une journée comme une autre (keila - vie alternative)

une journée comme une autre (va)
crédit/ tumblr ✶ w/keila

Les AirPods font partie des inventions dont je me sers le plus – en plus du téléphone, bien sûr. En pleine discussion avec mon père, je peux poursuivre ce que je faisais à côté : cuisiner. « Le jour où je portais une couche comme tous les bambins de la ville est révolu. Je n'ai plus besoin d'une baby-sitter. » Dis-je, alors que je retourne l'un des derniers pancakes de ma fournée. Keila est un peu plus que ça maintenant, mais il est préférable d'utiliser un terme imagé pour que mon père puisse comprendre où je veux en venir. « C'est pour ta sécurité. » « Papa.. » Je ne peux m'empêcher de soupirer un peu. « Ça fait des mois que tu dis cela et pourtant, rien a changé dans ma vie. Rien hormis le fait que je ne peux plus sortir seule de chez moi. » Je me déplace entre les meubles de la cuisine et dépose une gourde d'eau devant Lilly, qui est installée dans sa chaise haute. « Quand est-ce que ça finira ? » Cette question, ce n'est pas la première fois que je lui pose et ce n'est pas la première fois que je me retrouve face à un silence en guise de réponse : je suis sûre qu'il ne la connaît même pas. Embaucher toute une équipe de garde du corps suite à quelques menaces, c’est un peu extrême. Depuis le jour où il a pris cette décision, il ne s’est rien passé. Des semaines avec quelqu’un qui me suit, matin et nuit, c’est épuisant et j’ai juste envie que ça s’arrête. Un peu plus loin derrière moi, la porte d’entrée s’ouvre. Keila est la seule à avoir la clef, alors c’est sûrement elle. « Je dois y aller. » Dis-je à mon père, toujours au bout du fil. Ne voulant pas que cette conversation s’étale alors que la brune est là, je raccroche. « J’ai préparé des pancakes pour le petit-déjeuner. Tu peux en prendre si tu veux. » J’offre un doux sourire à la jeune femme. Même si sa présence en tant que garde du corps commence à me peser, elle n’y est pour rien : elle fait juste son boulot. Dans une assiette pour enfant, je viens découper l’un des pancakes en morceaux et les propose à Lilly. Le temps où elle mangeait que de la purée, de la compote et du lait est terminé. Maintenant, elle mange comme nous – le plus souvent, et ce sont des soucis en moins.

J’ai arrêté de compter les jours, les semaines, les mois depuis que je travaille pour la famille Hallenstein. Je pense que je ne suis pas tombée sur la pire, mais j’aurai pu m’en tirer mieux quand même. Le deal était clair, la moitié de la somme à l’arrivée, l’autre moitié à la fin du contrat. Sauf que pour l’instant, il n’y a pas de date de fin pour cette mission qui s’éternise. Je dois jouer les petites amies parfaites aux yeux du monde, alors que je suis en réalité là pour protéger l’aînée de la famille, suite à des lettres de menaces reçues par le paternel. La famille a largement de quoi se payer des gardes du corps personnalisés, mais ça commence à faire long. Je vis ici en permanence, je dors dans la chambre d’amis, je dois l’accompagner partout dès qu’elle veut sortir et j’ai même dû me faire embaucher dans la boîte de sécurité de son entreprise, histoire de ne jamais la lâcher une seule minute. Le sens endroit où je la sais à peu près en sécurité, c’est chez elle, une fois que j’ai fait le tour pour vérifier que rien ne cloche.
Je me permets quand l’emploi du temps me le permets, d’aller courir une petite heure le matin, quand Romi est encore chez elle avec sa fille. Comme ce matin d’ailleurs. J’en ai besoin, ça me fait du bien, et j’ai bien conscience que Romi en aurait besoin aussi. Son seul échappatoire, c’est quand elle s’enferme dans la salle de bain pour prendre un bain justement. Mais autant dire que ce n’est pas très fréquent.
