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« Bonjour. Est-ce Skye O'Hara est ici ? » Avant même de regarder sur son ordinateur pour trouver l'emploi-du-temps de l'une de ses patronnes, la jeune femme me regarde de haut en bas et s'attarde ensuite sur Lilly. Quoi ? Est-ce que je suis la seule cliente de ce cabinet à faire le choix d'amener sa fille ici ? Visiblement. « Qui la demande ? » « Romi Hallenstein. » Cette fois-ci, elle prend la peine de pianoter sur son clavier et de regarder son écran. Après quelques secondes, elle s'adresse de nouveau à moi pour m'indiquer que ma belle-sœur est disponible et que je pourrais la trouver dans son bureau. Je lui offre mon plus beau sourire, avant de prendre la direction qu'elle m'indique et que je connais déjà très bien : ce n'est pas la première fois que je viens ici. Dos à elle, je ne peux m'empêcher de grimacer un peu. Elle, elle n'a visiblement pas appris à être aimable à l'école ou alors, elle n'était pas la plus douée de sa promotion. Les couloirs du bâtiment étant longs, il nous faut quelques minutes pour arriver au bureau de Skye – les pas de Lilly sont plus petits que les miens. Je cogne et après avoir eu l'autorisation de la jeune femme, nous entrons. « Salut ! J'espère qu'on ne te dérange pas. » Je lâche la main de la petite fille qui court jusqu'à l'avocate. « Lilly avait très envie de voir sa tata et comme j'avais une question pour toi, je me suis dit que c'était l'occasion rêvée pour venir ici. » Ayant une pause de trois jours avant de reprendre ma garde, c'était là ou jamais. Je m'avance vers la brune et lui offre une accolade amicale. « J'ai reçu un nouveau document, concernant l'accident d'Alice. » Naturellement, je grimace un peu. Même si ça fait plusieurs années maintenant, ça reste toujours compliqué. « Une nouvelle expertise, deux ans après. » Ou alors, c'est la clôture de la première qui vient d'avoir lieu. Les services publics et les papiers administratifs, ce n'est pas vraiment l'amour fou. « Est-ce que je dois faire quelque chose avec ça ? » Ce n'est pas son domaine d'expertise, je le sais, mais malgré ça, elle doit sûrement comprendre mieux que moi ce que cela veut dire. Pour le décès de mon épouse, j'ai touché un peu d'argent – Lilly aussi. Son accident ayant eu lieu alors qu'elle exerçait son métier, en cas d'erreur ou d'incendie criminel avéré, alors la somme pourrait être différente. Deux ans après, je n'y crois pas vraiment et ça ne changerait pas grand-chose pour moi, je ne récupérerai pas ma femme.

La semaine, tout repart sur les chapeaux de roues. Nous sommes en pleine période de recrutement. Les cv pleuvent, j’en reçois une bonne dizaine tous les jours. Les entretiens s’enchainent également. Aujourd’hui, nous avons embauché une nouvelle réceptionniste. Un cabinet de recrutement nous l’a chaudement recommandé. C’est assez pratique de travailler avec eux, ils sélectionnent les profils qui correspondent à notre recherche, ce qui nous évitent le premier tri. Cependant, je n’ai pas eu le temps de faire de contrôle de référence. Le domaine du juridique est assez particulier, nous nous devons d’être méticuleux. Pour un poste comme celui-ci, la personne choisit doit déjà connaitre le métier. Pour les prochaines, nous pourrons les former. La jeune femme avait l’air un peu timide pendant nos échanges mais nous avons décidé de lui donner sa chance. Nous verrons bien avec le temps si elle fait l’affaire. Je suis plongée dans un dossier lorsque l’on toque à ma porte. Je n’ai pas encore d’assistante personnelle pour filtrer les rendez-vous, mais ça ne saurait tarder « Entrez ! » A ma grande surprise, et joie, Lilly et Romi entrent dans mon bureau. Je lâche mon stylo et accueille ma nièce comme il se doit « Vous avez bien fait ! » Je garde la main de la petite fille dans la mienne et serre ma belle-sœur dans mes bras. J’écoute la raison de sa visite. Je comprends parfaitement. Je lui indique le canapé de l’autre côté de la pièce. Nous serons bien plus à l’aise. Je sors de quoi colorier et installe Lilly sur la table basse, pour éviter qu’elle ne s’ennuie. Romi m’explique un peu plus ce qui se passe. Je parcours le document rapidement. Je