moving on up → noomes

Peu de temps après leur retour de vacances, Jimmy et Noomi avaient commencé à s’activer pour le déménagement. C’est qu’il avait eu presque deux ans pour s’installer dans son propre appartement, mine de rien. Bientôt deux ans… Le temps passait quand même à une vitesse folle. Mais pour une fois, la blonde avait l’impression d’avancer à un bon rythme ; elle ne se pressait pas, chose qu’elle avait faite à chaque fois avant lui. Tout s’était toujours fait dans la précipitation et elle s’en était mordu les doigts plus d’une fois. Raison pour laquelle, cette fois, elle calmait le jeu. Car ce n’était pas l’envie de lui proposer ce genre de choses spécifiques aux couples qui manquait. Au contraire, si elle s’était écoutée, elle aurait fait cette proposition bien plus tôt. Mais zen, rien ne pressait. Et surtout, Jimmy ne semblait pas manquer de patience. Ce qui était une bonne chose car il fallait bien qu’un des deux en ait. Bref, la première étape avait été de trouver des cartons. Ce qui n’avait pas été difficile du tout étant donné qu’il avait gardé les siens. Et comme il louait un meublé, il n’y aurait pas vraiment besoin de plus. La seconde étape avait été pour Noomi de faire de la place dans son propre appartement.

Sans doute l’étape la plus difficile. C’est qu’elle en avait entassé des choses, de son côté. Sans oublier le fait que Sarah avait tendance à s’éparpiller ; ses jouets avaient envahi chaque pièce de l’appartement. Mais puisque la blonde avait à cœur de voir son petit ami enfin poser ses valises dans son entrée, elle avait passé deux jours à ne faire que du rangement. Et puis, la troisième et dernière étape avait été d’attendre le bon jour. Un jour où sa fille serait chez Frank. Il serait plus simple de faire ça sans l’avoir dans les pieds. D’ailleurs pour l’occasion, Noomi avait également déposé Hades chez son père, exactement pour la même raison. Cela étant, ça ne serait pas une surprise pour Sarah non plus, celle-ci avait été prévenue qu’à son retour, ils seraient trois – enfin quatre en comptant Hades – à vivre sous le même toit et cette perspective semblait l’enthousiasmer ce qui finit de rassurer tout à fait sa mère quant à sa décision bien que maintenant, c’était sûrement un peu tard pour faire machine arrière de toute façon. Puis il n’y eut plus qu’à.
« T’es sûr de n’rien oublier ? »
Debout dans l’entrée de l’appartement de Jimmy à présent dépouillé de toute touche de personnalité, elle balaya les pièces ouvertes du regard. Il lui semblait qu’il ne laisserait derrière lui. Et quand bien même ça serait le cas qu’il ne déménageait pas à l’autre bout de la planète, cette fois, seulement quelques rues plus loin, il pourrait toujours revenir le chercher.

Bien, dans ce cas, ils pouvaient y aller. Noomi avait chargé le coffre de sa Mustang autant qu’elle l’avait pu afin de faire le moins de trajets possible, quant à Jimmy, il suivait avec sa Jeep. L’efficacité même. Le hic, c’est qu’ils furent obligés de réquisitionner l’ascenseur de son immeuble quelques minutes. Ce qui ne fut bien sûr pas du goût de ses voisins. Elle les entendit ronchonner tout en descendant l’escalier puis les vit jeter un coup d’œil pour savoir qui était la source de ce désagrément. Ce qui la fit ricaner.
« C’est peut-être dans ton appart’ qu’on aurait dû s’installer, finalement. »
Ce qu’elle ne disait que pour rire, bien sûr. Déjà parce que l’appartement de Jimmy n’aurait pas été assez grand pour accueillir trois personnes et puis parce qu’elle aimait beaucoup le sien. Au point d’y avoir fait des travaux qu’elle ne souhaitait pas laisser à quelqu’un d’autre de sitôt. Mais son voisinage avait changé ces derniers temps et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’était plus aussi fun qu’à une époque. Tant pis, y avait de fortes chances pour qu’il change encore à l’avenir et qui sait ? Peut-être que ça finirait par s’arranger. Mais en attendant, il faudrait faire avec.
« J’espère que tu t’attendais pas à c’que les voisins viennent te souhaiter la bienvenue avec des cookies parce que j’doute sincèrement qu’ils le fassent. Mais si ça peut te consoler, j’en ai fait, moi, des cookies. »
Non, la grecque pas devenue une cuisinière hors-pair du jour au lendemain mais elle avait tâché de mettre en application les conseils qu’on lui avait donné pour faire des gâteaux secs. Pas trop le choix, que ça soit à la danse ou à l’école de Sarah, on n’arrêtait pas de lui en demander sans cesse. Et le fait est que ça revenait tout de même moins cher que d’en acheter des tout faits. Pour ce qui est de savoir s’ils étaient meilleurs en revanche… Rien n’était moins sûr.

