fresh new start? (noomi)

Pour des raisons de calendrier, d’organisation, ou bien de planning - Marcus n’avait pas très bien compris, la faute au directeur des ressources humaines dont les propos étaient aussi brouillons que le récit d’un enfant de cinq ans - le trentenaire n’avait pas eu l’opportunité de rencontrer l’animatrice radio avec laquelle il était censé collaborer pendant son stage. Il espérait au moins qu’elle avait été prévenue de son arrivée et qu’il ne débarquait pas au studio comme un cheveu sur le soupe, le charme de l’improvisation ayant ses limites. Au diable les bonnes intentions calquées sur les conseils donnés par les recruteurs ou trouvés sur internet, Marcus avait laissé la chemise repassée au placard. Il avait opté pour un jean, un tee-shirt blanc et une veste en cuir. Certes, il était stagiaire et son séjour au sein de la radio pouvait s’avérer raccourci, mais il voulait se présenter tel qu’on l’avait recruté.

Il avait prévenu qu’il ne serait pas le cliché du stagiaire intimidé cherchant à tout prix à se faire apprécier et qu’il ne deviendrait pas le préposé au café. Avec le recul, il se demandait même comment sa candidature avait accepté. Le monde de la radio l’attirait, oui, il le savait depuis qu’il s’était mis aux podcasts, mais il n’était pas prêt à sacrifier sa personnalité pour autant. Quand il était derrière son micro à interroger des gens démarchées grâce aux réseaux sociaux, Marcus ne pouvait pas feindre. Il s’était forgé une petite communauté qui était habituée à sa façon de faire et qui avait le choix d’adhérer ou non. A la radio, le principe était le même, mais les conséquences seraient plus lourdes s’il provoquait une baisse des audiences. Pourtant habitué à la pression après une carrière globalement réussie dans la police, il sentait une sorte de pesanteur sur son estomac. Cela faisait des mois qu’il ne s’était pas vraiment lancé de nouveau challenge professionnel et même s’il pouvait encaisser les échecs, il n’avait pas envie de se résigner, notamment parce que c’était l’obtention de ce stage rémunéré qui lui avait permis de quitter le ranch familial pour rejoindre une colocation en centre-ville.

Ni trop en avance ni trop en retard, Marcus se présenta à l’accueil et fut orienté vers le bon étage pour arriver au studio. Il frappa à la porte avec une certaine assurance puis entra sans attendre, un petit papier à la main. Bien qu’il ait décidé de ne pas faire de compris sur sa façon d’être, le trentenaire n’avait pas envie de passer pour un ours tout juste sorti de sa tanière. Avant de quitter l’appartement, il avait arraché un post-il après avoir écrit « Bon pour une boisson » dessus.

« Salut ! » dit-il avant de déposer le post-it plié en deux sur la table ronde, zone de médiation « comme je ne savais pas si t’étais plus café, thé ou scotch, j’ai prévu ça à charge de revanche une fois que je saurai ».



@Noomi Savalas chose promis, chose due

Encore un stagiaire. Le troisième depuis que Noomi travaillait à la radio – c’est-à-dire un peu plus de trois ans. Et toujours des hommes. Ce qui ne l’ennuyait pas le moins du monde étant donné que sa petite équipe de nuit n’était composée que de femmes ; elle puis Sam, la standardiste. La différence, c’est qu’il ne s’agissait pas d’un jeunot cette fois-ci mais bien de quelqu’un de son âge. Elle espérait que le courant passerait tout aussi bien. Pas qu’elle soit du genre autoritaire et que ça fonctionne mieux sur les jeunes. Non, c’est surtout qu’elle s’entendait bien avec, ils avaient parfois le même genre de délires. Bref, la blonde attendait patiemment l’arrivée de son nouveau stagiaire en salle de « réunion » à savoir la salle où Sam et elle buvaient café sur café et fumaient clope sur clope avant de prendre l’antenne. Normalement, il était bien sûr interdit de fumer à l’intérieur mais elles profitaient du fait qu’il n’y ait personne d’autre qu’elles dans le bâtiment pour faire ce qu’elles voulaient. Du moins lorsque le temps ne permettait pas d’aller sur la terrasse. Soit, pile à l’heure où on l’attendait, le stagiaire débarqua, un bon pour une boisson gratuite à la main. Mieux que des fleurs !