ne suis pas spécialisée en droit de la famille ni même des contrats (pour l’instant) en revanche, je peux déjà voir de quoi il retourne. Sa femme est décédée assez tragiquement. Nous pourrions penser qu’il y a une malédiction sur leur famille. Dans son cas, je sais que les enquêtes prennent des années. Les assurances tirent souvent la langue pour indemniser les victimes et leurs familles. S’il s’agissait d’un incendie criminel ou qu’une faute, malfaçon dans l’infrastructure était découverte, le montant accordé serait tout autre. Généralement, ils dépêchent plusieurs experts pour être certain que tout soit fait dans les règles. « Rien d’alarmant à première vue. L’assurance cherche à savoir s’il n’y avait pas un souci dans la construction du bâtiment. Si c’était le cas, le constructeur, promoteur, propriétaire, tous pourraient être tenus responsables. De mémoire, il y a déjà des recherches faites à ce sujet, assez superficielles et tout était en ordre. Mais tu connais l’administration. Ils préfèrent tout ratisser. » Je lui adresse un sourire rassurant. Il n’y a pas de quoi paniquer pour moi mais je peux comprendre qu’elle se pose des questions. Nous avançons et la vie a parfois tendance à nous tirer en arrière. « J’en oublie mes devoirs. Est-ce que tu veux boire quelque chose ? Et toi Lilly ? » Quelle hôtesse je fais !

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Même si cette visite n’est pas spontanée, faites sans aucun but précis, elle n’en est pas moins honnête. La relation que je partage avec Skye a connu plusieurs tournants, mais elle n’a jamais vraiment connu de bas. En réalité, avec les différentes épreuves que nous avons dû affronter, elle n’a sûrement jamais été aussi forte qu’aujourd’hui. Bien sûr, avec nos boulots et quotidiens respectifs, il est difficile de se voir de façon régulière, mais ce n’est pas pour autant que je n’ai pas une petite pensée quotidienne pour elle. La raison de ma venue donnée, je lui tends le papier pour qu’elle puisse l’étudier. Je ne m’attends pas à une expertise bien poussée, mais juste à un peu de décryptage. « J’ai l’impression qu’ils parlent chinois. » Vu sa réponse, c’est beaucoup de jargon professionnel pour finalement pas grand-chose. Mais je ne peux pas vraiment leur en vouloir : chaque métier a ses spécificités et si tout le monde comprenait tout, alors il n’y aurait plus aucun intérêt à faire des études pour devenir avocats ou médecin. Finalement, pour éviter de devoir dépenser une fortune à chaque courrier de cette procédure – qui s’éternise petit à petit, j’ai de la chance d’avoir Skye dans mon entourage. Je lui proposerais bien de lui rendre la pareille, mais je ne lui souhaite pas de devoir faire appel à moi dans un cadre professionnel. Alors que je récupère la lettre que j'ai amenée, la brune nous propose, à Lilly et à moi, de quoi boire. « De l'eau et un café, si tu as. » La petite fille est accaparée par son dessin et ne devrait rien demander de plus. Ce qui n'est pas plus mal, avec ce qu'elle a déjà pu manger aujourd'hui, je crains qu'une dose de sucre supplémentaire lui retire l'envie de dormir ce soir. « Merci beaucoup, pour les renseignements. J'ai toujours peur de passer à côté de quelques choses, de rater une ligne écrite en toute petite à la fin d'une page. » Il n'y a pas de raison qu'ils cherchent à m'arnaquer – méfions-nous, il y a des rapaces partout –, mais avec toute cette paperasse et ces mots compliqué, j'ai toujours peur qu'ils cherchent à m'endormir. Là au moins, avec l'expertise de ma belle-sœur, je suis rassurée. Alors que la jeune femme s'occupe de nos boissons, je viens glisser une main dans les cheveux de ma fille, avant de m'installer plus confortablement dans le fauteuil où je suis déjà. « Comment est-ce que tu vas ? » Ce n'est pas parce que j'ai eu ma réponse que je vais partir comme ça. Maintenant que nous sommes là, j'ai l'occasion de prendre des nouvelles de mon amie et je ne vais pas m'en priver. Je sais que les choses ne sont pas faciles depuis le décès de Josh et même si ça commence à dater maintenant, je ne peux que la comprendre. Avec la perte d'Alice, les choses n'ont plus la même saveur, aujourd'hui encore.

