welcome to the same family // riley

welcome to the same family
crédit/ tumblr ✶ riley

Aujourd'hui, c'est le grand soir. Elio me parle de ce repas de famille depuis des mois et des mois. Pendant un moment, j'ai même cru qu'on arriverait jamais à trouver une date qui puisse convenir à tout le monde. Les parents d'Elio, lui et sa soeur. Il tenait évidemment à ce que tous les membres de sa famille soient présent pour faire les présentations officielles. Si ce n'était pas moi qui pouvait pas à cause du travail, il y avait autre chose qui coinçait. A croire que c'était presque fait exprès. Un vrai casse tête chinois. Mais cette fois, c'est la bonne. Pour être honnête, j'angoisse un peu par rapport à ce repas. Je n'ai jamais trop aimé être le centre de l'attention, et pourtant, dieu sait qu'avec ma famille, j'ai pu l'être. Je vous épargne la déception de mon père quand il s'est rendu compte que sa fille ne suivrait pas le chemin qu'il avait tracé pour elle... En parlant de ma famille, Elio ne les a d'ailleurs pas encore rencontré. Et finalement, ce n'est pas plus mal. Vivre dans un autre pays est un avantage considérable dans ce genre de situation. Je crois que c'est en grande partie pour cette raison que je n'ai pas réfléchi à deux fois avant de venir emménager ici. Ma vie en Nouvelle-Zélande est bien différente, et de ce côté-là, je ne regrette pas. Habillée d'une robe noire simple et élégante, c'est avec une légère boule au ventre que nous arrivons tous les deux devant la maison familiale. J'ai prévu un bouquet de fleurs pour sa mère et une bouteille de vin pour son père. Il était hors de question pour moi d'arriver les mains vides même si c'était pourtant les consignes qu'Elio avait eu. C'est sa maman qui vient nous accueillir, et le sourire qu'elle m'offre naturellement m'aide à décontracter légèrement. Il y a toujours cette angoisse de savoir si nous allons plaire ou non à la famille de son compagnon. Pour la première fois, j'ai envie de faire bonne impression. Sans en faire trop non plus, mais de toute façon ce n'est pas mon genre. Sa mère nous guide alors jusqu'à la pièce de vie, vers la salle à manger, pour rejoindre les autres. Apparemment nous sommes les derniers arrivés. En même temps, il n'y avait que sa soeur avant nous, si je ne me trompe pas. Mais... mon coeur rate un battement lorsque je croise un regard en particulier. Son regard. Est-ce que je suis en train de rêver ? Je ferme les yeux une infime seconde, juste au cas-où, mais non. Riley. Elle est bien là, à quelques mètres seulement de moi. Dans mon cerveau, le rapprochement douloureux se fait presque instantanément. Elio s'approche pour faire les présentations alors que mon corps se fige, comme paralysée. Je sens mes mains devenir étrangement moites alors que je ne sais pas exactement comment je dois réagir. Ma Riley est en réalité la sienne... enfin sa soeur.

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Cela fait maintenant plus d'un an que je suis revenue à Island Bay et pourtant, je n'ai pas vraiment eu l'occasion de croiser ma famille – du moins, pas tous en même temps. Ça m'allait très bien comme ça, mais après plusieurs années de relation, mon frère a décidé que c'était enfin le bon moment pour présenter sa fiancée à toute la famille. Vaux mieux tard que jamais, non ? J'aurais bien essayé de trouver une excuse au dernier moment pour y échapper, mais avec son invitation, Elio m'a clairement fait comprendre que je n'étais pas priée, mais obligée de venir. Comme si mon avis au sujet de sa nouvelle copine l'importait vraiment. Pour une fois, j'arrive en avance à la maison qui m'a vu grandir. La dernière fois où j'ai eu ma mère au téléphone, elle a insisté sur le fait que ce repas allait lui donner du fil à retordre, alors histoire de faire bonne figure auprès de mes parents, je me suis dit que je pouvais donner un coup de main. Ce n'est qu'après une heure qu'Elio arrive enfin. À peine la porte ouverte, nos deux parents se précipitent vers lui pour le saluer. Enfant prodige.. Je balance machinalement la tête de gauche à droite et active le pas avec un temps de retard. Ravis de voir une femme dans la vie de leur fils chéri, nos parents accueillent la fameuse fiancée les bras grands ouverts, alors que moi, je reste un peu en retrait. Cela ne passe pas inaperçu auprès d'Elio qui insiste avec les présentations. « Riley, je te présente ma fiancée. » Très peu attentive jusque là, c'est une femme comme les autres après tout, je relève les yeux et découvre enfin les traits de la blonde qui se trouve face à moi. Je connais déjà ce visage et je connais même d'autres choses d'elle, des parties bien plus intimes que ce qu'on voit chaque jour. « Elizabeth ? » Ce prénom sort naturellement de mes lèvres. En réalité, ce n'est qu'en voyant les regards interrogateurs se poser sur moi que je comprends que je ne l'ai pas seulement pensé. « Elle s'appelle Freya. » « Freya ? » Dis-je, le tout accompagné d'une grimace. Comment ça Freya ? À moins que la blonde soit une copie conforme d'Elizabeth, je ne vois pas comment cela est possible. « Entrez les enfants. Installez-vous ! » Ma réaction a quelque peu plombé l'ambiance, alors ma mère fait de son mieux pour que tout redevienne à la normale. Elio ne se fait pas prier et à peine arrivé dans le salon, il retire sa veste et s'installe sur le canapé. Je pourrais faire pareil, mais avec mon père qui vient de prendre place à côté de lui, je me retrouverais bloquée entre les deux et.. non. Je préfère rester debout, c'est très bien comme ça. « Juste par curiosité, ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ? » Mon regard est uniquement posé sur mon frère. Il est impossible pour moi de croiser le regard d'Elizabeth, de Freya.. je ne sais plus.

