wanna say sorry (reira)

|	wanna say sorry @Romeo Walsh

— La première nuit était passée sans encombre, un miracle pour la brune. Même l’équipe d’infirmières de nuit ne s’attendaient pas à avoir une nuit aussi tranquille avec la russe, la crainte de l’apparition continue des crises de la brune. C’est que dans les hôpitaux, les crises d’angoisse se sont déjà transformées en démence pour Reira. Parce que ce traumatisme flippant lui bouffe le cœur depuis 2012. Sauf que cette nuit, le calmant diffusé en continu dans ses veines a fait le job. La chute de l’adrénaline, le stress au point mort, le soulagement de savoir Piotr à la maison. Un joli petit mélange de bonnes choses qui a fait plonger la jeune femme blessée dans un long et profond sommeil. Le seul hic est qu’elle n’a rien touché de son plateau du dîner. Malgré les sourires et rires échangés la veille, la dépression menace de l’étreindre. Les mains du désespoir autour de sa gorge se sont resserrés lorsque Piotr l’a laissée seule dans cette chambre, obligé de quitter l’établissement. Alors l’envie de goûter au plat peu appétissant ne s’est pas manifestée. Les infirmières lui ont accordé cet écart. Seulement pour cette fois lui ont-elles dit. Le lendemain, check-up complet pour s’assurer que tout roule comme il faut là-haut, puis une des infirmières est restée durant tout son petit déjeuner, rien que pour s’assurer que Reira dévore. Tartines et confitures artificielles nagent désormais dans l’acide de son estomac. D’ailleurs, pendant ce repas, l’infirmière a évoqué Chance et Piotr. Des paroles vagues comme quoi le ton était monté dans le couloir puis le hall d’entrée. À ces paroles, les sourcils de la russe se sont nécessairement froncés tandis qu’elle rassurait l’infirmière en disant que ce n’était sûrement que le contrecoup de l’émotion. Elle leur en touchera deux mots quand tout cet accident sera derrière elle. Parce qu’elle voit déjà leurs excuses grosses comme des maisons : non mais ce n’est pas le moment d’en parler, repose toi. Dans cette salle de bain, lavée après avoir eu bien du mal à se déplacer avec l’attelle provisoire en attendant l’opération, Reira maudit l’idée de devoir foutre à nouveau cette blouse aussi peu esthétique qu’agréable à porter. Fort heureusement, ce modèle n’est pas celui qui laisse la lune à l’air libre.

En venant la voir ce matin, Chance lui a apporté des vêtements, juste au cas où, s’ils laissent la brune pouvoir prendre l’air, même si elle en doute. Ils ont pu discuter comme si de rien était. Ils ont ri et souri aussi, beaucoup. En effet, ce petit manège dans la chambre d’hôpital ressemblait curieusement à ces paroles légères échangées après l’amour à l’étage de la maisonnette de la russe. L’accident semblait loin, le malaise et l’ignorance aussi. Étrange plaisir dans cette relation tout juste renouée par la force des choses, Reira n’osa ni évoquer ses paroles dans le camion restées sans réponse ni explications, ni cette probable engueulade avec Piotr dont elle est censée ne rien savoir. Plus tard. Quelques minutes après que le départ du pompier, un autre visiteur toque pour pénétrer dans la pièce prise de vie depuis le début de la matinée. Piotr ? Sûrement. Élevant la voix pour autoriser l’entrée, Reira a plutôt la surprise de voir le patron du label qui l’a embauchée. Heureusement qu’il ne vient que ce matin, elle a tout de même une bien meilleure tête sans la fatigue et la douleur de la veille. Pause dans les calmants mais pas dans les antalgiques qui continuent de la bercer dans un nuage sans douleur. « Monsieur Walsh, non vous ne me dérangez pas du tout. Que faites-vous ici ? » Question bête qui sort par réflexe. La danseuse ne s’attendait pas véritablement à avoir la visite du patron, un appel pour s’assurer que tout va bien à la limite oui. S’il s’est déplacé rien que pour elle, pour s’assurer que tout va bien, alors cet homme est un saint et un patron terriblement bienveillant. Peu en ferait autant. Son instinct et son expérience avec Roméo la ferait tout de même pencher vers la bienveillance naturelle, ce côté paternel envers les plus jeunes. « Désolé pour tout ce bazar. » Référence au malencontreux accident. « J’espère que je ne vous ai pas trop causé de soucis. Tout va bien ? » Après tout, il y a forcément une raison logique, d’ordre professionnel ou juridique, qui expliquerait la présence du patron sur les lieux. À moins que ce ne soit véritablement que sollicitude altruiste.  

