Qu'est-ce qu'on cherche ? Cherche la merte ?

De sortie à Wellington pour s’amuser, Teddy profite d’un de ses rares moments de détente pendant la saison chaude. Comme chaque été, le centre nautique est plus ou moins pris d’assaut et il n’a pas beaucoup de journées off. Quand c’est le cas, il en profite évidemment pour aller voir sa famille, passer un peu de temps avec sa petite-amie et s’amuser avec ses amis. Si Island Bay est une petite bourgade, il y a en revanche toujours de quoi faire à Wellington et le moniteur de surf ne se prive pas. Sortant d’un restaurant avec sa soeur qui est partie de son côté pour faire d’autres choses, Teddy se promène dans le centre-ville pour prendre un peu l’air. Il aime beaucoup la capitale néo-zélandaise : ce n’est pas une très grande ville, mais il y a tout ce qu’il faut et il y fait bon vivre. Le taux de criminalité est aussi relativement bas, mais ça n’empêche évidemment pas les voyous de commettre leurs habituels délits. L’attention du brun se porte sur un homme - qui semble être un peu plus jeune que lui mais surtout sacrément plus riche - penché sur le pneu d’une superbe voiture, poussant un juron avant de s’adresser à un petit groupe de jeunes hommes à l’air hilare. Même s’il est juste de passage, il est facile de comprendre ce qui se passe. Et surtout, l’expression du visage des jeunes hommes, changeant rapidement, ne lui dit rien qui vaille. Hésitant, Teddy ralentit l’allure. « T’as un problème, papy ? » Aïe. Il espère ne pas être tombé dans une embuscade, mais le ton du petit voyou est clairement menaçant. Il ne peut pas décemment continuer sa route en toute tranquillité d’esprit si plusieurs hommes risquent de s’en prendre à un seul. « Qu’est-ce qui se passe ? » demande-t-il, presque pour signaler sa présence. Avant, il aurait peut-être foncé bêtement dans le tas, sans chercher à comprendre. Au fil des années, il a acquis un minimum de maturité, même si l’ancienne personnalité refait vite surface. « Je dois appeler les flics ? »

Un pneu crevé sur une superbe bagnole par une bande de petits imbéciles - pour rester polis -, l’hypothèse est confirmée par la première personne concernée, le trentenaire à l’allure classe qui respire l’argent (beaucoup d’argent). La situation peut-elle encore se régler calmement ? Selon les protagonistes, ce n’est pas forcément impossible. Mais ce ne sera visiblement pas le cas ici : ça s’échauffe de tous les côtés. Le propriétaire de la voiture est évidemment très énervé, sans doute pas à proprement parler parce qu’il doit payer quelque chose, mais plutôt pour l’intention délibérée d’ennuyer - toujours pour rester polis - le monde entier. Ceux d’en face n’ont pas du tout l’air de regretter leurs bêtises. Les échanges s’échauffent, les insultes fusent, ça se rapproche… Bref, ça ne sent pas bon du tout. Teddy extirpe son téléphone portable de la poche de son jean mais, avant d’avoir eu le temps de composer un quelconque numéro d’urgence, ça dégénère. À ce moment-là, il ne réfléchit plus tellement. Tout ce qu’il voit, c’est que le combat n’est pas à armes égales. « Quatre contre un ? » s’écrie-t-il presque malgré lui, courant vers eux dans le but d’intervenir. Il n’a pas vraiment peur, peut-être parce que ce n’est pas le moment de tergiverser, peut-être parce qu’il pratique la boxe depuis plus de quinze ans. On lui a souvent dit qu’il se battait bien - peut-être un peu trop, puisque ça a longtemps été sa faiblesse, une tendance bagarreuse difficilement maîtrisée au fil des années. Et il faut croire que le naturel revient au galop, car le surfeur se jette dans la bagarre sans peser le pour et le contre, pas vraiment parce qu’il est de nature à aider tout le monde mais plutôt pour tenter d’éviter que ça se transforme en quelque chose de pire encore. Ils sont en infériorité numérique, mais c’est déjà mieux que quatre contre un. « Attention ! » Teddy essaye au mieux d’éviter les coups, mais il n’y parvient pas toujours. Néanmoins, il en donne aussi une certaine quantité qui sont bien placés, instinctivement et stratégiquement. Son but n’est pas de faire du mal, mais qu’ils ne puissent plus leur nuire dans l’immédiat. Et aussi bad boys qu’ils aient l’air, ils n’ont visiblement pas tant que ça l’habitude de se battre. Finalement maîtrisés, il y en a un au sol et l’autre que le brun tient maintenu contre le mur. « Plus d’emmerdes, on est d’accord ? »

