Wasted love [Feat. Anna Wilson]

Les jours passaient et le fameux jour des amoureux se rapprochait à grand pas. On pouvait déjà apercevoir certains articles dans les magasins pour le jour de la saint Valentin. Sasha n'avait rien contre cette fête, mais pour lui, ce n'est pas uniquement à cette occasion qu'il faut faire plaisir à sa moitié, tout comme il n'y a pas qu'à Noël qu'on peut offrir des cadeaux à ses proches. Il faut avouer que cette fête est plutôt commerciale de nos jours, même si certains en profitent pour la célébrer avec leur compagnon respectif, à une époque, l'italien aussi faisait parti de ces personnes qui profitaient de l'occasion pour s'offrir un petit plaisir à deux, mais ce temps est désormais bien lointain.

C'était la pause déjeuner du quadragénaire, il n'avait pas eu le temps de se préparer une gamelle et avait donc opté pour aller se chercher quelque chose à grignoter, juste histoire de ne pas avoir le ventre vide le restant de l'après-midi. Une boulangerie était située à quelques mètres de sa concession, il y avait déjà été à quelques reprises et n'avait jamais été déçu, c'est donc là-bas qu'il irait se restaurer ! Une fois sur place, il commanda un sandwich au poulet ainsi qu'une petite salade en accompagnement, Sasha n’avait pas en tête de prendre un dessert, pourtant, lorsqu'il vit le tiramisu en vitrine, c'était de doux souvenirs qu'il lui revenait en mémoire. Sasha et Anna avaient quelques habitudes lorsqu'ils étaient encore ensemble, ils allaient chercher un tiramisu dans un des meilleurs restaurants italiens de la ville pour le déguster ensuite, assis sur un banc en amoureux. C'était leur petit rituel de la Saint Valentin. Bien que tout cela soit terminé depuis longtemps, il décida quand même de l'ajouter à son repas puis quitta l'établissement pour s'installer sur un banc trônant sur la place.

Bien qu'il n'est rien contre le fait de partager un repas avec ses collègues, il aimait aussi déjeuner seul, ça lui permettait de laisser son esprit s'évader sans avoir besoin de se justifier. Perdu dans ses pensées, il croqua dans son sandwich à plusieurs reprises tout en piochant quelques cuillères dans sa salade de temps à autre, son téléphone a proximité pour consulter les dernières informations. L'italien était dans sa bulle, loin d'imaginer ce que la fin de journée lui réserva.

Depuis qu’elle était de retour en Nouvelle Zélande, Anna n’avait pas vraiment vu le temps passé. Elle s’était jetée corps et âme dans le travail, évitant de penser qu’à quelques centaines de mètres, maximum quelques kilomètres, d’elle se trouvait Sasha. Celui pour qui elle venait de tout quitter, mais celui qu’elle n’osait pas aller voir. Elle avait bien essayé, une fois, mais sa secrétaire avait répondu qu’il était en rendez-vous extérieur. Depuis, plus rien. Elle s’était dégonflé. Elle avait trop peur de sa réaction, ce qui était légitime, mais elle mourrait en même temps d’envie de le revoir. Il lui manquait tous les jours, et l’alliance pendue à sa chaîne dont elle ne se séparait jamais était une preuve flagrante.
Ce matin-là, elle n’avait pas fait attention à la date inscrite sur le calendrier aimanté sur son frigo. Elle avait pris un petit déjeuner à la vitesse lumière, s’était habillée aussi vite et avait filé en voiture jusqu’à l’hôpital où ses patients l’attendaient. C’était en pénétrant dans le hall – décoré pour l’occasion avec de multiples ballons rouges en forme de cœur et des roses dispersées çà et là – que l’infirmière se rendit compte que nous étions le 14 février, jour des amoureux par excellence. Anna déglutit péniblement et fonça vers l’ascenseur en tentant de ne pas regarder cette décoration qui lui rappelait au combien elle avait gâché sa plus belle histoire d’amour. Décidemment, cette journée s’annonçait donc encore pire que ce qu’elle avait imaginé, déjà qu’elle devait se coltiner une opération compliquée dès le matin… L’ambiance romantique et les patients mielleux à souhaits avec leur compagnon ou compagne venu leur rendre visite tapait sur les nerfs de la blonde, qui espérait au moins pouvoir cesser de penser à Sasha au travail, mais non ! L’opération de Monsieur Harmel lui permettrait au moins de sortir de tout ça pendant quelques heures…
Une fois sortie du bloc, Anna décida de s’octroyer une pause bien méritée. L’après-midi serait longue, aussi choisit-elle de sortir afin de prendre l’air. Elle s’était préparé une salade, mais elle s’arrête devant un petit restaurant italien dans lequel elle entra pour demander s’il faisait à emporter. Là, elle commanda un tiramisu, comme elle le faisait toujours avec Sasha. C’était leur tradition de la Saint Valentin, prendre un dessert ensemble dehors, et toujours un tiramisu, il n’était pas italien pour rien ! Même après le divorce, Anna avait continué à manger ce dessert le 14 février. C’était peut-être bête, mais cela lui réchauffait le cœur et lui permettait de se remémorer d’excellents souvenirs. Elle marcha donc en dégustant sa salade jusqu’à un petit parc pas très loin, profitant de l’air doux et de la verdure. Dans ses pensées, elle ne suivi pas de chemins particuliers, se laissant guider par ses pieds. Elle rangea sa petite boite en verre et sorti celle, en carton, du restaurant italien et entama son voyage nostalgique et sucré dans ses souvenirs. Elle en était à la moitié de son dessert lorsque, en relevant la tête, elle aperçut on ex-mari assit sur un banc, juste en face d’elle… « Sasha » ne put-elle s’empêcher de dire en le voyant, se stoppant net au milieu du chemin.

Depuis qu'Ashley avait annoncé à Sasha qu'une femme était venu à la concession tandis qu'il était était rendez-vous clientèle, il n'y a plus qu'une seule chose qui tournait dans son esprit : était-ce vraiment Anna qui était venu demander après lui ? Et si c'était bien elle, dans quel but était-elle venue ? L'italien a beaucoup souffert de cette rupture, le fait de se retrouver seul du jour au lendemain, le plus dur ça a été de signer les papiers du divorce, mais si ça permettait à Anna de retrouver un semblant de bonheur, alors il était prêt à se sacrifier pour elle. Est-ce que lui avait été heureux depuis son divorce ? Il se peut qu'une fois il se soit imaginé refaire sa vie, mais il avait été traduit par cette demoiselle qui n'était au final qu'une escort et qui lui demandait toujours plus d'argent sans que cela éveille les soupçons de l'italien, jusqu'à ce fameux jour où il avait enfin ouvert les yeux. Depuis, il n'avait fait que passer du bon temps quelques soirées par-ci ou par-là, mais il s'était promis de ne plus s'engager.

