l'histoire de ma vie
« J'habitais seul un monde de plaintes, et mon âme était une onde stagnante. »
« Un autre biscuit, Edgar ? » le gamin -qui avait quand même dix-huit ans, mais était encore vue comme un gamin aux yeux de sa tante- secoua la tête de droite à gauche en reprenant une nouvelle gorgée de son thé. Il détestait le thé de sa tante, mais pour lui faire plaisir il se forçait à avaler cette eau chaude dégueulasse qui allait lui donner envie de pisser pendant deux heures non stop.
« Alors raconte-moi, tu comptes entrer dans quelle université ? » il lisait dans ses yeux qu'elle pensait à Harvard, Oxford ou Cambridge car il faisait partie des Lenormand et les Lenormand, font
toujours de grande étude. Il souffla doucement en haussant vaguement les épaules en l'air.
« Je ne sais pas, ma tante. Mais une école de lettre. Une, fac de lettre. » il avait employé le mot français pour la faire percuter, mais elle semblait encore perché par ses rêveries d'Harvard. Après longue réflexion, il se força à reprendre un biscuit aux noix de cajou. Qu'est-ce qu'ils sont dégueulasse.
« Une fac de lettre ? Où ça ? Et laquelle ? » c'est partit pour l'interrogatoire.
« En France, certainement Rouen. La première qui se présente. » son visage devient blême, ce qui la fit prendre dix ans d'un coup. Elle se pencha, regarda vivement à droite à gauche et souligna qu'ils ne devaient pas parler à voix haute en lui posant un doigt contre sa bouche.
« T'es parents sont au courant ? » délicatement, le gamin secoua négativement la tête et reposa sa tasse. Si sa tante en faisait déjà tout un plat, il s'attendait à une horde d'injure de la part de ses parents.
« Ne t'en fais pas, ma tante. De toute façon, je veux devenir écrivain et il n'y a pas besoin d'étude pour faire ce métier. J'y resterait quelques années et je verrais bien ce que je ferait par la suite. » sa tante se recoucha dans son fauteuil et sirota son thé. Elle faisait le calcul tout seul : Edgar rentre à la fac, il travaillera quelques années avant d'arrêter parce que les cours ça le saoulera et que ses parents continueront tout de même à lui verser de l'argent. A ce moment là, il fera le tour de son petit monde et partira à la conquête de l'inspiration. «
- Et qu'est-ce que tu fais de moi, dans tout ça ? – Je continuerai à te rendre visite le plus possible, ma tante. – Island Bay et ma maison te garde la porte ouverte Edgar. » elle lui sourit délicatement, ce qui fit sourire le gamin qui finit d'une traite sa tasse et la posa sur la petite table en retenant sa grimace.
« Ce thé est vraiment immonde. » cracha sa tante en laissant sa tasse à moitié pleine. Et les deux compères se mirent à rire tendrement.
Son vol vient d'être annulé, supprimant son rêve de tour du monde par la même occasion. Edgar s'assit sur un des bancs dans la salle d'attente, pestant à tout va contre le service aérien de crevard et essayait de faire le point. Sa fac de lettre avait été un vrai désastre, il n'avait pas fait long feu : un an avant d'envoyer tout balader, mais continuait à se pointer présent pour ne pas se faire virer et continuer à s'incruster dans les soirées étudiantes.
Les études, ça ne sert qu'à abrutir ; lui avait dit sa tante. Il avait pris cette phrase au pied de la lettre et après cinq ans à redoubler, passer de justesse et finir son cursus, il décida de quitter la France et le monde du travail pour se consacrer à l'écriture de son prochain livre. Un futur best-seller, il se voyait déjà adulé par des millions de fans, ses livres vendus à des milliards d'exemplaires, traduis dans le monde entier et l'inspiration coulant à flot sur une page blanche. Mais
rien ne lui venait. L'angoisse la plus totale l'habitait chaque jour, il n'arrivait à rien, n'arrivait pas à écrire un ridicule mot qui pourrait sembler convenir à son livre. Edgar en était venue à cette conclusion : quoi de plus rafraîchissant qu'un tour du monde pour se remplir la tête d'histoire et d'inspiration ?
Le souffle coupé le grand français-anglais-italien fit un tour sur lui-même, totalement paumé.
