rentre les crocs (maxyne)

Il y a quelques semaines encore, Marcus ne se serait jamais imaginé déambuler le long des stands de nourriture et d’attractions de la kermesse d’Island Bay. Ca ne faisait que quelques jours qu’il avait définitivement abandonné sa canne pour marcher et qu’il avait suffisamment confiance en sa rééducation pour se laisser aller aux balades en public. Seul à la coloc en cette fin de journée légèrement ensoleillée, il avait proposé à ses pairs de le rejoindre en ville pour échapper à la dangereuse question de « qui fait à manger ce soir ? » en faisant marcher le commerce saisonnier.

Devant ses yeux, Marcus voyait passer tous les types d’individus. Du jeune couple d’amoureux qui se retrouvait pour passer un moment ensemble à la famille déjà bien construire et dont les parents luttaient pour que leur version miniature ne s’égare pas, toute la population d’Island Bay était représentée. De son côté, l’ancien flic et désormais animateur à la radio locale se contentait de découvrir les attractions proposées. Le chamboule-tout lui rappelait des souvenirs de son adolescence où il avait essayé, dans un ultime espoir, de battre son frère aîné, tandis que la grande roue qui enchaînait les sessions faisait remonter des souvenirs de ses premiers émois amoureux. Dans l’attente de retrouver de la compagnie – qui, selon les derniers messages postés sur le groupe Whatsapp, ne tarderait pas – Mark s’assit sur un tabouret en hauteur et parcourut les différents fils d’actualité de son téléphone. De temps à autre, il relevait la tête pour être témoin du changement de public de la kermesse. Petit à petit, les amateurs de jeux laissaient place à une population cherchant à profiter des services de restauration et de boisson des lieux. C’est à cette occasion que la montée en décibels d’une altercation de routine attira son attention. Pourtant déconnecté du moment, Marcus délaissa son téléphone le temps de prendre connaissance de la situation. A quelques mètres de lui, il vit un homme et une femme entrer dans une querelle. Il ne fallut que quelques instants pour reconnaître la silhouette bien familière de Maxyne. Mark le savait, son ex était capable de se défendre toute seule. Pourtant, l’affaire semblait durer, si bien qu’il se décida de s’approcher de la scène. C’est à ce moment-là qu’il remarqua que la jeune femme avait l’air affaiblie. Il ne l’avait pas revue depuis la séance de retrouvailles improvisées à la piscine, mais ça lui suffisait pour constater que quelque chose ne tournait pas rond. Décidant de ne pas intervenir, il savait que Maxyne détesterait ça, il repoussa discrètement les amateurs d’animation de rue qui étaient à deux doigts de se procurer un paquet de popcorn pour profiter de la scène dans les meilleures conditions. Une fois le moment passé, l’homme ayant repris son chemin en pestant bruyamment contre elle, Marcus lança un regard en direction de la blonde.

« Ca va aller ? » demanda-t-il en toute bienveillance et craignant d’office de se voir refoulé en puissance.

@Maxyne Oakley 

Recluse chez elle depuis un petit temps, à l’exception de rares sorties ponctuelles, Maxyne accepta de retrouver Liam à la kermesse pour changer d’air et passer un bon moment avec un de ses meilleurs amis. Progressivement, la jeune femme se remettait de sa blessure dans le dos et elle retrouverait bientôt le chemin du centre nautique avec le retour de la belle saison. Il lui faudrait néanmoins prendre une décision cruciale par rapport à son avenir professionnel, décision qu’elle continuait de reporter au lendemain. En attendant, Maxyne avait décidé aujourd’hui de recommencer à voir du monde. L’hiver avait été compliqué pour elle, agrémenté par une dépression dont elle se relevait à peine. Cette soirée avec Liam était donc la bienvenue. Arrivée sur les lieux, la monitrice de plongée consulta son téléphone et constata que son ami la rejoindrait finalement plus tard que prévu, retenu par un imprévu à son travail. Plutôt que d’attendre au milieu de la kermesse, l’ancienne nageuse déambula entre les manèges pour enfants et les stands de boissons et nourritures dans l’idée de repérer les bons coins. Décidant de prendre un coca le temps que Liam arrive, Maxyne se glissa dans une file. Devant elle, deux enfants venaient de commander une énorme glace chacun et leur sourire illuminé était beau à voir. Le moment fut malheureusement gâché par un malotru qui bouscula Maxyne pour dépasser tout le monde dans la file. Cette bousculade se répercuta sur les enfants, puisque la glace de l’un chuta sous la poussée. Pendant une seconde, la nageuse crut naïvement que l’homme adulte s’excuserait et se rattraperait mais il se posa sans gêne devant le stand dans l’idée de passer sa commande. Le sang de Maxyne ne fit qu’un tour. Elle vit rouge et ne se gêna pas pour dire sa façon de penser au rustre qui ne s’attendait sûrement pas à de la résistance autour de lui. Elle lui cracha son venin et crut que le type allait en venir aux mains mais le préposé du stand calma le jeu en refusant de le servir. Il finit par s’éloigner et la blonde acheta son coca au commerçant en lui demandant au passage une nouvelle glace pour l’enfant qui n’avait pas profité de la sienne. « Tiens, voilà mon grand. Ne fais pas attention, les adultes sont bêtes parfois. » Tout était bien qui finissait bien. Les mômes s’éloignèrent ensuite du stand, à l’instar de Maxyne, qui se serait bien passée de cette scène. La lassitude l’avait quittée au bon moment pour réagir, sans doute par un besoin inexpliqué de se défouler. Alors qu’elle rangeait sa monnaie dans sa pochette et qu’elle avait repris sa marche, un autre homme s’approcha d’elle. Dans l’intensité du moment, Maxyne n’avait pas prêté attention aux badauds autour de la dispute. Pourtant, cette voix, elle l’aurait reconnue entre mille. Marcus. Pourquoi le croisait-elle partout inopinément ? A la piscine et aujourd’hui. Il la suivait ou quoi ? Pire encore, elle ne cessait d’entendre parler de lui. Via Piotr, via Noomi, à la radio… Depuis le retour de l’ancien flic en ville, Maxyne faisait une indigestion de Marcus. L’adrénaline de l’altercation n’avait pas complètement disparu. Pourtant, la lionne n’était plus en état de rugir. La lassitude la gagnait à nouveau en songeant à cette nouvelle confrontation. « Oui ça va. Qu’est-ce que tu me veux, Marcus ? »