Sa pause déjeuner, le patron de la concession s'octroya un petit break et ne pensa à rien, à l'intérieur de sa bulle il se sentait comme protégé de tout ce que le monde extérieur pourra lui avoir réservé, juste le temps de se restaurer. Son téléphone vibra dans sa poche intérieur, il posa alors son sandwich, s'essuya les mains ainsi que sa bouche avant de décrocher. Une connaissance en Italie. La conversation ne dura que quelques minutes durant lesquelles, le vétéran pu parler dans sa langue natale. Déjà un an qu'il était revenu à Island Bay et avait de nouveau quitté sa terre natale, chaque jour les paysages ou même les conversations animées des citoyens avec leur accent chantant lui manquaient. Ce n'est qu'en raccrochant et en croquant une nouvelle bouchée dans son sandwich qu'il entendit comme prénom. Sasha releva la tête dans la direction d'où semblait provenir ce souffle. Devant lui se tenait Anna. Était-ce un rêve ou un cauchemar ? Deux scénarios se dessinaient dans son esprit. Fuir, comme il l'avait fait pour la laisser s'épanouir après leur divorce, ou l'affronter et avoir enfin des réponses à toutes ces questions qui tournaient jour et nuit dans son esprit et qui l'empêchaient de dormir.

" - Anna.. Qu'est-ce que tu fais ici ?"

Sa question avait été posé sur un ton assez dur, sûrement plus dur qu'il ne l'aurait voulu. C'était donc vrai, Ashley lui avait bien décrit la femme qui était passé à la concession. Certes il éprouvait toujours autant d'amour pour cette femme qui avait été la sienne, mais en même temps, il y avait de la colère. De la colère de ne pas lui avoir laissé l'occasion de se rattraper, de la colère pour la trahison qu'elle lui avait fait avec celui qui était à l'époque son meilleur ami. Face à elle, tous les scénarios qu'il s'était imaginé tombaient à l'eau, il était de nouveau subjugué par cette beauté, retombant amoureux d'elle à la seconde où sa voix lui était parvenu, mais il devait se ressaisir, tout cela était du passé. Un magnifique souvenir du passé. Un douloureux souvenir du passé.

Anna était loin d’être une femme forte, à ses yeux en tout cas. Elle avait été – et était d’ailleurs toujours – folle amoureuse de Sasha, son ex-mari, mais elle l’avait trompé. Certes, c’était une erreur qu’elle avait tout de suite regretté, faite après une soirée d’ivresse et nourrie de sa peur irrationnelle de l’abandon, mais elle s’en voulait toujours affreusement. Elle avait ruiné son mariage, perdu l’amour de sa vie  et était tombée dans une spirale infernale faite de travail et de boisson alcoolisée. Il ne lui était resté plus que ça, après son divorce. Après quelques années – et beaucoup de séances chez une psychothérapeute – elle avait repris pied, avait cessé de boire et avait décidé d’aller de l’avant. Elle avait alors quitté l’Italie et avait posé ses valises là où un détective lui avait indiqué que son ex-mari se trouvait : Island Bay, la ville dans laquelle elle avait passé les dix premières années de sa vie… Le monde était décidemment minuscule. Depuis, la blondinette n’avait pas encore réussi à approcher l’italien. Elle avait bien cru en avoir le courage une fois : elle s’était présenté au garage de Sasha, mais il n’était là. Depuis, elle n’avait plus fait aucune tentative, redoutant la réaction de l’homme qu’elle portait encore dans son cœur.
Sauf que voilà, le destin se mêlait toujours de la vie des uns et des autres et en ce jour si particulier de la Saint Valentin, c’était Anna et Sasha qu’il avait dans le collimateur. L’infirmière avait simplement décidé d’aller manger son tiramisu du 14 février – rituel que les mariés Lazzio avait mis en place durant leur vie de couple – au parc pas loin de l’hôpital afin de souffler un peu. Elle avait entendu une voix et un accent familiers, puis avait relevé le visage pour découvrir que Sasha se tenait là, assis sur un banc, face à elle. Instinctivement, elle l’avait appelé. Ses cordes vocales et ses lèvres s’étaient actionnées toutes seules, sans qu’elle ne leur en intime l’ordre. Il releva les yeux sur elle et Anna se sentit comme un lapin prit au piège dans les feux d’une voiture roulant à vive allure. Elle ne sut où se mettre, ne sut quoi ressentir ou quoi dire. Lui non plus ne semblait pas certain de savoir comment réagir, on aurait dit qu’il oscillait entre le désespoir de la recroiser et le plaisir de la voir de nouveau. Il prononça son prénom – et ces quelques syllabes réchauffèrent instantanément son cœur – avant de lui demander ce qu’elle faisait ici d’une voix presque glaciale, ce qui la fit tout de suite redescendre. Elle glissa un regard sur ce qu’elle tenait entre ses mains, la fameuse part de gâteau, puis revint sur Sasha. « Je… Je venais manger mon dessert… » dit-elle à voix basse en lui montrant le tiramisu. « On est le 14… » se sentit-elle obligée d’ajouter, lui montrant par là qu’elle n’avait jamais cessé d’honorer cette tradition.
La mâchoire de Sasha ne se desserrait pas et Anna semblait déceler une dureté dans son regard qu’elle n’y avait jamais trouvé avant. Il n’était pas heureux de la voir, et comment le pourrait-il ? Elle ne lui en voulait pas, elle savait bien que, si retrouvailles il y avait, elles seraient difficiles. La culpabilité refaisait d’autant plus surface lorsqu’elle voyait se poser sur elle le regard de celui qu’elle aimait et qui, jadis, la dévorait des yeux avec amour. Ce n’était plus le cas, il semblait triste et colère. « Désolée, je ne voulais pas t’interrompre… » murmura-t-elle en faisant un pas en arrière et en baissant légèrement le regard. « Je t’ai vu et je… Je ne sais pas… Je t’ai appelé sans même y réfléchir, j’avais juste tellement envie de… » tenta-t-elle d’elle d’expliquer en bafouillant, laissant la fin de sa phrase en suspens. "Désolée, je ne voulais pas t'embêter" affirma-t-elle avant de faire un mouvement pour se retourner.

