Souvenirs of Broadway (ft. Jude)

31 décembre 2021. A quelques heures du Nouvel An, Noah et Jude se retrouvaient en plein New York, à Manhattan, pour être plus précis. L'endroit s'appelait l'Equinox Hotel. Dans une tour de verre de plusieurs mètres de hauteur, celui-ci offrait une vue panoramique de la ville. L'endroit était absolument magnifique, avec une ambiance moderne, luxueuse, un peu à l'image de ce que Noah voulait voir de façon plus régulière dans sa vie. Bien évidemment, cela coûtait un bras, mais même si la carrière de l'acteur pouvait probablement être meilleure, son contrat chez WPS lui rapportait suffisamment pour qu'ils puissent se payer cette excentricité, au moins pour 4 nuits. Comment avait-il connu les lieux ? Il espérait que Jude ne lui pose jamais cette question. Parce qu'il n'avait pas envie d'y répondre. Disons que du temps où il tentait de faire carrière à Broadway, il lui était arrivé de rencontrer certaines femmes, quelques unes plus riches que d'autres. En l'occurence, l'une d'elles l'avait abordé et ce soir-là, il ne se fit pas prier étant donné la jolie parrure de diamants qu'elles portait autour du cou. Il l'avait suivie jusqu'à l'hôtel, pour passer une nuit de rêve. Et pas seulement sur le plan charnel. Il fut d'ailleurs agréable surpris de voir cette quadragénaire connaître des choses insoupçonnées et lui procurer certaines sensations inattendues. Bref, la nuit fut douce, dans ce lieu très prisé de la ville. Pour son retour ici, avec Jude, Noah voulait être sûr de ne pas retomber sur la même chambre. Alors il reserva une suite et se laissa un peu emporter par sa folie des grandeurs. L'Equinox Penthouse Suite restait la plus chère. Mais également la plus belle. Avec ses couleurs sombres et sa salle de bains boisée, elle en jetait !

Mais pourquoi la Grande Pomme, au fait ? Qu'est-ce qui expliquait qu'ils allaient passer la Saint-Sylvestre ici plutôt qu'à Island Bay ? Tout découlait d'une invitation, reçu quelques semaines plus tôt. Il était convié au mariage de l'un de ses anciens partenaires et ami de la troupe de Broadway. Un type sympa, qui s'appelait Hunter et qui allait s'unir à celle qui faisait battre son coeur depuis cinq ans : Jenny, rencontrée sur les planches également. Après des années de vie commune, ils allaient se dire oui. Quand il reçut le carton, Noah fut surpris. D'abord parce qu'il n'aurait jamais que l'on puisse penser à lui et ensuite parce que ça lui faisait toujours bizarre d'assister à un mariage. Bon, Hunter avait toujours été le plus sage, donc finalement, rien d'étonnant à ce qu'il veuille consacrer le restant de son existence à une femme. Noah dut user de ruse pour obtenir le numéro de son ancien camarade, qu'il avait effacé de son repertoire lors de son retour dans son pays natal. Pour une fois, il remercia les réseaux sociaux et la politique très libertaire de ces derniers quant aux données personnelles. Il allait décliner quand Hunter, enthousiaste le rappela pour lui parler de son projet fou. A la cérémonie, il voulait retrouver un peu de leur comédie musicale ! Cela choqua Noah et il le fut encore plus quand son ancien camarade lui demanda s'il accepterait de chanter deux ou trois chansons de leur ancien "show" pour mettre de l'animation. Sur le moment, il avait accepté, sans trop réfléchir. Depuis cela tournait dans sa tête. Il ne cessait de se dire qu'il aurait dit dire non et envoyer promener son ancien pote. Parce qu'en plus, remettre les pieds à New York ne faisait pas partie de ses projets ! Signe qu'il avait retenu la leçon, il en parla à Jude, maladroitement. Parce que de la façon dont il l'amena, elle sembla comprendre qu'il l'invita et accepta avec un vif enthousiasme... Avant même qu'il ne puisse préciser qu'il souhaitait son avis, ce fut trop tard.

