Inauguration du musée // la poule sans tête

Et bien sûr, elle fulmine ! Il fallait bien que ça lui tombe dessus ! Sa mère, aussitôt la nouvelle tombée, s’était empressée de se porter volontaire et d’emporter avec elle tout son réseau d’amis.  Au même titre que ceux-ci, Cassiopée avait bien été obligée d’accepter car on ne refusait rien à cette femme.   Dès le moindre signe de protestation, elle avançait le moindre de ses arguments à son avantage, quitte à faire vibrer toutes les cordes de son grand arc.

Dans le cas de Cassiopée, l’argument était vite trouvé : s’occuper de l’organisation de l’inauguration du nouveau musée rentrait parfaitement dans ses cordes et la perspective de rencontrer des gens influents n’était pas pour lui déplaire.  En fait, elle prenait un grand soin de se rattacher à cette idée pour trouver la patience de supporter sa mère qu’elle considérait comme une tornade, une poule sans tête qui donne le tournis rien que de la côtoyer et ce, même à plusieurs mètres.  

Elle soupçonnait sa mère d’en pincer pour le directeur du musée et de tout faire pour que celui-ci porte un regard attendri sur elle mais pour l’instant, il lui était difficile d’en juger tant elle passait de l’un à l’autre pour discuter sans même attendre de réponse de la part de son interlocuteur qui la voyait s’envoler vers une nouvelle victime aussi vite qu’elle n’était apparue.  

Cassiopée ne s’inquiétait pas.  Elle savait que les petits fours, le champagne et autres boissons en tout genre seraient parfaitement assortis, que les décorations seraient choisies avec goût, qu’aucune virgule ne dépasserait des discours préparés : c’étaient leur point fort à toutes les deux : la perfection.   L’ombre menaçante résidait, outre sa mère, en un point : la partie suivant les discours des politiques et autres artistes mis à l’honneur.  Il y avait bien un vin d’honneur et une petite réception dédiée seulement aux invités de marque mais la suite était bien moins reluisante : les portes allaient s’ouvrir au grand public.   Et ça, Cassiopée n’en avait AUCUNE envie.

Elle entendait déjà les remarques désobligeantes au sujet des impôts payés pour ces gribouillages, de l’état qui promet vainement et détourne sans vergogne, à l’inutilité de l’art, à ces gens payés à rien faire.  Sans compter les sales doigts de ces morveux qui ne peuvent s’empêcher de se poser sur les statues malgré les cordages de satin pourpre et les gardiens planqués à chaque porte.    

Non non, vraiment sa mère était une vraie chipie

@Jimmy O'Reilly

C’est pas la première fois, mais ça te fait globalement toujours autant chier. Enfin t’as déjà eu des bonnes surprises. Mais au départ ouais t’y vas e, te disant que ça va pas être la journée ou la soirée de l’année. Pas comme ce que tu peux organiser chez toi. Mais il faut bien entretenir un peu ses relations, tout ça. Tu sais qu’un partenaire devrait pointer le bout de son nez à ce musée. C’est l’occasion pour renforcer les liens. Ca fait partie du business et du boulot de chef d’entreprise. Etre un peu hypocrite, tout ça. Pour ensuite un peu mal parler dans leur dos avec des proches. Bien sûr, il y a pas à mal parler de tout le monde, certains sont cools. Mais soit. Surtout que là, tu vas pas être qu’avec des gens de ta stature. Ils ont eu la bonne idée d’inviter tout le monde et n’importe qui. Non mais qui fait ça ? Parce qu’en général, les galas, les inaugurations, ça se fait qu’avec des gens d’une certaine classe. Paraît que l’art doit être accessible à tout le monde néanmoins. Ca aussi, une bonne blague quand on connaît le vrai prix de l’art. Ce qui n’est spécialement ton cas puisque ça t’intéresse pas. Juste, tu sais qu’il faut écrire plusieurs zéros sur le chèque. Tu te retrouves donc là. A attendre. T’auras au moins eu le privilège de pas être traité comme un gueux. Il aurait plus manqué que ça. Et après quelques minutes, ils laissent enfin entrer la plèbe. Génial ouais. Tu lèves un peu les yeux au ciel. Tu traînes sur le côté. Tu fais deux trois aller-retour et tu regardes certaines œuvres. Tant qu’à être là autant en « profiter ». C’est vite dit tant tu trouves que l’art c’est naze. Tu vois pas à quel moment on te fera changer d’avis. Surtout niveau peinture. T’as jamais compris le délire. T’entends les avis de personnes qui s’y connaisse autant que toi. Leur interprétation du truc. Parfois ils vont tellement chercher loin. Tu peux pas t’empêcher de lever les yeux au ciel. Et quand tu tournes un peu la tête, y’a une femme qui semble avoir la même réaction que toi. Là, directement, tu vois qu’elle a l’air d’être d’un certain standing. T’accroches son regard, tu penches la tête vers l’autre qui s’invente une vie et tu roules encore des yeux. Avec un petit sourire. Puis t’attends de voir sa réaction et tu fais quelques pas dans sa direction. Il y en a qui ont de l’imagination … Pas une bonne imagination non plus. Le genre de truc qu’on peut s’inventer quand on est un peu high.

