minding your own business (nala)

Deux mois à peine. C’était le temps qu’il avait suffi pour que Marcus se montre suffisamment convaincant pour que Nala le rejoigne à Island Bay. Alors certes, il avait l’avantage qu’elle soit originaire de ces terres et qu’elle ne soit pas complètement perdue à son arrivée, mais il savait que le poste qu’elle occupait à l’hôpital d’Auckland était suffisamment prestigieux pour que l’abandonner soit une grande décision. Depuis son départ, ils n’avaient jamais cessé de discuter, s’appelant à intervalles réguliers entre deux gardes et deux séances de kiné. En un peu plus de soixante jours, Marcus avait eu le temps de faire suffisamment de progrès pour l’accueillir sans sa canne et la prendre dans ses bras sans trop de craintes de raviver de vieilles douleurs. En bon meilleur ami – du moins, c’est comme ça qu’il espérait qu’elle le voit – il avait été la chercher à l’aéroport et l’avait aidé à s’installer en s’occupant de lui trouver un logement digne de ce nom. On ne peut pas dire qu’il était débordé de travail, de toute façon, alors il pouvait bien l’aider à prendre ses marques.

Ce soir-là, ils avaient décidé, en chœur, de se faire une soirée à l’image de celles qu’ils partageaient à Auckland, à la différence près qu’ils étaient d’habitude plus nombreux. Marcus vivant encore chez ses parents dans l’attente de trouver un chez-lui qui conviendrait à ses ambitions, c’était chez Nala que le moment se déroulerait. Il savait que la veille, elle avait eu un rencard avec un type d’internet. La jeune femme était bien plus adepte – et plus douée – des applications de rencontre que lui et d’un côté, il préférait être spectateur de ses expériences rocambolesques que de raconter les siennes. Il avait suffisamment à faire avec les retrouvailles de fantômes du passé.

Avec un peu d’avance, il tapa à la porte avant d’entrer. Il avait son propre jeu de clés en cas de nécessité et il n’hésitait pas à en faire usage quand le besoin s’en faisait sentir et c’était le cas puisqu’il était passé chez le traiteur et que les plats lui brûlaient les mains. Il retrouvait tout juste des sensations dans ses jambes, ce n’était pas pour devenir un grand brûlé. « Chaud, chaud, chaud » dit-il en fermant la porte du pied et en se ruant sur le plan de travail. « J’prends de sacrés risques pour vous nourrir, docteur » dit-il en s’approchant du canapé où Nala était étendue dans l’attente de son arrivée. Fin de gueule de bois ou bien journée crevante, il hésitait encore. Il s’assit sur le bout de canapé restant et prit son poignet pour déposer son index et son majeur près de la jointure « J’ai un pouls ! » dit-il en explosant de rire avant d’exécuter le « check » qui leur était propre.

@Nala Ashford  

La dernière fois qu’elle était revenue, c’était Noël. De la joie, des sourires, du bonheur. Nala aimait cette période. Plus encore parce qu’elle lui permettait d’avoir une excuse pour s’échapper d’Auckland et retrouver son nid familial. C’était différent à présent. Elle était rentrée à la maison, pour de bon. Pour sa famille, bien sûr. Mais aussi pour Marcus et son discours convaincant. Il en avait passé des heures à argumenter. Il avait usé de ses charmes, ceux du meilleur ami auxquels elle n’avait jamais su résister. Island Bay l’avait vu grandir, se découvrir. Et pourtant, les vingt dernières années, c’était Auckland qui l’avait accueilli. Vingt ans qu’elle était partie, qu’elle s’était construite une vie. Une réputation. Il y avait eu des amis, des amours - elle reposait parfois à Evan, avec nostalgie -, des amants. Il y avait eu ce travail qu’elle avait obtenu en se battant. Nala avait changé depuis ses seize ans. Devenue adulte. Elle avait voyagé, appris, découvert une deuxième famille. Elle avait fait des choix.
Et parmi ces choix, elle avait pris la décision de rentrer. Revenir à la maison. Il lui avait fallu négocier, quitter son poste pourtant tant apprécié pour découvrir une nouvelle équipe, une nouvelle ville, un nouvel hôpital.

Cela faisait quelques jours qu’elle reprenait ses marques. Il restait encore quelques cartons à déballer dans son appartement qu’elle n’avait pas eu le temps d’ouvrir. Elle avait passé plus de temps à l’hôpital qu’ici, à découvrir ses collègues et ses nouveaux patients. À se faire une place. À revoir sa famille aussi, parce qu’elle était rentrée pour ça. Pour Marcus aussi, mais elle ne l’avouerait jamais. L’éloignement avait eu un effet douloureux qu’elle n’aurait jamais pu imaginer. Sa présence avait toujours eu quelque chose de bénéfique, sans qu’elle ne sache pourquoi. Ces quelques années auprès de lui l’avait rendu indispensable à son existence.
Et ce soir, ils allaient pouvoir fêter ces retrouvailles dignement. Loin de l’aéroport et des démarches d’installation. Elle était rentrée suffisamment tôt du travail, après une première garde longue et sans grand événement majeur. Le temps s’ouvrir une bouteille de vin et elle s’était allongée sur son canapé, repensant au fiasco de la soirée d’hier. Il l’avait invitée  au restaurant, s’était bien comporté mais n’avait rien eu d’intéressant à dire. Rien qui ne soit à la hauteur de Nala. C’était son premier date depuis son retour. Un échec.