Et les voilà donc, au 27 décembre, en fin de matinée, dans l'avion en partance de Wellington vers Auckland où le soir-même, ils prirent un autre avion à destination de Los Angeles. Le voyage dura en tout 12 heures... Et ce ne fut pas terminé... Car une fois arrivés à la cité des anges, ils attendirent plus de 17 heures pour prendre un autre avion en direction de New York. Lorsqu'ils rejoignirent l'hôtel, le 29 décembre, vers 16h30, ils s'effondrèrent d'épuisement sur le lit et dormirent jusqu'au lendemain, midi, le temps de se remettre en plus du décalage horaire. Finalement, ils passèrent le 30 dans leur suite, à se reposer, sans trop visiter. Cela viendrait au pire après le mariage ! La cérémonie était prévue le 31, donc, à 14 heures et se prolongerait ensuite jusqu'à tard dans la nuit, voire même le lendemain. Il était prévu de tirer un feu d'artifice à minuit pour fêter le passage en 2022. Jude ne connaissait ni Hunter, ni Jenny, ni les autres invités. En tout cas, elle était enthousiaste. Et autant au réveil, Noah mit de côté les mauvaises pensées pour offrir à sa petite amie une séance quelque peu voluptueuse dans ce grand lit face à la cheminé, autant maintenant qu'ils avaient pris leur petit-déjeuner qu'ils devaient attendre de se préparer, il apparaissait plus tendu, plus fermé. Il ne cessait de lire et relire les paroles des chansons qu'il devait chanter, de les fredonner. Il tiquait toutes les deux phrases parce que cela ne lui paraissait pas juste... A un moment, alors que tout était relativement calme dans la suite, il sentit la fureur le prendre et déchiqueta en mille morceaux les feuilles de papier qui ne le quittaient plus depuis leur débarquement à New York. Il le leva, en lâchant toute une flopée de jurons et sortit une cigarette. Il n'avait toujours pas repris la clope, mais ça le démangeait dès qu'un truc le contrariait. Il sortit sur la terrasse, en plaçant le tube non allumé entre ses lèvres, sans un mot. En général, quand ça commençait comme ça, ça annonçait quelque chose de peu positif...

- Putain de chanson de merde... putain de mariage... putain de ville... pourquoi j'ai dit oui ?

De colère, il jeta sa cigarette dans le vide. Non, ça n'allait pas. De toute façon, à en juger par la façon dont son corps était raidi, tendu, comme préparé à une énorme bagarre, Jude n'avait aucun mal à le voir. Dire que la journée commença pourtant plutôt bien... Il sentit sa petite amie se coller contre lui et pour la première fois de sa vie, il eut un pincement au coeur. La dernière fois qu'il se trouvait dans la Grande Pomme, il n'avait pas eu le privilège de pouvoir compter sur quelqu'un. En même temps, quand on passait les 3/4 de son temps à être odieux envers tout le monde pour limiter les intéractions sociales, il ne fallait guère s'étonner. Aujourd'hui, la présence de la jolie blonde lui faisait du bien, dans le sens où elle l'apaisait un peu. Rien de transcendant car Noah n'était pas non plus quelqu'un de facilement raisonnable. Mais mine de rien, elle lui offrait quelque chose d'inédit. Ici, à New York, son rêve s'était brisé en mille morceaux et il avait toujours du mal à s'en remettre. Il se voyait déjà en star de Broadway, à envoyer chier les paparazzis, à être de tous les galas mais surtout, à jouer pour les meilleurs. L'exigence qu'il s'imposait à lui-même, c'était inhumain. Il ne supportait pas l'échec parce qu'il voulait toujours que tout soit parfait, qu'il n'y ait pas de défaut, pas de faille dans ce qu'il faisait. Le pire, c'est qu'il jouait bien, il chantait bien. Il possédait du talent mais le gâchait en plaçant la barre si haut qu'elle en devenait inatteignable. Il s'appuya sur la rembarde, laissant Jude se lover contre lui. Tiens, d'ailleurs, il avait remarqué un truc mais il ne le lui dirait peut-être pas, pour ne pas la blesser. Il trouvait qu'elle prenait un peu de ventre ces derniers temps. Un peu de poids en général. Ca ne le dérange pas, les formes, au contraire, mais il se disait que pour leurs prochaines courses, ils achèteraient moins de connerie... et qu'il réduirait un peu la part de sucre dans ses desserts. Il ne voulait pas que sa cuisine lui donne des complexes. Le but c'était de se régaler pas de provoquer une crise existentielles. Il y eut un silence, pendant lequel Noah se demanda s'il était sage de lui dire ce qu'il ressentait vraiment.

