Enquête en cours [Feat. Tahlia Mehrtens]

En montant sa concession, Sasha n'avait jamais prétendu que c'était le job de ses rêves, mais ça lui permettait tout de même de gagner confortablement sa vie. Il touchait un peu à la mécanique qui était une de ses passions, mais il n'avait jamais réellement abandonné l'espoir de renfiler l'uniforme un jour. Plus les années passaient et plus il était persuadé que même s'il faisait la démarche, personne ne prendrait une recrue de son âge. Et puis, entre le moment où il avait quitté les forces armées et aujourd'hui, il avait beaucoup trop de choses à apprendre.

Quoiqu'il en soit, il aimait travaillé à la concession, l'italien y passait tout son temps avant, mais durant son absence il avait compris l'importance de déleguer les responsabilités. Il n'en restait pas moins le patron, mais ça le soulageait et ça lui faisait du bien de pouvoir se reposer sur des personnes en qui il avait confiance. Depuis son retour, il passait beaucoup moins de temps derrière son bureau, ses heures supplémentaires se faisaient beaucoup plus maigres, même s'il restait parfois après le départ de ses collaborateurs.

Ce soir d'ailleurs, le quadragénaire était occupé par certains papiers administratifs à remplir, ça faisait malheureusement partie de ses missions en tant que PDG, même si c'était ce qu'il aimait le moins, mais qui préfère se noyer dans les papiers plutôt que de profiter des interactions avec les clients ? Certainement très peu de personne. C'est donc seul, la concession déserte qu'il s'attelait à ces dossiers avant de pouvoir rentrer chez lui. Il avait également appris à séparer le professionnel du personnel, en évitant au maximum de ramener les dossiers à la maison.

"Mehrtens, lâche ta paperasse ! Tu m'accompagnes sur le terrain !" beugla Williams, qui entrait en trombe dans le bureau de la brune. Tahlia redressa la tête, ses yeux verts s'écarquillant sous le coup de la surprise et de l'étonnement. "Euh... oui... oui... ok, j'arrive !" répondit-elle, prise au dépourvu, mais s'empressant de jeter son dossier en cours sur le bureau et attrapant la veste de son uniforme qu'elle enfila rapidement. Ils allaient où ? C'était pour quelle affaire ? Qui allaient-ils rencontrer ? Sans doute, la jeune policière aurait dû poser ces questions, mais son empressement la poussa à foncer sans réfléchir. Cela faisait une semaine qu'elle était - encore - assignée à la paperasse du commissariat. Aller sur le terrain, ce soir, était une chance qu'elle devait saisir. Elle n'allait pas rester dans son bureau, à se tourner les pouces, à abuser de caféine pour ne pas s'endormir devant son écran.Installée dans la voiture, elle daigna tout de même regarder le dossier. Elle comprit que cela concernait la concession automobile du coin. Une vague affaire de recel et vol des plus banales. Mais pourtant, le visage de Tahlia se renfrogna un instant. Cette concession appartenait à Sasha. Et même si ce dernier avait disparu depuis des années, elle ne pouvait pas rester insensible face à cela.

Arrivés sur place, les policiers croisèrent une employée qui les accompagna jusqu'au bureau du PDG. "Monsieur, il y a la police qui est ici..." dit cette dernière avec gêne. La silhouette du PDG se dessina dans l'encadrement de la porte et... quelle surprise ! Subitement, Tahlia donna un coup de coude dans les côtes de son coéquipier, murmurant, les dents serrés : "Tu aurais pu me dire qu'on allait voir Sasha Lazzio !" Son coéquipier n'eut pas le temps de lui demander les raisons que Sasha s'approcha d'eux. "Monsieur Lazzio." souffla Tahlia, de manière tellement informelle que sa froideur en était palpable. Et si jamais l'italien ne comprenait pas le message, il suffisait de voir le regard assassin que la policière lui lançait. C'était sûrement déplacé, exagéré et probablement pas le moment pour cela, mais Tahlia n'arrivait pas à rester de marbre face à cet homme dont le départ brutal avait été bien trop douloureux.