Combien de fois Sasha avait rêvé de ces retrouvailles ? Des tonnes de scénarios se déroulaient dans son esprit mais ils avaient tous la même issue. L'italien aimait son ex-femme, il n'avait jamais cessé de la chérir. A leur divorce il s'était senti incroyablement seul, malgré tous les efforts qu'il avait déployé pour la récupérer, tout avait été vain. Pourtant pas du genre à baisser les bras, il avait choisi d'abdiquer et de la laisser prendre le chemin qu'elle souhaitait sans se mettre en travers de celui-ci. Il ne l'avait pas fait de guetté de coeur, mais son objectif premier c'était qu'elle soit heureuse, et si pour cela, il fallait qu'il quitte sa vie, il le ferait même si ça l'avait détruit.

Depuis, il avait eu des relations éphémères, mais rien qu'il pouvait comparer avec son histoire avec Anna. Aucune femme ne pourrait rivaliser avec elle, et c'est sans doute pour ça qu'il n'avait jamais tenté de vivre une histoire sur le long terme, parce qu'il usait toujours de comparaison entre sa nouvelle conquête et son ex-femme. En se retrouvant seul, Sasha avait eu ce besoin irrémédiable de sentir l'attention sur lui, d'où son inscription sur des sites de rencontre. Est-ce qu'il avait des attentes particulières ? Aucune.

Cette journée des amoureux le rendait si heureux fut un temps, aujourd'hui, c'était devenu une journée comme une autre, mais la vue de tout ces couples et leur bonheur piquait son coeur au vif. Fut un temps où c'était lui. Cet éclat dans les yeux, ce sourire niais. Le bonheur de partager sa vie avec son âme-soeur.

L'écho de son prénom avait eu l'effet d'un électrochoc. Anna. Devant lui. Était-il en train de rêver ? Pouvait-on le pincer pour lui montrer qu'il était en plein rêve ? Tout cela semblait si irréel. Elle n'avait pas changé durant toutes ces années, pas une ride, alors qu'il avait l'impression d'avoir pris quinze ans. Le fait qu'elle se tienne devant lui avec un tiramisu aurait suffit dans le temps à faire battre son cœur à la chamade, aujourd'hui, son cœur était trop abîmé pour ça, mais il se mettait quand même à battre plus rapidement, contrairement à sa voix qui s'était fait plus froide qu'il ne l'aurait voulu. Il avait tellement souffert qu'il ne pouvait pas simplement lui tendre la main comme si de rien n'était, même si ça lui avait effleuré l'esprit. En la voyant partir, il avait l'impression qu'on lui arrachait le cœur une seconde fois.

" - Attends !!"

Laissant son repas sur le banc, il se leva d'un bond pour rattraper la blonde. Sa main entra en contact avec le bras de son ex-femme avec une délicatesse qui contrastait avec le timbre de sa voix et la dureté de sa mâchoire.

" - Tu avais envie de quoi ?" demanda-t-il dans un souffle.

Elle en avait trop dit ou pas assez, elle ne pouvait pas le laisser ainsi encore une fois. Se rendant compte de son geste, il relâcha la pression sur son bras pour enfouir ses mains dans ses poches.

Tu ne m'embêtes pas du tout, si tu savais le nombre de fois où j'ai rêvé de cet instant. Ce moment où tu serai devant moi, où tu planterai tes magnifiques yeux dans les miens. Te serrer dans mes bras, sentir ta peau contre la mienne, pouvoir humer ton parfum que j'aime tant. J'ai espéré pouvoir montrer à tout le monde que ma femme était là huitième merveille du monde. Mais tout ça, tu ne le saura probablement jamais, parce que je n'ai tout simplement plus le courage de t'avouer tout ce que j'ai sur le cœur, tu es parti avec quand tu as signé les papiers du divorce, mais ça ne m'empêche pas de t'aimer un peu plus chaque jour qui passe.

Bien que la jeune femme ait déjà rêvé un nombre incalculable de fois ces retrouvailles avec son ex-mari, jamais elle ne s’était autorisée à les imaginer et à y penser une fois réveillée. Elle n’avait pas le droit de songer à ça, pas le droit d’espérer un jour recroiser l’homme dont elle avait brisé le cœur. C’était elle qui avait ruiné leur mariage, elle qui l’avait trahi, elle qui l’avait trompé, et enfin elle qui avait laissé leur union s’étioler plutôt que de tout faire pour réparer les choses. Non, elle n’avait aucun droit d’espérer le revoir, d’espérer le reconquérir, d’espérer être de nouveau heureuse avec lui. Elle avait fait bien trop de mal à Sasha et la culpabilité qu’elle ressentait l’avait poussé dans l’alcoolisme et l’autodestruction dont elle portait encore les stigmates sur quelques parties du corps. Alors oui, se retrouver face à lui aujourd’hui était inespéré et, même si elle était parvenue à combattre ses démons intérieurs, elle ressentait encore une pointe de culpabilité face à son ex-mari.  
Elle l’avait appelé par réflexe, mais aussi par envie. Depuis le temps qu’elle cherchait à trouver en elle le courage d’aller le voir, il était juste là, face à elle, alors qu’elle se promenait. Anna n’était pas vraiment du genre à croire au destin, mais face à une telle situation elle commençait sérieusement à se poser la question… Il avait été froid, mais comment lui en tenir rigueur ? Dans une situation inversée, elle l’aurait probablement été encore plus… Loin de vouloir le déranger ou remuer de mauvais souvenirs, elle s’excusa et fit un mouvement de recul, pour s’éloigner et le laisser en paix. Peut-être devait-elle retourner en Italie ? Venir à Island Bay le retrouver n’était certainement pas une bonne idée fut le ton qu’il avait employé… Pourtant, Sasha se leva d’un bond et attrapa le bras de la blonde, lui demanda d’attendre. Ce simple contact provoqua un frisson chez Anna, qui partit du dos et remonta jusqu’à la nuque. Elle se retourna vers l’italien et planta son regard dans le sien. Dans un souffle, il lui demanda de quoi elle avait envie puis, semblant se reprendre, lâcha son bras. Presque déçue que ce contact ne se prolonge pas, Anna tenta de n’en faire rien paraître. Sasha était face à elle, presque suspendu à ses lèvres, attendant qu’elle réponde. De quoi avait-elle envie lorsqu’elle l’avait appelé… De tout, en fait. De revoir son regard se poser sur elle, d’entendre de nouveau sa voix, de sentir son souffle contre sa peau, de sentir ses mains sur elle, de… La blondinette se mordit légèrement la lèvre inférieure et détourna quelque peu le regard. Comment pouvait-elle être aussi égoïste ? Elle releva le regard vers lui et ses joues se colorèrent de rose. « J’avais… » commença-t-elle en cherchant le courage d’assumer ce qu’elle ressentait toujours pour lui. Elle continua, plus bas, « J’avais juste envie d’entendre ta voix Sasha… De revoir ton regard aussi… De tellement de choses en fait ». Elle remit une mèche blonde derrière son oreille et détourna le regard. « Mais je ne voulais surtout pas d’importuner. Me revoir doit être la dernière chose que tu souhaites. Excuse-moi » murmura-t-elle. Après tout, l'avoir revu une fois été déjà bien, bien mieux que tout ce qu'elle avait espéré. Elle lui avait parlé, elle l'avait vu, elle avait entendu sa voix... Maintenant, elle devait partir, ne plus perturber sa vie. Elle n'avait pas le droit de lui infliger ça, lui qui souhaitait surement plut que tout l'oublier...