Elle avait attendu quelques minutes avant d’entendre frapper. Nala n’avait pas bougé, sachant parfaitement que Marcus entrerait avec sa clé. Elle avait simplement levé les yeux, amusée de la situation, pour observer Marcus se débattre avec les plats qu’il venait de rapporter. « J’ai beau avoir beaucoup de capacités, les brûlures, ce n’est pas mon domaine de prédilection tu sais. » Elle souriait, naturellement. Comme si Marcus avait un effet sur son humeur. Inexplicable et parfois effrayant. « T’es sûr ? Il faudrait peut-être que je vérifie, on ne sait jamais. » Un rire échappé de ses lèvres, elle avait exécuté leur salutation secrète, digne d’eux et de leur amitié. « Avant que tu ne me dises que j’ai abusé du vin, tu m’as manqué. Enfin tout ça, pouvoir se revoir. » C’était son meilleur ami. Il n’y avait que lui pour l’écouter, pour l’apprécier à sa juste valeur. Du moins, elle l’espérait. Cette soirée, elle en avait réellement besoin. « Et ta compagnie ne peut pas être pire que le mec d’hier, un sombre idiot, je n’ai même pas conclu … il a essayé de me parler de grandes théories, mais il était toujours à côté de la plaque. » Il n’y avait aussi qu’à lui qu’elle pouvait parler de ses rendez-vous parfois compliqués et sans intérêts. « T’as apporté italien ? » C’était ce qu’ils préféraient, tous les deux, après tout.

@Marcus James  

Lorsqu’il avait pris la décision de rentrer à Island Bay, Nala avait été la première personne au courant. Avant même d’en informer les siens, Marcus s’était empressé d’exposer ses projets à sa meilleure amie. Elle savait tout de son histoire avec sa ville natale et à l’époque, elle avait raisonnablement décidé de suivre son aventure de loin. Après tout, Marcus n’avait pas les arguments nécessaires pour la convaincre de quitter la vie qu’elle avait construite à Auckland et il savait que partir simultanément avec Nala rendraient les choses plus difficiles. Cependant, une fois sur place, les relations avec les siens apaisées sans être idéales, le manque de sa meilleure amie s’était fait sentir. A Island Bay, il était bien plus entouré qu’à Auckland. Il composait avec ses vieilles connaissances, ses amitiés retrouvées et Maxyne, mais le soir, quand il se retrouvait seul dans sa chambre d’adolescent, il pensait aux soirées qu’il passait avec Nala quand ils étaient tous les deux disponibles. Un soir, il avait eu le courage de lui dire que leurs vieilles habitudes lui manquaient. Quelques jours plus tard, elle lui annonçait son intention de revenir à son tour. Pour elle, il s’était presque occupé de tout. Une façon de procéder qui avait fait sourire ceux qui étaient proches de lui et flairaient un « truc en plus » de leur attachement l’un envers l’autre.

Que Nala n’était pas une experte en brûlures, il le savait, mais elle pourrait bien faire des miracles s’il lui faisait les yeux doux - et par miracle, il attendait qu’elle lui cède son tiramisu. Il s’assit près d’elle, la poussant légèrement d’un coup de hanche pour s’installer rapidement. « C’est vrai que la cuve de vin se vidait bien moins vite en ton absence » dit-il en réponse à ses mots. Il passa sa main autour de l’épaule de la jeune femme. « Je t’ai déjà dit d’arrêter ces maudites applications de rencontre, tu ne trouveras jamais aussi parfait que moi » lança-t-il avec un sourire qui laissait entrevoir ses dents blanches. Elle savait très bien qu’il en faisait des tonnes pour la faire relativiser. Depuis qu’il connaissait Nala, elle avait toujours nourri une appétence plus ou moins secrète pour trouver quelqu’un avec qui partager son quotidien. Chaque fois qu’elle entamait une relation, Marcus se préparait à être là si les choses venaient à se gâter. Encore cette fois-ci, il ferait en sorte d’être à la hauteur.

Il se releva et sortit les plats des sacs floqués à l’effigie du traiteur et vint les déposer sur la table basse sur laquelle se trouvait déjà le verre de Nala. « Evidemment. Fallait au moins ça pour que j’ai le droit de rester, non ? » demanda-t-il tout en connaissant déjà la réponse. « Lasagna, carpaccio, cannelloni… J’ai pris un peu de tout, je me suis dit que c’était une urgence » dit-il en sortant les petites portions comme un magicien faisant apparaître un lapin de son chapeau. Il tendit une cuillère à son double féminin et l’invita à se servir en premier. « Alors, raconte, c’était si terrible ? »

Il y a de ces amitiés qui marquent, indélébiles. Le genre qu’on ne peut oublier, qu’on ne peut effacer. Marcus était de ces amis. Et la distance qu’il y avait eu entre eux, ces derniers mois, avait suffit à lui faire comprendre que jamais elle ne pourrait vivre sans lui. Lui à Island Bay, Nala à Auckland. Même pays, même île, même fuseau horaire mais une distance qui lui était devenue difficile à accepter. Près de sept-cent kilomètres. C’était pour lui, majoritairement, qu’elle avait tout quitté pour revenir dans la ville où elle avait grandi. Pour lui qu’elle avait décidé de renoncer aux promesses qu’on lui avait faites. Et pour sa famille, bien sûr. Évidemment. Pour changer d’air et tirer un trait pour tout ce qu’il s’était passé à Auckland ces vingt dernières années. Mais surtout pour lui. Marcus avait organisé son retour, il avait tout prévu. De l’accueil à l’aéroport à ce nouvel endroit où elle vivait à présent. A son image, à son goût. Ça avait confirmé ce qu’elle avait en tête : Nala avait fait le bon choix en revenant.


Et parmi les choses qui lui avaient manquées, il y avait ces moments privilégiés avec lui. Ces instants entre parenthèses de leur vie où il ne restait que le bonheur d’être ensemble. Si à Auckland, ils étaient rarement seuls, aujourd’hui les choses étaient différentes. Une page s’était tournée. Un nouveau chapitre commençait à présent, et Nala était ravie de pouvoir l’écrire avec lui. « Je ne vois pas de quoi tu parles ! Je te fais une déclaration et tu m’accuses de boire tout le vin, je m’attendais à mieux. » Elle mima une moue boudeuse, peu crédible et posa naturellement sa tête sur l’épaule de Marcus. Difficile de trouver meilleur endroit à cet instant précis. Elle était apaisée, comme chaque fois qu’il était dans les parages. « Parfait et modeste, c’est certain. Les autres ne t’arrivent pas à la cheville. » Un sourire taquin s’était inscrit sur ses lèvres. « Bien trop parfait pour moi, c’est certain. » Marcus aurait pu être le genre d’homme dont elle aurait pu tomber amoureuse. Il avait tout pour lui plaire. Pourtant, depuis qu’elle l’avait rencontré, c’était de l’amitié qui régnait entre eux. Parce qu’il y avait eu sa femme - ex-femme maintenant -, qu’il y avait eu sa rupture récente avec son premier grand amour - le seul qu’elle avait aimé, d’ailleurs. Aujourd’hui, et quand bien même il en plaisantait, elle savait qu’aucun homme ne serait capable de le surpasser, comme personne ne surpasserait Evan.  

