we are our choices (keila)

Keila Naiym

ft. Gal Gadot

l'histoire de ma vie

C’est une opportunité folle. Un artiste avec un tel talent ne peut décemment pas me filer entre les doigts. La négociation n’est pas évidente, le jeune homme refuse toute apparition médiatique, seules ses oeuvres devront parler pour lui. J’accepte. Mais je n’ai pas le temps de finir mon entretien que j’entends la porte du petit atelier s’ouvrir, faisant tinter la clochette. Essoufflé, Ravi plante son regard dans le mien avec intensité. « Il est arrivé quelque chose à votre frère. » Ravi est mon assistant, c’est à lui que je donne toutes les tâches un peu ingrates, mais j’ai une confiance aveugle en ce garçon, je sais qu’il ne me trahira jamais. Et si je lui en veux présentement de me déranger pendant mon entretien, je sais pourtant qu’il est au courant qu’on ne doit jamais me déranger pendant que je travaille. L’affaire a l’air suffisamment importante pour que j’en prenne considération. Je m’excuse alors auprès du jeune prodige de la peinture, et m’éclipse dans la rue. Mon assistant m’explique rapidement la situation, dans un début d’anglais approximatif. Depuis cinq ans que je vis en Inde, j’ai fini par me faire à la langue. Et même si j’ai l’habitude de parler anglais pour les affaires, j’intime le garçon de poursuivre dans sa langue natale. J’ai quand même du mal à comprendre, et décide de rentrer à mon bureau pour appeler Isaac puisque c’est de lui dont il est question. A ma grande surprise en arrivant sur place, je tombe sur le cadet en question. « Keila ! » Il vient me prendre dans ses bras mais l’étreinte n’est pas vraiment partagée. « J’ai besoin de toi. » Comme toujours. Isaac a souvent eu des problèmes à gérer sa vie, et c’est pire depuis qu’il s’est lancé dans une carrière de cinéma en Nouvelle Zélande. Mais vu son regard, j’ai le sentiment que quelque chose de plus grave est arrivé cette fois. « Tu n’as tué personne j’espère ? » Il secoue la tête, c’est déjà mieux que rien. « J’ai claqué tout mon fric, et plus que ce que j’aurai dû. J’ai pas réussi à rembourser, et maintenant je suis dans la merde. » Si ce n’est qu’une question d’argent, je peux - encore - le dépanner. La somme est astronomique, il devra m’en être redevable à vie. Mais il n’y a pas que ça. Il a laissé derrière lui sa petite amie, ou plutôt ancienne petite amie, avec toutes ses dettes, et un maître chanteur sur le dos. L’inconscient, l’idiot. Et maintenant, je dois à nouveau réparer ses conneries. J’ai l’impression qu’il ne s’arrêtera jamais. « Rentre à Tel-Aviv. Je m’occupe d’elle. » Il a beau protester, je ne lui laisse pas le choix. Le reste, ça en devient ma propre affaire. Pas question de laisser une victime - une femme en plus de ça - courir dans la nature, risquer sa vie, à cause des imbécilités de mon frère…  




Les journées sont longues, mais j’ai toujours la sensation qu’elles ne le sont pas assez. Depuis ma rupture avec Keith, je ne fais plus l’effort de rentrer plus tôt chez moi. Personne ne m’attend, il n’y a plus que mon travail qui compte. Ma seule distraction c’est elle. Lee. Lorsque je passe la porte de mon immense loft, mes talons quittés, je me dirige vers cette tablette numérique qui trône sur la commode de mon chambre. Un mot de passe et les carrés apparaissent. Elle est chez elle.

