Another brick in the wall (millstone)

Le réveil était difficile. Comme si une pile d’oreillers avait pesé sur elle, la tête d’Erin était migraineuse. Ouvrant les yeux, elle regarda le plafond de cette chambre qui ne lui était familière que depuis quelques jours. Après l’après-midi à la patinoire, Nate l’avait déposée chez son frère et la brune partageait la vie du parfait petit couple de la famille. Dans cette maison, un bonheur mielleux grouillait partout. Lily, cette douce poupée au teint de porcelaine qui aspirait à devenir mère et à fonder sa propre couvée. Liam, son tendre et cher époux, prêt à tout pour satisfaire les souhaits de sa dulcinée. De ces scènes, Erin en avait le vertige. Personne n’y pouvait rien, c’était ainsi. Pourtant, les migraines de la jeune femme n’étaient pas causées par ces bons sentiments. Parfois, ses nuits étaient bordées d’une illusion qui lui apparaissait comme un mirage dans ses rêves, imagination qui lui montrait sa meilleure amie aux cheveux d’or, Arielle, dansant dans un appartement inconnu et riant aux éclats, lui demandant de la suivre dans ses douces folies. Quand le rêve et la réalité se confondaient dans son esprit, Erin souffrait de céphalées et se réveillait. Ronchon, la chanteuse repoussa ses draps et sortit du lit. Elle ne réussirait pas à se rendormir de toute façon. Autant profiter du calme de l’aube pour occuper son esprit autrement.

Prenant un cachet contre le mal de tête, elle enfila ensuite un peignoir en satin par-dessus ses sous-vêtements puis quitta la chambre. En descendant, Erin essaya de ne pas faire de bruit mais elle manqua de rater une marche. C’était ce qui arrivait quand on s’entêtait à ne pas vouloir allumer. Elle ne connaissait pas encore la maison comme la sienne, pourtant l’artiste vivait dans une immense villa à South Bay. En comparaison, elle devrait pouvoir retrouver son chemin dans cette résidence. Soupirant, elle réussit enfin à arriver en bas sans rien casser et se dirigea vers la cuisine. Erin se prépara un bol avec du lait et des céréales, puis elle se posa dans le salon des Millstone. Plutôt que d’allumer la télévision, des livres attirèrent son attention dans la bibliothèque… ou plutôt de gros albums photos. Des albums de famille. Prenant un album au hasard, Erin retourna dans le canapé et le feuilleta tout en mangeant ses céréales. Elle était tombée sur des photos de sa fratrie, enfants. Tous ensemble : à jouer sur la plage, se promener en vélo, à tirer à la balle dans le jardin… Un autre temps. Soudain, un bruit de pas feutrés attira son attention. Cinq heures du matin. Erin n’était pas la seule à avoir des insomnies.

Erin était un oiseau de nuit. Ce n’était pas inhabituel pour elle d’être levée à cette heure. D’habitude, la chanteuse allait même plutôt dormir aux aurores quand elle n’avait pas d’obligation professionnelle matinale à respecter. Souvent, elle trainait tard en compagnie d’Arielle, les deux amis redessinaient le monde ou célébraient la vie avec tout ce qu’elle avait à offrir. Mais depuis le centre de désintoxication, la jeune femme avait appris à vivre au rythme des autres et des services de la clinique spécialisée. En dépit des insomnies qui continuaient de bercer régulièrement ses nuits, elle dormait moins en décalage. Mais les migraines étaient devenues persistantes, troublant l’apparente sérénité qu’elle s’efforçait de renvoyer depuis sa sortie. Était-ce parce qu’Erin ne se sentait pas à sa place dans cette maison, parce qu’elle n’y trouvait pas ses repères ou parce qu’elle était de toute façon blasée de n’avoir qu’une semi-liberté ? Un mélange de tout, sans doute. Il fallait qu’elle retrouve le monde extérieur et apprenne à vivre sans ses petites habitudes. Retrouver le chemin des studios serait une des étapes clefs. Par contre, la réconciliation familiale n’était pas encore au programme. Erin leur en voulait toujours. Pas que pour l’accident qui avait emporté son frère et sa nièce et que tout le monde protégeait sa sœur, mais aussi parce qu’ils s’étaient alliés à Roméo pour lui forcer la main à rentrer en cure. Si la jeune femme s’était finalement résignée à venir chez Liam, c’était parce qu’il était le membre le plus neutre des Millstone et que le fait qu’il se soit porté garant pour elle avait été synonyme de sortie plus rapide. Son passeport temporaire pour la liberté, en attendant de pouvoir retrouver sa villa. Mais elle lui en voulait aussi, comme à tous les autres. Le pire, c’est que de sa part à lui, elle n’aurait jamais cru qu’il puisse l’infantiliser et se prêter aux mêmes jeux que le reste de leur entourage.

Lorsque son frère débarqua dans le salon, Erin releva les yeux dans sa direction. « Salut. Non, merci. » Même s’il n’avait aucune idée derrière la tête, la jeune femme déclina. Liam était doué pour la pâtisserie et pour amadouer les gens avec aussi. La brune n’avait pas envie de partager de pseudo moment de complicité ou de famille. Ça se limiterait au partage du canapé du salon, point. Il s’installa à côté d’elle et s’intéressa à l’album qu’Erin feuilletait au lieu de rester de son côté. Le cadet Millstone avait emmené certains albums de la résidence familiale tandis que la jeune femme n’avait rien pris, c’est pourquoi elle profitait de l’occasion pour les feuilleter. Mais pourquoi ressentait-il toujours le besoin de briser le silence pour renouer ? Espérait-il vraiment réparer ce qui avait cassé entre eux ? Il risquait d’être déçu, la chute serait lourde. « Oui. » Finissant son bol de céréales, elle le déposa sur la table basse et replia ses jambes sous elle. Son regard se porta ensuite sur la photo désignée par Liam, un souvenir de leur premier voyage en Australie. « A la Gold Coast, on a rencontré nos tantes et nos oncles aussi. Et Axel a essayé de nous apprendre à aller dans l’eau sans flotteurs. » L’évocation de leur frère donnait un indice précieux sur son état d’esprit : Liam s’engageait sur un terrain dangereux. Malgré le ton affectueux de son frère, celle d’Erin était teintée d’amertume en plus de la nostalgie. « Une autre vie. » Puisque Liam était attiré par les photos, elle posa l’album sur ses jambes à lui et s’emmitoufla dans le plaid qui trainait à côté d’elle. Non, Erin n’avait pas envie de ressasser le passé avec lui, sous peine de l’envoyer sur les roses.