Elle regarda les sacs avec beaucoup d’envie. L’odeur qui s’en dégageait ne pouvait que présager un repas étoilé. Cela dit, l’amour de Nala pour la cuisine italienne n’avait aucun égal. « J’aurais sûrement fait un effort même si tu n’avais pas ramené italien, mais tu marques des points. Beaucoup, beaucoup. » Sourire aux lèvres, elle s’était levée pour aller chercher un verre pour Marcus. En revenant sur le canapé, son regard ne quittait pas les plats qui sortaient des sacs. Bien trop impatiente de tremper sa cuillère dans tout ce qu’il avait apporté. « T’as bien fait, je meurs de faim. Je crois que mon dernier repas remonte à … ce stupide dîner. » Elle ne souvenait même pas avoir avalé autre chose que du café pendant sa garde d’aujourd’hui. Juste du café. « Terrible ? Pire. » Marcus ne pouvait pas imaginé cet enfer dans lequel elle s’était retrouvée. Il fallait le vivre pour le comprendre. Elle avait ri, en repensant à cette soirée particulièrement désagréable pour elle. « Déjà, physiquement, il ne ressemblait pas vraiment à sa photo. Je suis presque sûre qu’il aura une calvitie dans quelques années. » Le genre qui fait des trous visibles. « Et … chaque fois qu’il ouvrait la bouche, j’avais envie qu’il la ferme. C’était chiant, nul, horrible. » Parmi tous les rendez-vous qu’elle avait pu faire, Nala pouvait décerner le prix du pire date qu’elle ait connu. Elle ne supportait que très peu les gens qui prétendaient avoir de la culture pour se vanter. Plus encore quand la prétention se révélait être un mensonge. « Oh et je suis persuadée qu’il n’aime pas les enfants. Autant te dire que c’était rédhibitoire. » Elle se souvenait du regard qu’il avait jeté à un bébé alors qu’il commençait à pleurer. Glacial et assassin. « Et il n’a pas voulu me laisser payer ma partie de l’addition, tu sais combien je déteste ça. Ce besoin machiste de vouloir payer… déjà que le restaurant était loin d’être à la hauteur, c’était la cerise sur le gâteau. » Elle était du genre têtue, du genre à vouloir faire comme bon lui semble. Elle avait beaucoup de principes, parmi eux, il y avait de ne jamais se faire offrir le premier restaurant. Nala n’aimait pas se sentir redevable, ni devoir remercier. En particulier quand elle avait passé une mauvaise soirée. « Je pourrais t’épouser tellement ce que tu as amené est divin ! Tu devrais vraiment donner des cours à certains hommes. » Elle venait de goûter aux lasagnes. Même son père ne les faisait pas aussi bonnes.

@Marcus James

De toutes les amitiés qu’il avait entretenues, Nala était sûrement la plus évidente. Il gardait bien au fond de lui le souvenir de ses premiers liens d’enfance et d’adolescence – dont ceux qui l’avaient motivé à revenir sur place – mais rien n’avait jamais été aussi fluide qu’avec sa compagnie du soir. Depuis le premier jour, leur complicité avait été criante, suscitant parfois la jalousie de ceux qui gravitaient autour d’eux. Son ex-femme, confiante, ne s’était jamais formalisée face au lien qui les rassemblait. Elle avait eu le privilège de partager sa vie et de disposer de son cœur, ce que Nala n’avait pas. C’était sûrement pour cette raison qu’il n’y avait jamais eu de drames entre les trois protagonistes et qu’elle n’avait fait aucune remarque en ce sens après leur divorce. Nala et Marcus s’étaient rapprochés naturellement. Personne n’avait calculé et cela n’en était que plus beau. Dans l’intimité et à de rares reprises, ils se plaisaient à dire qu’il était son Simba, sans pour autant rêver à une fin digne du dessin-animé de Disney. Ils étaient juste ces deux amis sincères, complémentaires, qui faisaient les 400 coups ensemble sans se soucier du reste et Marcus appréciait d’autant plus cette innocence.

Il câlina sobrement la jeune femme. Cela faisait un moment qu’il n’avait pas pris quelqu’un dans ses bras alors il avait l’impression que la moindre marque d’affection le cristallisait et baissait sa performance. Heureusement pour lui, l’humour de Nala contrebalançait ses incertitudes. « C’est pas grave, au moins tu sais vers quel idéal tendre » rétorqua-t-il avec sarcasme à ces remarques. Marcus était bien loin de tutoyer les idéaux. Il traînait un assemblage de casseroles digne de pouvoir initier une discipline olympique. Pourtant, il ne cessait jamais de croire que rien n’était immuable et qu’il pouvait mieux faire. Si les stigmates de son passé ne le quitteraient jamais, il était devenu une meilleure personne. De là à dire qu’il était en paix avec lui-même, il n’y avait qu’un pas et il savait que ce pas ne serait bientôt plus qu’un souvenir.