Elle raccroche un appel téléphonique, je me doute un peu de la personne qu’elle avait au bout du fil, elle a tendance à appeler son père pour le supplier de mettre fin à mon contrat et être enfin tranquille. Manque de bol, il n’a pas l’air bien décidé à nous laisser reprendre notre liberté. « J’ai préparé des pancakes pour le petit-déjeuner. Tu peux en prendre si tu veux. » « C’est gentil, merci. » Je lui adresse un léger sourire. Même si c’est lourd la plupart du temps, pour elle comme pour moi - parce que je dois malgré tout faire mon travail - je n’ai pas envie que les choses se passent mal.
Je m’assieds à table et frictionne les cheveux de la petite Lily, juste pour la voir ronchonner. Elle est mignonne, même si je n’aime pas les enfants en règle générale. Disons que j’ai dû m’y habituer. Elle me fait sa petite tête de démon en fronçant ses micro sourcils, et je lui tire la langue. On se demande laquelle est deux est l’enfant dans l’histoire. « Ton père n’est toujours pas décidé à te laisser tranquille ? » Question rhétorique. Si tel avait été le cas, j’aurai probablement été au courant en même temps qu’elle, peut-être même avant elle…

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Avoir cette discussion avec mon père, c’est devenu une habitude. Je pensais qu’un jour, il finirait par se lasser et me dirait qu’on pouvait arrêter tout ça, toute cette sur-protection. Mais jamais il n’a douté de ses convictions et poussé par la peur, pour sa famille et lui, il a préféré être trop prudent que pas assez. Cette décision commence à me peser et je pense que je ne suis pas la seule. Alors que Keila nous rejoint dans la cuisine et que je m’efforce d’agir naturellement, la jeune femme me fait rapidement comprendre qu’elle n’est pas dupe. « Tu as entendu notre conversation ? » Ce n’est pas un reproche, mais je suppose que ce n’est pas toujours agréable d’entendre que l’on cherche à se débarrasser de nous. Je pourrais vouloir lui cacher ce que je ressens vis-à-vis de sa protection en passant mes coups de fil dans la salle de bain, pendant que l’eau coule, mais je ne suis pas particulièrement fan à l’idée de lui cacher des choses. Depuis le début de son boulot, elle vit sous le même toit que Lilly et moi, alors autant faire en sorte que les relations entre nous soient agréables. « D’après lui, le danger est toujours là. Selon moi, il exagère un peu. » Il n’a plus reçu de menaces depuis la dernière fois, c’était sûrement des paroles en l’air, un message envoyé par quelqu’un qui avait un peu trop bu après son boulot. « Si on continue comme ça, tu vas rester coincée avec nous pour encore quelques années. » Dis-je, cherchant ainsi à détendre un peu l'atmosphère. Par chance, Lilly apprécie la jeune femme. Sans ça, j'aurais sûrement déjà demandé à changer de garde du corps. « Est-ce que je suis la seule à me plaindre ? » Je ne suis pas idiote, je me doute bien que Keila parle avec les autres gardes du corps de la famille. Enfin, je suppose. Quand j'appelle mon père, j'ai l'impression d'être la seule de ses enfants à lui demander de mettre tout cela sur pause. « Tu vas finir par croire que je veux me débarrasser de toi. » Loin de moi l'idée de penser qu'elle fait mal son travail. Mais je me dis qu'il est peut-être temps pour nous deux de reprendre notre vie là où elles étaient avant. En plus de m'imposer une protection, mon père n'a rien trouvé de mieux que de proposer que la brune et moi jouions un couple heureux. Autant dire que comme relation, ce n'est pas très sain. Je pense qu'en surface, nous nous en sortons plutôt bien, mais qu'est-ce qui va se passer si ce cinéma continue encore longtemps et que la réalité rattrape la fiction ? J'ai l'impression d'être bloquée : je ne peux pas ressentir quelque chose pour Keila, mais je ne peux voir personne d'autre.