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C'était censé être un repas de famille comme n'importe quel autre, rien d'exceptionnel en soit. Et pourtant... en une fraction de seconde, j'ai l'impression que mon existence toute entière vient d'être remise en question. Elle. Il me faut quelques instants pour comprendre que ce n'est pas le fruit de mon imagination. J'avale difficilement ma salive, fuyant inconsciemment son regard lorsque mon petit ami commence à s'occuper des présentations. Dans ma tête, c'est le bordel intersidéral. Je ne sais pas du tout comment aborder la situation. Est-ce qu'on doit faire comme si on ne se connaissait pas ? De toute évidence le contraire amènerait son lot d'interrogations. Et ça, ce n'est même pas envisageable. Non merci. « Riley, je te présente ma fiancée. » "Ma fiancée". Ce mot se bloque dans mon esprit comme si c'était si douloureux à entendre. Je crois que je n'étais pas encore prête à ce qu'il annonce SON projet de fiançailles de but en blanc comme ça à sa famille. Parce que oui, c'est son projet. Pas le mien. Ce n'est pas pour rien que je n'ai pas répondu à sa demande en mariage. « Elizabeth ? » Et merde. Mon prénom soufflé entre ses lèvres amène déjà des regards interrogateurs. Je n'ai pas le temps de réagir qu'Elio prend la parole. « Elle s'appelle Freya. » Je peux lire à présent l'incompréhension dans le regard de la jeune femme. « Freya ? » Logique, Riley ne m'a connu qu'avec mon vrai prénom, Elizabeth. Je fuis le regard de mon petit ami alors que je ne sais plus trop où me mettre. La réaction de Riley va forcément poser question. « Entrez les enfants. Installez-vous ! » La mère d'Elio essaye de détendre l'atmosphère, mais de mon côté, je ne rêve que d'une chose : fuir. Et le faire le plus vite possible. Mais malheureusement, je dois faire bonne figure. Tout le monde s'installe dans le salon, mais je reste silencieuse. Depuis que mon regard a croisé le sien, je n'ai pas réussi à ouvrir la bouche. « Juste par curiosité, ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ? » Riley s'adresse à son frère, et mon coeur se serre dans ma poitrine. Je sais très bien que la réponse d'Elio risque de provoquer un raz-de-marée. Et en même temps, je ne peux rien faire pour qu'il en soit autrement. « Ça fait deux ans maintenant. C'est fou comme le temps passe vite ! » Une grimace se dessine inconsciemment sur mes lèvres. « Du coup, j'ai pas compris... vous vous connaissez toutes les deux ? » Là, il s'adresse directement à moi. Le malaise est immense, et je ne peux plus faire comme si de rien n'était. « Euh... oui, nous étions dans le même pensionnat en Australie. Enfin j'étais surveillante à l'époque où Riley est arrivée. » Et nous avons accessoirement couché ensemble il y a un an à Barcelone. Mais ça, il ne faut surtout pas que ça sorte. « Elizabeh est mon vrai prénom, mais je ne l'utilise plus depuis des années. » Je préfère le dire avant que la question soit posée. « Le monde est petit... je ne savais pas que c'était ta soeur ! » En disant ça, j'évite à tout prix le regard de la jeune femme. Est-ce que c'est de la lâcheté ? Peut-être un peu. Mais là, tout de suite, c'est une immense culpabilité qui me ronge de l'intérieur.

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Cela faisait une année que j'étais sans nouvelle d'Elizabeth et voilà qu'aujourd'hui, elle est ma belle-sœur. Ça ressemble plus à quelque chose de surréaliste qu'à la vérité : je dois vivre dans un monde parallèle. Fuyant son regard, je ne sais pas comment elle prend les choses et en réalité, ça m'importe peu. Le baiser à l'internat était un moment de faiblesse et cette nuit à Barcelone, une erreur. Mon frère ne le sait pas et c'est très bien comme ça – personne ne sait pour mon homosexualité, alors Freya peut se rassurer, je ne vais pas chercher à gâcher sa relation parfaite. D'ailleurs.. est-ce qu'Elio était l'auteur du message que la blonde a reçu de bon matin, lorsque nous étions ensemble ? En posant la question qui fâche, je vais très vite le savoir. Sans prendre de pincettes – pourquoi le ferait-il –, mon frère annonce, fière, à toute la famille que ça fait maintenant deux ans qu'ils sont ensemble. Même si je semble garder la face, j'ai l'impression que le sol est en train de s'effondrer sous mes pieds. Deux ans ? Ce message à Barcelone était donc bien de lui. J'ai couché avec la fiancée de mon frère.. Des fois, j'ai vraiment l'impression de chercher à porter le bonnet d'âne de la famille. Curieux de savoir pourquoi j'ai appelé sa petite amie par un autre prénom, Elio nous interroge sur un éventuel passif entre nous. Si nous nous connaissons ? Plutôt bien même. Mais je comprends avec la réponse de Freya qu'elle n'est pas non plus décidée de faire la lumière sur toute cette histoire. « Surveillante. Juste surveillante. » Dis-je à la suite de la phrase de Freya. Prononcés dans un murmure, je ne suis pas sûre que ces mots sont arrivés aux oreilles des personnes présentes dans cette pièce. Elizabeth, ou plutôt Freya, se justifie sur ces deux prénoms. À quoi bon. Était-ce vraiment nécessaire ? Avec ou sans sa justification, j'ignore encore comment l'appeler. Il y a un an, elle n'a même pas parlé de ça. Alors que si mes calculs sont bons, elle se faisait déjà appelé autrement. La dernière remarque de la blonde me fait doucement rigoler. « Très petit. » Un peu trop petit même. Je l'ai quitté en Australie, je l'ai croisé en Espagne et voilà qu'aujourd'hui, nous nous retrouvons en Nouvelle-Zélande. Comment est-ce possible ? Je sens doucement la colère monter en moi. Je sens aussi mon cœur qui se serre dans ma poitrine. Je suis en train de perdre le contrôle et le repas n'a même pas encore commencé. La discussion continue, sans que je n'en fasse vraiment partie. Encore sous le choc de ce qui vient de se passer, je n'entends plus ce qui se dit autour de moi. Je suppose que mes parents sont en train d'interroger la fiancée de mon frère pour en apprendre un peu plus sur elle. Mais ça n'a pas d'importance pour moi : tout ceci est un mensonge, non ? Je suis tirée de ma bulle par ma mère qui vient me tapoter l'épaule. « Est-ce que tu peux aller surveiller la cuisson de la viande s'il te plaît ? » « Avec plaisir ! » Si je cherchais une échappatoire, la voici. Même si j'aurais préféré quelque chose de plus gros, qu'on me demande d'aller chercher quelque chose au magasin du coin par exemple. J'aurais pu trouver une excuse sur le chemin pour partir. Qui sait, quelqu'un aurait même pu vouloir m'enlever. Sans un mot au reste de la "famille", je m'éloigne du groupe et me dirige vers la cuisine pour faire ce qui m'a été demandé. Arrivée dans la cuisine, je ferme la porte et ouvre l'une des fenêtres. J'ai besoin de me détendre un peu, alors c'est décidé, je vais m'allumer une cigarette. La cuisson de la viande ? Pas de soucis pour elle. J'ai rapidement ouvert le four et il reste encore quelques minutes avant que ce soit bon.