« Hey ! Dis donc t’es prévoyant, un point pour toi. Marcus, c’est ça ? »

Au cas où elle aurait oublié son nom, la grecque l’avait marqué sur un post-it qu’elle avait collé sur le bord de la table juste devant elle. Il y en avait partout dans le studio également. Au départ, ç’avait quelque peu embêté ses collègues qu’elle s’éparpille autant mais maintenant, ils ne se donnaient plus la moindre peine et laissaient tout en place.

« Je suis Noomi et voici Sam. A nous deux, nous formons l’équipe de nuit avec laquelle tu vas bosser. »

Puis elle se leva, récupéra le bon en le remerciant d’un petit hochement de tête et lui fit faire le tour du propriétaire. D’abord la salle de réunion, ensuite les deux studios bien qu’elles utilisent toujours le même, les toilettes, la régie et enfin la terrasse.

« Par contre, t’as dû le voir en montant, la machine à café se trouve au rez-de-chaussée. »

On dirait peut-être pas mais c’était très important de le signaler étant donné qu’ils travaillaient de nuit.

« L’émission commence à minuit et se termine à trois heures mais je suppose qu’on t’a déjà prévenu. En ce qui concerne les points météo et infos on a des contacts qui nous font de petits résumés, c’est Sam qui nous transmet tout ça. »

Puis ils revinrent au studio où elle lui montra le maniement de la console ainsi que quand lancer les pubs et la musique.

« En ce qui concerne la musique, on peut passer un peu ce qu’on veut alors si t’as des potes qui font de la musique ou si toi-même t’en fais, n’hésite pas à clisser un morceau dans la playlist. »

Quand le boss de la radio lui avait énoncé le nom de ses collègues de nuit, il n’avait pu retenir une blague concernant le fait qu’elles soient des femmes. Il ne se rappelait plus des détails, mais il avait - entre deux rires gras - un truc comme quoi il serait bien entouré, surplombé d’un regard cherchant une quelconque complicité sur la simple base que Marcus était un homme. Ce dernier, décidé à décrocher un stage mais sans vouloir vendre son âme pour autant, s’était contenté de lui rendre un regard froid. Non pas qu’il était démuni d’humour, bien au contraire, mais il était lassé d’entendre de ce registre qu’il avait déjà été forcé de subir dans la police.

En arrivant sur les lieux du crime, Marcus tendit ses deux bons faits maison à ses deux nouvelles compères. Passer pour un lèche-bottes n’était pas son genre, mais il savait faire preuve de sympathie. Parfois. Quand Mercure était en train de rétrograder et qu’on était un jour impair.

« C’était inscrit dans le manuel du « parfait stagiaire », j’ai aucun mérite » dit-il pour détendre l’atmosphère « Marcus, mais vous pouvez m’appeler Mark ». Une fois les présentations faites, l’ancien flic suivit bien sagement sa collègue dans son tour du propriétaire. Il lui faudrait peut-être un peu de temps pour tout assimiler, mais les locaux lui semblaient à sa portée. La seule chose qui le laissait dubitatif, c’était cette histoire de machine à café, mais il garda cette problématique dans un coin de sa tête pour se concentrer sur le reste. OK pour les horaires et les rôles de chacun. Pour la console, il se sentait plutôt à l’aise. Mine de rien, sa récupération lui avait laissé du temps pour s’intéresser à autre chose qu’à ses affaires et son niveau sur le ring. Le maniement de gadgets technologiques en faisait partie. C’était certainement dans le domaine de la maîtrise des temps de pubs et de diffusion qu’il serait le plus confiant dans un premier temps.

« Tu veux dire que j’peux alterner entre du Mozart et de la country ? » demanda-t-il avec une part de sincérité. Bien qu’il soit plutôt ouvert à tout, Marcus savait que le country avait un public dans l’arrière-pays néo-zélandais. Pire encore, il en avait la preuve : son père et son frère étaient abonnés à ce style musical, il les avait plusieurs fois surpris en train de travailler sur cette musique.