Un verre à la main, Marcus se contenta d’être une oreille attentive. S’il voulait le bonheur de Nala, il ne pouvait cacher sa délectation chaque fois qu’elle revenait d’un rendez-vous catastrophique et qu’il était l’un des premiers à en entendre le compte-rendu. Amusé, il se permit quelques remarques bien placées. « La Turquie est très avancée en termes d’implants capillaires, un petit voyage en Europe aurait suffi à régler bien des maux » dit-il en souriant. Il fallait bien qu’il relativise, même si l’évocation des enfants lui provoqua une sorte d’électrochoc intérieur qu’il ne savait expliquer. C’était ça à chaque fois. Il se rappelait de ce qui l’avait éloigné de son épouse, de ce qui l’avait ravagé pendant des semaines, de la colère qu’il avait éprouvée et du manque qu’il ressentirait probablement toujours. Heureusement pour lui, Nala ne s’attarda pas sur le sujet et il n’avait aucune envie d’y revenir. C’était encore trop frais pour qu’il puisse en parler librement. « Ah non, merci, j’ai donné niveau mariage ! » répondit-il à son compliment. A son tour, il plongea ses couverts dans un des plats qui se trouvaient devant lui et prit une bouchée. « C’est marrant comme moi, tu me laisses t’inviter… Parfois j’me dis que j’ai vraiment le pire des rôles » lâcha-t-il, la bouche encore brûlante de ce qu’il venait d’avaler. Il but une ou deux gorgées et décida à conclure. « Bon, on va dire que c’était un loser. Il en faut bien un pour que tout le reste te semble mieux. Tu as eu d’autres rencontres positives ? » demanda-t-il avec sagesse. Marcus n’était vraiment pas branché sites de rencontres. Nala l’avait inscrit sur des sites qu’elle avait utilisés, mais son profil était désormais mort, après avoir connu une déconvenue de taille. « Si ça se trouve, la femme de ma vie attend désespérément une réponse sur le site que tu m’avais donné, là ! » dit-il avant de se servir en pâtes carbonara. Dans tous les cas, cette hypothèse ne lui coupait pas l’appétit.

Elle était là, la magie. Il n’avait fallu qu’un instant. Elle oserait presque dire un regard. Ça avait été magique, surprenant. Involontaire aussi d’une certaine façon. Elle se souvenait de sa détresse, de son chagrin lorsqu’il était entré dans sa vie. Il avait suffit d’un instant, d’un échange. Il avait suffit de sa présence pour apaiser les douleurs dans sa poitrine. Marcus, il avait de la magie entre les doigts et dans le coeur, quand bien même il ne s’en rendait pas compte. Tout ce qu’il avait fait pour elle ces dernières années, sa présence, leur lien si précieux, elle lui en serait à jamais reconnaissante. Ensemble, ils étaient plus forts. Ensemble, ils pouvaient conquérir ce si grand monde qui s’offrait à eux. Ensemble, tout semblait si simple et ça l’était. Complice, sincère. Un duo comme il en existe si peu. Nala avait tant besoin de lui. Dans sa vie, dans son quotidien. Indéniablement, il était celui dont elle ne pourrait jamais se passer. Elle n’imaginait pas un monde où Marcus n’existerait pas.

Ils étaient différents, tous les deux. Il était plus dans la retenue, toujours incertain et pourtant, il n’avait pas à le faire avec elle. Nala, elle le connaissait bien maintenant. Peut-être un peu trop. Il y avait des barrières qu’elle n’était pas capable de baisser, incapable de les briser alors qu’il n’en méritait aucune. C’était un homme bien, quoiqu’il en dise. Quoique son passé en raconte. Et Nala, elle savait qu’elle pourrait toujours compter sur lui. « Un idéal qui a pris le melon quand même. » Il était de ces hommes qui marquent les esprits. Pas uniquement physiquement, Marcus était bel homme mais Nala n’avait jamais réussi à le voir ainsi, par un corps. Elle l’avait connu à travers le coeur et ça, à ses yeux, ça en faisait un homme idéal. Pour elle, peut-être pas. D’ailleurs, elle n’était pas sûre d’être faite pour quelqu’un, l’engagement, elle l’avait fui. Mais pour une autre, il pourrait être parfait. L’idée la rendait un peu jalouse, d’ailleurs. Elle aimait bien l’avoir pour elle, après tout.

Elle n’était pas la dernière pour raconter ses histoires, les déboires de ses rendez-vous ratés. Elle en avait connues, des sales soirées. Il y en avait eu des belles. De jolies surprises inattendues. Ça n’allait jamais loin, mais ça lui permettait de croire en la beauté des hommes. Quand bien même elle aurait espéré avoir une vie amoureuse bien tranquille, elle avait laissé passé sa chance il y a quelques années. « On peut régler les problèmes capillaires mais pour le reste, c’est vraiment pas gagné. » Les tentatives pour relativiser de Marcus ne changerait rien. Cet homme dont lui prénom lui avait déjà échappé n’était vraiment pas celui qu’il lui fallait. Même pas pour une nuit. Trop de chose n’allait pas pour que Nala lui permette de franchir le seuil de sa vie, encore moins celui de son lit. « Et moi alors, tu crois que j’ai pas donné niveau mariage ? » Elle n’était pas sûre d’en avoir beaucoup parlé avec lui. Elle ne savait plus. C’était un sujet sensible, délicat et les regrets venaient parfois l’éveiller. « Puis tu me rejettes, quelle tragédie pour moi ! » Une main sur le front, la mine triste, elle se la jouait comédienne dans son meilleure rôle tragique. Il ne manquait qu’un monologue. L’instant d’après, elle reprenait une bouchée de lasagnes. Faut dire qu’elles étaient vraiment délicieuses. « Je t’offre le vin, c’est pas pareil. » Elle avait eu un sourire taquin, l’œil brillant. C’était vrai, il lui avait offert le dîner. Encore une fois, parce que ça arrivait déjà à Auckland. C’était différent. Marcus n’essayait pas de la séduire, ni de l’acheter. Lui, il était là pour critiquer ses rencontres passagères et la soutenir. « Il y a eu, mais ça ne fait pas assez longtemps que je suis arrivée. Et puis, ça m’a sacrément refroidie cette histoire. Je suis bien toute seule. » Depuis Evan, elle n’avait pas cherché à retomber amoureuse. Elle avait simplement voulu passer du bon temps. L’amour, elle n’était plus sûre d’y avoir encore le droit après ce qu’elle avait fait. « Tu devrais aller voir ! » Nala l’avait obligé à s’inscrire, une fois. Plus pour rire que dans l’espoir que Marcus y trouverait son bonheur. « Allez, on regarde maintenant ! On va rigoler. » Ou peut-être pas. Surtout si son profil était tombé aux oubliettes avec le temps.