« Tu as entendu notre conversation ? » me demande-t-elle sans tarder, en réponse à ma question. « Non, mais j’ai l’habitude que quand tu raccroches au moment où j’arrive dans la pièce, c’est que tu étais en train de te plaindre à ton père… » Je ne peux pas dire que ça m’enchante de faire ce constat, mais en même temps je ne peux pas lui en vouloir. Elle estime que la décision de son père est démesurée, moi je pense qu’il y a vraiment eu un danger. Est-il toujours d’actualité ? Je l’ignore, mais le père Hollenstein estime que la sécurité de sa famille est primordiale. Je peux le comprendre. « D’après lui, le danger est toujours là. Selon moi, il exagère un peu. » C’est exactement ce que je disais. « Si on continue comme ça, tu vas rester coincée avec nous pour encore quelques années. » Je ris un peu, pour essayer de dédramatiser les choses. « Je ne devrais pas te le dire, mais je te fais confiance. J’ai discuté avec ton père il y a quelques jours, il a mis des gens sur l’affaire pour démêler l’histoire. Il ne se contente pas d’attendre et vous mener la vie dure… » C’est un homme intelligent. « Ça finira par se tasser, et il vous laissera tranquilles. » Je hausse un peu les épaules, essayant de la rassurer malgré tout, même si ce n’est pas vraiment mon rôle. Moi, je dois jouer la comédie quand nous sommes sous les regards extérieurs, et ici, je dois me contenter d’attendre, et vérifier que personne ne vienne lui chercher la merde. Ce n’est pas le boulot le plus fun que j’ai eu à faire, c’est sûr, mais ce n’est pas moins intéressant pour autant. Je dois rester sur mes gardes constamment, et d’autant plus qu’il y a une mini Romi à protéger. « Est-ce que je suis la seule à me plaindre ? » demande-t-elle en essayant d’en savoir davantage. « Tu n’as pas tes frères et soeur au téléphone ? » Après tout, elle peut aller chercher cette info directement aux sources, si elle veut. Je suis sûre qu’elle en a au moins discuté avec la benjamine, puisqu’elles sont proches. Je ne compte plus le nombre de fois où nous nous sommes retrouvés tous les quatre, Romi, Toni, le garde du corps de cette dernière et moi, au parc ou ailleurs. Ce n’est pas les meilleurs moments que j’ai passés je dois bien avouer. Ma vigilance est doublée quand il s’agit de la petite Lilly. S’il devait lui arriver quoi que ce soit, je ne pourrai jamais me le pardonner. « Tu vas finir par croire que je veux me débarrasser de toi. » Je termine mon pancake et lui réponds avec une certaine nonchalance. « Je comprends. Tu as perdu ta liberté depuis que je suis là, et ça commence à faire long. Mais t’inquiète pas, je vais pas rester des années. Ça va finir par se décanter. Et tu pourras de nouveau avoir une vie amoureuse… » Je ne sais pas si c’est ça qui commence à la mettre à cran - ce qui pourrait se comprendre aussi - mais je sens bien qu’elle n’est plus aussi calme qu’elle a pu l’être. Je ramasse la fourchette de Lilly qu’elle vient de jeter par terre, et le microbe recommence. « Par contre il va falloir apprendre à ta fille à me respecter. » Ce la fait rire, et je continue de ramasser ses couverts pendant qu’elle les fais à nouveau tomber par terre…

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Que mon père soit la personne au bout du téléphone n'est pas vraiment une surprise pour Keila et ça ne m'étonne pas tant que ça. Après plusieurs semaines de cohabitation, elle commence à me connaître et je commence aussi à apprendre des choses sur elle. Je finis par lui exposer certaines de mes théories et la jeune femme doit réaliser que je suis à bout de tout cela, alors elle prend des risques et me donne des informations que j'ignorais jusque là. « Vraiment ? Ça va s'arrêter ? » C'est devenu une routine pour moi, que c'est presque bizarre à entendre. Même si c'est ce que j'attendais, je n'ai pas envie de me faire de fausses joies. Au sujet de tout ça, des conversations que j'ai avec mon père, sur la fin de cette mascarade, je ne peux m'empêcher de me demander si je suis la seule à me plaindre. Malheureusement, Keila