Le cœur et la tête de Sasha avaient des réactions diamétralement opposés. Son coeur voulait l'avoir de nouveau dans sa vie, se réveiller à ses côtés le matin, tandis que sa tête refusait de souffrir de nouveau après le fiasco de leur mariage. Est-ce qu'il lui en voulait toujours ? Non. Mais il est vrai que la revoir ainsi, ravivait cette trahison qui l'avait fait descendre aux enfers. Est-ce qu'il était heureux qu'elle soit en face de lui à cet instant précis en la voyant honorer leur rituel de la Saint Valentin ? Bien sûr, ce n'était pas flagrant, mais malgré qu'il ne soit pas rancunier, il avait du mal à se projeter. Son esprit était confus et il ne savait comment agir. Anna avait toujours eu ce pouvoir de le rendre si fragile, si amoureux, elle seule avait eu cet impact sur lui.

" - Je te mentirai si je te disais que te revoir ne me perturbe pas c'est vrai. Mais.. Je suis content que tu sois là."

Ses lèvres prononçaient des mots que son cerveau refusait d'admettre, mais la vérité était là, face à lui. Il était heureux de constater qu'elle n'avait pas changé, le temps n'avait eu aucun impact sur elle depuis leur divorce. Il risqua un coup d'œil qui s'attarda plus que nécessaire sur le corps de celle qui avait été sa femme. Une question le taraudait quand même.

" - Tu vis ici maintenant ?"

Lui demander comment elle l'avait retrouvé aurait été trop présomptueux, elle vivait peut-être ici depuis des années ou des mois, il n'en savait rien. Ils ne s'étaient peut-être jamais croisés, puisque ne fréquentant pas les mêmes lieux aux mêmes horaires. Il avait suffit d'une fois, une seule fois pour que le destin les mettent l'un face à l'autre, en ce jour si particulier de la Saint Valentin. Égoïstement, ses yeux se portèrent sur ses mains, aucune trace de bague, si elle était dans une relation avec quelqu'un, elle n'avait pas encore franchi l'ultime étape. Intérieurement, ça le rassurait, même si lui n'avait pas réussi cette étape de se débarrasser de sa bague, il la portait toujours.

" - Maintenant que tu es là, assieds-toi, ça sera toujours plus pratique pour déguster ton dessert.."

Il se décala afin de lui faire de la place sur le banc où il était assit auparavant. Puisqu'ils étaient là tous les deux, autant profiter de l'instant non ? Un coup d'œil à sa montre lui indiqua que sa pause déjeuner touchait bientôt à sa fin, il ne pouvait pas être en retard à un rendez-vous clientèle. Même si pour être honnête, il n'avait aucune envie de laisser Anna ici. Il avait l'impression que s'il parlait tout ça allait disparaître, et Anna avec. Même si tout cela lui faisait mal, il n'avait pas envie de la perdre encore une fois.

Si le destin avait de l’humour, c’était peut-être là sa farce la plus réussie. Mettre sur le chemin d’Anna, le jour même de la Saint Valentin, et alors qu’elle dégustait leur tiramisu traditionnel, son ex-mari toujours follement aimé Sasha… Le destin se jouait clairement de la jeune femme. Elle n’avait pas trouvé le courage d’aller le voir par elle-même ? Eh bien tant pis, elle le verrait tout de même qu’elle le veuille ou non ! Alors voilà, elle se tenait là, un tiramusi dans les mains, le cœur battant, devant son ancien amant, meilleur ami, mari, confident… Bref, son ancien tout. Elle aurait voulu que ça se passe différemment. Déjà, parce qu’elle sortait d’une garde très longue, qu’elle devait avoir une mine affreuse, les cheveux pas coiffés, les vêtements froissés d’être restés si longtemps dans son casier… Non, définitivement, ce n’était pas de cette façon qu’elle voulait que Sasha la revoit. Mais ils étaient là, l’un face à l’autre, et elle ne pouvait penser à rien d’autre qu’à ses yeux qu’elle retrouvait enfin.
Son ex-mari confia être perturbé de la revoir, ce qui était logique, mais affirma aussi être content qu’elle soit là. Ça, elle ne s’y attendait pas. Ses joues durent rosir, car elle senti une douce chaleur sur sa peau, et un sourire presque timide étira ses lèvres. Sasha lui demanda ensuite si elle vivait ici, maintenant, et le sourire de la jeune femme s’estompa quelque peu. Devait-elle lui dire qu’elle l’avait cherché, enfin qu’elle avait payé quelqu’un pour le faire ? Il la prendrait pour une folle… Peut-être qu’elle l’était, finalement ? Elle se cachait souvent derrière le fait qu’elle serait de toute façon revenue à Island Bay, puisque toute sa famille était ici. Mais c’était pour lui qu’elle était revenue, pour essayer de… De quoi, d’ailleurs ? De recoller les morceaux ? De se faire pardonner ? De se pardonner elle-même ? Elle ne savait pas vraiment… « Euh… Oui ! Tu sais, mes parents viennent d’ici, au départ. J’ai pas mal de famille à Island Bay. Et puis… Je suis revenue pour quelque chose… » dit-elle pour finir, baissant le ton pour cette dernière information. Légèrement mal à l’aise, Anna porta la main à sa chaîne, celle autour de laquelle pendait son alliance, jusqu’alors dissimulée derrière son tee-shirt et maintenant sortie. Elle joua quelques secondes avec, la faisant tourner autour de la chaîne avec ses doigts, ne se rendant même pas vraiment compte. Elle faisait souvent ça quand elle stressait… « Et toi ? Tu es venue t’installer ici il y a longtemps ? » demanda-t-elle pour remettre l’attention sur lui.
Elle s’attendait à ce qu’ils se quittent là, qu’ils reprennent chacun leur chemin dans ce parc : elle retournerait à son dessert, lui partirait probablement travaille. Ou alors il trouverait simplement une excuse pour s’en aller, pour fuir cette situation étrange et perturbante… Oui, Anna se voyait déjà le regarder partir, déçue de ne pas avoir pu profiter de ce moment imprévu et suspendu dans le temps, quand Sasha lui proposa finalement de s’asseoir pour déguster son tiramisu. Surprise, elle leva les yeux vers lui et, instantanément, lui sourit. D’un sourire rayonnant, le genre de ceux qu’elle lui faisait lorsqu’ils étaient heureux, mariés et amoureux… « Si ça te ne dérange pas alors… Merci » dit-elle en s’asseyant doucement. Elle rouvrit son petit contenant en plastique et pris une bouchée du dessert rempli de caféine. Elle se tourna ensuite vers Sasha et, lui tentant une petite cuillère bien remplie, lui proposa « Tu en veux un peu ? Il est loin d’être aussi bon que le tien, mais il n’est pas mauvais ». Le tiramisu de Sasha… Elle avait essayé de le reproduire un nombre incalculable de fois, parce que c’était un bout de nostalgie de son ancienne vie, mais n’y été jamais parvenue. « Tu le fais toujours, ton incroyable tiramisu ? Je n'en ai jamais plus mangé d'aussi bon. ».