Même si ce n’était qu’une projection de son esprit, Marcus avait l’impression qu’il n’avait pas vu Maxyne dans une situation réelle depuis des siècles. La dernière fois qu’il s’étaient retrouvés ainsi – excepté la fois de la piscine – ils étaient encore ensemble et filaient presque le parfait amour. Presque parce que la jalousie et la rancœur venaient déjà parasiter les bons moments et que Mark n’arrivait toujours pas à décider s’il attribuait ces souvenirs au positif ou au reste de leur histoire. Quoi qu’il en soit, ils étaient bien là à quelques mètres l’un de l’autre et au ton de son ex, l’ancien flic comprit qu’il avait fait l’erreur de manifester sa présence. Island Bay était une petite ville, ne pas se croiser tenait du challenge et ils ne pouvaient éviter que le hasard vienne jouer son rôle dans leurs deux vies respectives. Presque déçu de ne pas être surpris à la réaction de la blonde, Marcus passa immédiatement en mode bouclier. « Oui ça va. Qu’est-ce que tu me veux, Marcus ? » demanda-t-il comme si le simple fait qu’il ait ouvert la bouche était une agression. Aussitôt, il regretta de s’être mêlé à la situation. Même s’il avait agi de façon spontanée sans préméditer la scène, il ne savait pour quelle réponse opter pour éviter un conflit. Il prit une grande respiration puis se décida à répondre.

« Juste être sûr que tout allait bien. » dit-il en toute honnêteté. Il aurait pu s’agir d’une toute autre personne que Marcus aurait eu la même réaction. Les réflexes de flic ne s’oubliaient pas si rapidement. Dans d’autres circonstances, il aurait pu insister et lui faire la conversation, mais il sentait bien que le simple fait qu’ils respirent le même air rendaient la situation compliquée. Peu désireux de se donner en spectacle devant une multitude de visages qu’il ne connaissait pas, il se fraya un chemin jusqu’au stand qui avait été au centre de l’attention, commanda une barbe à papa et un soda et consulta une nouvelle fois son téléphone. Sa simple interaction éclaire avec Maxyne avait eu le don de doubler son rythme cardiaque. En affichant la conversation Whatsapp avec ses colocataires, il espérait surtout pouvoir lire un message qui l’assurait qu’il serait bientôt rejoint et qu’il pourrait tirer un trait sur cette surprenante rencontre, mais ce ne fut pas le cas. Tenant sa barbe à papa de la main gauche, il tapa un message de son autre main afin d’avoir des nouvelles de ceux qui devaient le rejoindre.