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— Finalement la brune semble offrir du sang d’encre à plus d’une personne. Outre son petit frère, elle n’imaginait pas recevoir d’autres visiteurs, sans compter le sauveur soudainement plus présent qu’il ne l’a été durant quatre longs mois. En tout cas, la présence du producteur est clairement inattendue. Elle s'attendait facilement à un appel d'excuses et des messages réguliers pour s'assurer de son état, sans plus. Après tout, ils ont une plutôt bonne relation même si elle ne se limite qu’au monde professionnel. Comme beaucoup de ceux qui lui ont offert une chance après les portes closes du Bolchoï, Reira lui est profondément reconnaissante des chances qu’il lui a offert. Elle l’a toujours senti extrêmement admiratif de la passion avec laquelle la russe danse, en plus de l’avoir accueillie avec bienveillance à chaque nouveau projet. Peut-être que si la vie l’avait voulu, Reira aurait pu renouer avec la gloire perdue et vivre de sa passion. Sauf que le destin a préféré lui briser les ligaments pour tuer cet espoir trop grandissant. C’était trop beau, trop proche de la consécration. Elle touchait à nouveau son rêve du bout des doigts. Elle déglutit, esquisse un sourire en écoutant le patron du label la qualifier d’accidentée. « J’espère que je serais la seule de 2021. » Reira n’espère pas être le début d’une longue liste d’accidents malencontreux sur les plateaux de tournage en charge des projets du label. En tout cas, elle apprécie grandement sa sollicitude. Il n’était pas obligé de faire le déplacement aussi vite, et pourtant il a tenu à mettre sa profession en off pour s’intéresser le temps d’un instant à son ancienne collaboratrice. Assurément, leur relation professionnelle devra s’arrêter là, Reira ne sera plus capable de danser. Elle ne peut cacher une pointe de déception à ce sujet… D’ailleurs, le moment est opportun pour s’excuser de causer probablement un tas de soucis au sein de la production, et du label en général. Il doit bien y avoir des conséquences juridiques à tout cela, du moins si Reira porte plainte. Mais pourquoi elle irait porter plainte pour un accident ? Roméo parle de négligence, parce que visiblement, ce genre de choses n’est pas censée se produire. Un incident aussi bête ne doit pas échapper à la vigilance d’une équipe aguerrie. Malgré cela, Reira n’ira pas porter plainte. Ce n’est qu’un accident, une simple farce du destin, une énième. La danseuse déchue se contente d’acquiescer à ses mots d’un signe de tête, ce n’est pas comme si elle pouvait dire grand chose d’autre à ce sujet. Il préfère s’intéresser à son état, alors Reira inspire pour se préparer à répéter tout ce qu’elle a déjà pu dire à Piotr. « Ça va, j’suis un peu shootée aux médicaments alors ça aide curieusement à ne pas trop se paumer dans ses pensées. » C’est surtout que dès qu’elle se plonge dans son esprit, tout s’emmêle. Pour éviter de se choper un mal de crâne en plus de la douleur latente du traumatisme, elle ne pense pas à elle et son état. « Pour l’instant, j’ai un traumatisme crânien donc je dois être surveillée, juste au cas où ça dégénère là-dedans. » dit-elle en pointant sa tête de l’index. « J’ai aussi une rupture des ligaments croisés, rien de bien surprenant vu qu’ils avaient déjà lâché une fois. J’me fais opérée lundi pour les resouder, vu mon passif, tout ça. » Au final, elle lui raconte machinalement le même discours qu’elle a sorti à ses précédents visiteurs. Il n’y a que ça à dire. Quoi que, elle est forcée d’ajouter autre chose à l’intention du dirigeant du label. « Du coup… ils me conseillent de ne pas rejouer avec le feu et de stopper mes activités physiques. » Elle n’ose ni prononcer le mot « danse », ni « pour toujours ». Pourtant c’est bien ce qu’elle veut dire, qu’elle doit arrêter la danse, la vraie, pour toujours. « J’suis désolée de vous faire faux bond avec cet accident. Mais si ça peut vous rassurer, la plupart des scènes ont pu être tournées. Quelques scènes de paysages bucoliques et le clip devrait pouvoir être monté sans soucis. » Dans son malheur, Reira n’a pas planté le label puisque les bouts de rush sont probablement suffisants pour constituer un travail qualitatif. Toutefois, la tristesse l’étreint quand elle réalise que c’était bel et bien son dernier projet.