@Marcus James  

« J’ai personne pour me dire que j’suis formidable au réveil, faut bien que je le fasse… » dit-il en réponse à ses accusations de prétention. En réalité, Marcus était loin de penser qu’il incarnait la moindre notion d’idéal. Il était un bon ami, peut-être même un bon amant, mais il n’avait certainement pas toutes les cartes en main pour s’affirmer comme un potentiel excellent compagnon. D’abord, il y avait eu Maxyne. Il avait failli la tuer dans un excès de colère. Puis son ex-femme, qu’il a abandonnée pour ne pas la priver de la vie de ses rêves. Il avait réellement du chemin à faire avant de se repentir.

L’expérience du mariage avait été tout autre pour Nala. Elle l’avait peut-être enviée un jour, mais elle avait changé d’avis et ça, même s’il n’avait pas connaissance des moindres détails, Marcus l’avait compris. Revenir sur le sujet ne lui était jamais passé par l’esprit. Ensemble, ils bâtissaient une nouvelle page de leur vie et il ne voyait pas d’un bon oeil le fait de remuer les fantômes du passé. Peut-être que c’était aussi pour ça qu’ils s’entendaient si bien tous les deux, parce qu’ils savaient que certains démons devaient rester bien enterrés.

Devant sa scène digne de la Commedia Dell’Arte, Mark reprit une bouchée de nourriture avant de donner un léger coup d’épaule à sa compagnie du soir. Dire qu’il la repoussait était un grand mot. En matière de relations amoureuses, l’ancien flic avait enclenché le bouton pause depuis un moment. Même les aventures d’un soir ne l’intéressaient pas vraiment. Comme il se plaisait à le dire, il avait d’autres chats à fouetter. Sa vie allait à cent à l’heure depuis qu’il était revenu à Island Bay. Entre ses retrouvailles improvisées avec Maxyne, les problèmes qui compliquaient la vie du ranch et son incertitude professionnelle, Marcus n’avait pas eu le temps de penser à quoique ce soit d’autre. Une fois sa portion de pâtes terminées, il sortit son téléphone de sa poche à la demande de sa meilleure amie. Son profil était toujours actif, il ne se souvenait tout simplement pas de la dernière fois où il avait ouvert l’application. Avachi sur le canapé, sa tête contre l’épaule de Nala, il appuya sur l’icône concernée et fut agressé par le nombre de pastilles rouges qui s’affichaient sur l’écran d’accueil du programme. Des dizaines de tentatives de conversation, plusieurs notifications lui demandant de faire une chose ou une autre, il y avait de quoi déclencher une crise de panique rien qu’à la vue de tout ce qu’un algorithme l’invitait à faire. « Wow, wow, wow » dit-il en tendant le téléphone à Nala. Elle était bien plus habituée à gérer ce genre de choses. A peu de choses près, il aurait pu en faire sa manager. « Tiens vas-y, rends-toi de l’autre côté du miroir » dit-il avant d’attraper la barquette de tiramisu sur la table basse. Pendant que Nala était occupée à faire le tri dans ses alertes, il pourrait engloutir une grande part de l’un de ses desserts préférés. Discrètement, il plongea sa cuillère à plusieurs reprises dans le plat et se régala en prenant soin de ne pas vraiment attiré l’attention des autorités supérieures.


@Nala Ashford  

« Je vais lancer un message automatique pour que quelqu’un te le dise, faut pas faire dégonfler ton melon tout de même. » De Marcus, elle ne sait que l’essentiel, sa part d’ombre, ce mal qu’il dissimule derrière son humour, elle ne le connaît pas. Elle n’en avait pas besoin pour savoir combien il était quelqu’un de bien. Elle n’en avait pas non plus besoin pour l’aimer. Son meilleur ami. Son meilleur allié. A ses yeux, elle pouvait le dire, il était l’idéal. Tant pis pour les démons qui venaient le hanter, ceux qu’elle voyait parfois dans ses yeux. Nala, elle aimait Marcus. Ce Marcus qui se tenait face à elle.

Ce qu’elle avait devant elle lui suffisait. Cette soirée. Cet instant, comme un souvenir d’un temps devenu révolu. Nala n’aurait rien pu vouloir de plus. Cette nouvelle vie qui se dessinait devant elle lui plaisait. Son passé, peu tumultueux mais loin d’ici, était resté à Auckland. Famille retrouvée, Marcus jamais trop loin d’elle. La page était tournée. Souvenirs désormais les dernières années de sa vie. Il lui restait de nombreux chapitres à écrire à présent, sans jamais repenser à ce qu’il avait fallu pour en arriver là.

Sa vie, elle la voulait drôle, vive, positive. Elle voulait construire quelque chose de beau sans se préoccuper de ce que la société disait bon pour elle. Nala, dans son rôle de parfaite comédienne, se retenait de rire. Peu crédible dans la tragédie qu’elle offrait à Marcus, elle lui rendit son coup d’épaule. Elle reprit une bouchée, au hasard, sans réellement savoir ce qu’elle avait pris mais elle se régalait. Elle n’avait pas fait de vrais repas chez elle depuis son arrivée, trop prise par l’emménagement. Par le travail surtout. Vouloir faire bonne impression, s’acharner, enchaîner sans un signe de fatigue et oublier qu’un bon repas chaud pouvait avoir un effet fou sur le moral. Hormis le restaurant d’hier, elle n’était pas sûre d’avoir mangé autre chose que des plats de la cafétéria de l’hôpital. Le temps. Il défilait vite. Elle ne le prenait plus vraiment. Tout allait trop vite à présent. Elle prit la dernière fourchette de lasagne avant de se concentrer sur le téléphone de son compagnon de soirée. Ce qu’elle espérait arriva. Elle était persuadée qu’il serait envahi par les demandes. Il avait le physique, Marcus. La gueule qui plait, qui attire, qui fascine. Il était bel homme et ça, même elle ne pouvait pas le nier. Et elle avait tout fait pour le mettre en valeur sur son profil lorsqu’elle le lui avait créé. « Je vois que monsieur a du succès. » Elle avait récupéré le téléphone, un sourire en coin. « Non … » Trop longtemps que le message avait été envoyé. « Non … » Photos retouchées, profil douteux. « Toujours non … » Une grimace s’était même affichée sur son visage. La demoiselle avait l'émoticone facile et si le message était clair, Marcus méritait une vraie conversation. « Ne crois pas que je ne te vois pas manger l’intégralité du tiramisu. » Elle avait beau être concentrée sur l’écran, elle savait qu’il était capable de manger l’intégralité. Son pêché mignon. « J’en veux aussi. Juste une cuillère. » Elle ouvrit naturellement la bouche pour qu’il lui fasse profiter de ce met délicat qu’il était sauvagement entrain d’attaquer.