La bagarre ne dure pas si longtemps que ça, peut-être parce que le groupe d’en face ne s’attendait pas particulièrement à une réplique. Teddy reconnaît ce genre de gars : ils fanfaronnent et ils parlent beaucoup, mais une fois qu’il faut agir à proprement parler, ça se dégonfle vite. Ils n’ont pas l’air vraiment méchants - ils n’ont rien de criminels durs à cuire en résumé -, peut-être désoeuvrés et surtout exceptionnellement stupides, du genre à vouloir embêter le monde entier et à s’en amuser. Et si le trentenaire n’était absolument pas certain de l’issue du combat, il ne peut que se réjouir qu’elle leur ait été favorable. Car une fois qu’il relâche celui qu’il maintenait contre le mur, ils prennent tous la fuite. Hochant la tête de gauche à droite d’un air navré, Teddy se tourne vers l’autre mec, le propriétaire de la bagnole. Ce dernier le remercie en lui tendant une main, qu’il serre tout de suite. « Pas de souci. » Il ne l’aurait pas laissé tout seul contre quatre jeunots, même si ce n’est sans doute pas seulement par solidarité mais aussi parce qu’il a toujours été compliqué pour lui de rester à l’écart des bagarres. « T’inquiète, tu me dois rien du tout. » Il l’a aidé c’est vrai, mais pas non plus de quoi faire tout un plat. Les choses auraient sûrement été différentes s’il n’avait jamais appris à donner des coups bien placés, ce que son interlocuteur semble avoir remarqué. « Des années de boxe, il faut bien que ça paye quelque part un jour. » Son sourire est un peu gêné, mais il passe à autre chose. « Ça va, rien de cassé sinon ? » Lui-même a mal à la mâchoire parce qu’il a reçu un coup, mais rien de bien grave - du moins il l’espère. « Au fait, je m’appelle Teddy. » Autant se présenter, après ce qu’il s’est passé. « Ça t’arrive souvent, ce genre de tuiles ? » demande-t-il en posant les yeux sur le pneu crevé.

« Oui, j’espère qu’en pleine rue et à l’heure de pointe, ils seraient restés soft. » Son interlocuteur insiste sur le fait qu’il lui doit quelque chose et ça gêne un peu Teddy, lequel a plutôt l’impression d’avoir agi sous le coup d’une impulsion bien ancrée plutôt que comme un bon samaritain dévoué. Mais il lui glisse sa carte - ou plutôt, la carte du club nautique où sont spécifiés son identité ainsi que son métier - et derrière lequel il a griffonné son numéro personnel. Pendant ce temps, ils continuent à discuter un peu. Le surfeur explique qu’il fait de la boxe depuis longtemps (plusieurs années, mais sans être plus précis), avant de s’assurer que l’autre n’a rien de cassé ni de grave. Celui-ci s’appelle d’ailleurs Jimmy. « Plaisir, Jimmy. Enfin, ç’aurait quand même été mieux en d’autres circonstances, c'est sûr. » De retour près de la voiture, le propriétaire appelle évidemment une dépanneuse. Il a l’air pressé de la voir arriver, peut-être parce qu’il a un travail prenant - c’est toutefois l’image que Teddy s’en fait, en raison probablement de son habillement et de sa voiture qui lui donnent une image évoquant un col blanc. « J’ai commencé la boxe quand j’avais quinze ans, donc c’était il y a… Bientôt vingt-deux ans. À l’époque, mes parents m’avaient inscrit parce que j’avais tendance à me battre facilement à l’école. Ils espéraient que ça canalise mon énergie négative. Je suis pas sûr que ça ait fonctionné comme ils le voulaient, mais bon… J’ai suivi des cours de manière assez assidue, mais aujourd’hui c’est surtout un loisir, de temps en temps pour me défouler. » Se rapprochant de la voiture, le brun manifeste une curiosité naturelle. Comme beaucoup d’hommes, ça fait partie de ses centres d’intérêts depuis longtemps. « Elle est neuve ? »