Et merde ; souffla t-il en voyant son ami venir à lui avec un grand sourire. Il poussa les quelques personnes qui lui barrait la route, releva son pull en cachemire et se pointa devant le visage de son ami.
« Je suppose que j'ai gagné ? » c'est ça, rigole du con. Pour simple réponse, Edgar lui lança un regard noir et le suivit, valise à roulette à la main.
« Alors ? T'en penses quoi ? » debout sur le pas de la porte, il regarda Newton s'étaler dans le lit une place, qui trônait au milieu de la pièce miteuse. Le premier mot qui lui venait à l'esprit était : dégoûtant. Le papier peint s'effritait et tombait en ruine, laissant apparaître quelques cafards aux quatre coins de la chambre, la salle de bain n'était qu'un vieux robinet accompagné d'une bassine très certainement percée et il n'y avait qu'un lit d'une personne où toute les lattes avaient du être péter par les autres visiteurs puisque Newt avait le cul à terre.
« C'est du cinq étoiles ? » déçut, dégoûté et n'ayant pas le cœur à se plaindre, il s'assit sur sa valise en lâchant un long soupir remplit de plainte et de toute une jérémiade d'insultes. Il avait rencontré Newton à l'aéroport, le jour où son avion avait été annulé et qu'il était censé partir faire le tour du monde. Ayant en commun l'envie de faire le tour du monde, ils avaient décidés de le faire ensemble. Ça semblait être une bonne idée au début, jusqu'à ce qu'il se rend compte qu'ils ne faisaient pas partie du même monde. Edgar avait besoin de ses hôtels cinq étoiles et de baigner dans une piscine de chlore tandis que Newton s'amusait à prendre toute les petites piaules merdiques, dans des rues malfamés et se doucher avec une eau qui avait une fois sur deux l'odeur de la pisse. Et pour couronner le tout, son livre n'avançait pas d'une rime. Bien sur, quelques histoires avaient pris naissances lors de chaude ou froide soirées mais aucune d'entre elles ne valaient le coup. Que des histoires misérables qui lui plombaient le moral, avant de penser à l'argent versé quotidiennement par ses parents. L'argent avait toujours ce don merveilleux, presque magique de le réconforter.
Une odeur étrange lui chatouilla les narines. Intrigué, il se redressa et fut automatiquement agressé par la lumière du soleil déjà éclatante. Son premier réflexe fut de poser une main contre ses yeux et chercher d'où cette odeur dérangeante pouvait provenir.
« Ma tante ! » il cria dans le vide puisqu'il n'eut aucune réponse et que cette maison respirait la mort. Sa tante avait du faire un tour du quartier et laissé quelques choses dans le four puisque ça puait le cramer dans toute la maison. Il quitta le lit moelleux
made in Italy, s'habilla d'un simple jogging et quitta sa chambre. Un nuage de fumé noir se baladait dans le couloir. L'alarme ne s'était pas déclenché ? Edgar s'abaissa, trottina d'un pas rapide jusqu'à la chambre de sa tante et ne trouva qu'un lit désert. Depuis qu'il avait quitté son
road-trip, il avait décidé d'habiter chez sa tante histoire d'avoir de la compagnie et respirer l'air si agréable de toute les vacances qu'il avait pu passer ici, à Island Bay. Sauf que sa tante avait des soucis de mémoire et ce n'était pas toujours facile à gérer. Le jeune homme descendit les escaliers pour accourir dans la cuisine et éteindre le four qui dégageait cette fumée noire, laissant à l'intérieur une carcasse de poulet complètement brûlé. S'activant, il ouvrit toute les fenêtres de la maison et finit par le salon. Sa tante dormait paisiblement dans le fauteuil, son chien qu'elle avait nommé
Tuc-tuc dormait lui aussi sur ses jambes.
« Ma tante, j'ai éteint le four. Il va falloir appeler les pompiers et certainement l'assurance parce que tout les murs sont défoncés par la fumée noire. » il discutait avec sa tante tout en ouvrant les fenêtres, mais après quelques secondes de silence, il se retourna à nouveau vers sa tante toujours entrain de dormir. De dormir un peu trop. Il s'approcha, posa une main fébrile contre son poignet pour ne sentir aucun pouls. Juste une main toute ridé et rigide. Le pire ? C'est que le clébard était tout aussi rigide. Deux cadavres se tenaient en face de lui. Edgar appela les pompiers et l’assurance, non pas à cause des murs défoncés par la fumée noir, mais parce que sa tante et son chien Tuc-tuc gisaient dans son salon, ou dormaient. À chacun son point de vue.
