoie quand il salit, je vais bientôt recevoir un mot de l’assistante sociale pour exploitation de ma progéniture. » Si Bailey plaisante à moitié, elle sait que certains parents ne sont pas du tout partisans d’apprendre à leurs enfants à travailler aussi jeunes. Mais ça lui est égal, parce qu’elle sait que ce sera utile à ses enfants. De toute façon, contrairement à ce qu’on pourrait croire, en plus d’être une prof capable d’une sévérité étonnante, la rousse est aussi une maman stricte. Et aujourd’hui, Alexie l’a laissée plus ou moins commander, même si elle aurait visiblement préféré être à peu près partout ailleurs. « Merci » conclut-elle simplement, consciente qu’il faut de la patience pour supporter son côté maniaque. Et pour la pause proclamée par l’aînée, quoi de mieux que de se plonger dans de bons souvenirs d’enfance et d’adolescence ? L’album photos que Bailey a ouvert recouvre plutôt la période du lycée et elle est enchantée d’y trouver certaines en très bon état. Elle a bien envie d’arracher celle du bal où elle pose à côté de Trey, pour pouvoir la garder et la lui montrer, mais Alexie trouverait peut-être son geste un peu bizarre sans explication préalable. « C’est vrai, j’avais oublié Arthur... »

C’est avec beaucoup de tendresse que Bailey évoque le passé. Il faut dire qu’elles ont eu la chance de grandir dans une famille aimante, même s’il n’est pas de tout repos d’avoir trois sœurs. Mais elles se sont toujours serré les coudes et protégées mutuellement. Et elles pouvaient se confier leurs secrets sans crainte d’être jugées. « Oui, la pauvre » soupire la rousse en faisant référence à la copine de l’époque de Trey. « Je peux comprendre qu’elle en ait eu marre de moi... Mais aujourd’hui, je sais même pas s’il se souvient encore de son prénom. » Alors qu’eux, ils se sont toujours bien entendus, même s’ils se sont éloignés après le mariage de Bailey. « Le microbe doit maintenant faire au moins quarante centimètres de plus que toi... Et le double de ton poids rien qu’en muscles » plaisante-t-elle. « J’avais oublié que tu lui donnais ce surnom. » Ça la fait rire d’y repenser. Mais la suite de la conversation s’annonce plutôt sérieuse. « Non... La maman ne fait plus partie de leur vie, pas même de celle de son fils. Pour l’instant, en tout cas. » En tant que mère de famille, Bailey est persuadée que Sixtine regrettera et voudra revoir son garçon blondinet. Comment pourrait-il seulement en être autrement ? « On ne s’était pas revus depuis qu’il avait quitté le pays... Ça fait quoi, plus de trois ans ? » À ce moment-là, la rousse remarque l’attitude de sa sœur aînée. Les bras croisés sur sa poitrine, elle est en train de l’observer avec attention, une lueur un peu malicieuse dans le regard. Les yeux de Bailey se font tout de suite un peu moins rêveurs. Elle a l’impression que la brune l’a déjà plus ou moins percée à jour - mais comment elle fait ? « Quand je me suis mariée, sa présence ne plaisait pas trop à James... Ce que je peux comprendre, mais bref tout ça pour dire qu’on s’est éloignés. Alors ces derniers mois... Ça m’a fait vraiment plaisir de le retrouver. On a renoué comme avant. Enfin... Presque. » Elle baisse la voix comme si elle avait peur que les cartons l’entendent et la jugent, se triturant légèrement les doigts (geste contrastant avec son cœur qui bondit encore de joie en repensant à leur premier rencard magique). « Du coup, je voulais te dire... On est ensemble, maintenant, lui et moi. »