- Ce ne sont pas les paroles... c'est moi. J'ai tout foutu en l'air la dernière fois que je suis venu ici... je fous toujours tout en l'air... Cette ville, j'en rêve... Broadway, tout ça... mais je la hais... parce qu'elle me rappelle que j'ai lamentablement échoué et que je suis reparti à zéro. J'avais de grands projets... ambitieux mais pas irréalisables, je le sais. Et j'ai tout fait foirer. Je vais recroiser tous les anciens de la troupe ou presque... Hunter... ces gens-là, je l'ai avais oublié, rayé de ma vie. Pourquoi est-ce qu'ils veulent me voir ? Pourquoi est-ce que j'ai dit oui ?

Il se renfrogna. Il était en colère, mais pas contre quelqu'un d'autre, ça changeait beaucoup de choses. Il serrait ses mains sur la rembarde, et à chaque fois qu'il parlait de lui, il avait comme un rictus de dégoût. Beaucoup de choses découlaient de son échec à New York. Sans cette grosse claque en pleine poire, qui l'avait presque laissé KO, il ne serait pas revenu dans ce "trou du cul paumé" (sic) qu'était Island Bay. Il n'aurait pas reparlé à sa famille, même pas à Josh... ou alors de loin. Il était comme ça, égoïste, fier, il refusait de se tourner en arrière et pourtant, c'était ce qu'il faisait en permanence. Il vivait avec un énorme esprit de contradiction, capable de prendre des décisions à l'opposé de ce qu'il voulait, juste pour emmerder le monde. Sa personnalité était complexe, mais pourtant, elle évoluait et dernièrement elle le faisait plutôt dans le bon sens. Ce n'était pas encore parfait, car le travail restait immense ! La principale cause de ce changement : Jude. Mais Celeste, Lou, Robin et même Josh le faisaient réfléchir. Abby aussi, leur mère... En revenant en Nouvelle-Zélande, il n'aspirait plus à grand chose. Il était fauché, endetté, la face dans la boue, bref, un moins que rien. Il lui avait fallu du temps pour considérer que finalement Island Bay n'était pas qu'un coin perdu sans avenir. Il avait commencé à en penser du bien en travaillant pour Celeste, au café. Le quotidien ne s'avérait pas toujours simple. On ne refait pas Noah, ça elle l'avait bien compris. Mais sa présence l'aidait à faire quelque chose de sa vie. Et ce boulot, qu'il n'aimait pas mais faisait avec professionnalisme quand même, ça lui permit de régler les factures et surtout d'occuper son quotidien à autre chose qu'à des auditions.