« Vous faites venir des invités, parfois ? » lança-t-il en se souvenant de ses bons moments à enregistrer un podcast. Mark n’était pas revenu depuis suffisamment longtemps pour prétendre tout connaître de l’émission. Il lui fallait bien trouver un moyen d’en apprivoiser les dessous le temps de décrocher l’opportunité d’apporter sa propre patte.

Le manuel du parfait stagiaire, Noomi aimerait qu’il y en ait un ; ses précédents stagiaires n’en avaient de toute évidence pas eu connaissance à l’époque, en tout cas. Oh non, elle n’irait pas jusqu’à dire que ça s’était mal passé mais disons que le premier savait que ce n’était qu’un job d’appoint et ne faisait pas vraiment d’efforts et que le deuxième essayait de prendre sa place. Donc en termes de « parfaits stagiaires » on repasserait bien que la grecque s’en soit un peu moquée qu’on essaye de prendre sa place, animatrice radio n’était pas non plus sa vocation, elle avait juste eu beaucoup de chance sur ce coup. Bref, Noomi fit son office en faisant faire le tour du studio, en montrant le fonctionnement de la console – généralement celle-ci posait quelques problèmes mais elle fut ravie de constater que c’était pas le cas avec Mark, lui ne paraissait pas plus impressionné que ça – et ainsi de suite. Puis elle lui expliqua le fonctionnement de la musique. Classique puis country, ç’eut le don de faire rire la blonde. Non pas parce qu’elle désapprouvait mais bien parce qu’elle pensait à ses auditeurs qui n’étaient habitués à aucun de ces deux styles ; le classique encore moins que la country.

« Oui, tu pourrais. Par contre attends-toi à recevoir quelques réactions un peu vives. La moyenne d’âge de notre audience est assez peu élevée. »

Bizarrement. Enfin ou pas car elle se doutait que les gens les plus susceptibles d’écouter ses conneries à cette heure-là étaient des étudiants en train de bûcher ou encore des travailleurs de nuit.

Vint ensuite le moment des questions. Ah, il est vrai qu’elle avait omis de parler des invités. Lorsqu’une ou l’autre star de la musique venait à se perdre en Nouvelle-Zélande, on envoyait Noomi essayer de la convaincre de passer dans son émission. Jusqu’ici, la jeune femme n’avait encore essuyé aucun refus. Mais il ne fallait pas se leurrer, c’était tout de même assez rare en dehors des tournées qui passaient miraculeusement par chez eux. En revanche, c’était plus fréquent que des musiciens locaux s’attardent dans leurs studios.

« Oui ça arrive et si une star plus conséquente passe en concert par ici alors on est pratiquement toujours envoyés sur place avec pass pour les backstages et tout ce qui va avec. »

C’était bien sûr à l’équipe de nuit qu’on confiait cette tâche parce que les autres émissions avaient tendance à viser un public plus… vieux, disons-le clairement. Plus sérieux aussi.

La vie professionnelle de Marcus n’était pas bien étendue : quelques étés à servir de larbin de fortune au ranch familial, une pige en tant que barman et des années dans la police à gravir les échelons par la porte principale. Reprendre le chemin de la formation à trente-deux ans était un choix audacieux que son entourage avait remis en question à plusieurs reprises. Pourtant, à ce moment-là, il se sentait presque comme chez lui au studio. Il lui faudrait quelques temps pour s’habituer à chacun, mais la fameuse première impression qui comptait tant pour certains était plutôt bonne. Quant à ses collègues de travail, il avait réussi à mémoriser leurs prénoms et à maîtriser qui était qui. Contrairement à ce que le cliché du policier pouvait renseigner sur lui, Mark n’était plus un loup solitaire. Ses dernières années à Auckland lui avaient appris que travailler en équipe pouvait être beaucoup plus agréable quand les uns t les autres étaient rendus sur un même pied d’égalité, cocasse quand on savait que la guerre des grades faisait la loi dans certains commissariats. Quoi qu’il en était de son passé, il était plutôt convaincu d’être bien tombé avec Noomi et Sam.

« Et si j’entrecoupe le tout avec un petit Baby Shark ? » lança-t-il sur le ton de l’humour. En réalité, il reconnaissait un véritable bon rythme à la chanson enfantine, mais on lui disait trop régulièrement qu’il avait des goûts musicaux douteux pour ne pas le croire. En termes de musique, il laisserait sûrement la main à l’expérience que représentait Noomi et s’adapterait. Pour les occasions spéciales aussi, il s’adapterait. Lui, il aimait rentrer dans la « vraie » vie des gens et c’est ce pourquoi le boss de la radio l’avait choisi, mais il ignorait encore comment il allait procéder dans ce cadre si particulier.