Maintenant que les discours sont terminés et le caviar directement importé de Russie a totalement disparu, les portes s'ouvrent vers le grand public.  Il ne faudrait pas offusquer le commun des mortel s'il apprenait la provenance des petits grains noirs.  Nous serons tout juste bons à devoir gérer un scandale : autant les laisser dans l'ignorance.  

Après avoir aidé sa mère à gérer le soudain affut de la foule bien moins disciplinée que les invités de standing... quoique... sous leur aspect de bienséance, lorsque l'alcool est au rendez-vous, la nature reprend bien vite ses droit et ce, peu importe le niveau... Cassidy se met aussitôt en retrait pour souffler un peu le plus loin possible de sa mère en faisant mine d'être en pleine contemplation du premier objet qui traine.  C'est à ce moment là que son regard est attiré par celui d'un homme qui semble au bout de sa vie tant l'ennui s'imprègne sur la moindre surface de son être.

Elle ne peut que retenir avec difficulté son envie de rire tant il fait peine à voir -à coup sûr il n'est pas habitué à devoir masquer ses ressentis, celui-là-  
A sa dégaine pour venir la retrouver, Cassy comprend tout de suite qu'il vient de trouver une potentielle source d'intérêt dans ce monde qui ne lui plait pas vraiment.  

"En effet.  Alors que le peintre, lui, à juste voulu laisser voguer son pinceau sans rien demander à personne"
Elle hésite un peu.  Après tout, on ne sait pas sur qui on va tomber lorsqu'on s'adresse à un homme seul qui ne veut clairement pas faire partie du décor.

"Moi, j'aimerais parfois réaliser une création personnelle à succès dans le seul but de découvrir tout ce qu'on peut raconter à son sujet et savoir si les plus grands experts verront juste.  Après tout, la majorité des artistes ne peuvent pas contester l'interprétation de leurs œuvres puisqu'ils sont déjà morts.  Je suis même certaine que c'est une stratégie d'expert pour être sûr de ne pas avoir un procès s'il disent des idioties"
Difficile pour Cassiopée de savoir quelle sera la réponse du jeune homme mais quoiqu'il en soit, sa mère approche.  Sera-t-elle le danger ou la bouée de sauvetage ?

Ca annonce pas que du bon cette inauguration. Les obligations sont ce qu’elles sont. Heureusement que c’est pas trop souvent. Puis t’arrives toujours bien à trouver un truc pour te distraire un peu. Un quelque chose ou surtout un quelqu’un. C’est un peu ce que t’essayes de faire en venant dire deux mots à cette femme.Discuter en charmante compagnie ça aide toujours à faire passer le temps. Surtout si c’est pour te moquer des gens. Sachant qu’elle a pas l’air de faire partie de leur monde à eux mais plutôt du tien. Un monde classe quoi. Ca se voit au premier coup d’oeil. Les autres pélos peuvent pas feindre ça. Oh je pense qu’il y en a qui s’inventent quand même des tonnes de trucs. Sans obligatoirement être le cas du peintre là en question. Qu’est-ce que t’en connais façon. Tu vas pas faire genre l’artiste. Même les grands noms ça te dirait rien. Bon peut-être. Mais de là à les associer à des œuvres. Et qu’on vienne pas te parler de culture générale. Y’a des trucs dont on se fout pas mal et ça en fait partie. Tu voulais engager la conversation tout tranquillement et là d’un coup elle se met à parler, à parler, à parler. Elle s’arrête pas. T’exagères peut-être un peu. T’hésites à rire de sa dernière phrase, sachant pas si elle fait de l’humour ou non. Et qu’est-ce qui vous en empêche ? De peindre une toile et de l’exposer ici ? Elle doit pas être douée dans la matière. Mais encore une fois, ça se saurait s’il fallait être doué pour avoir du succès dans l’art. Trois seaux de peinture jetés sur du blanc et ça fait l’affaire. Parfois même juste laisser la toile et y mettre un points bleu dans un coin en inventant tout un délire de signification et de message et machin. Et ça se dit artiste. Bref. Et dans votre cas, j’espère que vous pourrez contestez tout de même. Tu lâches un petit rire. Sous-entendu qu’elle sera toujours en vie. Ouais c’est pas l’humour le plus joyeux qui soit. Mais c’est pas non plus l’humour le plus noir. Histoire de dire que c’est vous avez raison en plus. Comme toi. T’as toujours raison. T’aimes bien dire que t’as raison quand c’est le cas et quand c’est l’autre  qui se trompe. Surtout quand on essaye de prouver que tu te trompes alors que non. C’est doublement satisfaisant.