Et puis, il y avait eu la colocation. Noah... partager son espace quotidien avec quelqu'un... Etrangement cette cohabitation se passa bien dans l'ensemble... jusqu'à ce fameux jour où il avait signé chez WPS, contre toute attente. En fait, ce que personne ne savait c'est que Noah avait pris une décision drastique le jour de son audition. Si cela n'aboutissait pas, il arrêtait tout. Et il se réorientait sur autre chose. Pour dire à quel point ça se préméditait dans son esprit, il avait commencé à trier ses affaires rappelant le cinéma et la musique en vue de les brûler. Il avait même regardé les prix des bidons d'essence. Extrême ? Si peu... Le destin lui avait mis une claque dans la tête en permettant ce contrat avec WPS. Et si Noah ne pouvait pas blairer l'actrice principale qui lui donnait la réplique, les nuages sur son état d'esprit se dissipèrent. Et puis, il se rappelait aussi de la façon dont ils avaient fêté ça, Jude et lui... Tant de tensions sexuelles, enfin libérées... Au fur et à mesure, l'affection se renforça, au point qu'ils en viennent à se hurler dessus, sur un pont, avant de manquer crever noyés plus bas. Ce jour-là, Noah avait failli mourir, parce qu'il ne savait pas nager. Et cela lui fit prendre conscience d'à quel point il ne manquerait à personne. Qui ça intéressait d'apprendre que l'illustre connard capricieux qu'il était, venait de boire la tasse ? L'amour, il avait passé tellement de temps à l'éloigner de lui, à y rester insensible qu'il se sentait perdu à chaque fois que Jude entrait dans son champ de vision. Au point de le rejeter cette fois ? Non... c'était bizarre, à l'opposé de tout ce qu'il s'était promis, mais la présence de la jeune femme dans sa vie lui redonnait des couleurs... du feu, du bonheur. Il y était attaché. N'importe qui d'autre, aurait fait les frais de son humeur grincheuse. Mais Jude avait un passe-droit.

- Je suis faux... sur certaines phrases... à croire qu'il faut que je me remette à picoler comme un con et à fumer comme pompier pour avoir du talent... et puis je déteste les mariages... je ne sais jamais quoi dire. Félicitations ? Condoléances ?? Bravo ??? Et puis, il y a toujours plein de gens qu'on ne connait pas... coincés du cul... la famille, tout le bordel...

Il vidait un peu son sac, mais en même temps, c'était ça où exploser de rage. Le choix était vite fait !

- J'ai aimé cette ville... mais je crois que je la déteste encore plus... Elle me rappelle mes échecs... tout ce que je ne peux pas supporter, quand bien même c'est de ma faute...

Ce n'était pas donné à tout le monde d'arriver à obtenir une confidence de Noah et encore moins de parvenir à le comprendre puis à l'apaiser. Il avait appris depuis longtemps à fermer son coeur et à ne laisser personne y pénétrer. Une stratégie quelque peu mise à mal, en raison de la tornade de sentiments qu'il éprouvait pour Jude. Rien n'aurait laissé supposé, ni dans son passé, ni dans sa personnalité qu'il puisse s'enticher de quelqu'un ainsi. Leur histoire restait un énorme coup de foudre, dont il ne comprenait pas tout et qui parfois lui faisait sacrément peur. Mais ils avançaient ensemble. Leur colocation, si elle n'avait rien de facile dans la mesure où ils se montraient assez explosifs, demeurait salutaire. Grâce à la présence de Jude, il était heureux de rentrer chez lui. Il ne trainait plus trop en boite de nuit, pour séduire d'autres femmes, il n'allait plus se déchirer le cerveau dans un bar, à engloutir des litres d'alcool pour s'éclater. Maintenant, il avait quelqu'un qui l'attendait ou mieux... il l'attendait lui aussi. Quand elle était de garde, qu'elle sortait pour prendre un verre avec des amis, avec ce Wade Rhodes dont elle n'arrêtait pas de parler, parce qu'il était son capitaine et à priori un héros national. Jaloux, Noah ? Peut-être un peu... disons qu'il se mettait à la place de ce Wade. S'il avait été pompier, il en aurait fait sauter des culottes ! Bien plus encore qu'aujourd'hui ! A porter un uniforme, autant que ça soit pour un usage autre que sauver des vies à longueur de temps. Et puis, les femmes aimaient les soldats du feu. C'était cliché, mais ça devait les rassurer de savoir qu'en cas de détresse, elles seraient aidées et sauvés par un type bien musclé, en bonne condition physique. C'était marrant de voir les études à ce sujet, sur les fantasmes en vogue. Alors que l'heure était au féminisme, on retrouvait souvent des idées impliquant une forme de soumission ou d'ascendance. Ca le dépassait un peu mais bon, après tout, chacun faisait ce qu'il voulait. Lui, il n'était pas un féministe convaincu, loin de là. Déjà, par ses actes, il démontrait qu'il faisait partie de ces mecs goujats, pas franchement respectueux. Le pire, c'était de se dire qu'il le faisait exprès. D'une part pour emmerder toute sa famille et d'autres part, parce que c'était disruptif. Cette manie qu'il avait de toujours vouloir tout compliquer par pure esprit de contradiction...