n'est pas encore prête à me donner des réponses. À la place de ça, elle retourne une question contre moi : est-ce que j'en ai déjà parlé à mes frères et sœurs ? Pour être honnête, non. Quand je suis avec eux, c'est un moment à part, un moment où j'évite de penser à tout ça. En terme de garde du corps, j'aurais pu tomber sur bien pire que la jeune femme et ça, je m'en rends compte tous les jours. Encore aujourd'hui, elle est compréhensive – sûrement plus que ce qu'on lui demande. Elle n'est pas bête, elle se doute bien que cette situation n'est pas idéale, surtout pour avoir une vie privée. Avant même que j'ai le temps de dire quoique ce soit, Lilly commence à se jouer de la brune. « Tu t'obstines à ramasser, elle serait folle de ne pas continuer. » La petite fille n'est pas bête, elle a compris que Keila se baisserait à chaque fois pour lui ramasser sa fourchette, alors autant continuer pour être sûre d'avoir toute son attention. « Finalement, peut-être que tu me manqueras quand tout cela sera fini. À elle aussi. » Dis-je, un fin sourire sur les lèvres. Réalisant que tout cela peut être interprété de différentes manières, je décide de changer de sujet pour revenir à quelque chose de plus classique. « Est-ce que tu veux autre chose ? » Un autre pancake ou peut-être un jus d'orange, les possibilités sont multiples – tant que le réfrigérateur a ce qu'elle désire. « Je vais aller lui nettoyer un peu le visage. Après ça, on pourra partir. » Aujourd'hui, Lilly passe la journée avec ses grands-parents, les parents d'Alice. Ce qui n'est pas une si mauvaise chose, car je dois me rendre au bureau. Comme à son habitude, Keila doit se plier à mon emploi-du-temps et m'accompagner partout où je vais. Je viens prendre la petite fille dans mes bras et nous montons à l'étage pour que je m'occupe un peu d'elle. Pendant ce temps, je laisse la garde du corps faire ce qui lui chante : ici, une fois vérifié, c'est le lieu où je suis vraiment en sécurité. Après plusieurs minutes et quelques négociations avec Lilly, nous revenons au rez-de-chaussé, prêtes à partir. « C'est bon ? » Dis-je, à destination de l'autre adulte de la pièce. Dans quelques minutes, la relation entre nous va prendre une tout autre tournure, puisqu'une fois la porte passée, la comédie fera son entrée.

« Vraiment ? Ça va s'arrêter ? » JE ne peux pas m’avancer. Encore une fois, je reste silencieuse, ne voulant pas donner de réponse trop concrète et qu’elle s’y accroche. Pendant notre discussion, la petite Lilly semble essayer de se jouer de moi. Et ça a l’air aussi de bien amuser sa mère. « Tu t'obstines à ramasser, elle serait folle de ne pas continuer. » J’étais en route pour aller récupérer la fourchette et je m’arrête net, me redressant sans ramasser le couvert qui reste sur le sol. « Tu m’as prise pour ton boy. » dis-je à l’attention de la petite fille, visiblement déçue de voir que j’arrête de jouer avec elle. « Finalement, peut-être que tu me manqueras quand tout cela sera fini. À elle aussi. » Pourquoi j’ai un pincement au coeur d’un seul coup ? Je n’ai même pas le temps de répondre qu’elle me demande si je veux autre chose. Je secoue cette fois la tête. « Non merci, c’était super bon. Je vais aller prendre une douche. » Nous montons toutes les trois à l’étage, Romi et Lilly filent dans la chambre de la petite fille pour le débarbouillage pendant que je prends une douche rapide et me prépare pour sortir. Je ne suis maître de rien du tout, je dois me contenter de suivre l’emploi du temps de Romi. Je me suis même faite embaucher dans son entreprise pour pouvoir garder un oeil sur elle. Graisser la patte à la boîte de sécurité qui gère l’étage n’a pas été un grand souci. Il n’y a que cet uniforme que je déteste, et les regards des employés encore plus. Evidement, une femme à la sécurité, ce n’est pas ce qui est le plus habituel. Certains ont des regards plutôt salaces, d’autres condescendants, et d’autres encore se demandent comment ils pourraient être en sécurité avec moi. S’ils savaient.