« Sympa. J’espère que les jolies tenues font partie du starter pack » lança-t-il gaiement. Pas sûr qu’ils aient un rôle sur le devant de la scène au point de devoir se tuner pour paraître présentable. Il s’assit précautionneusement sur un coin de la table dans l’attente de savoir quelle était la prochaine étape.

« Ca fait longtemps que tu fais ça ? C’est genre « ta vocation » ou alors t’es passée par plein de chemins différents avant d’en arriver-là ? » demanda-t-il, le regard posé sur Noomi dans l’attente d’une réponse « Tu peux aussi t’inventer un parcours loufoque, si tu préfères. On fait la même chose avec Sam et moi ensuite et on élit le plus fascinant ». La façon dont Marcus approchait les gens dans l’optique de faire leur connaissance était un poil déroutante, c’était sans doute aussi pour cette raison qu’il s’épargnait souvent cette tâche, sautant parfois les étapes selon les contextes.

A bien y réfléchir, Baby Shark était peut-être la limite à ne pas franchir. Evidemment, Noomi connaissait ; elle avait une petite fille qui allait à l’école avec d’autres qui elles avaient des petits frères et sœurs alors comment pourrait-il en être autrement ? Mais entre ça et Let it Go, la blonde croit qu’elle préférait encore le hit de la pétasse des glaces. Peut-être même qu’elle préférait encore It’s a Small World, tiens. Car si vous preniez la peine de l’écouter d’un bout à l’autre, vous vous aperceviez qu’il y avait des paroles. Peut-être pas dignes d’un poète dépressif français du dix-neuvième, il est vrai, mais quand même pas dénuées de sens et même assez jolies. Cela dit, elle avait bien compris qu’il s’agissait d’une boutade et c’est avec une grimace, oui, mais pas moins d’humour qu’elle répondit :

« Tu pourrais. Mais garde à l’esprit que nos buts premiers sont de garder les gens éveillés et de ne pas perdre nos auditeurs, donc d’éviter une vague de suicides. »

Tiens d’ailleurs, le fait de le mentionner maintenant lui rappela qu’elle ne lui avait pas encore parlé des petites spécificités inhérentes à l’animation d’émissions de radio nocturnes. Rien de bien méchant ; un débit de parole élevé, un certain volume en-dessous duquel il ne fallait pas descendre et un contenu aussi intéressant que possible. Elle pourrait toujours le faire plus tard et au pire du pire, si elle oubliait une fois de plus, Mark aurait tout le loisir de s’en apercevoir par lui-même une fois en live.

« Ah évidemment, on s’habille en conséquence ces soirs-là. »

Pas vraiment comme pour une nuit classique où Noomi avouait ne pas tellement faire d’efforts bien que l’émission soit filmée. En vérité, elle avait toujours tendance à oublier très vite la présence d’une caméra dans le studio. La prochaine étape serait l’émission à proprement parler. En tout cas si Mark se sentait d’attaque. Pour l’heure, ils en étaient toujours à discuter. La grecque pouffa, pas son genre de raconter des histoires loufoques. D’autant que, professionnellement parlant en tout cas, elle n’avait rien à cacher.

« Pas du tout une vocation, non. A la base, j’suis chanteuse et pianiste. T’embête pas à chercher mon nom ou mon visage dans ta mémoire, ça a jamais été la gloire. Puis j’ai eu un accident y a trois ans et j’ai été forcée de me recycler. Du coup j’suis ici, où c’est bien plus la gloire. »

Un mal pour un bien, supposait-elle. D’autant qu’elle s’y était faite.

« Et toi, alors ? T’étais déjà un peu dans le milieu ? »

De la musique ou de l’animation.