Appréciant la présence de Jude à ses côtés, il ne chercha pas à se défaire ou à s'éloigner de cette proximité de leurs corps. Ca ne servait absolument à rien, parce que ces derniers étaient deux aimants, s'attirant l'un vers l'autre sans que rien ne puisse les freiner. Parfois, il ne parlaient même pas. Leurs peaux se touchaient et il s'ensuivait une cascade d'émotions, de frissons. La passion pouvait les enflammer, autant qu'elle les liait. Parce que même si cela n'amenait pas à quelque chose de sexuel, ils en ressortaient tous les deux plus soudés. Alors que Jude regardait au loin, et qu'elle venait d'énoncer des vérités, Noah resta silencieux et ne put s'empêcher de poser son regard sur elle. Elle le fascinait. Comment est-ce qu'elle pouvait taper aussi juste et de façon aussi efficace ? Elle resterait une énigme... mais sur laquelle il prendrait plaisir à s'arracher les cheveux, à réfléchir. La possibilité de rencontrer deux fois quelqu'un comme elle ne se présenterait surement pas ! Il en avait conscience et il ne ferait rien qui puisse menacer leur couple. Tous les conneries auxquelles il s'adonnait par le passé, c'était terminé. Il en prit la décision radicale après qu'ils soient tombés du pont et que Jude lui ai sauvé la vie. Un moment qu'il n'oublierait pas, parce qu'elle aurait très pu le laisser mourir, si elle l'avait voulu. Il ne savait pas nager après tout et il s'en était fallu de peu. Ce moment, aussi périlleux fut-il lui fit prendre conscience que les sentiments étaient réciproques. Jude, dans quoi donc tu te lançais ? De tous les mecs présents sur Terre, il fallait que tu choisisses celui qui comptait parmi les pires ? C'est en se disant qu'il ne la mériterait surement jamais, que Noah se blottit contre elle. La vue était magnifique, oui. Pas parce qu'il y avait New York devant eux, mais bien Jude dans son champ de vision. Ce fut comme un déclic. Il confia :

- Quand j'étais enfant, je rêvais de Broadway, je voyais les comédies musicales en boucle. Ca plaisait à mon père... Je me suis dit que je brillerais suffisamment fort un jour pour qu'il puisse le sentir, où qu'il soit. Mais tu as raison... ma vie ne se limite pas à cette ville... Je dois en faire le deuil et tourner la page...

Il soupira. Ce serait plus facile à dire qu'à faire. Mais avec l'aide de Jude et son acharnement, il y parviendrait. Il avait déjà retrouvé un contrat ce qui représentait beaucoup dans son parcours pour se relever. Il déposa ses lèvres sur sa joue, avant d'ajouter :

- J'ai envie de faire un putain de gros fuck à Broadway... de leur dire qu'ils aillent brûler... mais peut-être que pour une fois, je devrais me résoudre et ne pas garder de rancoeur. Peut-être que la clé, c'est justement d'accepter et de "pardonner". Je n'ai pas oublié, Jude... je n'ai pas oublié la souffrance que je t'ai provoqué sur ce pont. Ca restera gravé à jamais là-dedans, dans mon esprit et dans mon coeur. Si tu as été capable de m'accepter et de me pardonner mes bêtises, il faut que je le fasse pour moi aussi...