Tout le monde est prêt, et je réponds positivement à la question de l’aînée Hallenstein. Si, il y a quelque chose que j’ai au moins pu obtenir : le volant de sa voiture. C’est moi qui la conduit la plupart du temps, et ça me donne au moins un peu l’impression d’avoir la main sur quelque chose. Sur des plans différents, je pense que nous avons toutes les deux la même sensation, de n’avoir de contrôle sur rien, devoir subir… Mais on s’habitue. Nous roulons donc jusqu’à chez les grands parents de la petite fille. Je me gare et descends la première, mon regard de lynx balayant l’horizon pour vérifier qu’il n’y ait aucun danger, le temps de faire le tour du véhicule. J’ouvre la portière arrière pour détacher Lilly et adresse un regard à Romi, je n’ai pas besoin de lui parler, nos regards se suffisent pour qu’elle sache si elle a le champs libre ou non. « Bonne journée avec papi et mamie, crevette. » Je dépose un baiser sur la joue de la petite fille avant de la donner à sa mère. « Je t’attends là ? »

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Quelqu'un qui ne connaît pas notre histoire pourrait facilement penser que nous formons une famille, une famille presque parfaite même. Mais c'est loin d'être la vérité et c'est parfois douloureux de se dire cela. Après le décès de Laurel, je l'ai rêvé cette famille. Je l'ai construite et finalement, on m'a retiré Alice, m'arrachant une partie du cœur avec. Lilly n'a que très peu de souvenirs de sa mère, c'est bien pour cela qu'elle s'est attachée aussi facilement à Keila. Cependant, un jour, elle devra partir elle aussi et je n'ai pas envie d'imaginer ce qui se passera pour la petite fille. Il n'est pas l'heure à de telles réflexions, sinon nous allons finir par être en retard. Pendant que la garde du corps file à la douche, je m'occupe de débarbouiller Lilly, pour qui manger rime encore avec carnage. Toutes prêtes, il est temps de partir chez les parents d'Alice. Leur maison n'étant pas très loin de la notre, nous y arrivons très vite. Keila est la première à descendre de la voiture. Elle inspecte l'horizon pour s'assurer qu'il n'y a pas de danger, que personne nous attend ici. Elle récupère la petite fille dans son siège et me la tend après lui avoir offert un baiser. « Oui, merci. Ça devrait aller. » Avec mes parents, je ne verrais aucun mal à ce que Keila m'accompagne. Mais là, avec les parents de ma défunte femme, je crains que ce soit un peu déplacé. Ils doivent bien se douter qu’un jour, je referais ma vie. Cependant, c’est une tout autre histoire de ramener cette femme chez eux. Après avoir déposé ma fille, je reviens prendre place dans la voiture. « C’est bon. Nous pouvons y aller. » La brune reprend le contrôle, derrière le volant et nous nous dirigeons vers Wellington, là où se trouve l’entreprise familiale. Arrivées en bas du bâtiment, une fois la voiture garée, je remarque qu’il y a déjà du monde. Instinctivement, ou plutôt comme une habitude, je viens glisser ma main dans celle de Keila, cette femme qui est censée être ma petite amie. Grâce à l’ascenseur, nous montons jusqu’ l’étage où je travaille. C’est ici que nos chemins se séparent. À la vue de tous, je me rapproche de la brune et viens déposer un tendre baiser sur ses lèvres. Un geste simple pour la saluer, mais aussi pour que sa couverture tienne. Je viens ensuite me rapprocher un peu plus d’elle pour murmurer quelques mots à son oreille, que seule elle peut entendre. « Si tu as besoin de te détendre un peu, n’oublies pas que tu peux venir dans mon bureau. » Les stores fermés, elle pourra relâcher un peu la pression. Elle pourra redevenir celle qu’elle est vraiment. Sa visite pourra aussi être l’occasion pour moi d’avoir une distraction et de faire une pause dans ces nombres que je manie à la perfection. Même j’aimerais que tout cela s’arrête, je dois avouer que la brune est aussi ma dose de joie dans la journée. Depuis Alice, c’est la première femme de qui je suis "proche".

