let's try another time (ft. madeleine)

La garde de Jules s’annonçait longue. La nuit précédente, il n’avait pas bien dormi, la faute aux petits tracas qui l’empêchaient de trouver le sommeil. Il avait passé une partie des heures sombres à errer sans but dans l’appartement qu’il habitait à la recherche de réponses à ses questions. Si son travail au cabinet lui plaisait, la relation qu’il entretenait avec Madeleine, la secrétaire, le laissait sur la réserve. Il n’arrivait pas à l’apprivoiser ni même à comprendre les raisons pour lesquelles elle prenait toutes les précautions possibles pour le tenir à distance. Il avait pourtant réfléchi des heures durant, rien, dans son comportement, n’avait pu la mettre mal à l’aise. Il s’était comporté avec elle comme il était dans la vie de tous les jours : joyeux, mais toujours mesuré. Était-ce cette mesure qui le privait d’une relation normale avec sa deuxième collègue de travail ? Il l’ignorait, mais trouver une solution lui permettrait de dormir sur ses deux oreilles à nouveau.

A l’heure de fermeture habituelle, Jules salua Mia qui remontait dans ses appartements au-dessus du cabinet. Il se demandait si sa garde serait ponctuée de visites ou bien si elle serait une de ces nuits plates sans le moindre coup de téléphone qui lui vaille un déplacement. Avant de s’installer dans la petite salle qu’ils avaient aménagée pour prendre du repos, le vétérinaire décida de faire un arrêt par le bureau de l’accueil où il savait Madeleine occuper à boucler certaines finalités administratives. A pas de velours, il s’approcha du meuble en chêne et tenta une énième approche. « Hey, tu es encore là ? » demanda-t-il en déposant une main sur le meuble. Chaque fois que Madeleine et lui discutaient, le ciel semblait s’obscurcir comme si les nuages interféraient dans leur communication. De nature discrète, Jules ne savait comment agir avec elle tant chacune des initiatives qu’il prenait paraissait vaine. Il espérait d’ailleurs que Madeleine ne tarderait pas sans quoi la nuit serait encore plus éprouvante qu’elle ne pourrait l’être avec la détresse de propriétaires d’animaux.

@Madeleine DeWitt

Voilà que le simple fait qu’il pose sa main sur son bureau suffisait à la faire sursauter. A croire qu’il lui faisait peur. Il remarqua presque instantanément ses traits tirés. Elle avait dû passer plus d’heures que prévues au travail ou raccourcir ses nuits. Dans tous les cas, il ne se voyait pas lui faire remarquer compte-tenu des relations déjà tendues qu’ils entretenaient l’un avec l’autre. « Désolé, je ne voulais pas te faire peur » dit-il pour excuser son approche visiblement brutale.

Même s’il en savait peu à son sujet, Mia lui avait expliqué que la situation de la secrétaire était bien plus compliquée qu’il ne pouvait se l’imaginer. La vétérinaire n’était pas rentrée dans les détails et Jules n’avait pas creusé, ne voulant pas se montrer indiscret et dépasser les limites du professionnel, mais il avait conscience que les choses n’étaient pas toujours aussi simples qu’elles en avaient l’air. « Tu devrais rentrer te reposer. Les dossiers attendront. » dit-il avec sincérité. Il était bien placé pour savoir qu’il fallait savoir s’arrêter et disposer une barrière entre le travail et la vie privée, la santé étant l’un des fondements de cette dernière sphère. Que Madeleine soit distante avec lui, c’était une chose, mais il ne la laisserait pas s’épuiser pour autant. « Quitte à ce que je prenne le relais si la nuit est longue. Mia comprendra, ne t’en fais pas ». Mia était loin d’être une patronne tyrannique. Elle avait ses exigences, certes, mais elle restait très humaine et comprendrait que la jeune femme ait eu besoin de davantage de temps. Ceci étant dit, Jules ne sut quoi ajouter. Il en avait même oublié qu’elle lui avait posé une question, c’est dire comme le contexte qui régnait entre eux le perturbait. « Prêt. Je n’aurais pas dit non à un peu de repos, mais qui sait, la nuit sera peut-être tranquille. Il faut l’espérer pour les animaux et leurs maîtres ». Qu’il s’agisse d’un coup de téléphone ou d’une consultation d’urgence, l’appel à un vétérinaire de garde n’était jamais anodin. Souvent, les professionnels avaient affaire à des maîtres inquiets pour leurs animaux et les situations étaient très diverses. D’un naturel très rassurant, Jules était plutôt du genre à ne refuser aucun appel et à dispenser les bons conseils sans chercher à faire du profit. Il savait que nombre de ses confrères profitaient des propriétaires en détresse pour leur soutirer un maximum d’argent, mais le trentenaire se refusait à faire partie de cette secte. Pour lui, ce qui comptait vraiment, c’était le bien-être de ses amis à quatre pattes. « Tu devrais vraiment rentrer te reposer » insista-t-il quand il la vit étouffer un bâillement qu’il préférait juger comme un signe de fatigue que comme de l’ennui.

La disponibilité et l’engagement de Madeleine étaient louables, mais ils devaient bien cacher quelque chose. Après autant d’invitations de la part de l’un de ses patrons à partir, il fallait être bien déterminée pour ne pas saisir l’opportunité. C’est d’ailleurs cette piste d’un quelque chose extérieur qu’elle évitait soigneusement qui se confirma quand il constata un changement de ton dans la façon dont elle lui répondait. Son insistance pour qu’elle se repose avait visiblement franchi une limite. Jules, bonne pâte, ne lui en voulut pas. Elle devait avoir ses raisons et de toute façon, il avait peut-être trop insisté. Du moins, c’est ce qu’il se disait pour lui pardonner immédiatement son excès.

En une phrase, elle confirma ce qu’il avait senti. Le vétérinaire n’était pourtant pas très perspicace avec la plupart des humains, il préférait de loin les animaux qu’il comprenait souvent mieux, même sans que ces derniers aient la parole. Néanmoins cette fois-ci, il semblait avoir vu une brèche dans l’attitude de Madeleine et ne put s’empêcher de s’y engouffrer. « Tu veux en parler ? » demanda-t-il le plus naturellement possible. Jules était un bon confident pour ses amis, mais il n’était peut-être pas la première personne vers qui elle souhaitait se tourner en ce moment. Les relations étaient si complexes entre eux qu’il comprendrait qu’elle l’écarte rapidement. « Enfin, t’es pas obligée, hein. » lança-t-il pour la rassurer sur ses intentions. Ce n’était pas de la curiosité mal placée, Jules ne mangeait pas de ce pain-là, mais plutôt une réelle volonté de bien faire dans l’intérêt de tous. De son côté, il était plutôt un peu mufle selon ses proches, du genre à garder pour lui ce qui le tracassait et à faire le dos rond en attendant que la tempête passe. Il ignorait comment se comportait Madeleine face aux problèmes, mais il espérait qu’elle ne le verrait pas comme un collègue intrusif voulant satisfaire sa soif de potins. De toute façon, Jules n’aurait pas grand monde avec qui partager les indiscrétions de la secrétaire : Mia n’était pas du tout de ce style et ça, Madeleine devait l’avoir compris puisque les deux femmes s’entendaient très bien.

Il allait fouiller dans l’un des tiroirs de la petite salle et en sortit une plaquette de chocolat fraîchement entamée qu’il déposa sur le bureau. « Celle-ci, je la sors qu’en cas de coup dur, elle est bien rangée hors de portée des animaux pour éviter un drame, mais elle a le mérite d’exister ». Peut-être qu’elle n’aimait pas le chocolat, il le saurait bien vite.