Dès les premiers instants, Marcus laissait entrevoir son répertoire musical. Il était hétérogène, c’était le moins qu’on puisse dire. L’ancien flic n’était pas attaché à un style particulier. Pire encore, il était la version musicale de ce qu’on appelait « bon public », il lui arrivait d’apprécier un bon morceau populaire si celui-ci était entraînant. A l’autre extrémité de ses goûts se trouvaient des titres de rap allemand qui commençaient à dater un peu. Peut-être qu’un jour, il s’aventurerait à les passer à l’antenne. En secret, il faisait le pari que la langue de Goethe réunirait davantage d’auditeurs que la mélodie obsédante de Baby Shark.

« C’était pas noté dans le contrat, ça » dit-il en plaisantant. Il la jouerait safe pendant quelques temps, le temps de faire son trou à la radio. Depuis l’incident qui l’avait cloué au lit pendant quelques semaines, il prenait les choses les unes après les autres. D’abord il apprenait à se tenir à l’antenne puis il introduisait ses playlists et enfin, il achevait les quelques résistants en déjouant les lois du style lors des festivals et cérémonies pompeux.

Détaillant Noomi du regard, Mark avait bien du mal à se l’imaginer derrière un piano. Sa voix n’était pas désagréable à entendre et sa curiosité le poussait à vouloir goûter à sa version chantée. Peut-être qu’une fois qu’ils se connaitraient mieux, elle accepterait de rechausser les crampons quelques minutes dans son domaine. Au moins, elle ne venait pas de bien loin. Elle avait troqué un micro pour un autre et elle semblait être à l’aise dans ce qu’elle faisait.

« Merde. Ca t’arrive de rejouer ou de rechanter ? » demanda-t-il avant qu’elle ne l’interroge sur son passif. De son côté, rien d’artistique. Il pouvait même être considéré comme un véritable ovni dans le domaine. Beaucoup de radios l’auraient moqué, mais celle-ci lui avait donné sa chance et il savait qu’il pouvait être reconnaissant.

« Ca fait quelques mois que je fais des podcasts que je poste sur internet. YouTube, Google et Apple Podcasts, bref, sur toutes les plateformes possibles et utilisables. Avant ça, j’étais totalement dans une autre galaxie. » C’était le moins qu’on puisse dire. Refermer le chapitre de la police avait été un choix très osé, mais il ne pouvait prétendre qu’il s’était trompé. « J’étais flic. J’ai longtemps bossé à Auckland avant d’être gravement blessé et de revenir ici pour me reposer et régler des affaires personnelles. J’ai vite compris que j’étais passé à autre chose et que jouer les cowboys, c’était plus pour moi. Alors j’ai tenté autre chose et c’est tombé sur cette radio, et sur vous deux, par extension » conclut-il en regardant ses deux acolytes.

Ah, si Mark était le super-méchant d’un film Marvel ou DC, il pourrait carrément se faire embaucher à la radio et créer des suicides de masse en diffusant son Baby Shark sur les ondes. Le plan le plus machiavélique jamais conçu. Ils rirent donc de bon cœur avant d’aborder le sujet passé professionnel de chacun. En ce qui la concernait, ça ne posait aucun problème à Noomi d’en parler. De plus, c’était la réponse à quelques questions comme pourquoi tous ces post-it partout ? Et puis il serait bien inutile de nier le problème, ça ne ferait même que le renforcer. Comme presque tout le monde dans ces moments-là, son stagiaire eut l’air désolé pour elle. Et effectivement, y avait de quoi. D’autant que personne n’avait jamais conscience de l’ampleur de la chose puisqu’ils ne l’avaient pas vécue à sa place. Mais sa compassion se résuma à un bref « merde ». Ce qu’elle préférait au fond.

« Oh oui, ça r’vient petit à petit. Puis mes proches m’laisserait pas arrêter définitivement. »

C’était d’ailleurs grâce à leur soutien qu’elle parvenait enfin à surmonter son blocage après trois ans. En même temps, ç’avait fort ressemblé à cercle vicieux cette affaire.

Et pour ce qui était de Mark ? Des podcasts depuis quelques mois. Maintenant qu’il en parlait, la blonde n’était même pas sûre de savoir de quoi il s’agissait exactement. Elle connaissait le terme, savait qu’il était lié à diverses plateformes, surtout YouTube puisqu’elle ne s’aventurait pour ainsi dire jamais sur les autres mais elle n’en avait jamais écouté. Cela dit, elle se doutait que ça l’aiderait pas mal pour la radio et son choix de stage faisait tout de suite sens. Puis il évoqua son passé de flic et le visage de la grecque s’assombrit quelque peu. Elle n’y pouvait rien et c’était pas contre lui, il s’agissait plutôt d’un automatisme puisqu’elle n’avait jamais porté cette engeance des plus inutiles dans son cœur. Mieux valait donc qu’elle ne s’accroche pas trop à cette information. En revanche, le fait qu’ils soient tous les deux des écorchés le lui rendait de nouveau sympathique.