« Le jour où ils se feront prendre ou bien auront affaire à de véritables durs à cuire, ils s’en foutront moins et feront plus autant les malins. » Parce que si Teddy sait bien boxer, mais il est loin d’être un gars dangereux comme il peut y en avoir d’autres. Ils auraient aussi pu tomber sur un propriétaire encore plus taré qu’eux. Un jour, ils pourraient bien se faire surprendre, par quelqu’un de bien plus désagréable que le dénommé Jimmy. En effet, il y a de meilleures circonstances pour se rencontrer, mais maintenant que c’est terminé ça ferait presque sourire Teddy - le danger est écarté, la seule chose dommage c’est qu’il faut maintenant réparer les dégâts. Et pendant qu’ils attendent la dépanneuse, le moniteur de surf raconte brièvement son parcours de boxe, entamé il y a bien longtemps déjà. « T’as tout compris. Ça m’a pas vraiment aidé, parce que même si mon énergie était canalisée à ce moment-là, quand on me provoquait ou qu’on s’en prenait à un de mes potes j’avais encore plus envie de me battre vu que je savais mieux le faire… De quoi donner en avance des cheveux blancs à mes parents. Mais finalement j’ai continué, parce que c’est un sport agréable et qu’on se défoule bien. » Chacun son truc ou plutôt, chacun fait avec ce qu’il peut. Jimmy n’est peut-être pas un boxeur, mais il a l’air d’avoir les moyens de se payer une très belle bagnole facilement. « Ah ouais, une semaine. C’est chiant, ça. Mais comme tu dis, à la limite heureusement que c’est le pneu. » La dépanneuse semble tarder un peu à arriver, alors Jimmy propose d’aller boire un verre - de lui en payer un, plutôt. « Oui, pourquoi pas. Merci. » Il y a des bars un peu partout en ville, mais Teddy n’ose pas forcément proposer, ils ne doivent clairement pas avoir les mêmes standings. « Tu connais un endroit pas trop loin ? Il y en a un au coin de la rue, je sais pas si t’y es déjà allé. » Finalement ils en trouvent un qui leur convient à tous les deux, et ils s’installent. « Et avant celle-là, t’avais quoi comme bagnole ? »

Galvanisant, c’est le bon mot. En effet, Teddy a toujours aimé les punching-ball pour se défouler, et monter sur le ring aussi même si c’est seulement en amical. Sur ce dernier point, en revanche, Jimmy n’a pas l’air trop d’accord, ce qui fait sourire le moniteur de surf. « C’est vrai que c’est une autre histoire. Mais c’est peut-être aussi une question d’habitude. » Haussant légèrement les épaules comme pour clore le sujet, le brun suit l’autre mec dans la rue, à la recherche d’un coin sympa où se poser pour boire un petit quelque chose. Ça se trouve facilement en centre-ville bien sûr, alors quelques minutes plus tard ils sont installés autour d’une table. Naturellement, Teddy s’intéresse à la voiture du dénommé Jimmy. Et visiblement, ce dernier n’en manque pas. Porsche, Jaguar, Dodge, il cite des marques super classes comme si ce n’était pas grand-chose. Impressionné, le Tremblay l’écoute parler de ses bagnoles de luxe, avec une pointe d’envie qui d’habitude ne lui ressemble pourtant pas vraiment. « Waow ! Toi et les belles voitures, c’est toute une histoire. » C’est même un euphémisme. Teddy n’a jamais eu de possession de ce genre et il n’en aura probablement jamais aucune, ce qui ne manque pas de l’intriguer - ils doivent après le même âge, mais évidemment ils ont des modes de vie totalement différents. « Et si c’est pas indiscret, tu fais quoi dans la vie, pour te permettre d’en acheter comme ça ? » Comme le serveur arrive, il le remercie pour son café. « T’es du coin, sinon ? Je t’ai peut-être déjà croisé, mais j’avais le regard rivé sur ta voiture » sourit-il, parce que ça ne l’étonnerait même pas que ce soit vrai.

D’un air entendu, Teddy hoche la tête en signe d’assentiment. Il veut bien croire que quand on peut se le permettre, c’est plus facile. Et même s’il n’a jamais été du genre à envier la vie et les biens matériels d’autrui, il se surprendrait presque à imaginer ce que serait son existence s’il menait le même train de vie. Il ne manque de rien et on dit souvent que l’argent ne fait pas le bonheur, mais ça doit valoir le coup quand même. En ce qui concerne Jimmy, tout s’explique, puisque il est patron d’une grosse boîte de télécommunications, ou plutôt co-directeur de l’entreprise qui appartient à son père. « Ah oui, ça doit être quelque chose. Beaucoup de boulot et de responsabilités, j’imagine ? » Lui-même n’aurait sans doute pas tenu très longtemps à ce poste, probablement pas assez mature pour gérer autant de choses. En tout cas, Jimmy lui apprend que l’entreprise est basée à Wellington mais qu’il habite plutôt dans la banlieue, toujours en bord de mer. Puis il demande à Teddy si lui aussi est du coin. « Born and raised. J’ai pas mal roulé ma bosse et mes parents sont étrangers, mais c’est ici chez moi oui. Island Bay pour être exact, pas très loin. » La conversation coule toute seule, somme toute assez banale pour deux inconnus venant de se rencontrer mais pas moins intéressante. « Je suis moniteur de surf ! Bien plus que la boxe, c’est mon dada… Alors je suis content de pouvoir en vivre. Je bosse pour un centre nautique à Island Bay, sur une grande plage de sable blanc. Si à l’occasion ça te tente d’essayer, n’hésite pas à faire un tour. En ce moment la saison bat son plein, mais sinon c’est ouvert toute l’année. » C’est seulement que le surf et les sports nautiques en général peuvent paraître bien moins attrayants en hiver, mais les néo-zélandais ont la réputation d’être résistants et beaucoup s’y risquent quand même, alors pourquoi pas ?