Sasha était perturbé par la présence d'Anna ici. Il était partagé entre le fait d'être heureux de la revoir, le fait d'être intrigué par sa présence en ville mais également, triste parce que ça lui rappelait que malgré les sentiments qu'il avait pour elle, elle n'était plus sa femme. Pendant toute la durée de leur mariage, le quadragénaire n'avait jamais caché quoique ce soit à son épouse, sauf pour lui faire la surprise d'un cadeau pour certaines occasions, alors il n'allait pas commencer aujourd'hui en lui cachant le fait qu'il était heureux de la voir. En soi, elle semblait en bonne santé et épanouie, peut-être plus que lorsqu'elle partageait encore sa vie. Même si Sasha souffrait de ce divorce, si Anna avait retrouvé l'amour et qu'elle était heureuse ainsi, alors il l'était également pour elle.

Quand Anna répondit à sa question et en l'informant que sa famille était d'ici, il n'avait aucun souvenir qu'elle lui en ai parlé quand ils vivaient ensemble. Ou alors, c'était encore une de ses pertes de de mémoire qui avait sévit, voilà pourquoi désormais il a prit cette habitude de tout noter dans son carnet pour tâcher de se souvenir d'un maximum de chose. La fin de sa réponse le fit grimacer. Elle était ici pour quelque chose, ou plutôt quelqu'un. Elle sortit alors une bague accrochée à une chaîne qu'elle portait autour du cou, sur l'instant il ne reconnut pas que c'était celle qui lui avait offerte, bien trop chamboulé de se dire que ses soupçons étaient réels. Devait-il évoquer le sujet ou bien se taire ?

" - J'espère que tu trouveras ce que tu aies venu chercher en tout cas."

Un soupçon de jalousie dans sa voix. Anna avait le droit d'être heureuse avec un autre homme, ils n'étaient plus ensemble malgré cela, ça restait la femme avec qui il avait partagé une partie de sa vie. Il détourna alors son regard de la jeune femme.

" - Disons que je suis venu une première fois puis je suis reparti pour revenir il y a environ deux ans maintenant. Mais officiellement, je suis arrivé en ville en 2008 pour la première fois, j'avais besoin d'un nouveau départ..."

Elle comprendra ce qu'elle voudra mais elle n'était sans savoir que c'est également l'année de leur divorce. Il était parti après s'être battu pour la reconquérir durant des mois, en vain. Sasha se décala sur le banc où il était installé pour faire une place à son ex-femme. Il fut surpris quand elle tendit la cuillère remplie dans sa direction. Presque comme si rien n'avait changé entre eux, comme s'ils étaient toujours en couple, toujours unis aux yeux de la loi. C'était très déstabilisant comme situation. Sasha ne sut comment réagir durant quelques instants.

" - Je.. Euh.. Oui je veux bien goûter."

C'était assez rare que Sasha soit déstabilisé à ce point-là mais Anna avait toujours eu ce pouvoir sur lui. Et malgré leur divorce, ça n'avait pas changé, d'autant plus quand elle agissait de la sorte avec lui. Il avait l'impression d'être retourné des années en arrière quand tout allait bien, quand ils étaient heureux en ménage.

" - Je t'avouerai que je n'ai pas pris le temps d'en refaire depuis ton départ."

Sasha aimait cuisiner mais surtout pour les autres. Il aimait faire plaisir, il avait adoré gâter son ex-épouse en préparant des bons petits plats ou desserts et il était ravi qu'elle s'en souvienne et qu'elle l'ai autant apprécié. La vérité c'est surtout que personne n'était entré dans sa vie pour qu'il puisse cuisiner de nouveau son dessert favori.