« Tu t’recycles toi aussi, du coup. »

Ce qui lui paraissait être une bonne chose étant donné qu’elle était passée par-là elle aussi, il lui serait dès lors plus simple de lui apprendre les ficelles du métier. Même si elle persistait à croire qu’il y avait pas vraiment de ficelles dans ce métier, fallait juste pouvoir être à l’aise avec l’idée de parler presque en continu des heures durant ainsi qu’avec le fait que plein de gens vous écoutent. Puis, de but en blanc :

« T’es chaud pour passer à l’action ? »

On verrait s’il avait un peu gardé de son instinct de cowboy.

Les carrières chamboulées, Marcus connaissait. Lui aussi, il s’était imaginé un chemin tout tracé dans la police et voilà qu’il était maintenant dans un studio à apprendre comment lancer un morceau de musique après les publicités. Il savait que renoncer à un plan pouvait parfois être douloureux. Ce n’était pas son cas. Il avait l’impression d’être allé au bout des choses dans la police. A trente-ans révolus, il se lançait un nouveau défi et espérait que son pari serait gagnant.

« Tu m’feras un petit concert privé quand j’aurai passé l’épreuve d’initiation et le bizutage ? J’suis assez curieux. Tu peux m’dire non et j’me contenterai de t’imaginer chantonner un air d’opéra… » dit-il pour détendre l’atmosphère. Loin de lui l’idée de mettre la pression à celle qui opérait en tant que maître de stage.

« J’tente un recyclage, mais pas sûr que j’finisse pas à la casse… ». Si son expérience tournait au cauchemar, il ne savait pas vers quoi il se tournerait. Sûrement qu’il retournerait au ranch la queue entre les jambes et qu’il me quémanderait un poste auprès des chevaux pour éviter d’avoir à revenir occuper sa chambre d’adolescent. Cette solution avait fait l’affaire à son retour à Island Bay, mais il ne se sentait plus capable de la considérer autrement qu’une habitation provisoire.

Sans qu’il ne s’y attende vraiment – à croire qu’il avait oublié la raison de sa présence ici – Noomi lui suggéra de passer à l’action. Est-ce qu’il était stressé ? Boarf. En rencontrant son équipe, la tension était descendue bien bas. Il n’avait pas l’impression que les attentes étaient trop exigeantes et surtout, il avait la conviction qu’on lui indiquerait la marche à suivre. Du moins, c’est l’impression qu’il avait eue en discutant avec Noomi.

« Prêt à en découdre » répondit-il avec un air déterminé. La seule chose avec laquelle il pourrait finir par se battre, ce serait sûrement le fil de son casque… Pour l’instant, il était en phase d’observation. Il s’approcha donc de la table de commandes et s’assit sagement sur son tabouret avant d’enfiler son casque pour l’ajuster à son visage. Le micro devant lui semblait être à la bonne hauteur et il avait identifié le bouton qui permettait de l’activer ou de l’éteindre. Cependant, ce qui attira son attention, c’était une touche particulière qui se démarquait des autres par sa forme, sa taille et sa couleur. En bon élève, il posa la question.

« Le bouton rouge là, il sert à quoi ? C’est pour ouvrir la trappe qui se trouve sous mon tabouret si j’fais pas l’affaire, c’est ça ? ».

Soucieux d’en dire plus sur sa personnalité à l’animatrice, il se lança à la recherche d’un titre bien précis qui lui rappelait de bons souvenirs familiaux. Ses parents avaient promis qu’ils mettraient la radio, c’était une sorte d’hommage que de lancer ce morceau, un peu comme faire un signe de la main le jour de la kermesse de l’école… Quoi qu’il en soit, il était persuadé que cette petite attention ne ferait qu’améliorer les choses entre son père et lui.