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Faire comme si de rien n'était, comme si Riley n'était qu'une connaissance parmi tant d'autres. Nos chemins se sont croisés en Australie dans ce pensionnat, et l'histoire s'arrête là. Si seulement... malheureusement la vérité est toute autre. Et Riley est pour moi bien plus qu'une simple connaissance. Parce que c'est elle et qu'elle a une place particulière dans mon coeur depuis que nous nous sommes rencontrées. Elle a toujours été mon point faible, la tentation à laquelle je ne devais surtout pas succomber. On sait comment l'histoire s'est terminée... autant au pensionnat lors de sa dernière soirée qu'il y a un an dans cet hôtel à Barcelone. Découvrir que Riley est ma belle-soeur est brutal. Le choc est violent. Comme un coup de poignard reçu en plein coeur. Le monde est vraiment petit. Trop petit même, comme Riley le mentionne justement. Les quelques sourires que j'arrive à adresser malgré tout à la famille sonnent faux. J'espère que mon petit ami n'a rien remarqué de bizarre. Heureusement, je crois qu'il est trop occupé à faire son intéressant devant ses parents pour s'attarder sur moi. Si je peux me fondre dans la masse et me faire oublier, ça serait bien. Le problème, c'est que les questions fusent à mon sujet. J'ai l'impression de subir un véritable interrogatoire de police alors que je n'ai qu'une envie : prendre mes jambes à mon cou. « Alors vous vous êtes rencontrés comment ? » Que demande le père d'Elio par curiosité. « Tu lui racontes ? » Et merde. Si je voulais faire profil bas, c'est raté. « Je suis hôtesse de l'air, et j'ai justement rencontré votre fils dans les nuages entre Sydney et Wellington. » J'essaye de paraitre naturelle mais la tâche s'avère plus compliqué que prévu. « Il n'arrêtait pas de me solliciter pour me demander des encas. A boire, à manger, toutes les excuses étaient apparemment bonnes pour m'embêter. » Ajoutais-je dans un petit rire un peu crispé. Est-ce qu'on peut changer de sujet maintenant ? Parce que là, la situation devient vraiment gênante. « Ça ne m'étonne pas de lui ! » C'est à ce moment-là que Riley profite de la sollicitation de sa mère pour s'éclipser en cuisine. De mon côté, je tente tant bien que mal de me remettre de mes émotions. Ce n'est pas une mince affaire, d'autant plus qu'une force extérieure que je suis incapable de contrôler me pousse justement à aller la rejoindre dans la cuisine. Je suis attirée à elle comme un aimant, et je crois que ça a toujours été le cas. « Riley... » Je referme la porte derrière moi, prononçant son prénom du bout des lèvres. A l'intérieur de moi, c'est un ouragan d'émotions impossibles à expliquer. « Je ne m'attendais pas à te voir ici. » A la revoir tout court d'ailleurs. C'est juste... je n'ai même pas les mots en fait. « Comment tu vas ? » Une question de politesse sans doute maladroite étant donné les circonstances. Mais en même temps, que pourrais-je bien dire d'autre ? Je ne suis pas forcément à l'aise. Parce qu'elle est là, juste devant moi, et que je ne peux m'empêcher de repenser à... notre dernière rencontre. Le hasard qui nous avait réuni dans cet aéroport. Ou le destin peut-être ? Cette nuit que nous avons partagé dans les mêmes draps. J'essaye de garder contenance, comme si de rien n'était, alors qu'une boule vient se loger au creux de mon ventre. « Tu as besoin d'aide pour quelque chose ? » Elle n'a pas l'air de faire grand chose, mais ça serait peut-être moins gênant si je pouvais faire quelque chose de mes dix doigts. Me rendre utile pour ne surtout pas avoir à affronter son regard.

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Les choses se sont passées tellement vite, alors j'ai vraiment du mal à comprendre ce qui est en train de se passer : ce n'est tout bonnement pas possible. Comment Freya – Elizabeth – a pu passer de ma surveillante, à une amante d'une nuit, pour finir en ma belle-sœur ? Je ne souhaite cela à personne, pas même à ma pire ennemie. Et finalement, que ce soit la petite amie d'Elio, ce n'est qu'un détail, ce n'est pas censé me déranger. Enfin.. ça ne l'aurait pas été s'il n'y avait pas eu cette nuit-là à Barcelone. À croire que je ne peux rien avoir à moi, il faut toujours que mon frère soit là pour me prendre la vedette. J'existe pour lui, mes parents ne voient que lui et maintenant, c'est lui qui a la jolie fille. Lorsque ma mère me demande d'aller surveiller la cuisson en cuisine, je suis soulagée et je saute sur l'occasion pour pouvoir me mettre à l'écart du groupe. La discussion se fait très bien sans moi, alors je ne devrais pas leur manquer. Après un rapide coup d'œil au four, j'ouvre l'une des fenêtres de la pièce et je commence à fumer. Le regard planté sur ce qui se passe à l'extérieur, je ne fais qu'entendre la porte qui s'ouvre derrière moi. Malheureusement, quand je me retourne, ce n'est pas sur ma mère que je tombe, mais bien sûr Freya. C'est pire. Et honnêtement, je ne pensais pas qu'elle viendrait ici. Ce qui rejoint un peu un peu ses propos, même si elle, elle ne parle pas uniquement de la cuisine, mais bien de toute la situation. Cette déclaration faite, la blonde me demande comment je vais. Je pourrais lui donner une réponse bateau, histoire de briser un peu le silence que je lui offre depuis son arrivée, mais je décide de ne pas le faire. Qu'est-ce que je pourrais bien dire ? Tout ce que je pensais vrai au sujet de mes sentiments est maintenant faux. Je ne peux pas dire que tout va bien et en même temps, est-ce que je vais mal ou est-ce simplement une impression passagère ? « Pour surveiller une dinde ? Je devrais m’en sortir toute seule. » Dis-je, alors que la blonde vient de demander si elle pouvait m’aider d’une quelconque façon. J’ignore ce qui l’a poussé à venir ici, si c’est une idée d’une tierce personne ou si cette initiative vient directement d’elle, mais ce n’est pas une bonne idée qu’elle reste là. À trop rester, seules, dans la cuisine, ça pourrait attirer l’attention d’Elio ou de mes parents et je n’ai pas besoin de ça. Si j’ai sauté sur la proposition de ma mère, c’était pour être seule, pas pour être rejointe par tout le monde et que la scène gênante se déplace simplement du salon à la cuisine.  « Tu peux retourner voir ton fiancé. » Une grimace – ou un sourire forcé, ça dépend du point de vue – se dessine sur mes lèvres, alors que je l’invite simplement à partir. Pourtant, avant qu’elle ne quitte réellement la pièce, je ne peux m’empêcher de lui poser une question. « Ce matin-là, le message, il était de lui ? » Je pense que j’ai déjà ma réponse, enfin je suppose. Après tout, peut-être qu’il y a une autre version de l’histoire, alors autant lui demander, non ? « Je suppose que tu préfères que ça reste entre nous, que cette nuit aille aux oubliettes. » Un an après, c’est sûrement déjà le cas pour elle. C’est juste que ces retrouvailles inattendues ont remis tout cela au goût du jour. Tout oublier de nouveau ne devrait donc pas être très compliqué. « On devrait s’en tenir aux réunions familiales, c’est mieux. » Même si maintenant je sais où je peux la trouver, que je peux facilement avoir accès à son emploi-du-temps, je ne pense pas qu’il est intelligent de chercher à se revoir plus.