Anna était loin de s’attendre à croiser son ex-mari comme ça, au hasard d’une promenade. Elle qui s’était déjà dégonflé une fois n’avait aujourd’hui pas d’autres possibilités que de lui faire face, de lui parler. Evidemment, elle en mourrait d’envie, depuis des années même, mais la culpabilité et la peur du rejet étaient bien présents au fond d’elle. Plusieurs émotions se mélangeaient devant cet homme qu’elle avant tant aimé, et surtout qu’elle aimait encore : la joie, l’espoir, l’envie, le doute, la peur… Tant de choses qu’elle avait du mal à maîtriser, surtout depuis qu’elle était sobre.
Alors qu’elle jouait avec son alliance, qu’elle n’avait jamais cessé d’avoir sur elle depuis le divorce, la voix de Sasha se fit différente. Pour avoir passé de nombreuses années à ses côtés, elle savait que quelque chose clochait. Elle cru y déceler une pointe de jalousie, mais sa raison la poussa à se dire que jamais il ne serait jaloux à l’égard de son ex-femme, qu’il n’aimait d’ailleurs probablement plus… Elle lui sourit, presque timidement, et lui répondit un peu plus bas « J’ai mis du temps, et c’était loin d’être gagné, mais le destin a décidé que je le trouverais oui… ». Elle ajouta, détournant légèrement le regard vers le paysage qui les entourait. « Au hasard d’une promenade dans un parc… ».
Il lui expliqua ensuite qu’il était venu d’abord une première fois avant de finalement s’installer à Island Bay il y a deux ans de cela. Il précisa également que c’était en 2008 qu’il avait senti le besoin d’un nouveau départ. L’évocation de leur année de divorce lui serra le cœur, et la blonde ne put empêcher ses lèvres de se tordre en une petite moue triste. « Je… Je comprends parfaitement… » dit-elle en se mordant légèrement la lèvre, empêchant les mots de sortir. Elle avait envie de lui dire qu’elle était désolée, qu’elle regrettait tout mais surtout de l’avoir laissé partir. Mais ce n’était pas le moment, enfin c’est ce qu’elle s’imaginait. Peut-être, finalement, qu’elle s’interdisait encore de lui dire ce qu’elle avait sur le cœur, alors qu’elle avait fait tout ce chemin pour ça, qu’elle avait changé de vie dans ce but… Ses démons étaient finalement loin d’être totalement derrière elle.
Une fois tous les deux installés sur ce banc, l’infirmière proposa à son ancien patient un bout de son dessert, ce qui sembla déstabiliser Sasha. Il répondit néanmoins par la positive et Anna approcha alors la cuillère de sa bouche. Elle avait fait ça des centaines de fois : chez eux en Italie pour lui faire goûter cette nouvelle sauce qu’elle venait de tester ; dans les restaurants pour lui faire essayer ce délicieux plat qu’elle avait commandé et pas lui ; à l’hôpital, quand elle devait le nourrir parce qu’il n’avait pas assez de force pour le faire seul… Des images remontèrent alors dans son esprit, des souvenirs qu’elle chérissait et qui lui faisait ressentir une grande nostalgie. La jeune femme aussi fut déstabilisée pendant quelques instants, le rouge lui montant aux joues. Elle reprit ensuite sa fourchette, maintenant vide, et se servit un morceau à son tour. Elle grimaça quelque peu en entendant Sasha avouer qu’il n’avait pas pris le temps de refaire du tiramisu depuis son départ. « Attends, tu vas me dire que tu n’as pas remangé de ce délicieux tiramisu depuis tout ce temps ? Sasha, tu ne peux pas t’infliger ça ! Il faut que tu en refasses » déclara-t-elle en secouant la tête. A vrai dire, elle aurait tout donné pour qu’il en cuisine de nouveau un, comme avant…

Sasha ne savait pas véritablement comment réagir face à son ex-femme, entre la colère, la peur et l'amour qu'il lui restait encore à son égard faisaient qu'il n'y avait pas de bonne ou de mauvaise façon de l'accueillir. L'italien écouta la jeune femme avec attention, apparemment ce qu'elle était initialement venu chercher, elle l'avait trouvé dans ce parc. Était-ce une personne ? Un animal ? Dans d'autres circonstances, ses propos auraient été clairs dans son esprit, mais aujourd'hui c'était un vrai capharnaüm dans sa tête et les sous-entendus ou le fait de lire entre les lignes lui était impossible.

A les voir ainsi, les passants du parc auraient pu penser qu'il s'agissait d'un couple lambda qui partageait leur pause déjeuner ensemble, pourtant c'était loin d'être le cas. Anna lui proposa alors de goûter à son dessert, ce qui perturba grandement l'ancien combattant. Même s'il avait eu quelques relations sans lendemain depuis son divorce pour combler sa solitude certains soirs, Sasha avait perdu les codes actuels du monde de la drague ou de la séduction. Bien que chamboulé par tout cela, Sasha savoura la bouchée que venait de lui donner Anna. Il ignorait si c'était parce que ça venait d'Anna ou si ça venait de la qualité du dessert mais il trouvait ça délicieux. Vraiment. Il ne manqua pas de remarquer au passage, les joues de son ex-épouse se teinter de rose, il avait toujours aimé la voir ainsi, surtout quand il savait qu'il en était la cause. Aujourd'hui, il n'était pas certain que ce soit encore le cas.

Après avoir savouré le tiramisu, Sasha croqua dans son sandwich et engloutit la dernière bouchée avant d'épousseter son pantalon de costume encombré de quelques miettes qu'il avait laissé tomber avant de reposer son regard sur la femme qui se tenait à ses côtés. Les propos qu'elle tenait le fit sourire, tout autant que ça le peinait au fond de lui. S'il n'en avait pas cuisiné de nouveau depuis son départ du domicile conjugal, c'est simplement parce qu'il n'avait personne avec qui le partager. Alors bien sûr, il aurait pu en cuisiner pour lui-même, mais l'envie n'y était pas, les souvenirs associés à ce dessert étaient bien trop douloureux. Les cicatrices étaient refermées depuis le temps, mais elles n'étaient pas encore cicatrisées, et dans le cadre actuel, elles étaient presque en train de se rouvrir, tout autant qu'elles étaient en train de cicatriser avec la présence de la belle brune.

" - Et non, je ne me suis jamais remis au fourneau pour cuisiner ce tiramisu, mais je suis content de savoir que tu peux t'appuyer sur celui-ci en guise de compensation, il est de très bonne qualité !" fit-il à l'attention d'Anna.

Il sortit la salade de fruits du sac dans lequel se trouvait auparavant son sandwich, ainsi qu'une petite cuillère pour attaquer son contenu. L'italien s'était retenu pour lui dire que le tiramisu qu'elle dégustait n'était certainement pas aussi bon que le sien, parce qu'il n'y avait pas autant d'amour que celui qu'il lui préparait à l'époque où ils vivaient ensemble sous le même toit, mais il préférait s'abstenir, pour éviter que ses propos ne passent pour de la fausse modestie.

" - Je sais bien que ce n'est qu'une salade de fruits banale, et après ton tiramisu je ne suis pas certain que tu veuilles de quelque chose de fade, mais est-ce que tu veux goûter ?" demanda-t-il en plongeant son regard dans le sien, replongeant presque lorsqu'il était heureux à ses côtés.