Lorsqu’elle s’était installée avec sa fille encore bébé sous le bras dans cet appartement, Noomi s’était juré que personne d’autre n’y poserait ses valises un jour ou l’autre. Et pourtant… A sa décharge, elle ne pouvait pas savoir à l’époque que Jimmy débarquerait des années plus tard pour lui faire savoir qu’il était éperdument amoureux d’elle. Elle était même à mille lieues de ne serait-ce que l’imaginer puisqu’en ce temps-là, Jimmy était encore marié et avait l’air très heureux en couple. Et puis on dit toujours qu’il n’y a que les cons qui ne changent pas d’avis, n’est-ce pas ? Et pour le coup, elle ne regrettait absolument pas d’en avoir changé. D’accord, c’était peut-être un peu tôt pour le dire, étant donné qu’il emménageait à peine, mais ça faisait tout de même à peu près deux ans qu’ils se fréquentaient de manière plus intime, ils avaient passé plus d’une nuit l’un chez l’autre et ça s’était toujours très bien passé alors il n’y avait pas de raison que ça change, elle en était sûre. La grecque acquiesça ; non, il avait raison, ce n’était pas l’autre bout du monde, quasiment l’autre bout de la rue, en vérité. M’enfin, ça serait tout de même ballot de devoir faire un voyage ou deux de plus s’ils pouvaient tout emporter en moins. Bon, eh bien y avait plus qu’à.

Arrivés dans le hall d’entrée de son immeuble, Noomi eut tôt fait de remarquer que ce déménagement n’était pas tout à fait au goût de ses voisins. Mais pour être tout à fait honnête, rien n’avait jamais l’air de leur plaire. Tant pis, ils n’auraient qu’à mordre sur leur chique le temps d’un après-midi. Là-dessus, elle rit en entendant que faire entrer toutes ses affaires dans l’appartement de Jimmy aurait sans aucun doute posé problème. Il avait raison. Davantage encore quand il rappela que faire entrer tous les membres du ménage relevait déjà parfois du casse-tête. Ce qui la fit pouffer.
« C’est vrai, mais tes voisins nous auraient mieux accueillis alors p’t’être que ç’aurait valu la peine de s’entasser les uns que les autres. »
Peut-être y aurait-il même eu des cookies de bienvenue. Oui, il était clair que Noomi avait trop regardé de séries et de films dans de jolis petits quartiers de prime abord sans le moindre souci avec des gens à première vue charmants cachant en vérité de terribles secrets car en toute franchise quand il y avait un nouveau voisin dans l’immeuble, elle non plus n’allait pas lui souhaiter la bienvenue, un plateau de cookies à la main et ce n’était d’ailleurs pas uniquement par crainte de l’intoxiquer mais parce que flemme, tout simplement. Un risque qu’elle n’avait manifestement pas peur de faire courir à Jimmy puisqu’elle lui avoua en avoir préparé, des cookies. Ce qui, connaissant son niveau en cuisine, ne manqua pas de soulever tout un tas de questions. Comme : avait-elle pris des cours de cuisine pour accomplir ce prodige ? Et dans un premier temps, la blonde préféra se la jouer mystérieuse.
« Parce que tu crois vraiment qu’il existe quelqu’un d’assez patient sur c’te planète pour m’apprendre à cuisiner ? Tu d’vrais faire attention à s’il y a pas de coquille qui traîne quand tu mordras dedans. Si t’arrives à mordre dedans, bien sûr. »
Car il s’avérait qu’on lui avait effectivement donné l’un ou l’autre cours de cuisine. Quant à savoir s’ils avaient été payants, en revanche… Jimmy le lui ferait savoir bien assez tôt. Mais pour l’heure, elle préférait garder tout ça secret et voir ce qu’il en pensait. Bien qu’elle le savait assez franc pour ne pas seulement faire semblant que ça lui plaisait. Tout en parlant, elle avait continué d’empiler les cartons dans l’ascenseur et était prête à faire un premier voyage.