Après avoir appris la dernière grosse connerie en date de mon frère Isaac, j’ai dû monopoliser une bonne partie de mon réseau pour trouver une solution, et sortir cette femme du carcan que lui avait idiotement offert mon cadet. Un faussaire a gravité autour d’elle, juste le temps qu’elle lui propose de l’aider à organiser sa mort. Un plan parfait pour la faire quitter le pays et se faire oublier du maître chanteur qui aurait pu s’en prendre à sa famille. En transit par l’Australie, je n’ai pas réussi à me résoudre à la laisser sur l’île, préférant la rapatrier jusqu’en Inde. Tout a été organisé pour qu’elle ne manque de rien, un appartement plus que décent, de l’argent de poche pour ses loisirs, la nourriture, les factures. Elle n’a jamais rien eu à débourser, ni même à demander. Elle n’a jamais posé de question non plus, sachant pourtant qu’il y avait bien quelqu’un pour veiller sur elle. J’aime à croire que je suis en quelque sorte son ange gardien.

Les yeux rivés sur la tablette, je fais défiler les différentes vues de son appartement. Quelques caméras invisibles y ont été disséminées. J’ai quelques fois eu des remords et voulu arrêter de l’observer comme une bête dans un endroit clos. Mais la fascination a eu raison de moi, et je ne peux aujourd’hui plus m’en passer. Je connais tout de ses habitudes, de sa routine aussi fugace soit-elle. Je connais la couleur de son pyjama favori, ses goûts alimentaires. Il ne me manque plus que les odeurs, mais la technologie a ses limites.

Mon téléphone vibre sur la table de nuit. Lee s’est engouffrée dans la salle de bain, seul endroit où elle dispose d’une entière liberté sans mon regard inquisiteur. Je n’ai pas poussé le vice jusque là, même si je le regrette parfois, dans mes instants les plus sombres.


Mon coeur s’accélère sensiblement. Si ce simple sms pourrait me questionner, il n’en est rien. Vu l’indic qui m’envoie le message, je sais exactement de qui il s’agit. Le danger qui planait au dessus de la tête d’Isaac, et par extension de Lee, est aujourd’hui écarté. C’est à la fois un soulagement, et une angoisse latente que de devoir dire au revoir à tout ça. A cette protégée, cette fascination, cette marionnette.

Au petit matin, avant de prendre le chemin de la galerie, je m’arrête devant la maisonnette où vit Lee, aux abords de la ville, dans une petite résidence tranquille. Il est temps de mettre un terme à tout ça. Lorsque la porte s’ouvre et que je découvre son visage devant moi, pour la première fois, j’ai un instant d’hésitation. Elle est bien là, et je vais devoir la laisser partir. Impossible. Je lui avoue qui je suis, omettant une grande partie des détails qui pourraient répondre à toutes ses questions. Et des questions, elle en a. La volonté d’y répondre, de la garder ‘mienne’ un peu plus longtemps, semble dépasser la raison, et cette vérité que je lui dois. Je m’accorde encore quelques semaines. Quelques mois…






Déguiser la mort de quelqu’un, je sais faire, depuis longtemps. Pour tout un tas de raisons, même si je n’ai jamais été à l’initiative des morts en question, fort heureusement. Comment peut-on se regarder dans un miroir après avoir décidé de la mort de quelqu’un ? Lee a fini par apprendre la mort de son maître chanteur, mais pas question qu’elle sache que cette dernière remonte à presque un an. Un an où j’ai égoïstement voulu la garder près de moi, pour des raisons obscures que je peine à comprendre moi-même. Aujourd’hui, elle m’annonce son départ. J’ai l’étrange sensation de la connaître sur le bout des doigts, tout comme je sais que ce n’est pas le cas. S’attend-elle à ce que je la retienne ? Nos regards ancrés l’un à l’autre, je me contente d’une simple phrase, prononcée d’une froideur sans égale. « Prend soin de toi. »[/color] Je n’ai pas fait tout ça pour elle, pour finalement la voir plonger dans un gouffre d’emmerdes. Elle est débrouillarde et intelligente, elle s’en tirera. C’est à moi de passer à autre chose. Je m’interdis de prolonger l’expérience en envoyant des indics en Nouvelle Zélande. Lee est libre à présent, et bientôt, Lee n’existera plus. Lauren fera son grand retour auprès de ses proches, et je lui souhaite d’être heureuse. Mais le serais-je sans elle ?