Elle continuait son inspection, minutieuse. Elle voulait véritablement prouver à Marcus que tout n’était pas perdu. Et c’était le cas. Il ne restait qu’un message après son premier tri. Un seul. Récent. « Il y a une fille qui t’a écrit il y a deux jours. » Elle avait l’œil, Nala. « Elle a l’air sympa. » Elle lui rendit le téléphone, profil affiché et elle se redressa. Tout y était. Un visage doux, un regard agréable et une belle description. Le message n’était pas si mal non plus. Simple. Efficace. Apprendre à se connaitre, qu’elle avait indiqué. Nala, elle l’avait ressentie sans savoir pourquoi. Une pointe de jalousie, côté palpitant. Un peu forte pour n’être qu’une pointe. Mais il avait une opportunité. Le genre qui ne lui plaisait pas, qu’elle aurait préféré ne pas lui montrer pour continuer de le savoir célibataire. Elle aurait dû se réjouir, l’inciter à répondre. Elle aurait pu mais elle s’en sentait incapable. Sans qu’elle ne comprenne réellement ce qu’il pouvait lui arriver. Jamais elle n’avait eu cette sensation, jamais elle n’avait cru pouvoir être jalouse, pas pour Marcus. Et pourtant. C’était plus fort qu’elle. Que toute la volonté du monde. Il fallait se concentrer sur autre chose. « Tu veux un autre verre ? » Ils étaient vides. Elle en avait besoin, aussi.

@Marcus James

De son coin du canapé, Marcus pouvait profiter du spectacle sans en perdre une miette. C’est sa meilleure amie qui avait décidé de créer son profil sur cette appli de rencontres, c’était à elle que revenait logiquement la tâche de faire le tri. La vérité, c’est que malgré son célibat prolongé, Mark ne ressentait pas le besoin de rencontrer qui que ce soit en ce moment. Il avait déjà suffisamment d’affaires à régler et de démons à chasser, il n’avait pas franchement le temps de s’investir dans une nouvelle relation amoureuse qui se terminerait sûrement en fiasco. Néanmoins, il se plaisait bien à détailler les traits de Nala qui allait et venait sur son téléphone comme s’il s’agissait d’une véritable mission et qu’elle prenait les choses à coeur.

Quand le bruit de sa cuillère attira l’attention et qu’il fut pris sur le fait, Marcus ne chercha pas à nier : il était en train de gober la barquette de tiramisu dans le dos de celle avec qui il était censé le partager. En bon gourmand, il avait pris le soin de prendre la plus grande portion, mais même là, il trouvait le moyen de s’en régaler en solitaire. Heureusement pour elle, Nala avait eu une bonne intuition en l’arrêtant avant qu’il ne termine le contenant. Légèrement abattu, Marcus tenta une mine d’âne éploré avant de plier. Il prit une énième cuillère, mais cette fois-ci, la dirigea vers la bouche de son amie. Lui qui pouvait d’habitude être si rude fit preuve de délicatesse et déposa le couvert à l’entrée de ses lèvres. Il préférait éviter de prendre le risque de causer un étouffement, surtout aussi tardivement dans sa journée.

Cela faisait des semaines que le cerveau de Marcus moulinait à grande vitesse et que des problématiques encore jamais envisagées venaient se joindre à son aventure. Vérifier ses messages sur l’application ne lui avait pas effleuré l’esprit et à ce moment-là, il se fichait bien de ce qu’il pouvait l’y attendre. Ce n’est que quand Nala se redressa après avoir annoncé qu’une prétendante avait coché de les cases de ses exigences que Marcus revint sur Terre. Il rapprocha son visage de celui de sa meilleure amie pour consulter la notification et prendre connaissance de l’identité de l’élue. Il ne pouvait pas se plaindre, l’autrice était élégante, le message bien formulé, piquant curiosité et lançant les hostilités. La proposition d’un autre verre le surprit. Il était si proche qu’il pouvait sentir le souffle de la brune. « Va pour un autre » répondit-il en reportant ses yeux vers l’application. En attendant d’être servi, il tapota une réponse sur le clavier virtuel de son téléphone, mais se retint de l’envoyer. Habituellement si peu enclin à rentrer dans un quelconque jeu de séduction, Marcus s’était laissé porter par le moment. Dans sa réponse, il la remerciait de s’être intéressée à son profil, de vouloir lui laisser une chance et l’interrogeait sur son parfum de glace préférée. Une offensive à la Marcus. Un instant plus tard, il tendit son smartphone devant les yeux de Nala. « Qu’est-ce que t’en penses ? »

Elle s’était véritablement prise au jeu. Minutieuse, elle ne voulait rien laisser au hasard. Marcus méritait sûrement mieux que ces applications, même beaucoup mieux que tout cela et pourtant, elle savait que sans, il resterait loin de tout cela. Trop préoccupé, elle le savait. Derrière ses apparences, il était submergé par trop de choses, des affaires dont elle n’avait pas idées. C’était pour lui qu’elle faisait ça. Analyser et juger des profils bien plus durement qu’elle ne l’aurait fait pour elle. Parce que c’était Marcus. Parce qu’il était hors de question de le laisser entre les bras de n’importe quels bras. Elle tenait bien trop à lui pour prendre le risque de faire les choses à moitié. Avec sa connaissance des applications de rencontres, son palmarès de rendez-vous ratés, elle était capable de déceler le pire comme le meilleur. Et parmi les prétendantes que Marcus avait séduit, le mauvais était tout de même dominant.