Sa mère lui donna une tape contre son bras droit pour qu'il cesse de jouer avec son trousseau de clé. A contre cœur, il le rangea dans sa poche et releva les yeux pour regarder le notaire qui soulevait plusieurs papiers, en posait quelques uns sur le côté, puis tamponnait des feuilles de couleurs et les rangeait dans des classeurs. On aurait dit un maternelle qui cherche une feuille de couleur spéciale mais en plus d'être en maternelle, il était daltonien. Un rictus se posa sur ses lèvres mais le retira bien vite en se rappelant qu'ils étaient là pour parler de la mort de sa tante et les sourires étaient interdit dans ce genre d'endroit. Du moins, pas forcément interdit mais mal vue. Le notaire poussa un cris victorieux, repositionnant ses lunettes sur le bout de son nez et commença son petit récital.
« D'après le testament de Madame Lenormand. Ah non, ce n'est pas la bonne feuille. » il se remit à fouiller dans son tas de feuille ce qui fit souffler son père d'un côté et sa mère roula des yeux au ciel de l'autre côté. Edgar était coincé entre ses deux parents sauf que pour le moment ça l'importait peu. Il se concentrait plus sur ce que le notaire avait à dire quant à l'héritage de sa tante.
« La voilà. » il souleva triomphant sa petite feuille blanche, puis en voyant le regard tueur de ses parents, le notaire repositionna ses lunettes petites et rondes sur le bout de son nez et repris la lecture.
« Elle n'avait pas d'enfant, n'était pas marié et donc vous êtes sa seule famille à qui revient l'héritage. Je lis ici, sur son testament, qu'elle lègue toute sa fortune qui s'élève à dix millions de dollars à Edgar Lenormand son neveu pour qu'il puisse, je cite, s'éclater et vivre sa vie de grand écrivain. Puis, elle lègue toute ses dettes à Monsieur et Madame Lenormand parce que, je cite une nouvelle fois, ils ne méritent rien d'autre que la merde que j'ai amassé pendant toute ces années. » personne ne dit un seul mot. Le notaire laissait glisser son regard au dessus de ses lunettes sur les trois personnes qui se tenaient en face de lui et pu apercevoir qu'Edgar, encore sous le choc, se ratatinait sur sa chaise dans l'espoir de se diluer sur place. Les deux parents d'Edgar, eux aussi encore sous le choc des mots crus et des dettes qui leur tombaient dessus, projetèrent tout deux un regard sur leur fils. «
J'aurai besoin de vos signature, ici, ici et ici. » sans perdre un instant, le notaire déposa les feuilles au bout de son bureau avec un stylo orné d'argent pour que les trois Lenormand se décide à quitter cette pièce et prendre ce qui leur appartient. Edgar fut le premier à signer sous un regard assassin et accusateur de la part de ses parents, il fut aussi le premier à quitter la pièce et attendre dehors. Lorsque ses parents ressorti à leur tour, il tenta vainement un sourire et une blague.
« Faut se dire que ça aurait pu être pire. Imaginez, elle vous aurait légué son chien Tuc-tuc ? Heureusement qu'il est mort en même temps que Tante Lenormand. » un rire faible et monstrueux s'échappa de ses lèvres. Visiblement, son humour ne fit aucun effet à ses parents qui lui tournèrent le dos en même temps, et remontèrent dans leur voiture de riche. Le grand brun desserra sa cravate et entendit son portable vibrer et tinter contre ses clés. Sans regarder l'écran, il décrocha et pu entendre la voix de Newton.
« Newton, je t'arrête tout de suite. T'as une chambre de libre chez toi ? » il l'entendit hésiter, bredouiller un oui incompréhensible et Edgar repris directement la parole.
« Tu veux bien me la louer ? J'arrive avec mes valises demain. » sans laisser le temps à son ami de parler, Edgar raccrocha et fixa la bagnole quitter son champ de vision. Célibataire et inconnu des effets de l'amour, sans job, en coloc chez les parents de son meilleur ami, dix millions de dollar sur les bras et des parents haineux de voir tout cet argent défiler sous son nez ? Il ne pouvait pas rêver mieux comme nouveau départ ici, à Island Bay.