Je reste aux aguets, même lorsque Romi a disparu de mon champs de vision avec sa fille. Mon regard n’est jamais en pause, je suis en alerte à chaque instant. Même quand je dors, ce n’est jamais profondément. Je m’y suis habituée, de toute façon, j’ai une légère tendance à l’insomnie, et quelques petites heures de sommeil me suffisent. Je sais que le danger peut arriver de toute part, et même si je pense que cette affaire de lettres de menaces n’est pas un réel danger, je suis payée pour rester sur mes gardes, et c’est ce que je fais. Romi ressort de chez ses beaux-parents (j’imagine qu’on peut toujours les appeler ainsi puisqu’elle est veuve ?), et me rejoins dans la voiture. Nous pouvons nous rendre à l’entreprise Hallenstein, et je n’en suis pas particulièrement enchantée. Mais c’est une partie de mon travail. J’ai connu des missions plus exotiques, il faut bien l’admettre. Une fois la voiture garée dans le parking, nous remontons aux étages où se trouvent les bureaux, et instinctivement, la jeune femme glisse sa main dans la mienne comme une habitude bien rodée depuis que nous devons tenir ce rôle de couple ‘modèle’. Une fois arrivées à son étage, elle vient m’embrasser tendrement. Peut-être que je m’y suis habituée, et que j’apprécie un peu trop ça. Mon esprit divague un instant, je ne dois pas apprécier. Je le sais. « Si tu as besoin de te détendre un peu, n’oublies pas que tu peux venir dans mon bureau. » Je souris un peu, sa phrase aurait pu être entendue par n’importe qui, elle aurait été crédible, et très certainement détournée de sa signification première. « Je n’y manquerai pas. » Je la laisse filer alors que l’ascenseur remonte aux étages supérieurs, puisque  nous -l’équipe de sécurité- avons une réunion au sommet. « Je savais pas que tu te faisais l’aînée. » déclare un de mes collègues récemment arrivé, faisant s’esclaffer un autre un peu à l’arrière. « Tu es jaloux ? » « Franchement, ouais. » Ça m’amuse plus qu’autre chose, je ne suis pas là pour me prendre la tête avec quiconque, et aucun d’eux ne doit savoir quelle est réellement ma fonction. Je ne mens qu’à moitié sur mon métier, il est juste légèrement détourné puisque je ne suis pas une employée de cette entreprise comme une autre.
Finalement, la journée se passe plus vite que je ne l’imaginais, et la routine reprend ses droits. Je m’arrête à l’étage de Romi, rejoignant son bureau et saluant ses quelques collègues dans les couloirs. Je frappe à la porte de son bureau, et, sentant une présence non lui, m’adresse à elle sur un ton mielleux. « T’as fini mon coeur ? On peut rentrer ? »

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Je suis sortie de mes pensées par Keila, qui après avoir frappée à la porte, ouvre mon bureau. La phrase qu’elle prononce, bien qu’adorable, est lourde de sens. Si elle a utilisé ce surnom pour me parler, c’est qu’il y a du monde autour d’elle et qu’elle ne peut pas vraiment agir comme elle le voudrait. Les premiers jours, j’ai été un peu surprise d’entendre cela, mais doucement, je m’y suis faite et j’ai également commencé à utiliser ce genre de surnom. « Oui, je sauvegarde cela et nous pouvons y aller. » Elle ne serait pas venue à moi, je pense que j’aurais continué encore longtemps. C’est cela aussi l’avantage d’avoir sa moitié – vraie ou fausse –  qui travaille au même endroit : ça permet d’éviter les horaires excessifs. Je rassemble mes affaires et mets celles qui pourraient me servir plus tard dans mon sac. Mon ordinateur éteint, je prends la direction de la porte de mon bureau. Maintenant proche du couloir, je vois deux de mes collègues qui y discutent. « J’ai une bonne nouvelle : nous sommes seules ce soir. Les parents d’Alice m’ont proposé de garder Lilly ce soir. » Je m’adresse à Keila et uniquement à elle, mais avec les oreilles qui peuvent traîner, je me méfie. Pour