Son ex-mari était intelligent, drôle, têtu, téméraire et beaucoup d’autres adjectifs positifs qu’Anna n’avait jamais cessé de penser à son égard. Pourtant, ce jour-là, dans ce parc, il sembla ne pas saisir ce que les paroles de la jeune femme sous entendait. De son côté, elle n’était pas certaine d’avoir assez de courage pour lui révéler qu’elle parlait de lui. C’était peut-être encore trop tôt, et surement se disait-elle encore ne pas avoir le droit de lui dire ça. Quoi qu’il en soit, il ne releva pas, et elle non plus. Une occasion ratée, penserez-vous, mais rien n’était encore perdu…
Faire de nouveau ce geste simple de lui donner à manger, un des premiers qu’elle avait eu à son égard lorsqu’elle l’avait rencontré en service de rééducation juste après son accident, la fit replonger dans le passé. Tout avait commencé comme ça, entre eux, d’une manière bienveillante et profondément sincère. Se pourrait-il qu’ils retrouvent une telle complicité un jour, un tel amour ? Avec un autre homme, Anna était certaine que ça n’arriverait pas. De toute façon, elle n’avait jamais aimé que celui qui se tenait à coté d’elle sur ce banc… Où qu’elle fut sur cette planète, à quelques mètres ou à des centaines de kilomètres, son cœur n’avait jamais battu que pour Sasha Lazzio. Peut-être était-ce sa malédiction, elle qui avait tout fait foirer entre eux était maintenant contrainte de vivre avec les regrets, mais surtout avec cet amour qu’elle lui portait encore et qu’elle imaginait sans retour.
Le patron de la concession Lazzio affirma que non, il ne s’était jamais remis aux fourneaux pour préparer son fameux tiramisu, mais qu’il était au moins content que la jeune femme puisse s’appuyer sur celui-ci. Cette dernière répondit par une petite moue et secoua légèrement la tête. « Il est loin d’égaler le tien, Sasha. Il fait même pale figure à côté. Je crois que je ne pourrais jamais apprécier un tiramisu à sa juste valeur depuis que nous en avons fait notre tradition. Le goût de celui que tu faisais, et tous les souvenirs qui vont avec… Ils sont encore imprimés sur mes papilles, et gravés dans mon cœur… » dit Anna avec une petite voix dans laquelle on pouvait sentir toute la nostalgie éprouvée.
L’italien sorti ensuite une salade de fruit de son sac, suite et fin de son repas sur le pouce. La vue de ce dessert ne ravit pas Anna, pour laquelle cette gourmandise sonnerait bientôt la fin de la pause déjeuner de Sasha, et donc de ce moment passé à ces côtés… Il lui proposa alors de goûter, affirmant que c’était une salade de fruit banale et fade. La blonde sourit avec douceur et plongea son regard dans celui de son ex-mari. « Rien n’est jamais fade ou banal à tes côtés, Sasha » dit-elle avant de reprendre « Avec plaisir pour goûter, merci de proposer ». Partager son dessert n’était pas rien, après tout. Peut-être un signe qu’il ne lui en voulait plus autant qu’elle se l’imaginait depuis des années ?

Sasha n'était pas quelqu'un de stupide, en règle générale, il savait lire entre les lignes, mais dans la situation actuelle, alors que les deux ex époux se retrouvaient face à face, à quel moment il aurait pu estimer légitime de penser que les propos qu'Anna venaient de prononcés lui étaient destinés ? En vérité, ça ne lui avait même pas traversé l'esprit.

Bien que Sasha était heureux de revoir cette femme avec qui il avait passé de bons moments, sa présence lui faisait presque autant mal. Certes les souvenirs qu'ils avaient crées tous les deux étaient présents, ils avaient passés de sacrés moments ensemble, et pourtant, sa présence ici lui rappelait que cette femme qu'il avait tant aimé et pour laquelle il s'était battu n'était désormais plus sienne. Egoïstement, il aimerait qu'elle souffre autant que lui, mais elle avait l'air heureuse, et lui avait commencé à faire le deuil de leur mariage raté, mais la revoir n'arrangeait rien.

On dit que toutes les bonnes choses ont une fin, et même si Sasha était son propre patron, et que donc, il n'avait besoin de rendre de compte à personne, il estimait que pour se faire respecter de ses collaborateurs il fallait se mettre à leur niveau, voilà pourquoi il ne s'octroyait pas de passe-droit, même s'il lui arrivait d'être parfois en retard pour diverses raisons. L'italien n'était pas un patron chiant, au contraire, il essayait d'arranger les autres au maximum et visiblement, ce mode de fonctionnement semblait plaire à ses subordonnées. Mais l'heure tournait, même si en présence d'Anna il avait l'impression que le temps se figeait, c'était l'impression qu'il avait toujours à ses côtés, même après toutes ces années, ou bien était-ce parce qu'il était trop absorbé pour la demoiselle qu'il en oubliait le reste ? C'est une possibilité. Quoiqu'il en soit, son repas touchait à sa fin et il allait devoir reprendre le chemin vers la concession, d'autant plus qu'il avait un rendez-vous avec un client dans l'après-midi, et arriver en retard ne faisait pas vraiment bonne impression.

Les propos d'Anna firent chaud au coeur du quadragénaire, presque autant qu'ils le brisait en deux. L'évocation des souvenirs de leurs années heureuses passées l'un auprès de l'autre était toujours aussi douloureux, Sasha n'avait cessé de se questionner pour savoir s'il aurait pu faire encore plus que ce qu'il avait fait dans l'espoir de récupérer la femme qu'il avait épousé, mais toutes ses options s'étaient soldées par un échec.

" - Ce n'est pourtant pas ce que tu disais à l'époque..." fit-il d'une voix un peu plus casante qu'il ne l'aurait voulu.

Sasha se remémora les reproches qu'elle lui avait fait à l'époque, ça lui faisait mal, mais c'était plus fort que lui, il y avait de l'amour en lui, mais aussi de la colère envers cette femme. Bien qu'il savait que c'était à elle d'être en colère contre lui pour ses erreurs passées, il lui en voulait d'avoir passé toutes ces années loin de lui et de revenir aujourd'hui entamer une discussion comme deux vieux amis qui se seraient vu quelques jours auparavant.

" - Pardon, ce n'est pas ce que je voulais dire..." s'excusa-t-il aussi tôt après avoir prononcé ses mots.

Toute cette situation le rendait nerveux et lui faisait dire des choses qu'il ne pensait pas réellement.

" - Je vais bientôt devoir y aller, j'ai un rendez-vous avec un client dans l'après-midi et je ne voudrais pas arriver en retard. Je suppose que toi aussi tu as du travail qui t'attend ?"

Disons que ça lui ferait moins de mal de savoir qu'il la laissait ici pour qu'elle reprenne son travail, plutôt que de rester sur ce banc une bonne partie de l'après-midi.