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— Ce n’est pas facile pour l’âme de s’avouer que la page doit se tourner, que le livre doit même se fermer. C’est une évidence difficile à avaler, Reira ne pourra plus danser. Elle ne devra plus le faire. La façon de le comprendre a été violente, mais probablement nécessaire. Le quart de siècle est passé, elle n’est plus cette gamine qui n’écoute que son cœur et oublie la raison. Elle ne doit plus l’être, pour son propre bien, et pour ses proches. Tout ce rêve a fait souffrir des gens autour d’elle, à cause des décisions irrationnelles qu’elle a pu prendre pour s’y accrocher désespérément. Et Reira, elle n’est pas mauvaise au point de retenter l’expérience en se disant que peut-être que, cette fois ça passera. La promesse faite au petit frère tiendra, elle s’en fait la promesse. Une double promesse, voilà le minimum pour que la brune s’accroche à la vie et non plus à la danse. Les paroles du patron la font gamberger. Le corps n’est pas plus rapide que l’esprit pour guérir… Elle aurait voulu le contredire, lui dire qu’elle n’a jamais guéri du premier accident. Ni mentalement, ni physiquement. Parce que la danseuse s’est simplement attachée à ce rêve comme s’il n’y avait plus que ça pour vivre dans ce monde, comme si rien d’autre ne méritait son attention, pas même son petit frère. Ces sept dernières années n’ont été qu’un déni gigantesque de son accident, de l’abandon de la danse. Jamais elle n’a accepté la décision des médecins, jamais elle n’a accepté d’arrêter de vibrer pour la danse. Pourtant, elle était consciente des risques, le genou douloureux après chaque prestation le lui rappelait bien. Alors, elle se contente de sourire à ses paroles. Peut-être qu’elle guérira plus vite maintenant qu’elle accepte à demi-mots, maintenant qu’elle a ouvert les yeux, maintenant qu’elle ne veut plus décevoir ceux qui l’aiment. À la place, elle s’excuse de ne plus pouvoir assurer les missions détaillées dans son contrat, et aussi d’avoir empêché d’avoir des rushs complets pour le clip. Il la coupe assez rapidement, lui faisant remarquer qu’elle n’a aucune raison de s’excuser. Ce n’est pas de sa faute. Ou peut-être que si. Car, si elle n’avait pas continué de danser, si elle n’avait pas fui son travail, elle n’aurait pas été sur ce plateau. L’effet papillon indique qu’elle est bien responsable, et qu’elle mérite de s’excuser. Cependant, elle obéit et ne s’excuse plus. A la place, elle écoute ce que Roméo a à lui dire, légèrement hésitant quant au moment opportun pour discuter de cela. Il s’avance, sérieux ; elle l’observe, les sourcils à moitié froncés. Elle manque de s’étouffer lorsqu’il lui parle de prendre la charge de tous les soins nécessaires pour son bon rétablissement. Alors, évidemment, son premier réflexe est de refuser. « Monsieur Walsh, je ne peux pas accepter ça. Je n’ai pas beaucoup d’idées quant au montant des frais médicaux, mais je vous assure que c’est bien trop. » Elle ne réfléchit pas par rapport au label, ni même à la responsabilité juridique de qui que ce soit. Là, elle ne voit qu’un geste altruiste qu’elle ne peut accepter. Parce qu’au final, Roméo n’y est pour rien. « Je peux avoir les moyens de payer vous savez, ce n’est pas nécessaire. » Elle pourrait appeler son père, qui réglerait la somme en un temps éclair. Mais le russe chercherait sûrement à blâmer le label pour obtenir le remboursement de cette somme. Et là, il y aurait des sommes supplémentaires à avancer, pour le préjudice. Au final, il vaut peut-être mieux que Roméo s’en occupe en amont. « Enfin… Je suppose que peut-être ce que je dis, vous allez insister quand même ? » Elle le connait tout de même assez pour savoir que le patron ne la laissera pas vraiment décidé du sort de ses frais médicaux. Elle repense au contrat, ses yeux se baissent et un soupir s’extirpe de ses lippes. « Pour le contrat… Ne doit-il pas être nécessairement rompu si je ne peux plus assurer mes obligations ? Parce que comme je l’ai dit… je ne pense pas que je pourrais reprendre avant un bon bout de temps. » Ses lèvres se pincent, puis elle laisse échapper un chuchotement qui s’échappe douloureusement. « Si je reprends un jour... »