Toujours le mot pour rire, cette grande sœur... « Et ta copine, ses initiales seraient pas AH, par le plus grand des hasards ? » fait-elle semblant de s’enquérir, avant de tirer la langue à son aînée. « En plus, pas de chance, t’en as deux des comme ça, t’as dû faire quelque chose de pas sympa dans une vie antérieure pour mériter ça aujourd’hui » continue-t-elle à plaisanter, tout en tournant les pages de l’album photos posé sur ses genoux. C’est l’occasion d’un véritable retour en arrière, d’un plongeon dans une époque révolue, de s’attendrir devant des souvenirs ou d’en rire. Pour Bailey, c’est aussi l’occasion de s’ouvrir à Alexie. Elle n’aurait pas imaginé avoir cette conversation dans le grenier de leurs parents, couvertes d’une pellicule de sueur et de poussière, entourées de sacs poubelles de vieilleries datant de Mathusalem. Mais elle saisit la balle au bond, parce qu’elles sont uniquement toutes les deux et qu’à Island Bay, tout se sait un peu trop vite. Bailey n’a pas envie que ses sœurs apprennent de quelqu’un d’autre qu’elle s’est remise en couple, mais elle se voyait mal demander à Alex de passer à la maison parce qu’elle a besoin de lui parler - sa sœur aurait peut-être imaginé le pire. Et puis, en voyant que Trey est sur de nombreuses photos, ça lui rappelle qu’ils ont toujours été proches. Et ça lui donne encore plus envie de parler de ce qui la rend heureuse, tout comme elle aime voir Alex s’épanouir avec Gus.

Et forcément, la réaction de son aînée ne se fait pas attendre. D’abord, elle semble surtout surprise, cherchant à s’assurer qu’elle a bien compris. « Ensemble, ensemble... Vraiment, vraiment » confirme Bailey avec un sourire amusé. La brune est maintenant debout, tapant des mains et riant. Elle paraît désormais aussi joyeuse qu’excitée. Et bien entendu, elle veut en savoir plus. La rousse éclate de rire. Elle se tient les côtes, ça fait du bien. « En casant les sacs poubelle au milieu de mon histoire, c’est tellement romantique... » Une fois qu’elle s’arrête de rigoler, Bailey se redresse un peu, les yeux pétillants. Elle a bien évidemment très envie d’entrer dans les détails - c’est un truc de filles, non ? « On s’est revus en octobre de l’année passée... Par hasard, au parc. Ethan a commencé à jouer avec Arun et c’est comme ça qu’on s’est retrouvés. Au début, c’était un peu bizarre, mais... On a commencé à discuter de tout et de rien, il m’a dit qu’il était devenu coach, j’ai avoué que j’avais lâché le sport depuis longtemps... Et on s’est revus pour un entraînement sur la plage. Un genre de torture, en fait » rit-elle alors qu’en réalité, elle aurait probablement saisi le moindre prétexte pour revoir Trey. « Ensuite on a regardé un film chez lui... Comme au bon vieux temps. Et puis un soir où j’avais un peu bu, on a commencé à discuter du passé. Je lui ai avoué que j’étais amoureuse de lui entre... Disons, treize et vingt et un ans, et lui qu’il s’est rendu compte qu’il avait le béguin pour moi seulement le jour de mon mariage. C’est dingue, hein ? » Si c’était à refaire, Bailey ne changerait rien. Parce qu’ils ont trois magnifiques cadeaux, Kayla, Arun et Ethan. Mais à ses yeux, ça ne fait que rendre leurs retrouvailles plus belles encore. « Bref, on s’est embrassés ce soir-là. Peu après, on s’est fait une session à la patinoire avec les enfants. On a bien discuté et c’est là qu’on a décidé de... De tenter notre chance. » Elle a beau faire des efforts, la mère de famille ne parvient pas à masquer son sourire niais et les étoiles qui brillent dans ses yeux. « On a eu notre premier rendez-vous pour le nouvel an. Et pas longtemps après, on s’est fait une journée tous les cinq. » Parler de tout ça remplit son cœur de joie. « Ça va, tu as eu assez de détails ? Je trouve troublant, après coup, que je me souvienne aussi bien de tout ça » plaisante Bailey, posant à nouveau les yeux sur une photo d’elle et Trey adolescents. « Je dors parfois chez lui, il dort parfois chez moi. Ethan et Arun s’entendent super bien et Kayla... Tu la connais. C’est vraiment une fille géniale. J’imagine que c’était un peu difficile pour elle de me voir avec un autre homme que son papa, mais elle a fait des efforts et elle m’a dit qu’elle l’aime bien. Donc on a des défis en plus, mais... Ça se passe bien. Il prend soin de moi, de nous. » Et il la rend heureuse. Mais ça, la rousse n’a probablement pas besoin de le dire : ça se voit comme le nez au milieu de la figure. « On a toutes les deux trouvé chaussure à nos pieds avec nos meilleurs amis, c’est marrant, hein ? »