Encore heureux qu’ils n’étaient pas obligés de vivre avec les voisins… L’espace d’une seconde, Noomi s’imagina vivre en communauté, façon hippies et ça lui fit froid dans le dos. D’accord, elle était quelqu’un de relativement sociable, elle aimait le contact des gens et commençait un peu à déprimer lorsqu’elle en était privée trop longtemps mais de là vivre H24 entourée d’une bande de gens extérieurs à la famille, y a tout de même une nuance. Une énorme nuance. Elle préférait largement que chacun reste chez soi. Sauf dans le cas de Jimmy. Lui, il avait le droit de s’incruster ; elle ne demandait même que ça. Mais il faisait partie de la famille désormais. Peut-être pas officiellement mais dans le cœur de la grecque en tout cas. Ainsi que dans celui de son mini-moi également. Là-dessus il lança qu’ils trouveraient le moyen de leur rafraîchir la mémoire en ce qui concernait le petit show qu’il leur avait offert à son arrivée. Enfin, surtout à elle en vérité mais le fait est que, vivant en ville, ça leur avait aussi profité. La blonde étira alors un sourire espiègle.
« Si ça veut dire que t’as l’intention d’me rejouer la sérénade de temps à autre, moi, ça m’va. »
Et que ses voisins essayent donc de venir se plaindre, ils seront bien reçus. Ce qu’ils ne feront probablement pas. Enfin, elle l’espérait car en deux ans, il y avait eu des changements dans l’immeuble, des nouvelles personnes qu’elle ne connaissait pour ainsi dire pas puisqu’ils s’entêtaient à baisser les yeux à chaque fois qu’il leur arrivait de se croiser dans les couloirs. Soit. Comme dit précédemment, il n’était pas question de vivre avec eux. Ni même avec ceux de Jimmy, soit dit en passant. Et s’ils voulaient des cookies, ils ne pourraient malheureusement compter que sur eux-mêmes. Malheureusement car Noomi n’était pas exactement douée en cuisine. Elle s’en sortait lorsqu’il était question de survivre, pas d’y prendre plaisir. Ce qui au fond, n’était déjà pas si mal. Cela dit, il se pourrait que la blonde ait fait un effort concernant cette fournée. Ou peut-être pas, allez savoir. Plus rien ne devrait vous surprendre venant d’elle et elle préféra laisser la surprise à Jimmy. Qui n’avait apparemment pas peur de relever le défi. Voilà pourquoi elle en était amoureuse : il ne reculait devant rien ou presque et il en avait toujours été ainsi, même lorsqu’ils étaient encore tout jeunes, Jimmy était toujours partant pour la suivre dans ses combines souvent foireuses. Elle pouffa à la mention du dentier et un haussement d’épaules précéda sa phrase :
« Oh, voilà qui s’rait très américain. »
Ce qui tombait bien puisque c’était exactement ce qu’ils étaient tous les deux, bien que Noomi ne le soit qu’à moitié. Et si vous vous posez la question, elle trouvait la dentition de bon nombre d’américains un peu trop parfaite pour être naturelle. Ça sentait des heures et des heures de souffrance chez l’orthodontiste à plein nez. Du moins pour ceux qui pouvaient se permettre de se payer une mutuelle. Sans quoi, on était plus proche d’une bouche édentée de purs rednecks, évidemment. L’ascenseur entama son… ascension et la grecque déverrouilla sa porte d’entrée pour poser le carton qu’elle avait dans les bras sur le plan de travail avant de désigner fièrement l’assiette de cookies attendant tout à côté.
« Sers-toi, tu m’en diras des nouvelles. »
Non, elle ne brûlait pas non plus d’impatience au point de faire le pied de grue à ses côtés, n’attendant qu’une chose : qu’il lui dise que c’était un vrai régal. Non, au lieu de ça, elle vaqua ; s’ils étaient bons alors tant mieux, s’ils ne l’étaient, y en avait toujours un paquet d’industriels traînant dans le placard. Quoi qu’il en soit, elle retourna donc à l’ascenseur pour le décharger tandis que la tête de sa voisine de palier passait par l’entrebâillement de sa propre porte, histoire de voir pourquoi des voix résonnaient subitement dans le couloir, très certainement. Et Noomi ne dit rien. Pas la moindre remarque. Ça la démangeait un peu de lui rappeler qu’elle se trouvait dans un couloir commun et qu’il pouvait y arriver qu’il y ait un peu de bruit, qu’il ne fallait pas en faire tout en drame car il était encore tôt et que de toute manière, ils n’en avaient pas pour longtemps mais elle n’en fit rien. Qu’elle regarde donc si ça lui chante.