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— La prévoyance du patron ne l’étonne pas vraiment. Elle l’a d’ailleurs bien senti malgré son refus du début, Roméo n’aurait pas pu laisser une telle chose. Quand bien même les frais auraient déjà été payés, elle se doute qu’il aurait trouvé une autre façon de la dédommager. Finalement, elle préfère qu’il paye ses frais plutôt que des quelques dommages-intérêts ou pensions, ou toute sorte de choses existantes en Nouvelle-Zélande. La blague sur la qualité unique de son lit d’hôpital lui tire un sourire amusé. « Vous ne devriez pas douter de la ténacité d’une russe. » dit-elle en retenant un pouffement de rire. Elle sent que le patron n’est pas plus ravi qu’elle de la trouver clouée à ce lit. La raison n’est purement professionnelle, elle le sait. Les deux artistes s’apprécient au-delà de leur collaboration, ce qui explique en partie la présence de Roméo dans sa chambre. Il y a toujours eu cette connexion artistique, et cette reconnaissance envers le patron. Cependant, ils ne peuvent parler par blagues interposées, ils doivent aussi s’arrêter sur le sérieux du boulot, des contrats et des conséquences de cet accident. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle précise que leur contrat a de fortes chances d’être rompu, murmurant à demi-mots qu’elle risque de ne jamais pouvoir redanser. Roméo n’attend pas bien longtemps avant de la contredire. Il plante son regard dans le sien, posture avancé d’un patron qui expose son plan. Une proposition pour être précis, un mot qui fait tambouriner son cœur dans sa poitrine. D’une part, parce que Roméo a toujours de bonnes idées alors la curiosité la pousse dans l’excitation. D’autre part, parce qu’il a la bienveillance de lui accorder le temps dont il lui faudra. Il lui fait cette promesse unilatérale d’être là pour travailler avec elle à nouveau, si elle le veut et si elle le peut. Le moment tant attendu arrive enfin. Il commence par des compliments qui font assurément rougir l’ancienne danseuse. Elle connaît le processus de recrutement du patron du label, cependant l’entendre chanter ses louanges a de quoi la faire sourire. Aussi passionnée soit-elle, Reira n’a jamais eu la prétention d’être sensationnelle ou exceptionnelle. Elle n’est qu’une danseuse qui veut se perfectionner pour être la meilleure. Comme tous les perfectionnistes, jamais elle n’attendra ce stade où elle se trouve exceptionnelle. Le plus important aujourd’hui est que Roméo ne veut pas rompre leur relation professionnelle. Pour cela, il lui propose un poste de remplacement : conseillère et chorégraphe pour le visuel. Si Reira était en train de boire un verre d’eau, elle aurait tout recraché en attendant cette proposition. Est-ce qu’elle serait à la hauteur ? Est-ce qu’elle pourrait danser un minimum ne serait-ce que pour apprendre les chorégraphies aux danseurs désignés ? Est-ce que l’inspiration et la passion seront toujours là ? Beaucoup trop de questions se bousculent dans son esprit, le genre qu’elle ne devrait pas se poser maintenant. Alors elle se calme, pose son regard dans celui qui continue de la considérer comme une artiste malgré la jambe brisée. Ce serait vraiment un job magnifique, à la hauteur de sa passion dévorante. Oui, ce serait vraiment génial de pouvoir faire ça. « C’est vraiment… Wow Roméo, c’est vraiment une belle proposition. » Elle le pense sincèrement, sourit de toutes ses dents. « Ce serait vraiment un honneur de continuer à travailler avec vous, d’une façon ou d’une autre.Et ce poste serait vraiment... incroyable. » Elle redevient rapidement sérieuse quand il faut donner son avis sur cette proposition. « Évidemment, je ne peux pas vous donner une réponse maintenant… C’est trop tôt pour un tas de raisons mais je garde l’idée bien au chaud. Merci beaucoup en tout cas, ça me touche énormément. » Ce n’est peut-être pas la meilleure idée pour son rétablissement que de s’offrir déjà une perspective future avec la danse, mais cela fait toujours du bien à l’âme blessée. Rien que pour cet espoir, aussi infime soit-il, elle devient encore plus reconnaissante envers Roméo. « Comment je peux vous remercier pour… tout ? » Les frais médicaux, cette proposition. Reira lui doit beaucoup, incapable de concevoir que quelque chose peut lui être dû sans contrepartie. En fait, elle doit beaucoup de choses à énormément de monde.