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La situation est inattendue. Comme cette tornade d'émotions qui se déferle en moi à cet instant. Des émotions toutes aussi contradictoires les unes que les autres. Je ne sais pas quoi penser, je ne sais pas quoi ressentir. C'est le bordel dans ma tête, dans mon coeur aussi. J'aurais pu rester dans le salon avec les autres. Faire comme si de rien n'était pour ne surtout pas éveiller les soupçons. Et pourtant, je suis là avec elle dans la cuisine. J'ai besoin de la voir, de lui parler, comme si ma vie en dépendait. Je lui propose mon aide, un peu pour faire joli et surtout pour tenter un semblant de conversation. Alors on en est là maintenant ? S'échanger des banalités comme si nous étions de vulgaires étrangères. Mais en même temps, que pourrais-je bien lui dire d'autre ? A quel point elle a pu me manquer pendant toutes ces années, et encore plus cette année ? Même si c'est la vérité, l'avouer serait totalement déplacé. A croire que c'est mieux de se contenter de ce silence un peu gênant. C'est compliqué. C'est toujours compliqué. Et la situation actuelle n'arrange rien. « Pour surveiller une dinde ? Je devrais m’en sortir toute seule. »  Je me rends vite compte que ma proposition de l'aider est ridicule. « Tu peux retourner voir ton fiancé. » Définitivement, ce mot est douloureux à entendre. Mais le pire, c'est que Riley me repousse en me demandant de partir. A quoi je m'attendais exactement ? C'est légitime de sa part, et à sa place, j'aurais très certainement réagi de la même façon. Mais ça n'empêche pas mon coeur d'en souffrir. Je reste figée quelques secondes, comme paralysée, sans avoir réellement envie de partir. C'est à ce moment que Riley demande. « Ce matin-là, le message, il était de lui ? » Je baisse inconsciemment le regard en direction du sol, restant volontairement silencieuse. Ma non-réponse fait office d'acquiescement. J'ai honte de moi, et pourtant, dans le fond, je ne regrette pas. Enfin, pas totalement pour être exact. Cette parenthèse avec elle était magique. « Je suppose que tu préfères que ça reste entre nous, que cette nuit aille aux oubliettes. » C'est théoriquement ce que nous devons faire... faire comme si cette nuit n'avait jamais existé. Mais en pratique, c'est toujours plus compliqué. « Je... je suis désolée. » C'est tout ce que j'arrive à dire sur le moment. Pourtant, il y a tellement de choses que j'aimerais pouvoir lui dire... mais j'en suis lâchement incapable. On en revient toujours au même point. Retour à la case départ. Comme si ma vie était un éternel recommencement. « On devrait s’en tenir aux réunions familiales, c’est mieux. » J'encaisse difficilement le coup. « Si c'est vraiment ce que tu veux... » Murmurais-je d'entre mes lèvres. De mon côté, je ne sais plus réellement ce que je veux. Je suis tiraillée entre deux vies : celle que j'aurais pu avoir si j'avais eu suffisamment de cran, et celle que j'ai aujourd'hui. Le coeur ou la raison. « Tu m'as manqué, Riley. » Ma voix s'enraille légèrement alors que je tente de me rapprocher d'elle, le coeur battant. Je n'ai pas le droit de lui dire ça, j'en suis bien consciente. Mais c'est plus fort que moi, comme une force extérieure incapable à contrôler. Je crois qu'elle me rend faible...