Inscrit dans son ADN, hein ? Noomi aimait bien cette idée. Parce qu’elle avait beaucoup aimé se faire compter fleurette par un beau jeune homme dont elle était secrètement amoureuse depuis fort longtemps. Et qu’elle aimerait sans aucun doute que ça se reproduise. Cependant, elle préférait ne pas savoir où – enfin, probablement ici, entre ces quatre murs ou dans les environs en tout cas -, quand et comment car dans ces moments-là, ce qui jouait aussi beaucoup, c’était l’effet de surprise.
« Voyez-vous ça ! »
Elle esquissa un sourire mutin puis se remit à décharger l’ascenseur. Avec l’aide de Jimmy qui n’avait manifestement pas compris qu’elle pouvait très bien le faire toute seule et qu’elle n’avait rien d’une fleur fragile. Cela dit, c’était peut-être une habitude qu’il avait prise avec sa défunte femme ; si Amelia et elle se ressemblaient de manière assez troublante, ce n’était que physique car Amelia avait autrefois bien mieux assumé sa part de féminité que la grecque. Cela étant, elle le laissa faire, se contentant de rouler des yeux avec amusement car il y avait tout de même un peu de machisme derrière tout ça. Et elle le vit faire signe à la tête flottante de l’autre côté du couloir. Tête flottante qui disparut soudain avant de refermer sa porte. Facilement impressionnable, donc. Et mal élevée, aussi. Du moins, c’est ce que Noomi pensa sur l’instant. Une fois qu’ils eurent fini d’entasser les cartons dans son entrée, Jimmy consentit enfin à faire honneur à ses cookies. Elle qui ne voulait pas donner l’impression d’attendre son avis avec impatience, c’était raté. Soit, son adieu la fit sourire car elle n’en aurait pas attendu moins de sa part. La tête qu’il tira ensuite en revanche la fit quelque peu déchanter mais elle haussa bien vite les épaules, l’air de dire qu’elle l’avait prévenu puis elle retourna aux cartons et pouffa en l’entendant s’exclamer que c’était délicieux.
« Tu parles ! »
Là-dessus, quelques coups frappés contre sa porte les interrompirent et la blonde n’eut qu’à tendre le bras pour l’ouvrir et voir la tête de sa voisine – celle-là même qui s’était empressée de refermer sa propre porte quand elle avait vu qu’ils l’avaient remarquée – se découpant dans l’encadrement, une assiette de cookies à la main. Tiens donc… C’était juste pour la faire mentir, c’est ça ? Grand sourire un peu figé aux lèvres et ne lui accordant pas même un seul regard pour ne se concentrer que sur Jimmy. Toujours plaisant. Mais Noomi s’était faite à l’idée ; c’était très souvent le genre de réactions que son petit ami déclenchait auprès de nombreuses femmes. Et d’hommes aussi, il ne fallait pas croire. Et puis quand elle y repensait, c’était aussi le genre de réactions qui suivait Frank à son époque. Donc oui, elle avait fini par en prendre l’habitude. Ce qu’elle aimait moyennement en revanche, c’était que dans ces moments-là, on s’escrimait toujours à faire comme si elle n’était pas là. Dans ces conditions, difficile d’accueillir quelqu’un dans les règles de l’art, vous vous en doutez. Et comme elle restait là à la dévisager sans rien dire, c’est sa voisine qui dut prendre la parole pour expliquer ce qu’elle faisait là. Elle avait donc crut comprendre qu’un nouveau voisin s’installait dans le bâtiment et elle venait, tout naturellement, lui apporter des cookies – soit elle en faisait à la pelle pour en avoir toujours sous la main au cas où une nouvelle personne viendrait s’installer dans l’immeuble, soit elle faisait comme Noomi lorsqu’elle avait la flemme (c’est-à-dire les trois-quarts du temps), et s’était contentée de vider un paquet de biscuits industriels sur une assiette pour donner l’impression qu’ils sortaient du four – en guise de bienvenue. Puisqu’ils ne lui étaient pas destinés, elle n’amorça pas le moindre mouvement pour s’en saisir et laissa Jimmy s’en occuper. Et puis aussi pour faire la conversation pendant qu’ils y étaient, car de mémoire – et on sait très bien qu’elle ne peut toujours pas trop s’y fier -, elle n’avait jamais vu sa voisine d’aussi près et c’était bien la toute première fois qu’elle entendait le son de sa voix ; ce qui prouvait bien qu’elle n’avait pas fait cet effort pour lui taper la discussion à elle.