Il est vrai que la relation que j’entretiens avec Romi est assez particulière. Nous avons traversé des épreuves similaires et tout cela a permis de nous rapprocher. C’est certainement la lumière dans toute cette obscurité : notre rapprochement. A la différence de la jeune femme, je n’ai pas eu à gérer tout ça, cette paperasse et autre procédure. Pour Josh, il s’agissait d’une maladie cardiaque, fatale, et non détectée. Nous n’avons jamais su qui était son père biologique et malheureusement, cela lui a coûté la vie. Nous avons beau essayé de prévenir, d’anticiper c’est une chose qui est arrivée sans que l’on ne s’y attende. Son décès était inattendu mais les circonstances ne nous ont pas amenées à ce que traverse aujourd’hui ma belle-sœur. A chaque nouveau document reçu, elle est obligée de se replonger dans cet évènement tragique. Je ne peux pas imaginer ce que cela doit être au quotidien. Alors je suis rassurée qu’elle vienne me voir lorsqu’elle en a besoin. Je suis un peu plus à même de décrypter ce courrier. Je le parcoure rapidement. Il n’y a rien d’alarmant. Je lui explique un peu ce qu’il raconte qu’elle sache de quoi il retourne. A ce stade, elle n’a rien à faire de plus. Ce courrier est surtout pour la tenir au courant de l’avancée de l’enquête. Mais il est vrai que l’on se perd facilement dans les méandres administratifs. Une fois certaine que tout va bien de ce côté-là, je prends mon rôle d’hôtesse. Je manque cruellement de savoir vivre parfois. Le droit a tendance à accaparer toute mon attention. Romi m’indique ce qu’elle souhaite et je m’y attèle. Pour le moment, j’ai aménagé mon bureau de manière à être autonome : un côté bureau, rangement pour travailler et un côté plus « détente » avec un canapé/fauteuil, table basse, coin café/thé. Il est parfois plus malin de mettre nos clients à l’aise dans un contexte moins formel que dans une salle de réunion. Je prépare le café et sers un verre d’eau à la petite. Elle s’éclate avec mélanger les couleurs et son dessin est très vif. Il donne la pêche ! A vrai dire, il lui ressemble. Tout en m’affairant à la tâche, j’écoute Romi. Je lui offre un sourire réconfortant « Ne t’inquiète pas. Le droit c’est dire une chose simple, en dix pages. Beaucoup de jolies tournures de phrases pour pas grand-chose. On s’y fait » Je pose la tasse devant ma belle-sœur et reprends ma place. Comment je vais ? « Mieux, beaucoup mieux même » Il n’y a pas de mystère avec le deuil. Le temps doit faire son œuvre, il n’y a aucune solution miracle et malgré tout, il y aura des moments où ça ira un peu moins bien. C’est normal « Ma thérapie m’aide énormément. J’avance petit à petit. Ouvrir ce cabinet est réellement un accomplissement et je sais qu’il serait fier de moi » Il a toujours su que je pouvais le faire « J’ai même commencé à faire du yoga. La firme me prend du temps mais je tiens à garder un équilibre sain entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle. Je ne veux pas réfugier dans le travail, m’y cacher. J’essaie de prendre soin de moi » Je marque une pause et jette un coup d’œil à Lilly qui entame déjà sa troisième œuvre d’art « Et vous deux ? »