un couple, pouvoir se retrouver seul, sans la présence d’une petite fille de deux ans, c’est le pied et forcément, tout cela fait partie de la comédie. Même s’il y a peut-être autre chose aussi. « J’ai commandé le repas, il faudra que nous nous arrêtions sur le chemin pour le récupérer. » Je ne suis pas très discrète, pour que toute cette histoire soit crédible, mais il y a néanmoins une part de vérité : je n’ai pas envie de cuisiner ce soir et comme je sais que Keila n’aurait pas accepté que je fasse livrer quelque chose à la maison, j’ai fait le choix de commander notre repas pour que ce soit elle qui descende le récupérer. « Il est même possible qu’une bouteille de champagne se soit glissée dans ma commande. » Je hausse légèrement les épaules, un air innocent dessiné sur mon visage. Je referme la porte derrière moi et ensemble, nous nous dirigeons jusqu’à l’ascenseur. Une nouvelle fois, nos mains viennent s’effleurer. Alors que nous sommes seules, tout pourrait prendre fin, pourtant, je mets du temps à retrouver une certaine distance avec elle. Nous faisons le chemin inverse de ce matin et une fois dans la voiture, je sais que je peux maintenant dire ce que je veux. « Tout ce que j’ai dit est vrai. Tu pourras t’arrêter à l’italien, celui à côté de la caserne des pompiers. » Il ne faut pas plus d’information à Keila pour prendre la route et nous emmener à destination. Je connais plutôt bien cet endroit puisqu’il se trouve à seulement quelques mètres de l’ancien travail de mon épouse. Elle se gare et je sors mon porte-feuille pour lui donner un peu d’argent : j’ai passé la commande, c’est tout naturel que ce soit à moi de régler. « Tiens ! Je ne sais plus exactement combien c’était. »

« Oui, je sauvegarde cela et nous pouvons y aller. » Je hoche la tête en lui souriant, et reste à la porte du bureau en attendant qu’elle prenne ses affaires pour que nous puissions rentrer. Une fois près de moi, elle m’annonce que sa fille reste cette nuit chez ses grands parents, ce qui nous laisse le champs libre. Je ne peux retenir un sourire amusé. Pas tant par ce qu’elle m’annonce, mais par le jeu qui est en place depuis un moment. Je dois dire que dans certaines situations, c’est assez drôle. Elle me dit également qu’elle a commandé notre repas, quelle organisation. « Il est même possible qu’une bouteille de champagne se soit glissée dans ma commande. »  « Tu es trop efficace. » Je dépose un baiser sur sa temps et glisse une main dans le creux de ses reins, juste pour les regards qui traînent. Et aussi parce que c’est loin d’être désagréable, et que la tendresse que je lui porte dans ces moments là, pourrait être réelle s’il n’y avait pas ce contrat entre nous.
Une fois dans la voiture, nous retrouvons peu à peu notre naturel, sans artifices, sans ce jeu de faux semblants. Pourtant, notre alchimie est réelle, même si je ne veux pas me l’avouer. Elle me demande de m’arrêter à l’italien pour récupérer la commande, et c’est jusqu’à cet endroit que je conduis. Pour ce genre de chose, je ne la laisse pas sortir. J’ai plus confiance à la laisser dans la voiture, les portières fermées à clé. Nous avons pris des habitudes, il y a des règles à respecter. « Tiens ! Je ne sais plus exactement combien c’était. » dit-elle en me donnant de l’argent. « C’est quoi ce billet ? On dirait un faux ! » Il est tellement neuf qu’il donne l’impression de venir d’un jeu. « On dirait un billet de La bonne paye. Ou un simflouz ! » Je ris un peu pour moi-même. Je n’ai jamais joué à ce jeu vidéo, les Sims, mais mes petits frères l’adoraient, étrangement. Je secoue la tête et prends le chemin du restaurant italien pour récupérer notre commande, et rentrer à la maison. Enfin, chez Romi. Lapsus révélateur. Une soirée seules toutes les deux, ce n’est pas arrivé depuis très longtemps, et il se peut que j’appréhende un peu…