Noomi pouvait bien se plaindre de ses voisins, elle n’était pas vraiment mieux qu’eux. Enfin si, dans le sens où elle faisait au moins l’effort de leur dire bonjour lorsqu’il lui arrivait de les croiser dans les couloirs. Puis elle ne détournerait pas le regard pour faire comme si elle ne les avait pas vu non plus. Mais lorsqu’il était question de s’inviter les uns chez les autres, elle était résolument contre. Meilleur moyen pour qu’il y ait un jour ou l’autre des problèmes de voisinage, ça. Non merci, que chacun reste chez soi et tout se passerait pour le mieux. C’est donc pour cette raison précise qu’elle n’ouvrit pas une seule fois la bouche. D’expérience, la grecque savait pertinemment qu’il valait mieux dans certains cas ; ça évitait de parler trop vite, de dire des choses que l’on pourrait regretter ou même de se montrer un peu trop sec. Alors que si elle laissait faire Jimmy, rien de tout ça n’arriverait jamais : il était poli et agréable. Et Noomi savait l’être aussi, soit dit en passant. Mais encore fallait-il que les circonstances s’y prêtent. Or, ça ne lui semblait pas être le cas. Elle écouta donc Jimmy dire que c’était trop aimable, qu’il ne fallait pas, vraiment, pour tout un tas de raisons totalement bidons car si quelqu’un n’avait aucune crainte à avoir au sujet de son poids, c’était bien lui mais elle ne le fit bien évidemment pas remarquer et se contenta de sortir son sourire de circonstances : le plus faux qu’elle ait en réserve tandis qu’il enchaînait avec le fait qu’ils ne la feraient pas entrer aujourd’hui. La raison invoquée pour ça fut qu’il y avait trop de bordel alors qu’en vérité, ils n’en avaient tout simplement pas envie. Pas même Jimmy. Elle le connaissait et sentait bien quand quelque chose ne lui plaisait guère.

Par politesse, il prit tout de même un cookie sur l’assiette, comme pour lui rappeler qu’il n’était pas seul et qu’elle était là, elle aussi, il approcha le biscuit de sa bouche pour qu’elle morde dedans. Ce qu’elle fit, bien qu’un peu surprise par le geste. C’est qu’à force, elle avait fini par oublier qu’elle était là, elle aussi. Et bien sûr, ça ne manqua pas ; elle avala de travers. Toussant puis crachant les miettes de cookies qui s’étaient coincées dans le fond de la gorge tout en lui faisant monter les larmes aux yeux dans sa main, on aurait carrément pu croire qu’elle trouvait ça infect. Raison pour laquelle elle tâcha de se rattraper. Au moins un peu.
« Mmh ! »
Sauf que le mal était fait et que le regard que lui lançait sa voisine ne laissait pas de place au doute : elle ne l’aimait pas. Tant pis, ça lui en touchait une sans faire bouger l’autre, quoi qu’il en soit. Jimmy la congédia enfin, expliquant qu’ils garderaient l’assiette pour la lui rendre une prochaine fois, referma la porte sur elle tandis que la blonde n’esquissait pas le moindre mouvement pour lui dire au revoir et se laissait entraîner dans la cuisine.
« Tu crois quand même pas qu’elle est restée derrière la porte, l’oreille collée au battant ? »
En ce qui la concernait, ça ne l’étonnerait même pas. Peut-être attendait-il d’entendre Jimmy s’extasier sur ses biscuits à la con.
« Pfiou, heureusement qu’elle habite pas en face en tout cas, on aurait eu droit à des défilés en lingerie tous les soirs. »
Si elle disait ça, c’est parce qu’elle avait déjà vu des choses de ce genre depuis son balcon. Même pire. Ou mieux, tout dépendait du point de vue. Puis elle fit la moue, se souvenant malheureusement de ses paroles ; voilà bien quelque chose qu’elle aurait préféré oublier, pour une fois.
« Rassure-moi, quand tu parlais de l’inviter à dîner un d’ces quatre, c’était pour déconner, pas vrai ? »
Non, non, Noomi n’allait pas commencer à faire sa chieuse et instaurer des règles qui n’avaient pas lieu d’être mais quand même… Rien que l’idée lui paraissait déjà très pénible alors le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’avait vraiment pas hâte d’y être si par malheur il lui annonçait que non, ce n’était hélas pas une blague.