« J’peux lancer mon titre à la prochaine occasion ? » demanda-t-il le doigt sur le bouton.

:

L’espace d’un instant, Noomi considéra véritablement la question : serait-elle prête à se donner en spectacle devant son tout nouveau stagiaire ? Pourquoi pas, après tout ? Fut un temps où elle se produisait devant de parfaits inconnus. Qui ne l’écoutaient même pas tout simplement parce qu’ils n’étaient pas là pour ça, seulement pour se détendre devant un verre après le boulot. Bien sûr, c’était avant ses trous de mémoire, mais puisqu’elle avait fait d’énormes progrès depuis cette sombre époque où elle refusait tout net de poser les mains sur un clavier ou encore où elle s’énervait parce qu’elle ne faisait que rejouer le début de la partition en boucle dès qu’elle ne parvenait plus à se souvenir d’où elle en était, alors pourquoi pas ? Quelque chose de simple. Rien qui provoquerait des exclamations d’émerveillement.

« Ah, on verra si t’es sage et si tu fais du bon boulot ! »

Mine de rien, ils avaient quelques points communs avec Marcus. Comme le fait de ne pas savoir quoi faire d’autre si jamais ça venait à échouer, ça aussi. Ce qui expliquait qu’elle comprenne, bien qu’elle ne puisse rien lui offrir de plus qu’un hochement de tête accompagné d’une tape amicale sur l’épaule.

Et juste comme ça, il fut temps de prendre l’antenne. Après avoir pris ses aises, surtout. Crucial lorsque votre métier consistait à blablater plusieurs heures d’affilée, les fesses vissées sur votre siège. Que l’émission soit filmée ou non – et elle l’était toujours -, la grecque ne faisait pratiquement jamais d’efforts particuliers ; sauf lorsque c’était au studio qu’elle recevait tel ou tel chanteur. Elle ne prenait même pas la peine de se maquiller, encore moins de se tenir droite dès qu’elle avait l’occasion de s’avachir dans son siège. Et tant qu’elle ne faisait pas fuir ses auditeurs, elle entendait bien continuer comme ça. Bref, Mark fit lui-même le reste du travail ensuite puisqu’il lui demanda à quoi pouvait bien servir ce bouton rouge, y allant de sa petite hypothèse. Celle-ci fit bien marrer Noomi, soit dit en passant.

« T’es pas si loin d’la vérité. Ce bouton sert à rendre l’antenne. Et comme y a plus que nous à cette heure… C’est comme si on fermait boutique. Donc ouais, si t’appuies là-dessus en pleine émission, ça s’rait un peu comme de t’éjecter toi-même. »

Une fois que ce point fut éclairci, l’émission put débuter et Noomi tâcha de présenter Marcus au mieux, ainsi que de l’intégrer convenablement en lui adressant un petit hochement de tête lorsqu’il demanda s’il pouvait passer une chanson à la prochaine coupure.

hj:

Du bon boulot, voilà l’objectif fixé par Noomi pour que son stagiaire puisse daigner avoir accès à quelques minutes de spectacle. S’il pouvait jurer que ses intentions étaient bonnes, il n’était pas sûr qu’il parviendrait à ouvrir sa voix comme un célèbre sorcier avait réussi à ouvrir la fameuse carte du maraudeur. Quoiqu’il en soit, il aurait essayé et cet effort était déjà louable en soi. La trentaine passée et des réorientations effectuées, Noomi et Marcus pouvaient pleinement se comprendre. A eux deux, ils formaient un bon duo de bras cassés. Il ne restait plus qu’à voir si ces perspectives plus ou moins similaires étaient compatibles sur le long terme.

Sagement assis sur son tabouret, ses lunettes vissées sur un nez qu’il trouvait encore trop imposant à trente-deux ans passés, Mark s’appliquait à explorer le studio. A l’image d’un petit garçon dans un magasin de jouets, il décomposait chaque élément en prenant soin d’analyser quelles seraient les conséquences de ses actes. C’est pour cette raison qu’il imprima rapidement qu’il devait rester loin du bouton rouge qui attirait pourtant l’attention. Il avait bien compris qu’il ne pouvait pas arrêter l’émission en plein milieu à part en cas d’urgence vitale, ça tombait sous le sens, mais il savait aussi et surtout que malgré toute la concentration dont il savait faire preuve, il pouvait se retrouver à appuyer au mauvais endroit au mauvais moment par inadvertance. Comme pour éloigner cette possibilité de lui, Marcus entama une sorte de duel de regard à sens unique avec le capuchon en plastique dur. Il valait mieux que personne ne sache ce qui lui traversait l’esprit à ce moment-là. Dans le pire des cas, il passerait juste pour un fou à fixer un cercle de 2 centimètres et demi de diamètre, ce qui ne l’arrangeait pas tellement non plus, mais il pourrait se défendre et plaider un moment de vide intersidéral.