Il se détacha d'elle, doucement, en faisant glisser sa main sur son épaule, puis sur son dos, jusqu'à ses fesses. Il se tourna ensuite et ferma les yeux. Il prit une inspiration. Il recommença alors à chanter, cette fois, de façon juste. La chanson, sur laquelle il butait, c'était The Rose, chantée initialement par Bette Midler, qu'il avait légèrement adaptée, par rapport à la partition déchiquetée en mille morceaux. Quand il eut terminé, il rouvrit les yeux et se tourna vers Jude, en lui tendant la main :

- Ok... ça ne respecte pas la partition, mais je les emmerde. C'est pas de la triche après tout, on m'a demandé de chanter, pas de copier bêtement une mélodie. Il faudra que je retravaille certains accords... Viens, allons fumer ce putain de Broadway !

Dommage, Noah était bien déterminé à l'embarquer avec lui pour aller brûler les planches, au sens propre du terme. Mais Jude était en quelque sorte la voix de la raison sur ce coup-là. Quand elle évoqua le mariage et l'alcool, l'acteur eut un léger froncement de sourcils. C'est qu'il pouvait être un brin susceptible... était-elle en train d'insinuer qu'il avait un problème avec ça ? Bon, ok, peut-être un peu... il lui arrivait de déconner et de revenir un peu bourré, mais pas au point d'en être malade ou hors de contrôle, il savait dire stop. Et puis pour devenir désagréable, il n'avait pas besoin de picoler, ça non. Il attendit la suite et il ne sut pas si c'était parce que Jude avait peur de le mettre en rogne ou parce qu'elle croisa son regard, mais toujours était-il que la jeune femme n'en rajouta pas une couche. Dans un sens, il valait mieux si elle ne voulait pas provoquer d'incident diplomatique ! Ca aurait été dommage avant même que le mariage ne commence ! Elle suggéra qu'il puisse l'aider avec sa tenue et il se contenta de hocher la tête. Intérieurement, il se demandait quand même ce que Jude avait bien cherché à dire. Il buvait oui, mais rarement il était rentré ivre, plus trop depuis qu'ils vivaient ensemble. Noah tirerait ça au clair plus tard. Il observa les deux robes et sans hésitation, il pointa son doigt sur la première et la prit. Il vint la placer doucement sur elle et glissa, avec un sourire en coin :

- Avec celle-ci, je pourrais admirer ta jambe et ta cuisse, sortant légèrement... l'autre est belle, mais je préfère cette robe. Ce sera plus facile pour poser ma main et remonter doucement sous la table...

Il ne faisait pas beaucoup de suspense sur ses intentions. De toute façon, Jude le savait bien désormais. Depuis ce fameux soir où ils avaient sorti le champagne et qu'ils partageaient les plaisirs de la chair, Noah ne perdait pas une occasion de devenir tout feu tout flamme. De base, il avait déjà une réputation de tombeur et ce n'était pas pour rien. Sans être accro au sexe, il ne pouvait pas nier qu'il adorait ça, encore plus avec Jude. Et même s'ils avaient partagé il y a peu un moment torride, il se sentait prêt pour remettre le couvert. Bon, le fait d'attendre d'être au mariage pour le goût du risque et puis la montée en température le tentait bien. Ca entretenait sa frustration et faisait croître d'autant le désir. La tentation de la rejoindre sous la douche fut grande. Il y résista mais quand il prit le soin de s'habiller de son côté, cela lui posa quelques problèmes techniques, notamment pour fermer son pantalon de costume... Jude le rendait dingue, dans tous les sens du terme ! Il enfila sa chemise et noua sa cravate. Dans les faits, il était prêt bien avant qu'elle n'ait terminé de se coiffer. Aussitôt qu'elle eut fini, il entra dans la salle de bains, la regarda sortit entourée de sa serviette, non sans faire un effort surhumain pour ne pas la déshabiller et explorer son corps. Il sortit son rasoir électrique pour faire disparaitre les petits poils renaissants et obtenir une peau lisse sur les zones où sa barbe n'était pas taillée. Un petit coup de gel dans les cheveux, du parfums, ses boutons de manchette... et voilà que Jude l'appela depuis le dressing. En arrivant et en la voyant de dos, ses fesses galbées lui provoquèrent une montée en température particulièrement impressionnante. Il vint se placer derrière elle et un petit sourire passa sur son visage.