Le pire c’est qu’elle non plus ne serait pas étonnée de savoir que la voisine avait l’oreille collée à sa porte. Et cette vision lui faisait froid dans le dos. Pourtant, Jimmy avait raison : le mieux à faire était encore d’ignorer le problème jusqu’à ce qu’elle finisse par se lasser. Dans l’hypothèse où elle se trouvait toujours derrière la porte, évidemment. Noomi hocha la tête. Elle non plus n’avait pas envie d’aller vérifier tout compte fait. De toute manière, il avait déjà enchaîné sur un autre sujet. Comment elle savait que ça serait son genre de se balader à poil sous leurs fenêtres si seulement son appartement avait été situé en face du leur ? Très simple.
« Oh, elle précisément j’en sais rien. Mais ça a l’air d’être assez fréquent dans l’quartier. Tu sais, comme un trait d’terrain dans les Sims. »
Ça faisait une éternité qu’elle n’avait plus touché aux Sims mais elle croyait se souvenir que le trait de terrain nudiste existait bel et bien. Et il ne fallait pas chercher plus loin ; c’était probablement celui que le joueur de la partie avait mis au terrain de l’immeuble d’en face. Puis elle ajouta avec un sourire en coin :
« Puis y avait qu’à la r’garder, à t’faire du gringue comme si j’étais pas tout à côté. Ça s’rait bien son genre, j’pourrais en mettre ma main à couper. »
Ce qui était pas tout à fait un reproche à vrai dire. Parce que bon, qui ne serait pas prêt à se désaper sous ses yeux si ça lui permettait d’avoir une chance avec son Jimmy, hein ? Si elle-même ne l’avait pas fait avant qu’il ne pose ses valises pratiquement sur le pas de sa porte, c’était parce qu’elle le connaissait et qu’elle le respectait trop pour ça mais sinon… Donc elle pouvait comprendre les autres.

Puis ils en vinrent à reparler de cette invitation qui ne lui plaisait guère. En d’autres mots, elle avait besoin d’être rassurée à ce sujet. Et sa réponse la fit quelque peu déchanter. En tout cas au début. Oui, il était sérieux, mais il n’avait pas précisé l’année où elle serait invitée. Peut-être une année où ils ne vivraient même plus dans cet appart’. La blonde n’était pas près de déménager : en tout cas, ça ne faisait pas partie de ses projets immédiats mais on ne peut pas prévoir de quoi l’avenir sera fait. Si ça se trouve, sa carrière allait décoller – plus que ce n’était déjà le cas, s’entend -, et on la recruterait dans une radio plus populaire que celle pour laquelle elle travaillait en ce moment à l’autre bout du pays. Ou encore la carrière de Jimmy qui pourrait exiger qu’il retourne s’installer sur le continent américain. Ou même la famille qui pourrait éventuellement s’agrandir, réclamant plus de place à cors et à cris. Elle ne pouvait pas le prédire. Dans tous les cas, ce n’était pas sans lui rappeler un de ses amis qui était carrément du genre à faire le même style de blagues.
« Je vois. C’est plutôt malin. »
Et elle n’en attendait bien sûr pas moins de lui puisqu’elle le savait malin. Elle déposa un baiser au coin de ses lèvres, jeta un regard oblique à l’assiette de cookies puis commença à déballer les cartons et à ranger chaque chose à sa place – surtout les guitares de Jimmy en fait, puisqu’elle le savait d’avance : rien ne resterait bien longtemps à « sa » place. Non seulement Noomi n’était pas particulièrement maniaque mais en plus de ça, celle qui dictait où allait chaque chose, c’était Sarah, il aurait tôt fait de s’en apercevoir, si ce n’était pas déjà fait.
« Finalement, j’sais pas c’que j’préfère. Quand ils font semblant de n’pas m’avoir vue ou quand ils jouent au comité d’accueil. »
Encore quelque chose qui ressemblait beaucoup aux Sims. La différence, c’est que c’était des cookies qu’on leur avait offerts et non un cake aux fruits. La grecque n’y a peut-être jamais goûté, mais tous les Sims ont l’air de trouver ça immonde alors peut-être ont-ils raison.

