i hear thunder but there's no rain (tao)

Tout juste sortie de la douche, habillée légèrement pour apprécier la chaleur des derniers beaux jours de l’année, Abby frictionne ses longs cheveux dans une serviette de bain tout en fredonnant joyeusement. Ce sera moins rigolo au moment où elle devra les démêler, mais elle ne regrette pas pour autant d’avoir une crinière comme la sienne. Toujours en chantonnant, la néo-zélandaise étend la serviette avant de rajuster son haut. Pimpante et fraîche, elle se sent de bonne humeur et les odeurs qui viennent chatouiller ses narines ne peuvent qu’améliorer les choses. Plissant légèrement les narines, elle tente d’identifier odeurs, épices et autres saveurs, mais sans grand succès. Elle a simplement l’impression de reconnaître un soupçon de cannelle. Mais comme elle ne se donne pas beaucoup d’occasions de faire la cuisine (les repas à emporter sont ses meilleurs amis, à la faculté comme à la maison), il faut dire qu’elle est loin d’être une spécialiste en la matière comme Romi ou, bien sûr, comme Tao. C’est vers ce dernier qu’elle se dirige, dans la cuisine. Abby a l’impression qu’il n’est jamais autant à sa place que derrière les fourneaux. Certains pourraient croire que comme c’est son travail, une fois à la maison il ne veut plus en entendre parler. Mais dans son cas, elle sait que c’est faux et même si elle n’est pas souvent chez lui, elle se dit que c’est plutôt une chance. « Ça sent super bon par ici. Je pensais pas avoir faim, mais je crois que je vais vite changer d’avis. » Sourire aux lèvres, la brune s’avance dans la cuisine. Elle aime bien le regarder s’affairer et surtout, elle aimerait bien être capable d’en faire autant. « Et puis d’ici quelques minutes je vais rentrer chez moi à pieds, alors ça me fera pas de mal de manger un peu. » Parce que oui, au final elle compte bien s’inclure dans l’équation même si de base il ne prévoyait pas de l’inviter. Alors Abby se laisse tomber sur une chaise, passant une main dans ses cheveux. « Qu’est-ce que tu nous prépares de bon ? » Elle ne sait pas si c’est une bonne idée de lui parler quand il est en train de cuisiner ; mais en bonne bavarde qu’elle est, la jeune femme se voit mal rester assise là sans faire la conversation. Pourtant, elle a une pensée coupable pour ses devoirs qui l’attendent, comme souvent ces temps derniers - elle devrait peut-être appeler Mrs O’Hara pour lui demander de l’aide, sinon elle risque fort de ne pas réussir à s’en sortir du tout. « Qu’est-ce que t’as d’intéressant à me raconter, sinon ? »

La cuisine permettait à Tao de se changer les idées. Qu’il soit chez lui ou devant ses fourneaux au Noble, assembler les éléments et tenter de nouvelles combinaisons lui offraient la possibilité d’évacuer la pression. Les moments qu’il passait avec Abby étaient tous aussi précieux les uns que les autres et ces dernières semaines, ce sentiment de rareté avait pris des proportions de plus en plus grandes. Il avait pourtant eu l’occasion de lui parler de Siam à plusieurs reprises, mais il n’avait pas trouvé le moment idéal, si tenté qu’il y ait un moment idéal pour aborder le sujet. A vrai dire, il avait peur de la tournure que leur relation prendrait. Jusque-là, tout avait toujours été simple entre eux. En dehors de son travail, rien ne prenait le dessus sur le fait de la voir. Avec un enfant dans l’équation, les choses seraient probablement bien différentes. Abby était plus jeune que lui, habitée par l’idée de profiter de son adulescence et elle aurait toutes les raisons de fuir en apprenant qu’il allait devoir troquer leurs soirées de binge-watching contre des marathons de changements de couches. Quoi qu’il en soit, il allait devoir la mettre au courant avant qu’elle ne se retrouve devant le fait accompli. Concentré devant sa planche à découper, il ne remarqua même pas sa présence à ses côtés et ce furent ses paroles qui le sortirent de ses pensées. Il ne comptait pas la renvoyer chez elle sans rien dans le ventre tout en sachant qu’elle engloutirait probablement de la nourriture préparée qui se trouvait être à des années-lumières de ce qu’il pouvait lui offrir. Il prit une cuillère du plat qui mijotait, souffla dessus, et la porta à la bouche de la jeune femme « Goûte-moi ça » dit-il sans énoncer l’intitulé de son plat. Tao adorait laisser l’occasion de trouver les ingrédients à ceux qui se prêtaient au jeu. « Alors ? Verdict ? » demanda-t-il en passant ses mains autour de ses épaules pour la prendre dans ses bras.