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Après le choc de cette révélation, il est temps de passer aux décisions. Même si cette nuit ne quitte jamais vraiment mon esprit, qu’il m’arrive de revoir ses courbes dans certains de mes rêves, nous devons mettre toute cette histoire derrière nous. Elle est avec Elio et nous ne pouvons plus nous permettre de foirer de la sorte. La blonde s’excuse et presque naturellement, je balance la tête de gauche à droite, ne comprenant pas trop où elle veut en venir. S’excuse-t-elle pour la révélation brutale de tout à l’heure ou pour ce qui s’est passé à Barcelone ? Quoi qu’il en soit, ça n’a plus la moindre importance maintenant, car comme je l’indique à la jeune femme, nous devons nous en tenir aux réunions de familles. Ce n’est pas parce que nous sommes de nouveau dans la même ville que les choses doivent changer. On est bien resté plusieurs années sans se voir, ça ne devrait pas être compliqué. Visiblement peu convaincue par mon idée, l’hôtesse de l’air finir par approuver. On aurait pu s’en tenir à ça, mais voilà qu’elle décide de rajouter quelques choses. Cinq mots qui me font serrer les dents. Qu’est-ce qu’elle espère ? Je ne sais pas, je ne sais plus, je suis perdue. « Tu ne peux pas dire ça Elizabeth. » Ce n’est qu’une fois ce prénom sorti d’entre mes lèvres que je réalise qu’elle n’a sûrement plus l’habitude de l’entendre. « Freya.. » C’est plus fort que moi. Cette Freya, je ne la connais pas. Alors qu’Elizabeth, oui. Enfin.. je croyais. Ma cigarette terminée, je viens l'écraser dans le cendrier qui se trouve sur le rebord de la fenêtre. Pour la première fois depuis son arrivée dans la pièce, je me tourne complètement vers la jeune femme. « J'ai beau avoir beaucoup de rancœur envers lui, je ne peux pas lui faire ça. » Et je n'aurais pas dû le faire non plus il y a un an. Mais malheureusement, ce jour-là, je n'avais pas toutes les informations en ma possession. Tout cela, je n'hésite pas à lui dire, histoire que l'on soit toutes les deux sur la même longueur d'onde. « Il y a un an, si j'avais su, il ne se serait rien passé. » Que ce soit Elio ou un autre homme. Je ne souhaite la tromperie à personne, même si en passant cette nuit avec elle, je l'ai aussi imposé à quelqu'un d'autre, à cette fille que je voyais depuis plusieurs semaines et avec qui je voyageais au sein de l'Europe. Avec mon projet de rentrer à Island Bay, cette relation était vouée à l'échec, mais je n'aurais pas dû franchir la ligne avec Freya. Même si nous n'étions pas faites pour finir ensemble, ce n'était pas une raison pour lui briser le cœur. Le mal que je lui ai fait aura sûrement des répercutions sur ses prochaines relations et j'ai du mal à vivre avec cela. Alors le faire à mon frère – une nouvelle fois – ? Non. « Même si l'envie était là. » Dis-je, le regard planté dans le sien. Même si les regrets sont là aujourd'hui, elle ne m'a forcé en rien cette nuit-là. Ce n'est plus un secret maintenant. Depuis ma dernière année au lycée et ce baiser que nous avons échangé, j'ai conscience que la blonde fait partie de mes points faibles. J'en ai eu la confirmation à Barcelone.

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Le coeur a ses raisons que la raison ignore. J'ai comme l'impression que ce dicton a été spécialement fait pour nous. Et surtout pour ce moment, ces retrouvailles qui nous explosent en plein visage. Que Riley soit la soeur d'Elio change la donne. Nous n'avions pas le droit de passer la nuit ensemble comme nous l'avons fait à Barcelone il y a un an. Même si à ce moment-là, nous ne savions pas. Je n'ai pas non plus le droit de lui dire à quel point elle a pu me manquer pendant tout ce temps... et pourtant, les mots se délient de mes lèvres sans que je puisse véritablement en avoir conscience. C'est plus fort que moi. Comme si j'avais besoin d'être - enfin - honnête avec elle. Et avec moi-même d'ailleurs aussi en passant. Pourtant, je n'ai jamais réussi à l'être entièrement. Et c'est bien ça le fond du problème. « Tu ne peux pas dire ça Elizabeth. » C'est vrai qu'à ses yeux, Freya n'existe pas. Mais Elizabeth n'est plus là depuis longtemps. Ce n'est d'ailleurs pas avec Elizabeth qu'elle a passé cette parenthèse hors du temps. Parce qu'Elizabeth n'aurait jamais pu se permettre de fauter... Freya est plus libre, plus épanouie aussi. Même si le chemin pour que je puisse être véritablement moi-même est encore loin. « J'ai beau avoir beaucoup de rancœur envers lui, je ne peux pas lui faire ça. » Avec toutes ces émotions, j'ai du mal à penser à Elio. Et pourtant... c'est avec lui que je suis en couple. Fiancée même, si on en croit ses dires. De mon côté, c'est un peu plus compliqué que ça en a l'air. « Il y a un an, si j'avais su, il ne se serait rien passé. » Il ne m'en faut pas plus pour comprendre que Riley regrette, et même si je sais que je devrais en faire de même, le constat me blesse. Pour ma part, je n'arrive pas à regretter complètement. Parce qu'il y a une petite partie de moi qui connait la vérité. Avec elle, je me suis sentie pleinement vivante, comme je n'ai jamais pu l'être auparavant. Ni même après d'ailleurs. La sensation de mon corps contre le sien... je n'ai jamais ressenti ça pour personne d'autre. Pas même pour Elio. Finalement, c'est peut-être ça qui me bloque quant à cette histoire de mariage. « Même si l'envie était là. » Son aveu vient tout de même contraster la douleur de ses regrets. Nous étions deux cette nuit-là, et même si nous ne pouvons pas effacer les conséquences de nos actes, ça me rassure un peu de savoir que je n'étais pas la seule à en avoir envie à l'époque. Est-ce que cette nuit a été aussi spéciale à ses yeux qu'elle a pu l'être pour moi ? Ça, c'est une autre histoire. Et je ne suis pas certaine que lui poser la question soit la meilleure solution à cet instant. « Je sais que j'aurais dû être honnête avec toi à Barcelone... » Si je lui avais dit la vérité, nous en saurions certainement pas là aujourd'hui. Pour autant, ce que nous avons vécu ensemble était vraiment sincère. Cette nuit-là, mon corps ne mentait pas non plus. « Mais... » Alors que je m'apprête à lui faire cet aveu interdit, la porte de la cuisine qui s'ouvre me coupe dans mon élan. Je recule par réflexe croisant le regard de mon petit ami. « Bah alors, qu'est-ce qui se passe par ici ? » Merde. Mon corps se raidit à nouveau comme paralysé. « Je lui demandais juste si elle avait besoin d'aide. » Répliquais-je sur la défensive pour me justifier. « T'es pas déjà en train de lui dire du mal de moi quand même ? » Qu'il balance à sa soeur dans un rire amusé. Apparemment, il ne se doute de rien... et heureusement.