Ce que Noomi pouvait aimer s’entendre dire qu’elle était belle au point qu’aucun de ses voisins nudistes ne pourrait faire le poids. Et pour ce qui était d’y croire ? Disons que pourquoi pas ? C’était ça de ne pas avoir de complexes et d’éviter de se comparer aux autres dans la mesure du possible car si elle avait de la chance, elle n’en restait pas moins humaine. Et se comparer aux autres est un réflexe idiot, mais tout ce qu’il y a de plus humain. En l’occurrence, une donnée supplémentaire entrait en ligne de compte : qu’elle soit mieux ou moins bien que ses voisins nudistes importait peu, au fond. L’essentiel, c’était qu’elle soit plus au goût de Jimmy que n’importe lequel des locataires de l’immeuble d’en face. Un sourire étira ses lèvres à cette idée et, elle qui s’était déjà attelée au désemballage des cartons de son petit ami, revint sur ses pas pour lui faire de nouveau face, se hissant sur la pointe des pieds afin de venir déposer un baiser sur ses lèvres tout en lui nouant les bras autour du cou.
« J’m’estime aussi très chanceuse qu’vous soyez un beau parleur, m’sieur Terrier. »
Nul autre que lui ne parvenait jamais aussi bien à trouver les bons mots. Il faut dire qu’en plus d’avoir l’imagination, il avait aussi un vocabulaire à en faire pâlir plus d’un. Tellement qu’il devait même parfois lui arriver de lui emprunter certains mots. Et n’allez pas croire qu’elle était en train d’insinuer qu’il racontait n’importe quoi seulement pour entrer dans ses bonnes grâces. Non, non, elle le savait sincère. D’autant qu’il se savait lui-même déjà dans ses bonnes grâces. Tant qu’il n’allait pas voir ses voisins nudistes qui, elle en était sûre, n’hésiterait pas une seule seconde à se désaper sous son nez, bien entendu.

Puis, comme les cartons n’allaient pas se déballer tout seuls, elle s’y remit et écouta la proposition de Jimmy concernant la manière dont il vaudrait mieux se comporter avec ses voisins. Selon lui, le mieux serait de se contenter d’échanger des banalités. Parler de la pluie et du beau temps ainsi que d’autres sujets des plus impersonnels sans pour autant que ça aille jamais jusqu’à s’inviter les uns les autres. Et il n’avait pas tort. Mais l’entendre dire qu’il savait que ça ne se ferait pas la fit quelque peu tiquer et elle en arqua un sourcil.
« Allons bon, qu’est-ce que tu sous-entends ? Pas que j’suis trop butée pour ça, j’espère ? »
C’est un sourire jusqu’aux oreilles qui chassa son semblant d’expression dubitative tandis qu’elle faisait mine de ranger ceci et cela.

Et une fois que ceci et cela furent rangés – ou en tout cas posés dans un coin, donnant l’impression que c’était à peu près rangé -, la grecque n’y tint plus et vint rechercher Jimmy par la main.
« Au fait, j’t’en ai pas parlé, mais j’ai une surprise pour toi ! »
A présent toute excitée, elle l’entraîna à sa suite pour le conduire devant une porte. Habituellement fermée – ce qui faisait toujours un peu bizarre chez Noomi qui, à moins de recevoir, avait la fâcheuse tendance de toujours laisser toutes les portes ouvertes -, elle n’était pas tout à fait sûre qu’il sache ce qui pouvait bien se trouver derrière. Aussi ne fit-elle par durer le suspense plus longtemps – de toute manière, c’était pas comme si elle était très douée pour ça – et l’ouvrit. Son ancien bureau. Où trônait toujours le bureau qu’elle s’était amusée à ranger ces derniers temps car, ne s’en étant pratiquement jamais servie, c’était un foutoir sans nom qui s’y était entassé au fil des années.
« J’me suis dit qu’il allait t’falloir un endroit où écrire. Un endroit avec une porte, j’veux dire. »
D’accord, c’était pas bien grand, facilement la plus petite pièce de l’appartement – après le placard à balais, s’entend -, mais il y avait une fenêtre et plus important encore, comme elle venait de le préciser : une porte.
« J’me servais pour ainsi dire pas d’cette pièce, à part pour y entreposer des trucs et tu t’y sentiras sûrement plus à ton aise que sur la table basse du salon ou sur un des plans de travail de la cuisine. Ça te plaît ? »