Depuis son retour en ville, les affaires étaient plutôt calmes, Sasha n'avait pas autant de choses à gérer, et puis maintenant, il avait aussi appris à déléguer certaines tâches pour s'octroyer plus de temps. Ça n'avait pas été facile, mais son départ précipité il y a quatre ans ne lui avait guère laisser le choix concernant la gestion de son entreprise.

Le brun avait pris le temps de faire une petite pause histoire de se changer les idées. Ça aussi c'était nouveau pour lui, il n'avait pas pour habitude de faire des pauses, bien au contraire, il se tuait à la tâche jusqu'à l'épuisement. Maintenant Sasha tentait de faire un peu plus attention à sa santé, peut-être que ça prolongerai de quelques années son espérance de vie.

Avec l'heure tardive, l'italien avait vu ses employés quitter la concession un à un tandis que les dossiers sur lesquels il était le monopolisait. Il devait encore rester un ou deux employés puisque d'un coup il entendit frapper à sa porte. Le quadragénaire avait une façon de communication avec ses employés, tant que sa porte était ouverte, il acceptait que les personnes viennent le déranger pour n'importe quelle raison, en revanche, si la porte était fermée c'est qu'il n'avait aucune envie qu'on fasse irruption dans son bureau, sauf cas de force majeure. La jeune femme lui annonça que la police était là. Les sourcils froncés, il ferma le dossier sur lequel il était en train de travailler, fit le tour de son bureau pour venir les accueillir.

" - Bonjour, comment puis-je vous aider ?" demanda-t-il avant de remarquer les personnes qu'il avait face à lui.

Tahlia. Elle se tenait à côté de son collègue, le regard noir dirigé vers l'italien. Elle aussi il l'avait abandonné, comme tant autre, sans jamais donner de nouvelles. Il est évident qu'elle lui en veut, sans doute à mort, au vu de son regard, si elle avait eu des mitraillettes à la place, le cadavre de l'italien giserait par terre à l'heure actuelle.

Pour le moment, il tâcha de faire abstraction de la présence de la brune pour se concentrer sur la raison de leur venue, mais il fallait qu'il crève l'abcès et qu'il ai une discussion avec la policière.

C'était la douche froide. Bien que Tahlia connaissait l'endroit où ils allaient, puisqu'elle était déjà venue ici à plusieurs reprises, elle ne s'était pas imaginée, un seul instant, tomber sur un tel fantôme du passé. Sasha. Celui qui était parti du jour au lendemain. Celui à qui elle avait envoyé tant de messages, tous restés sans réponse. Celui envers qui elle avait une rancoeur indescriptible, même après tant d'années. Elle n'était pas mauvaise, Tahlia, mais elle était rancunière. Cet homme, elle l'avait choyé. Elle l'avait écouté d'une oreille bienveillante. Elle l'avait compté parmi son entourage proche. Elle avait même eu un intérêt dissimulé à son égard. Et il était parti, comme d'autres, la lâchant comme si elle n'était qu'une vieille chaussette trouée. Son regard ne trompait pas. Elle l'achevait sur place. Sa froideur, sa raideur en rajoutaient une couche, sans que son collègue ne s'en rende compte, absorbé par l'affaire, absorbé par son boulot de flic. Williams prit la parole : "Nous sommes ici pour vous poser quelques questions dans le cadre d'une enquête qui concerne votre concession." Des paroles, des paroles, des paroles. "Vous pouvez nous accorder un petit moment ?" Encore des paroles. "Nous n'en avons pas pour longtemps." Toujours des paroles. Tahlia lâcha un long soupir et rétorqua rapidement, avec son tact légendaire : "T'es au courant qu'il y a une affaire de vol et de recel qui concerne ta concession ?" Williams se tourna vers elle, surpris par le ton et la façon dont Tahlia avait de s'adresser à Sasha. "Mehrtens." commença-t-il à dire, voyant très bien le regard de sa collègue. Même s'il ne savait rien de l'histoire entre Sasha et Tahlia, il comprenait que quelque chose les liait. Et il connaissait suffisamment Tahlia pour connaître les prémices de la tornade brune. Pas manqué. Tahlia s'appuya sur le chambranle de la porte, bras croisés contre sa poitrine, le visage renfrogné, ne prêtant pas cas de son collègue puisqu'elle enchaîna : "Bah non, c'est vrai, tu n'étais pas là, ces dernières années ! Tu aurais peut-être dû faire gaffe à qui tu laissais la charge de la concession." La jeune femme leva les yeux au ciel : "On perd juste notre temps." Williams se raidit et jeta un regard noir vers Tahlia : ">Mehrtens, arrête, s'il te plaît." Il se tourna vers Sasha : "Veuillez l'excuser." Tahlia était en train de bouillir sur place. "J'ai donc cru comprendre que vous repreniez tout juste la gestion de la concession, n'est-ce pas ?" tenta-t-il, essayant de faire l'impasse sur la gêne installée. Perspicace, Williams, perspicace.