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Il est vrai que Freya aurait dû être honnête avec moi ce jour-là, à Barcelone. Néanmoins, je ne peux pas la rendre responsable de tous les torts : si vraiment j'avais voulu, j'aurais pu résister, j'aurais pu dire non. Pourtant, ne l'apprendre que le lendemain matin – qu'elle avait quelqu'un dans sa vie, ça m'allait. Ça m'ôtait une certaine forme de culpabilité. Néanmoins, de savoir désormais que cet homme qu'elle trompait cette nuit-là était Elio, mon frère, ça me fait quelque chose. Je ne sais pas si j'arriverais à le regarder droit dans les yeux pour le reste de mes jours. Même être dans la même pièce que lui, voire celle de Freya, va être compliqué. Alors que la blonde commence une phrase, elle se retrouve interrompu par son fiancé. Qui d'autre aurait pu arriver à ce moment précis ? Personne. Mais maintenant qu'il est là, elle ne continuera pas et je vais devoir me contenter d'un simple "mais". Un mot qui peut vouloir dire tellement de choses, c'est d'ailleurs autant de films que je vais pouvoir me faire tant que je n'aurais pas la fin de cette histoire. Lorsqu'il demande ce qui se passe ici, Freya ment à la perfection – en grande partie au moins, comme si c'était inné chez elle. C'est peut-être la colère qui parle, ou alors, la jeune femme a changé depuis la dernière fois, depuis le moment où je pensais la connaître. Elio boit ses paroles et finit par s'inquiéter de ce que j'aurais pu dire. « Du mal ? N'oublies pas que tu es l'enfant prodige de la famille. » Qu'est-ce que je pourrais bien dire sur lui ? Quelque chose qu'elle ignore de mon frère ? Sûrement pas. Les années sont passées et c'est un peu un étranger pour moi. D'ailleurs, je me demande si je l'ai vraiment connu un jour. Cette phrase prononcée, je me retourne et referme la fenêtre que j'ai ouverte un peu plus tôt. Une fois fait, je me retrouve obligée de leur faire face. Je croise les bras au niveau de ma poitrine avant d'ouvrir à nouveau la bouche. « En tout cas, vous formez un joli couple. » Qu’est-ce que ça peut être difficile de devoir mentir comme ça, de devoir dire l’opposé de ce que je pense réellement. Ils ne vont pas ensemble : elle est trop bien pour lui. Est-ce que je devrais être à sa place ? Je n’en suis pas sûre non plus. Je n’ai jamais eu le courage de dire à ma famille qui j’étais vraiment, alors de quel droit je pourrais me permettre de réclamer la place à sa droite, dans un lit, chaque matin où le soleil se lève. « On va manquer d’accompagnement, je devrais aller faire un rapide détour à la supérette du coin avant qu’il ne soit trop tard. » Ce n’est qu’un mensonge, mais tout prétexte pour échapper à ce repas est bon à prendre. Malheureusement, cette fois-ci, les choses ne vont pas aller dans mon sens. « Maman voulait qu’on se retrouve un peu tous ensemble. Ta petite balade devra attendre. » Super. Comme si nous avions encore dix ans. Je soupire légèrement, mais je ne pourrais pas échapper à tout cela, peu importe ce que je dis. Après quelques secondes de silence, il est temps pour nous de quitter la cuisine. J’ignore pourquoi, mais mon frère est bien décidé à me laisser sortir la première – peut-être qu’il s’attend à avoir un moment intime avec sa fiancée. Pour quitter la pièce, je me retrouve obligée de passer devant le parfait petit couple. Avant aujourd’hui, j’aurais sûrement essayé d’accrocher le vert des yeux de la blonde, mais pas là. Là, je me contente simplement de baisser la tête jusqu’au salon. « Qu’est-ce qui vous a pris autant de temps dans la cuisine ? » Nous nous sommes absentées combien de temps pour que tout le monde s’inquiète de la sorte ? « Nous faisions juste connaissance. » Si Freya arrive à mentir, je suis sûre de pouvoir en faire autant et puis, cette simple réponse n’entraînera aucune question en retour, j’en suis presque sûre.

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Les cartes sont à présent redistribuées. Si l’épisode de Barcelone d’il y a un an devait rester enfoui dans ma mémoire comme s’il n’avait jamais existé, le fait que Riley soit la sœur d’Elio change la donne. Cette nuit n’aurait jamais dû avoir lieu. J’étais en couple à ce moment-là et je n’aurais pas dû trahir la confiance de mon petit ami. C’était une nuit hors du temps, une parenthèse inavouée que j’ai volontairement chassé de mes pensées. Mais la réalité est là, juste sous mes yeux. Et cette réalité à un nom : Riley. Cinq petites lettres d’un passé interdit. Depuis que son frère a débarqué dans la cuisine à son tour, l'ambiance est encore plus particulière. Je tente du mieux possible de brouiller les pistes pour qu'il ne se doute de rien. Il ne faudrait surtout pas qu'il commence à se poser des questions. De son côté, Riley semble vouloir faire la même chose. « En tout cas, vous formez un joli couple. » Est-ce qu'elle le pense vraiment ? « Merci. » Que je souffle du bout des lèvres sans même oser croiser son regard. Je ne pensais pas un jour pouvoir en arriver là… et pourtant, nous y sommes : s’échanger des banalités par politesse comme deux inconnues pourraient aussi bien le faire. Jouer la carte de l’indifférence pour ne pas risquer que notre secret soit dévoilé. La jeune femme cherche rapidement un nouvel échappatoire mais cette fois-ci, c’est un échec. Elio profite de son autorité de grand frère pour jouer avec la corde sensible familiale. Ce repas de famille est important pour ses parents, et pour lui aussi surtout. Mais si j’avais su avant, je crois que j’aurais trouvé une excuse pour éviter cette mascarade. Est-ce qu'il est trop tard pour me porter pâle ? Malheureusement oui. Pourtant, ce n'est pas l'envie qui m'en manque. Je n'ai plus qu'à espérer que le repas ne s'éternise pas pendant des heures... mais c'est déjà mal parti. « Qu’est-ce qui vous a pris autant de temps dans la cuisine ? » Après Elio, c'est à sa mère que nous devons rendre des comptes. A croire que notre moment passé ensemble dans la cuisine a duré une éternité. « Nous faisions juste connaissance. » Je hoche simplement la tête pour approuver ses dires. Dans le fond, j'ai juste envie de passer une bonne fois pour toute à autre chose. Si le sujet de conversation pouvait dériver sur autre chose, ça ne serait pas du luxe. « Alors les tourtereaux, vous avez déjà fixé la date de l'heureux évènement ? » Je manque de peu de m'étouffer alors que nous prenons rapidement place à table. Avec le recul, je ne sais pas si ce sujet là est mieux finalement. « Dépêche toi avant qu'elle change d'avis hein ! » Son père rigole de sa boutade mais moi, je ne sais plus où me mettre. Le pire, c'est que je n'ai jamais réellement répondu à sa demande en mariage justement. Elio a pris ma réponse pour acquise, mais, pour être honnête, dans mon coeur, c'est un peu plus compliqué. Je ne suis pas sûre d'avoir envie de sauter le pas. Et je crois savoir pourquoi... « En réalité, on a pas encore eu vraiment l'occasion d'en parler. » Pour fixer une date, il faudrait déjà qu'on parle du mariage à proprement parlé. Et c'est vrai que depuis sa demande, j'ai un peu tendance à vouloir esquiver le sujet. « L'été prochain, ça serait bien ! » Ah oui... dans un an quoi. C'est déjà vachement concret dans sa tête. « On a encore le temps, on verra bien ! » Objectif : rechanger de sujet. Et vite. « Et toi Riley, tu as quelqu'un dans ta vie ? » Bah quoi ? C'est étrangement le seul sujet qui me venait en tête, là, tout de suite. C'est juste pour tenter de faire la discussion... et me renseigner aussi, un peu... beaucoup. « Ah bah oui tiens, ça nous intéresse ! » La moue qui se dessine alors sur mes lèvres est une moue désolée, mais je reste tout de même curieuse de connaitre sa réponse.