De manière générale, Noomi n’était pas très douée pour les surprises. Il y avait toujours un moment où c’était plus fort qu’elle, il fallait qu’elle en parle. Ou plutôt, disons qu’au détour d’une conversation, elle finissait invariablement par lâcher l’info, sans vraiment y faire attention. Et ici, on ne parlait que d’une pièce débarrassée, mais il lui était arrivé de faire bien pire. Elle se rappelait très bien d’un soir où elle était arrivée à la radio en demandant à Sam, sa collègue et amie, comment s’était passé le dîner de fiançailles. Avec un jour d’avance sur le planning du futur fiancé. Oui, ce soir-là, on peut définitivement dire qu’elle se sentait vraiment conne. Mais Sam, trop aux anges d’apprendre qu’elle allait très certainement lui passer la bague au doigt, ne lui en avait fort heureusement pas tenu rigueur. Alors que là, ça faisait deux semaines qu’elle passait quelques heures par jour à tout remettre en état, parfois avec l’aide de Sarah qui s’amusait à mettre le bordel plus souvent qu’à véritablement ranger, tout en veillant à ce que Jimmy ne se doute de rien et elle avait réussi, il ne s’était effectivement douté de rien. Ce qui la fit sourire jusqu’aux oreilles.
« Oh, j’pense que Sarah accepterait volontiers de poser pour toi. »
Car sa fille était plutôt coquette et ne refusait jamais d’être prise en photo. Enfin, à moins que sa mère n’ait pas passé du temps à la coiffer comme elle le voulait d’abord. Alors là, c’était le drame mais jamais pour bien longtemps. Et c’était bien à elle que Jimmy faisait référence en parlant de la plus belle, n’est-ce pas ? A moins qu’il ne parle de Noomi en personne ? Oh, de toute manière, les deux se ressemblaient si fort que le compliment fait à l’une s’appliquait aussi à l’autre. Puis pour ce qui était des photos d’elle, si Jimmy se montrait assez persuasif pour ça, il pourrait effectivement y remédier assez vite. Puis elle revint sur le fait qu’il pourrait bien avoir besoin de cet espace plus isolé.
« Tant que tu me promets d’en sortir au moins une fois par jour, ça m’va ! »
Encore une fois, elle ne parlait pas par expérience parce que Jimmy semblait échapper à ce cliché de l’écrivain torturé, mais elle savait que parfois, les auteurs étaient tellement plongés dans leurs écrits ou encore dans l’obsession de trouver quoi écrire lorsqu’il leur arrivait d’être en panne sèche qu’ils en oubliaient qu’ils avaient une vie à côté. Bref, la blonde pouffa suite à la remarque de Jimmy concernant la pile de papiers sous laquelle devait se trouver ce bureau avant le rangement.
« S’il n’y avait eu que des papiers… En fait, ça m’étonne pas du tout que tu l’aies jamais remarqué jusqu’ici, il était carrément enseveli sous tout un tas de trucs. »
Dès qu’elle ne savait pas où ranger quelque chose, c’était dans cette pièce qu’elle venait l’entreposer. Autrement dit, ce bureau avait longtemps fait office de débarras, bien que son appartement ne manque pas de placards en tous genres. Sans parler de la cave pas tout à fait commune étant donné que chaque habitant de l’immeuble avait droit à son petit coin privé. Puis son sourire revint.
« Si ça t’plaît alors j’suis contente. »
Puisque le but était d’abord et avant tout qu’il se sente ici chez lui. Et c’était important que chacun ait un peu d’espace pour lui. Même si au final, la seule qui n’en avait pas vraiment, c’était Noomi. Ce qui n’avait qu’assez peu d’importance au fond étant donné qu’elle ne bossait pas depuis chez elle.