A l'instant même où Sasha avait vu Tahlia entrer dans la concession, il savait que ce n'était qu'une question de temps avant qu'elle lui ne lui crache son venin à la figure. Venin mérité soit dit en passant. Il savait que la colère qui était dirigé à son encontre était légitime, mais il n'avait pas envie d'étaler ce souci ici et maintenant, il lui en serait reconnaissant si toutefois, elle pouvait attendre ne serait-ce que quelques minutes.

Malheureusement ce ne fut pas le cas, à peine l'agent de police à ses côtés énonçait les raisons de leur venue que la brune explosa.

" - Oui bien sûr, je.."

Il n'eut pas le temps de les inviter à s'asseoir que Tahlia lui balança toute sa rancoeur en plein visage. Immobile, l'italien ne pouvait qu'encaisser toutes ces remarques. D'une part, parce qu'ils n'étaient pas seuls, et d'autre part, parce que ce n'était pas le sujet de leur visite. Il avait bien l'intention de mettre tout cela au clair, mais ailleurs que sur son lieu de travail, et encore moins lors d'une entrevue concernant une fameuse enquête en cours dont il ignorait tout.

Le regard compatissant du collègue de Tahlia se posa sur le PDG, Sasha aurait aimé lui dire de ne pas tenter de l'arrêter, qu'elle avait besoin de lui dire tout ce qu'elle avait sur le coeur, et même si c'était dur à entendre, il savait qu'il s'exposait à ce genre de discours de la part de toutes les personnes qu'il avait lâchement abandonnées ici, en partant il y a quatre ans. Si le collègue de la policière n'avait pas été là, Sasha aurait même peut-être eu le droit à une gifle.

Tant bien que mal il tenta de se sortir tous les propos de la brune de tête et répondre au mieux aux questions posés par l'agent de police.

" - Non ce n'est rien.." fit-il sans toutefois oser affronter le regard qu'il se doutait être noir de Tahlia. " - Effectivement oui, je.. Il y a quatre ans je suis parti, je suis revenu il y à peine deux mois.

Sasha ne voulait pas s'étaler sur les raisons de son départ, sauf si bien évidemment, on le lui demandait. Pour le moment, il fournissait le minimum de détails, ne les jugeant pas indispensables par rapport à cette enquête.

" - Durant mon absence c'est mon bras droit qui a géré la totalité de la concession, il n'est pas là actuellement mais si vous me parliez de l'enquête en cours, je pourrai peut-être trouver certaines informations dans les dossiers."

Malgré le fait qu'il soit revenu depuis quelques temps maintenant, Sasha n'avait pas encore pu se remettre à jour totalement. Et cette enquête pour vol et recel l'inquiétait, non pas qu'il croit quelqu'un de son personnel capable d'une telle chose, mais plutôt de se demander qui aurait pu les manipuler pour faire ses affaires sans éveiller les soupçons.