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Maintenant qu’Elio est dans la même pièce que nous, nous ne pouvons plus agir normalement – même si je doute que nous y soyons arrivées depuis tout à l’heure. Nous devons revenir à nos rôles et faire comme si nous ne nous connaissions pas. Je ne la regarde plus comme avant, enfin je crois, alors ça ne devrait pas être compliqué de faire croire à mon frère qu’il n’y a rien entre nous, que c’est même la première fois que nous nous voyons. Pour aller pleinement dans ce sens, je me tente même à complimenter leur couple. Je dois prendre sur moi pour ça, mais finalement, ce n’est pas grand-chose à côté des remerciements que m’offre la jeune femme. Elio aurait pu le faire, mais non, il a fallu que ce soit Freya et c’est dingue que ça fasse mal ainsi. Alors que nous revenons dans la pièce où se trouvent les deux autres invités, j’arrive à esquiver comme je peux la question de ma mère. Mais comme je pouvais m’y attendre, ce n’est que la première d’une longue série et c’est malheureusement la fiancée d’Elio qui en fait les frais. Ils prennent tous place à table et l’hôte de la maison évoque le mariage de son fils. Est-ce qu’une date est déjà fixée ? Il est vrai que jusqu’ici, je ne m’y étais pas intéressée. Peut-être parce que finalement, ça ne changera pas grand-chose pour moi. À ce moment précis – et comme depuis mon arrivée en réalité, j’aimerais disparaître plutôt que d’écouter cette conversation. Visiblement, aucune date n’est fixée encore. Et si Freya changeait d’avis ? Est-ce même possible ? Si près des fiançailles, ce serait quand même dommage. À bien y réfléchir, le fait que ce mariage ne soit pas encore planifié retire un poids de mes épaules. Alors que nous commençons tous à nous servir dans les plats déjà présents sur la table, Frea demande devant tout le monde si je vois quelqu’un. Je m’arrête dans mon geste et plante mon regard dans le sien. Je ne comprends pas. Où veut-elle en venir et pourquoi faire ça ? « Oui. Je vois quelqu'un. » Après un long silence, je lâche cette bombe. Autour de moi, il n'y a que la blonde et sa réaction qui comptent. « Mais pourquoi tu ne nous l'as pas dit ? » Parce que cette personne n'existe pas. « Pour éviter tout ça peut-être. » Il y a aussi un peu de ça. Le jour où j'aurais vraiment quelqu'un à leur présenter, ce sera une femme et il leur faudra sûrement un moment pour encaisser la nouvelle. « Elio a bien attendu de se marier pour le faire. » Ou plutôt, d'être sur le point de le faire. Mais autour de cette table, qui s'intéresse à ce genre de détails ? Ça reste une étape importante et il faut être sûre de ses sentiments pour le faire. « On pourrait peut-être parler d'autre chose. J'ai vu que les voisins avaient refait la façade de leur maison. Vous devriez peut-être faire des travaux ici aussi. » Même si c'est ici que j'ai grandi, je ne dirais pas non au fait que mes parents remettent le bâtiment au goût du jour. « Vous pourriez refaire la chambre de Lissandro. » Depuis notre départ de la maison, peu de choses ont changé. Mais cette pièce-là, c'est pire que les autres. Depuis le décès de l'aîné de la famille, c'est presque si la porte de cette pièce n'a pas été fermée à clef. « Riley ! » Mon père tape de la table avec son poing. « Quoi ? Ce prénom est interdit maintenant ? » Ce n'est pas la première fois que ce genre de conversation arrive et c'est toujours à cause de moi. À croire qu'ici, je suis la seule à se souvenir de lui. Au moins maintenant, le sujet de conversation à changer et qui sait, avec un peu de chance, peut-être que le repas sera écourté. « Elle pourrait servir pour vos petits enfants. » Elio était silencieux depuis trop longtemps maintenant, j'avais presque oublié sa présence. C'était peut-être mieux d'ailleurs. Après le mariage, les enfants.. ils veulent m'achever je crois.