Quand elle lui demanda de lui faire un rapide tour des nouvelles, Tao sentit que le moment était venu d’aborder le sujet de sa future paternité. Il ne savait pas vraiment commencer lancer la discussion puisqu’il avait soigneusement évité de mentionner l’existence de ses sentiments pour Siam depuis qu’Abby et lui s’étaient rapprochés, comme un symbole de sa volonté de laisser cette histoire derrière lui. Ses bras autour de sa nuque, il glissa jusqu’à pouvoir caresser ses joues et la regarda dans les yeux. « Il faut que je te parle de quelque chose » dit-il avant de s’assurer que rien de ce qu’il préparait ne pouvait prendre feu et être gâché à la cuisson.

« J’arrive ! » Cuillère au-dessus du plat qui est sur le feu, Tao demande à Abby de s’approcher, ce qu’elle fait avec plaisir. Il a même pris le soin de souffler pour que ce soit moins chaud, et son côté attentionné ne manque pas de la toucher. Sans se faire prier, elle s’exécute et aussitôt, ses yeux s’illuminent d’un éclat tout particulier. « C’est absolument divin. » La jeune femme n’est pas vraiment étonnée : après tout, elle connaît l’étendue des talents culinaires du brun. Mais à chaque fois, c’est un délice pour ses papilles. « Un vrai avant-goût du paradis, j’adorerais être aussi douée que toi. » Comme il la prend dans ses bras, Abby se blottit un peu contre lui. Leur relation n’est pas tout à fait classique - ils ne forment pas un couple et ne sont même pas censés être exclusifs -, mais elle lui fait du bien et, au fond, c’est l’essentiel. Alors au moment où Tao plonge son regard dans le sien, en caressant ses joues, elle comprend que la discussion s’annonce sérieuse. Forcément, la néo-zélandaise appréhende tout de suite. Néanmoins, elle décide pour l’instant d’en plaisanter car peut-être que d’ici quelques secondes, ce ne sera plus du tout possible. « Pas vraiment le genre de propos que les filles aiment entendre au sortir du lit » rigole-t-elle. Il a l’air grave et ça n’a rien de rassurant. « T’es sûr que tu veux pas qu’on mange d’abord ? » demande-t-elle tout de même, parce qu’elle a toujours eu l’impression qu’une conversation se passe toujours mieux avec l’estomac rempli. Mais comme le jeune homme n’a pas l’air particulièrement disposé à attendre, Abby cède. « Assieds-toi, au moins » suggère-t-elle. La brune lui tend une chaise, pour qu’il puisse rester près du feu s’il le désire. Et en attendant qu’il parle, elle-même croise les jambes, glissant une main dans la sienne comme pour tenter de le rassurer.

Les talents de Tao en cuisine n’étaient plus à prouver. Il avait passé des années dans l’une des meilleures écoles de cuisine du pays et avait obtenu les félicitations de ses professeurs. Désormais, il était un chef prometteur et ses plats attiraient la curiosité de nombreux critiques culinaires en Nouvelle-Zélande et dans le monde entier. Lui qui avait longtemps craint de ne pas réussir à se faire sa place dans le monde de la gastronomie en raison du nom qu’il partageait avec son paternel n’avait plus de souci à se faire. Il surfait sur la vague et profitait de l’aura qui l’entourait. Régaler les siens, c’était l’une de ses priorités. Abby faisait partie de la liste restreinte des gens pour qui il était capable de passer des heures en cuisine, simplement pour leur faire plaisir. Elle occupait une place spéciale dans son cœur, mais elle le savait. « Je suppose qu’avec un peu d’entraînement, tu pourrais l’être » dit-il en se gargarisant de son compliment. La suite de leur conversation risque d’être bien moins agréable et la tournure que cela pourrait prendre l’encourage à savourer le moment. Il espérait simplement qu’elle aurait toujours de l’appétit après avoir entendu ce qu’il avait à lui dire. « T’en fais pas, t’auras quand même ta part avant de partir » dit-il d’un ton rassurant. On pouvait rigoler de beaucoup de choses, mais la nourriture, c’était du sérieux.