Nala savait que le tiramisu était le dessert préféré de Marcus. Elle savait combien il pouvait en raffoler et même, elle avait bien conscience qu’il aurait pu engloutir l’intégralité de la barquette si elle n’avait pas réclamer un morceau. Elle avait même été surprise qu’il finisse par s’avouer vaincu et lui offrir la cuillère qu’elle attendait tant, avec plus de délicatesse qu’elle ne l’aurait cru. Elle avait lâché un soupir de satisfaction, presque trop bruyant. Il fallait l’avouer, c’était si bon. « Même s’il est bon, je te laisse le privilège de le terminer. » Il n’y a bien que pour lui qu’elle pouvait accepter un tel sacrifice. C’était sa manière de le remercier d’être ici, d’être encore là. D’être toujours là. C’était aussi une façon de lui rappeler, au besoin, qu’elle avait renoncé à sa part pour lui faire plaisir.

Et tout en continuant à faire le tri, elle était tombée sur le dernier profil. La dernière prétendante qui avait choisi de s’accrocher au profil de Marcus. La seule qui avait suffisamment de piquant, de maturité, d’intérêt. Joli profil, jolie description. Nala devait l’admettre, elle avait frappé fort. Elle avait tout pour plaire, et surtout à Marcus. La sensation dans sa poitrine, elle ne l’avait pas prévu. Elle avait senti son coeur se serrer. Des pensées jalouses. Ce n’était pas dans ses habitudes, pourtant. Elle ne ressentait jamais ce genre d’émotions. Elle n’était même pas sûre de savoir comment les gérer. Rendre le téléphone, parler de vin, c’était sa façon d’essayer. « Je vais te chercher ça. » Elle s’était éloignée un instant. Inspirer, expirer. Évacuer la tension dans sa poitrine, dans sa nuque. Elle était revenue auprès de son meilleur ami, ses esprits plus ou moins retrouvés. Son verre rempli à nouveau, elle avait pu se concentrer sur la réponse qu’il avait prévu d’envoyer. Simple. Efficace. Nala avait réussi à décrocher un léger sourire. « Si elle te répond un truc bizarre, tu sauras que ce n’est pas la peine de poursuivre. » Du genre goût cheddar ou vodka glacée. « Tu pourrais envisager un rendez-vous avec elle ? » Du sérieux, une vraie question. « Enfin, la rencontrer et … passer du temps avec elle ? » Loin dans son esprit, une voix lui disait que si c’était le cas, il finirait par s’éloigner. Elle resterait au second plan, derrière une autre femme. Nala n’arrivait plus à le regarder dans les yeux, et son dévolu, elle l’avait jeté sur la pana cota devant elle. « Super bonne, tu veux goûter ? »

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Accaparé par son tiramisu, délice sucré dont les charmes n’étaient plus un secret pour personne, Marcus écoutait d’une seule oreille les tribulations de sa meilleure amie. Savoir qu’il plaisait sur une application de rencontres aux airs de marché du dimanche matin le laissait plus ou moins indifférent. C’était bien pour cette raison qu’il lui laissait le loisir de faire le tri. Pendant ce temps, il se contentait de dévorer son dessert préféré tout en regardant les mèches brunes de Nala s’agiter sous ses yeux.

Avec sa meilleure amie à ses côtés, Marcus se sentait intouchable. Là, sa nuque posée contre le canapé et son parfum à proximité, il oubliait presque les raisons qui l’avaient ramené à Island Bay. Maxyne, ses parents, ses frères. Il réussissait à omettre les longues discussions épuisantes, les joutes verbales, les listes d’arguments interminables et les soirées à se remettre en question. Il lui restait de nombreuses problématiques auxquelles répondre, mais à cet instant, sa seule préoccupation était de décider de la fin de soirée avec la personne dont il appréciait le plus la compagnie.

Assailli par les interrogations de Nala, l’ancien flic ne savait plus où donner de la tête. Cette affaire de rencontres, c’était la sienne. Marcus, lui, se fichait bien de sa solitude amoureuse. Cela faisait des mois qu’il était dans cette situation et il y survivait très bien. Enchaîner les rendez-vous, espérer et être déçu et/ou décevoir, il y avait perdu goût. A présent, il prônait l’apaisement. Avec les autres, avec lui-même, il avait du pain sur la planche. Alors que la jolie brune engloutissait la pana cotta qu’il avait apportée, il attrapa ses doigts et détourna la cuillère vers sa bouche. Certes, il venait de lui subtiliser son instrument d’accès au bonheur en plus de son dessert, mais il lui fallait bien détendre l’atmosphère. Ce profil soi-disant intéressant prenait beaucoup trop de place dans ce moment qui ne concernait qu’eux.

« Nala, t’as passé trois fois plus de temps à inspecter son profil que moi. » dit-il à moitié en rigolant. Il disait vrai. Certes, il lui avait envoyé un message, mais il ne pouvait pas prendre ça pour un signe indiquant qu’il était prêt à la rencontrer ou à envisager quoique ce soit de la sorte. Il prit son téléphone et le glissa en mode avion avant de le déposer sur la table. « Pour l’instant, je suis avec toi. Du moins jusqu’à ce que tu t’endormes comme une pierre, que tu me baves sur l’épaule et que pour me remercier d’éponger, tu me réveilles à 4h du matin en disant que tu es en retard ». Il se redressa dans le canapé et prit grand soin de déposer le plat de pana cotta sur la table basse avant de lancer les hostilités et de donner un coup de coussin sur la tête de sa meilleure amie.