Son initiative validée par la patronne du studio, il lança le premier morceau qui lui était venu à l’esprit en pensant à ses proches. Lui à qui on reprochait souvent d’être de glace venait de faire un pas vers les siens, mais toujours avec mesure. Ce n’était clairement pas son style de faire des déclarations d’amour en public et il espérait ne pas avoir à lire des dédicaces truffées de fautes pour faire plaisir aux auditeurs. Discrètement, il tapota avec ses doigts contre le rebord de la table de commandes sur le rythme de la batterie. S’il pouvait dire avoir grandement amélioré ses compétences d’orateur, il était sûr que le tenir loin d’un instrument de musique était la meilleure chose à faire. Les quelques minutes occupées par la musique, il se prépara à enfiler son costume d’animateur radio et à donner la réplique – autant qu’il le pouvait – à Noomi. « Promis, j’vais essayer de ne pas faire de blagues gênantes qui pourraient te pousser à rendre l’antenne. » dit-il avec un léger rictus.

Ah, l’attrait de tout ce qui est interdit, Noomi le connaissait bien. Plus jeune, il suffisait qu’on lui dise de ne pas faire quelque chose pour qu’elle le fasse. Heureusement, elle avait fini par perdre cet esprit de contradiction avec le temps ; elle avait également fini par comprendre que si c’était interdit, c’était pas seulement dans le but de l’enquiquiner, y avait une bonne raison à ça dans la majorité des cas. Ou en tout cas, l’intention de la personne ayant instauré cette interdiction était bonne. L’enfer est pavé de bonnes intentions, c’est pas ça qu’on dit ? Sans avoir trop l’air de le fliquer non plus, elle l’observa du coin de l’œil en train d’observer le bouton servant à rendre l’antenne. Ça devait le tenter mais Marcus était un adulte lui aussi sinon il aurait déjà appuyé dessus. Ce qu’elle pouvait comprendre : ça faisait envie. Mais la raison l’emportait. De toute manière, il était question de l’occuper un peu, en lui faisant passer de la musique, en le laissant réagir aux divers sujets abordés au cours de l’émission. Peut-être aurait-elle dû demander qu’on lui fasse préparer un petit quelque chose afin qu’il ne s’ennuie pas trop mais vous connaissez la grecque : elle avait oublié.

Quoi qu’il en soit, la blonde donna le feu vert à son nouveau stagiaire pour qu’il lance une chanson de son choix. Ça faisait toujours plaisir, comme une sorte de dédicace à qui vous vouliez. Noomi s’était amusée de cette manière elle aussi, au début. Puis avait fini par se lasser. D’autant qu’elle savait que la plupart de ses proches dormaient à cette heure. A l’exception de son père. Avec ses insomnies, il préférait s’abrutir à écouter son émission plutôt que de s’abrutir devant une connerie à la télé, elle trouvait ça aussi mignon que touchant. Puis peut-être Jimmy. Du moins en partie, puisqu’il lui avait avoué un jour s’endormir au son de sa voix. Ça aussi, si c’était pas terriblement mignon ! Mais pour le reste… Bref, il lui fit savoir durant la pause qu’il ferait de son mieux pour ne pas faire de blagues gênantes qui la forceraient à rendre l’antenne. Ce qui manqua pas de la faire sourire.

« Tout dépend de c’que t’appelles « gênant » après. Notre audience est assez jeune alors les blagues un peu connes et graveleuses, ça les fait toujours marrer. Te mets pas trop d’pression pour ça, j’suis sûre que tu t’en sortiras très bien. Puis n’hésite pas à intervenir quand t’en as envie, aussi. »

Au fond, c’était très relax comme job, autant en profiter.