Quand elle lui suggéra de venir s’asseoir, Tao ne put résister. Il valait peut-être mieux qu’il formule ses idées les fesses posées sur une chaise que debout, au milieu de la pièce. Il accepta volontiers la main qu’elle lui offrait pour le cajoler et prit une grande inspiration avant de se lancer. Tourner les choses dans tous les sens ne l’aidait pas vraiment alors il irait au plus direct dans l’intérêt de tous. « Tu te souviens, la soirée d’anniversaire de Luke ? » commença-t-il en espérant que la contextualisation ne serait pas de trop. « J’y ai croisé Siam. On a discuté, on a bu et… Ca a dérapé. » Il choisissait spécifiquement ses mots. Ce qu’il s’était passé avec la jeune femme relevait davantage du dérapage que d’autre chose, mais cette erreur était lourde de conséquences. « Dans la précipitation, on ne s’est pas protégés et Siam m’a appris qu’elle était enceinte. Alors on est passés par un tas d’étapes, on a fait un test de paternité et c’est avec mon ADN qu’il y a le plus de correspondance donc… Je vais être papa » lâcha-t-il comme s’il larguait une bombe en plein vol. Les choses étaient dites et un poids s’envolait de son estomac.

« Un peu, beaucoup, énormément d’entraînement. » Abby hausse légèrement les épaules. Il faut bien avouer qu’apprendre à cuisiner n’a jamais vraiment été dans ses objectifs. Elle a bien d’autres passions et, grâce à ses parents, elle a la certitude de ne jamais vraiment être dans le besoin, ce qui fait qu’elle préfère la facilité dans ce domaine. Mais bien sûr, elle est enchantée de partager un peu des merveilleux repas de Tao. « Merci, j’y comptais bien de toute façon… » Sourire malicieux aux lèvres, la jeune femme comprend pourtant que l’heure est au sérieux. Le cuisinier a l’air grave, ce qui l’amène à froncer les sourcils. Que peut-il bien avoir à dire qui amène ainsi un drastique changement d’atmosphère ? Commençant un peu à appréhender, Abby ouvre ses oreilles toutes grandes. « Oui, il y a quelques mois déjà, non ? » Pourquoi revient-il sur un événement qui commence à dater ? Pourtant, elle commence à deviner le tableau qui se forme. Dérapage, quel joli euphémisme pour désigner des relations intimes - mais elle ne le fait pas remarquer, car il n’a visiblement pas fini de parler. Et la nouvelle est de taille. Pendant quelques secondes, la brune ne réagit pas. Il faut un minimum de temps à son cerveau pour assimiler l’information. « Tu vas être papa ? » répète-t-elle, comme si elle voulait être sûre d’avoir bien saisi alors que tout est en réalité très clair. Forcément, elle ne s’attendait pas à ça et son choc doit se lire sur tous les traits de son visage. « Eh bien… J’imagine que les félicitations sont de rigueur. » Abby ne sait pas très bien quoi dire d’autre, surtout que Tao ne l’annonce pas vraiment comme si c’était une bonne nouvelle. Et elle comprend évidemment que ça signifie des changements… Mais à quel point ? Est-elle vraiment concernée, même si lui et elle sont proches ? C’est un peu confus dans sa tête, mais elle ne doit pas être la seule dans ce cas, c’est sûr. « Qu’est-ce que ça veut dire, pour toi et Siam, concrètement ? »