- Cette situation m'en rappelle une autre... il faudra calculer notre arrosage mutuel au champagne ce soir...

Et tandis qu'il cherchait à croiser son regard à travers le miroir, il sentit que quelque chose n'allait pas. Un détail, Jude semblait ailleurs, paraissait contrariée. Elle eut alors un geste, celui de caresser son ventre. Mais pas comme on le ferait habituellement, si on y avait mal. Le geste était beaucoup trop doux, beaucoup trop tendre. Aussitôt, le jeune homme se raidit, mécanisme naturel d'auto-défense. Il n'était pas stupide, en tout cas moins qu'on ne pouvait l'imaginer ! Ce mouvement à la fois doux et protecteur était instinctif ! Il avait vu sa soeur Celeste le faire par le passé... Robin... récemment ! Il savait exactement ce que ça voulait dire. Son coeur se mit à battre à mille à l'heure dans sa poitrine. Jude se tourna vers lui. Elle n'avait pas l'air de remarquer qu'il avait déjà compris avant même qu'elle ne dise le moindre mot. Les pièces du puzzle se mirent en place. Voilà pourquoi elle s'arrangeait pour qu'il la voie nue le moins possible... voilà pourquoi elle avait parlé d'alcool quelques instants plus tôt. La voix de Noah trancha l'air :

- Tu ne pourras pas boire, parce que tu es enceinte.

Il y avait clairement de la nervosité dans son ton, peut-être un peu de brutalité aussi. Noah détestait les surprises et encore moins celles de ce genre. Il préférait que l'on en vienne aux faits le plus vite possible. Mais loin de le mettre en colère, la nouvelle semblait plutôt l'inquiéter. Son premier réflexe fut de demander :

- Tu veux le garder ? C'est... c'est toi qui décides car c'est ton corps... je crois que si tu veux le garder, beaucoup de choses vont changer dans notre vie... mais si tu ne le souhaites pas, je resterai présent... Depuis combien de temps ?

Il pouvait paraitre abrupt mais en même temps, il possédait quelques circonstances atténuantes... Sans doute que les questions et les réactions ne venaient pas dans le bon ordre. La paternité, il ne l'avait jamais envisagée... seulement, il s'était toujours dit que vu qu'il avait grandi sans père, il refusait de réserver le même sort à un enfant dont il pourrait être le géniteur... Et vu son comportement séducteur, il devrait y en avoir pas mal dans la nature ! Il assumerait donc ses responsabilités. C'était un comportement mâture et surprenant, quand on le connaissait. Il allait poser sa main sur le ventre de Jude, mais s'arrêta à quelques centimètres. Inutile de créer un lien si elle décidait d'avorter...

- Ce n'est pas ce que je voulais dire... je ne veux pas me défausser dans la décision... mais je ne veux pas que ton choix se fasse sur un sentiment de culpabilité à mon égard...