Elle avait mis beaucoup de son énergie dans l’analyse de ces profils. Sans réellement en connaitre l’issue. Nala connaissait les ficelles de ce genre d’application. Elle en avait appris, ces dernières années, à force d’y rencontrer des hommes. Inconsciemment, les rencontres multiples avaient permis d’effacer peu à peu sa peine. Après Evan, il lui avait fallu s’en remettre. Repartir, recommencer. Enchaîner les rendez-vous pour s’assurer qu’elle était encore capable d’aimer. Plusieurs années après, il fallait se rendre à l’évidence. Nala n’avait pas brillé dans ce domaine. L’amour, les relations, les diverses rencontres. Ça n’avait abouti à rien. Elle avait mis la faute sur son travail, son manque de temps et d’implication mais peut-être qu’elle n’était simplement pas faite pour vivre une nouvelle relation. Elle n’était pas forcément la mieux placée pour l’aider.

Marcus était l’une des personnes les plus importantes de sa vie. Et si elle n’avouerait jamais qu’il était la raison de son retour. La seule. Elle avait beau dire que sa famille lui manquait, qu’elle avait besoin de changer d’air, mais il fallait se rendre à l’évidence. Si Marcus ne le lui avait pas demandé, elle n’aurait jamais demandé sa mutation, elle ne serait jamais revenue à Island Bay. Sa présence lui était nécessaire. Le savoir présent, le savoir à quelques kilomètres prêt à débarquer à tout moment avait de quoi la rassurer. Avec lui, rien n’avait plus d’importance. C’était inexplicable. Elle le voulait heureux, que sa vie soit plus belle. Elle pouvait deviner que des préoccupations envahissaient son esprit à chaque instant, mais ce soir, il n’y avait qu’eux. Eux contre le reste du monde. Ce soir, c’était à eux. Eux et cette pana cotta subtilisée.

Alors entre le tiramisu et la pana cotta, le profil de cette fille avait pris une place trop importante. Une place qui avait contractée son palpitant plus que de raison. Nala avait peur. Peur de le perdre à cause d’une inconnue sur écran de verre. Elle s’était tendue. Elle avait perdu son sourire en une fraction de seconde. Trop stressée par l’éventualité qu’il la laisse tomber. Et cette fille, elle s’était installée entre eux. Sa présence invisible avait rendu l’atmosphère étouffante. Pour Nala, en tout cas. Jusqu’aux mots de Marcus, elle s’appuyait sur ses épaules comme un poids. « T’as raison … c’est moi qui devrais l’inviter à sortir. » Elle avait ri, légèrement. Son regard avait retrouvé de son éclat. « Qui te dit que je vais m’endormir avant toi ? » Elle était prête à relever le défi. Malgré la fatigue, malgré la prochaine garde à venir, elle aimait jouer Nala. « Pour le réveil à 4h … » Elle n’avait pas eu le temps de finir qu’un oreiller s’abattait sur elle. Les yeux grands ouverts de surprise tant c’était inattendu. « T’es sérieux ? » Sans aucun doute. « Tu vas perdre, Mark ! » A son tour, elle avait attrapé un coussin. A son tour, elle s’était attaquée à lui dans un rire.

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En matière d’amour, Marcus n’avait pas de conseil à donner. Il était loin d’être irréprochable. Son premier véritable amour s’était terminé sans qu’il n’ait le temps de se rendre compte de sa bêtise. Ce n’était qu’après avoir tout envoyé valser et s’être retrouvé au fond du trou qu’il avait réalisé le niveau de nocivité qu’il avait pu avoir pour Maxyne. Il avait mis du temps à se pardonner d’avoir tout gâché. Il lui avait fallu des mois et des mois de thérapie, entamée dans le silence le plus total - trop peu habitué à parler de ses sentiments - pour enfin comprendre ce qui ne tournait pas rond chez lui et ce qu’il devait changer pour pouvoir prétendre à un nouvel amour. Il avait pris de nombreuses résolutions et avait colmaté toutes les brèches trop longtemps ouvertes avant de s’engager à nouveau dans la relation qu’il disait encore être celle de sa vie, même séparé. Son épouse, celle qu’il avait choisie et à qui il avait juré fidélité jusqu’à la fin de ses jours avait aidé à la remettre sur le chemin de l’amour. Il lui avait rendu en lui donnant tous les bons côtés de son être, chose qu’il n’avait pas su faire auparavant. Depuis, sa vie amoureuse avait l’allure d’un désert décoré ici et là d’un cactus. Il n’avait pas l’envie de s’engager. S’il vivait bien son divorce et le fait que son ex-femme ait refait sa vie, la plaie laissée par l’échec de leur mariage n’était pas tout à fait refermée et il savait qu’entamer une relation dans ces conditions ne rendraient service à personne.

« Tu devrais peut-être essayer les filles, tiens, ça marcherait peut-être mieux » dit-il en rigolant. Même s’il savait que sa proposition n’aurait aucun écho dans l’esprit de sa meilleure amie, il espérait qu’elle freinerait ses tentatives. Marcus le savait bien, elle était éreintée de courir après les rendez-vous foireux et de se raccrocher à des sites de rencontres pour espérer trouver l’amour. « T’es trop vieille dans la tête, ça se répercute sur ton aptitude à résister au sommeil ! » lança-t-il avant de se lancer dans une bataille de coussins improvisée. A l’aide de ses coudes, il se défendit comme il le pouvait, esquivant les coups d’oreillers du pauvre en rythme. Au bout d’un moment, il bloqua les poignets de Nala et se trouva nez à nez avec elle. Son regard dans le sien, il sentit la confusion lui monter à l’esprit. Habitué à gérer ce genre de situations par son métier, il donna le change et profita de cet instant de faiblesse pour se feindre dans une chaleureuse accolade, pratique avec laquelle il n’était pas spécifiquement familier en dehors de sa relation avec Nala. « Il faut que je rentre, mais on se refait ça rapidement, hein ? » demanda-t-il par politesse alors qu’il s’agissait en réalité d’une question rhétorique.