Toujours sous le feu de l’altercation qu’elle venait d’avoir devant le stand, Maxyne ne réussit pas à répondre de façon impassible à Marcus. La présence de son ex en ville n’était pas facile à vivre, non seulement parce qu’elle l’associait à de souvenirs douloureux mais parce qu’il tournait autour de son entourage (c’était inévitable, Marcus et Maxyne avaient des personnes en commun). Elle ne cessait donc d’entendre parler de lui depuis son retour alors que son vœu était tout le contraire. Perturbée par une santé en dents de scie et un moral invariablement influencé par son état actuel, la nageuse n’était pas de taille à affronter son ex pour des retrouvailles dignes de ce nom. La rancœur et l’amertume avaient longtemps dominé son cœur. Elle avait toujours rêvé de lui balancer ses quatre vérités à la figure, puisqu’elle n’avait jamais eu l’occasion de se soulager de sa colère directement sur lui. Et même si d’autres s’en étaient déjà chargés, que ce soit dans les amis qui lui avaient tourné le dos ou son employeur – la police – à l’époque, ce n’était pas elle. A présent qu’il était revenu, le temps avait creusé un fossé encore plus grand avec le passé. Était-ce vraiment utile de raviver les mauvais souvenirs ? Peut-être pas. C’est pourquoi, elle avait préféré repousser Marcus à la piscine. Vivre loin de lui et continuer de l’ignorer était plus facile que de l’affronter, affronter ce passé douloureux dont elle ne s’était jamais totalement remise. Alors que le confronter était sans doute tout ce dont Maxyne avait besoin pour digérer cette histoire et refermer ce chapitre douloureux. Ironiquement, son corps se rappelait à ses bons souvenirs mais c’était dans son être qu’elle avait été le plus durement meurtrie. Depuis cet homme à qui elle avait donné tout son amour, Maxyne n’avait plus jamais laissé personne rentrer complètement dans sa carapace. Elle n’avait plus réussi à aimer et à se donner à cent pour cent. Jusqu’à Sunwei. Les vieilles meurtrissures avaient la dent dure. C’est pourquoi elle se braquait toujours aussi vite lorsqu’elle croisait Marcus. Elle l’associait malheureusement au mot douleur et ce mot comportait une saveur qu’elle n’avait plus envie de goûter, telle une indigestion trop répétée dans leur couple. Quand il était présent, elle était incapable de faire comme si de rien était. Il sembla le comprendre. Désireux de calmer la tension ambiante, il répondit sans faire d’histoire, ce qui détendit légèrement les traits de Maxyne, elle qui avait initialement cru qu’il viendrait ajouter son grain de sel après la dispute devant le stand. « Tu t’en inquiètes à présent ? Pas besoin. Pas maintenant. » Petite pique gratuite parce que la nageuse trouvait ironique de se préoccuper d’une petite altercation quand on savait ce qui s’était passé entre eux. Pour elle, c’était mieux ainsi. Continuer de l’éviter autant que possible alors que l’abcès avait pourtant cruellement besoin d’être crevé entre eux. Sur ces mots, Marcus s’éloigna de son côté et Maxyne en fit autant en se plaçant non loin de la grande roue en attendant un signe de vie de Liam.

Des années entières s’étaient écoulées depuis la dernière vraie discussion que Maxyne et Marcus avaient essayé d’avoir et pourtant, rien n’avait réellement changé entre eux. La communication était toujours aussi difficile à cela près qu’elle semblait à présent insurmontable aux yeux de l’ancien flic. S’il avait définitivement tourné la page de son idylle avec la nageuse, Marcus ne pouvait s’empêcher de se torturer l’esprit à essayer de comprendre ce qu’elle attendait vraiment de lui. Qu’il quitte Island Bay ? Peut-être qu’une part d’elle l’espérait encore, mais la probabilité pour qu’il renonce à tout ce qui le liait à cette ville au nom des fantômes du passé était bien faible et plus les mois passaient, plus la blonde était contrainte de le réaliser. Sur les terres qui l’avaient vu naître, Mark écrivait un nouveau chapitre de sa vie. Il avait retenu les succès et tiré les leçons de ses échecs pour mieux rebondir. Sa seule inconnue était liée à Maxyne. Elle avait eu l’opportunité de déverser toute sa colère et elle avait fui, préférant sûrement glisser les mauvais souvenirs sous le tapis plutôt que de s’infliger une nouvelle confrontation. Du temps de leur amour, Marcus avait été incapable de laisser la colère redescendre pour s’expliquer. Dès qu’une situation venait à s’envenimer, il ressentait le besoin de la désamorcer, faisant souvent pire que mieux puisque dans l’impossibilité de se confronter la réalité selon laquelle ils n’étaient pas faits l’un pour l’autre. A présent, les années et thérapies aidant, il avait compris. Mieux encore, il avait fait le deuil d’un lien apaisé. Il avait essayé de faire un pas vers elle, mais Maxyne n’était pas prête. Peut-être ne le serait-elle jamais. Quoiqu’il en soit, il avait décidé de l’accepter.

S’il était intervenu sur le stand et bien que cela lui était difficile à verbaliser, ce n’était pas parce que c’était Maxyne, non. Bien que cela semblait ahurissant à expliquer, le fait qu’elle soit son premier vrai grand amour ne changeait rien à sa façon de réagir et c’était en partie pour cette raison qu’il s’était écarté sans broncher. En ancien garant de la sécurité, il s’était assuré que tout était normal et il était parti sans demander son reste. La pique de Maxyne le laissait indifférent. De son point de vue à elle, il comprenait qu’il soit impossible de croire qu’il ait pu s’inquiéter pour elle. Quand son cœur n’était encore que rempli de colère, lui aussi avait pensé qu’il n’avait jamais représenté le moindre petit quelque chose. On lui avait expliqué qu’il s’agissait d’un mécanisme de défense et aussi étrange que cela puisse paraître pour l’impulsif qu’il avait longtemps été, il ne lui avait fallu que quelques minutes pour accepter cette explication. C’est grâce à cette sagesse qu’il avait réussi à faire abstraction de la remarque de Maxyne pour se concentrer sur la situation présente et s’éloigner sans une once de culpabilité.