A aucun moment de leur courte relation, ils n'avaient évoqué la possibilité qu'elle puisse un jour être enceinte et encore moins que la question de l'avortement se pose. Ni l'un, ni l'autre. Noah se rendait compte qu'il avait encore commis une maladresse, aussi, resta-t-il silencieux pour la suite. Ce qu'il voulait ? Intérieurement, il le savait, mais il fallait qu'il puisse digérer la nouvelle, surtout que Jude lui apprit qu'elle savait depuis quelques jours. Mais pourquoi, est-ce qu'elle ne lui en avait pas parlé ? Ils avaient pris l'avion ! Pendant des heures ! Et si cela apportait des conséquences néfastes sur le bébé ? Leur place n'était pas à New York, mais bien chez un médecin. Cette annonce provoquait un bouleversement dans leur vie. Noah s'écarta un peu pour s'asseoir sur le rebord du lit. Il lui fallait du temps pour digérer les choses. Certes, Jude devait s'attendre à une explosion de joie ou une crise de nerfs mémorable, mais pour le moment, Noah avait volontairement appuyé sur pause pour tout intégrer et tout ordonner. Il ne laissait rien paraître sur son visage, comme d'habitude. Un silence s'installa dans la pièce, un peu pesant. Donc, Jude était enceinte depuis un peu moins d'un mois, vu le nombre de fois qu'ils s'envoyaient en l'air par jour, difficile de déterminer une date précise pour la conception de ce petit être. En tout cas, c'était surprenant, puisqu'elle était sous pilule. Comme quoi, les recommandations des autorités sanitaires sur la nécessité de mettre un préservatif, ça n'était pas que du vent, comme il l'avait toujours pensé jusqu'à présent. De façon générale, Noah n'était pas quelqu'un de très respectueux sur l'aspect prévention. Il y allait sans rien, sans trop penser aux conséquences. Il faisait partie de ceux qui considéraient que ce ballon de plastique informe altérait les sensations. Une mentalité de mec dans toute sa splendeur ! Bref ! Après quelques instants, il se releva et s'approcha de Jude à nouveau pour lui prendre la main :

- Je vais te confier quelque chose que tu ne dois jamais dire... jamais... à personne. Au fond de moi, j'ai toujours rêvé d'être papa... je n'ai pas besoin d'un psy pour savoir que tout dans mon comportement le trahit inconsciemment... C'est d'autant plus paradoxal que je n'ai que peu connu mon propre père... et que je ne sais absolument pas comment je dois gérer la paternité. Pourtant, je suis sûr d'une chose. Moi aussi, je veux le garder, mais je ne voulais pas t'imposer mon choix ni que tu te sentes coupable si tu ne voulais avorter.

Avec douceur, il posa sa main sur son ventre. Il ne sentait rien, mais c'était surement normal, puisque pour le moment, le bébé n'en était qu'au stade embryonnaire. Ses yeux brillèrent légèrement et il ne put dissimuler un sourire, un rire nerveux, sans lequel il lâcha une blague :

- Vu comment nous sommes sexy tous les deux, il ou elle risque fort de nous surpasser !

Et puis, son sourire s'estompa alors que son front se plissa, laissant la place à de l'inquiétude. Il n'était pas prêt à être père, il n'y connaissait rien ! Être tonton, ça comptait quand même un peu ou bien ? Il déposa un baiser sur le front de Jude, avant de la blottir contre lui. Il ne savait pas top pourquoi il faisait ça, mais maintenant, elle lui semblait encore plus précieuse. Il se sentait investi du devoir de la protéger, de LES protéger.

- Pourquoi tu ne m'en as pas parlé avant ? Non... ne répond pas à la question... en fait je connais la réponse. Tu ne m'en as pas parlé parce que je suis... moi... quelqu'un d'imprévisible et d'instable... de buté et de difficile à vivre... mais j'ai besoin que tu sois franche et que tu ne me ménages pas, d'accord ? J'ai besoin que tu me rentres dans le lard si tu l'estimes nécessaire... Il n'y a que comme ça que j'apprends... parce que c'est comme ça que je suis... et que je fonctionne...

A le dire comme ça, c'était quand même un peu triste même si ça restait très vrai. Noah avait souvent besoin d'un uppercut pour comprendre la vie et pour avancer. Au délà de sa personnalité complexe, il n'était pas forcément aussi confiant et sûr de lui qu'il ne l'affichait. Au contraire... il savait juste masquer ses failles et se murer derrière son armure.

- Nous n'avons rien à faire à ce mariage... il faut aller voir un médecin... nous n'aurions pas du prendre l'avion... Viens, on va à l'hôpital... Travis peut bien comprendre !