« Se faire griller la place une seconde fois ? Qu’est-ce que tu veux dire ? » demande Bailey, intéressée. Elle n’est pas certaine d’avoir bien compris et, pour le coup, elle attend les explications de son aînée. Et ça va dans les deux sens. Il ne faut pas encourager Bailey longtemps avant qu’elle raconte à Alex où elle en est avec Trey et tout ce qui s’est passé. La brune n’a pas besoin de la convaincre, parce que Bailey est enthousiaste à l’idée d’en parler. Et son histoire ne manque pas de détails, en effet. Une fois qu’elle se tait - enfin -, Alex reste silencieuse pendant quelques secondes, ce qui ne manque pas de surprendre la cadette. Elle l’observe, amusée. En fait, elles s’observent mutuellement. Bailey a l’impression que sa soeur lit en elle comme dans un livre ouvert, qu’elle repère la moindre étincelle dans ses yeux, qu’elle ressent à distance chaque papillon dans son ventre. Alex a toujours été une grande soeur perspicace et, surtout, pleine d’amour. C’est elle qui se lève pour prendre Bailey dans ses bras, affirmant à quel point elle est heureuse pour elle. Le sourire de la rousse s’élargit. « Merci, tu es adorable. » Elle n’a pas besoin de préciser qu’au fond, elle a attendu ça pendant des années. Alex le sait déjà ; elle l’aurait compris sans même avoir besoin qu’on lui dise.

Et quand elle fait référence à son histoire avec Gus, Bailey ne peut s’empêcher de rire. « Au moins, ça en valait la peine ! » Elle s’est souvent demandé ce qu’ils attendaient. Mais peut-être qu’au fond, c’était juste le bon moment, pour l’un, pour l’autre, pour eux deux. La mère de famille n’en a aucune idée, c’est peut-être seulement une idée cliché. Mais ce qu’elle sait, en revanche, c’est qu’aujourd’hui ils ont l’air très heureux ensemble. C’est comme s’ils étaient parfaitement assortis et elle n’aurait pas pu rêver mieux pour sa soeur. « Comment il va, d’ailleurs ? Tu comptes l’inviter dimanche prochain si on ne doit pas à nouveau mettre la main à la pâte ? » En parcourant du regard les environs, Bailey se confirme intérieurement qu’elles ont presque terminé. Encore une vingtaine de minutes d’efforts et elles n’auront pas besoin de continuer là la semaine prochaine, mais ça ne veut pas dire que leur mère ne leur demandera pas de faire autre chose. En attendant, ça leur a permis d’avoir une conversation nécessaire - et instructive, sans doute. Lorsqu’il est question de James, la rousse esquisse une légère grimace, parce qu’elle n’a pas beaucoup avancé de ce côté-là. « Non, pas encore… Mais j’y travaille. » Et elle ne perd pas espoir. « Tu as d’autres questions, détective Alexie Holt, ou ta curiosité est satisfaite ? » plaisante-t-elle, remontant ses cheveux sur sa nuque pour avoir moins chaud.