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J'ai l'impression d'être une bête de foire, et je déteste ça. En même temps c'était à prévoir. Ce repas a été organisé spécialement pour qu'Elio puisse me présenter à sa famille. Et qui dit présentations officielles dit forcément interrogateur de police, ou presque. Avant de venir, je me doutais bien que les questions allaient fuser. Sur moi, et sur notre couple. Mais ce que je n'avais pas prévu... c'est que Riley soit là. Que Riley fasse également partie de cette famille. Ma future belle-famille. Je crois qu'il va vraiment me falloir du temps pour avaler la pilule. En attendant, c'est ce détail non négligeable qui me fait me sentir aussi mal à l'aise. C'est une situation un peu malaisante que de devoir parler de son projet de mariage - qui n'en est pas réellement un d'ailleurs - devant la personne avec qui nous avons fauté. Il n'y pas de date fixée puisque ce projet, à la base, n'est pas cent pour cent partagé. Mais ce n'est ni le moment ni l'endroit pour remettre la situation dans son contexte. Pour changer de sujet, je ne trouve rien de mieux que de questionner Riley pour savoir si elle a quelqu'un dans sa vie. C'est plus fort que moi, et je crois que la réponse à cette question m'intéresse plus qu'elle ne le devrait. Nos regards se croisent une infime seconde avant que le verdict finisse par tomber. « Oui. Je vois quelqu'un. » Boom. Le choc est violent, comme si elle venait de m'enfoncer un poignard en plein coeur. Ça fait mal putain. Et pourtant, je suis mal placée pour dire quoi que ce soit. Je devrais plutôt me réjouir pour elle en lui souhaitant tout le bonheur du monde n'est-ce-pas ? IMPOSSIBLE. J'essaye de rester de marbre mais mon regard se veut encore plus fuyant. C'est vraiment difficile pour moi de ne rien montrer. « Mais pourquoi tu ne nous l'as pas dit ? » Au moins maintenant, je ne suis plus le centre de la discussion. Il faut bien trouver un point positif à cette révélation. « Pour éviter tout ça peut-être. Elio a bien attendu de se marier pour le faire. » J'avale difficilement ma salive alors que Riley tente à son tour de changer de sujet. Je préfère parler d'éventuels travaux de rénovation au fait d'imaginer la jeune femme avec quelqu'un d'autre. Ce serait mentir de dire que cette vision ne me dérange pas. Mais un froid glacial vient s'immiscer dans la pièce de vie lorsque le prénom de l'aîné de la famille est mentionné. L'idée de refaire la chambre de Lissandro n'a pas l'air d'être appréciée par les parents Carvalho. Je ne m'attendais d'ailleurs pas à ce qu'Elio intervienne dans le sens de sa soeur... « Elle pourrait servir pour vos petits enfants. » Mais là, c'est le drame. Je ne sais pas vraiment s'il a dit ça pour apaiser les tensions, ou s'il se projette vraiment. Une chose est sûre : il n'en fallait pas plus pour relancer les questions. « Attends, est-ce que vous avez une deuxième bonne nouvelle à nous annoncer ? » Mon corps se raidit instantanément. « Pas pour le moment mais ça peut arriver vite. » Alors oui, mais non. « Ou pas. » Un rire nerveux s'échappe d'entre mes lèvres alors que je sens comme un malaise. Merde, ça n'aurait pas dû sortir de cette manière. « Avec mon travail, c'est difficilement envisageable. Je suis toujours en déplacement à droite, à gauche, ce ne sont pas vraiment des conditions idéales pour élever un enfant. » Ajoutais-je pour me justifier, même si je vois bien la déception dans le regard de mon petit-ami. Là encore, je crois que nous ne sommes pas réellement sur la même longueur d'onde. « Oh c'est dommage. » La mère d'Elio semble déçue également. « Il faudra bien qu'un jour tu arrêtes de penser qu'à ton travail... » Ok, c'est un reproche totalement gratuit ça. Je cherche désespérent un peu de soutien dans le regard de Riley, mais je ne sais pas si c'est vraiment la chose à faire à cet instant présent. Si seulement on pouvait abréger ce foutu repas...

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Plus les minutes passent et plus c’est un supplice d’être ici. J’ai l’impression d’être en enfer. Enfin.. non. Être en enfer serait sûrement moins compliqué que de devoir faire face à Elio, à sa parfaite fiancée et aux questions plus cruelles les unes que les autres de mes parents. Quand l’attention n’est pas portée sur la nouvelle de la famille, elle l’est sur moi et forcément, répondre que j’avais quelqu’un dans ma vie n’a rien arrangé aux choses. Pour ne plus être au centre de la conversation, je décide d’aborder Lissandro et les travaux que pourraient faire mes parents pour remettre au goût du jour leur maison. Le changement de sujet fonctionne, il plombe même un peu l’ambiance. Mais malheureusement, il revient très vite sur le couple parfait présent dans la pièce : Freya et Elio. Pendant un temps, ma mère pense pouvoir devenir grand-mère dans les semaines ou mois à venir. Cependant, la vérité est très rétablie par mon frère, qui profite de ce moment pour évoquer son envie d’être père. Une envie qui ne semble pas être partagée dans le couple. Est-ce qu’il y a des turbulences sur le vol de l’amour parfait ? Avec son boulot, la blonde n’est pas encore prête à devenir mère et qui pourrait lui reprocher cela ? Avoir une mère absente, ce n’est pas l’idéal pour un enfant. Face à cette révélation, la déception de ma mère et de mon frère se font entendre. « Ça sonne très misogyne comme remarque. » C’est plus fort que moi, ça devait sortir. Ça fait des années que nous ne sommes pas sur la même longueur d’ondes, pourquoi est-ce que ça changerait aujourd’hui ? « Riley ! » « Quoi ? Sous-prétexte que Freya est une femme, elle va obligatoirement devoir devenir mère au foyer ? Elle est dépassée cette époque. » Je ne sais pas si c’est la défense de Freya que je prends, ou celle des femmes en général. Mais il fallait bien que quelqu’un dise quelque chose autour de cette table. Elio s’est toujours vu comme le mec viril, celui qui a raison sur tout et ce n’est pas la première fois que j’ai envie de le remettre à sa place. « Je ne crois pas que ça te regarde. » Je ne sais pas ce que la blonde lui trouve. Est-ce qu’elle lui trouve vraiment quelque chose d’ailleurs ? Sûrement, car son compte en banque ne doit pas être rempli à ras bord. « Les enfants.. s’il vous plaît. » C’est toujours un plaisir pour moi de me retrouver en présence de mon frère.. Qu’est-ce qu’il était bien le temps où j’étais loin d’ici. Un sourire satisfait se dessine sur les lèvres du jeune homme, comme s’il avait gagné une nouvelle partie, comme quand nous étions enfants. Je soupire légèrement, avant de me concentrer sur mon assiette. « Et si nous mangions. » Quelle grande intervention de mon père. Depuis le début de ce repas, rares sont les mots qui ont quitté ses lèvres. Ça ne me surprend pas vraiment en réalité, cela a toujours été comme ça : ma mère dit ce qu’elle pense et mon père la suit sans vraiment réfléchir. « Elio, qu’est-ce que tu penses de la nouvelle équipe des All Blacks ? » Voilà ! Enfin un sujet qui ne devrait pas semer la zizanie durant ce repas. Pourquoi est-ce que nous n’avons pas commencé par ça d’ailleurs ? Mon frère prend plaisir à répondre à notre père, alors que je ne dis plus un mot. Je me concentre sur ce qui se trouve face à moi et avale mon repas dans le silence : tout ce qui s’est passé avant était bien suffisant je trouve, j’ai déjà utilisé assez de salive comme ça. Et puis, plus je suis discrète, moins mon absence se fera remarquer quand j’aurais réussi à quitter ce repas. Le supplice dure encore quelques heures comme cela et ce n’est qu’à l’heure du café que j’arrive enfin à m’échapper. Je prétexte une excuse et cette fois-ci, elle passe. J’aurais vraiment dû suivre mon instinct, je n’aurais pas dû venir ici.