Qu’est qu’Anna croyait, après avoir trompé l’homme de sa vie ? Après toutes ces années sans donner signe de vie ? Elle était ridicule. Elle était encore amoureuse de lui, c’était évident, mais il ne lui devait rien. Elle s’était imaginée quoi, exactement ? Des retrouvailles comme dans les films, avec une pluie fine faisant ruisseler ses cheveux et un baiser passionné ? Quelle idiote. Evidement qu’il ne l’accueillait pas à bras ouverts, évidemment qu’il ne relevait pas ses sous-entendus et messages cachés. Evidemment qu’il avait tourné la page, lui, et qu’il ne nourrissait plus rien à son égard. C’était de sa faute, après tout, c’était elle qui avait ruiné leur mariage et leur vie parfaite. C’était elle qui avait détruit leur amour. Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même. Si elle n’avait pas été sobre – et fière de l’être – depuis presque un an, elle se serait réfugiée dans sa bouteille de vin préférée – peut-être même dans deux ou trois en fait – mais plus maintenant. Ce soir, elle ferait une longue séance de sport pour se vider la tête et finirait la soirée à pleurer silencieusement dans son bain. Elle avait tout gâché, même leurs retrouvailles…
Le ton cassant et la remarque de son bien aimé ex-mari – parfaitement justifiés vu leur passé commun soit dit en passant – firent comprendre à Anna qu’elle n’avait rien à faire ici, et qu’encore une fois elle s’était monté la tête tout de seule. Elle se releva alors, gênée. « Je… Pardon, c’est que… » commença-t-elle à bégayer, avant qu’il ne s’excuse. La jeune femme secoua alors la tête avec un petit sourire figé. « Ne t’excuse pas, tu as parfaitement raison, excuse-moi » déclara-t-elle en rangeant ses affaires et en fuyant son regard. Des larmes perlaient au bord de ses yeux, mais elle ne les laisserait pas tomber. Il était hors de question qu’elle fasse encore un mélodrame devant lui. Le message était reçu, et bien reçu, elle faisait n’importe quoi et elle devait se reprendre rapidement. Sacha déclara ensuite qu’il devait y aller. Il avait du travail, évidemment, et il supposait qu’elle aussi. Elle hocha alors la tête distraitement. « Oui, oui bien sûr ! Des patients à soigner, d’autres à amputer… La routine quoi » dit-elle en relevant ses cheveux en queue de cheval, accrochant sa chaîne par la même occasion et la faisant tomber au sol, son alliance avec. « Merde » souffla-t-elle nerveusement en se penchant pour ramasser le tout. Elle se releva et regarda quelques secondes Sasha sans rien dire avec un léger sourire triste, gravant dans sa mémoire cet instant, ce visage qu’elle aimait tant et qu’elle ne reverrait peut-être plus jamais. « Pardon, Sasha, c’était une mauvaise idée de t’aborder. Je crois que je t’ai plus dérangé qu’autre chose. Je voulais te revoir au moins une fois… J’aurais aimé te dire tout ce que je ressens, te demander pardon encore un millier de fois, mais je n’ai plus vraiment le droit je crois. » murmura Anna avant de reprendre un sourire poli et d’enchaîner, plus fort cette fois et rapidement pour ne la lui laisser le temps de répondre, « Je te souhaite le meilleur. Au revoir Sasha ». Elle tourna alors les talons et, une fois le visage caché par ses cheveux, s’autorisa enfin à laisser couler ses larmes qui menaçaient de glisser sur ses joues depuis un moment déjà…

Sasha n'a jamais eu l'intention de blesser Anna, ou même de lui faire des reproches, ici et maintenant, ce n'était ni le lieu ni l'endroit, mais il faut croire que la cicatrice qu'il pensait enfin refermé ne l'était pas totalement, et qu'avec la jeune femme dans les parages, elle s'était même ouverte de nouveau, laissant alors parler sa tristesse et sa rancoeur. Bien sûr, il aurait certainement pu tourner les choses pour lui présenter de manière plus douce, mais dans ce genre de moment, ce n'était pas réellement lui qui s'exprimait, ou plutôt, les mots qui prononçaient passaient la frontière de ses lèvres avant celle de son cerveau, regrettant ainsi ses propos une fois qu'il était trop tard.

Tout cela était si contradictoire, Sasha était heureux de voir Anna de nouveau, elle n'avait pas changé et en même temps, les souvenirs qu'elle lui évoquait n'étaient malheureusement pas tous joyeux. La fuite n'avait jamais été dans ses solutions préférées, mais dans le cas présent, il ne pouvait pas faire autrement, bien qu'au fond, ça l'arrangeait sans doute de s'éloigner pour pouvoir respirer de nouveu. Depuis qu'Anna s'était installée à ses côtés sur le banc, il avait la sensation qu'il avait tout simplement arreté de respirer. Mais tandis qu'il lui annonça qu'il devait très bientôt la quitter, Sasha sentit que l'atmosphère venait de changer radicalement. Anna semblait être en proie à un stress, ses paroles et sa réaction en attestaient. L'italien s'en voulait et se disait que tout cela était de sa faute.

Lorsqu'elle fit tomber la chaine avec une bague accrochée dessus, il ne réalisa pas immédiatement. Le quadragénaire voulut l'aider mais elle fut plus rapide que lui. Il alla jusqu'à penser qu'elle avait refait sa vie avec une autre personne et qu'elle était désormais engagé avec cette dernière, mais alors, pourquoi revenir vers lui ? C'était à ni rien comprendre. Les paroles de son ex-femme raisonnèrent profondément en lui tandis qu'elle s'éloignait en lui souhaitant le meilleur.

" - Anna attends.."

Mais il était déjà trop tard, elle avait tournée les talons et se dirigeait en direction de l'hôpital, les épaules affaissées, la voir ainsi lui faisait mal au coeur, parce qu'il savait qu'il en était en partie responsable. De son côté, désormais seul, le vétéran rassembla ses déchets qu'il glissa dans le sac plastique qui contenait son repas jusqu'alors, puis, il le glissa dans la poubelle à ses côtés tandis qu'il reprenait également le chemin de la concession. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'un flash se produisit. La bague accrochée à la chaîne, il avait l'impression que c'était celle qui lui avait offert, l'inscription qu'ils avaient fait graver à l'intérieur ainsi que le coeur sur l'extérieur. Ce n'était certainement pas le seul exemplaire et puis, d'autres personnes avaient pu avoir la même idée, mais ce détail l'interpella et il s'en voulait de ne pas l'avoir remarqué plus tôt afin d'interroger la brune sur le sujet. Mais était-il prêt à entendre la réponse si cela faisait référence à sa nouvelle relation ? Il savait désormais où la trouver et il n'est pas impossible qu'il aille faire un tour à l'hôpital dans les prochains jours, ne serait-ce que pour s'excuser de son comportement.

Fin