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Être entourée comme ça, c'est une chance. Que ce soit pour Lilly ou pour tout ce qui touche à Alice et à l'incendie qui lui a empêché de revenir chez nous. Répondre à ma question, ce n'est pas grand-chose pour Skye et pourtant, ça signifie beaucoup – surtout qu'elle prend de son temps pour faire ça. Comme elle le souligne, le droit est quelque chose d'un peu compliqué. Souvent pour dire une chose simple, les acteurs de ce domaine utilisent de longues phrases. Pour perdre l'autre interlocuteur, sûrement, limitant ainsi les dommages de base. En réalité, je crois que ce n'est pas spécifique au droit, mais bien à l'administratif. C'est dingue comment une si petite chose peut rendre tout bien plus compliqué, peu importe le métier. C'est quelque chose auquelle j'ai dû faire face quand je suis devenue lieutenant. Avant ça, je me contentais de monter dans un camion en temps de crise, puis de mettre les pieds sous la table une fois l'intervention terminée. Mais maintenant, je dois gérer les rapports d'incidents, les demandes de matériaux, la recherche de pompiers et j'en passe. En fait, je pense que quand ça touche un domaine où l'on s'y connaît un minimum, c'est plus simple. Ce pourrait être le cas avec l'accident d'Alice, puisque c'était lors d'un incendie, mais les mots écrits sur cette feuille ne sont pas du tout ceux que nous utilisons sur le terrain. Quoiqu'il en soit, maintenant que j'ai eu l'avis de ma belle-sœur, alors je pourrais m'endormir plus facilement ce soir. C'est maintenant à mon tour de l'interroger, de prendre de ses nouvelles. Avec l'ouverture de son cabinet, la jeune femme a eu l'occasion de s'occuper un peu l'esprit et donc de moins penser à Josh. Je pense que c'est une bonne chose pour elle, malgré tout ce qu'elle a traversé, elle a le droit d'aller de l'avant. « Je vois. Tu t'occupes l'esprit, c'est une bonne chose. » Je suis aussi passée par là. Mais contrairement à Skye, je n'étais pas complètement seule puisque j'avais Lilly. Pour la petite fille, je ne pouvais clairement pas baisser les bras. « Si jamais tu as envie de sortir un soir, pour penser à autre chose, n'hésite pas à m'envoyer un message. Si je suis disponible, je serais toujours partante. » Pour sortir, je suis loin d'être la dernière à suivre. Il me faut juste un peu d'organisation – même si c'est rarement compliqué, car ma famille ou celle d'Alice se propose volontiers pour garder Lilly quand j'en ai besoin. « Nous ? Ça va. » Dis-je, un sourire sur les lèvres, alors que mon regard se pose rapidement sur la petite fille à côté de nous. « Je suis en congés pour trois jours, alors je pense que nous allons faire plein de choses toutes les deux. » Hormis une journée par mois, je consacre tout mon temps libre à Lilly et elle me le rend plutôt bien. Les moments que nous passons ensemble sont remplis d'amour et de joie. « Les parents d'Alice commencent déjà à me parler d'école. C'est dans ces moments-là que je me dis qu'elle grandit si vite. » Et avec un métier qui m'oblige à la laisser tous les trois jours, ça n'aide pas.

Le deuil est un sentiment très particulier. Tout le monde le gère d'une manière différente. Lorsque Josh est mort, j'ai détesté recevoir les condoléances. J'ignore encore pourquoi aujourd'hui. Il s'agit d'une phrase si désuète de sens, de sentiment. Peu de gens ne savent quelle attitude adopter dans ces situations. La mort met mal à l'aise, c'est la fin d'un cycle et c'est difficile pour ceux qui restent. Uniquement. On passe généralement des stades différents. Un jour tout va bien et le lendemain, les larmes nous submergent. A nouveau. Sans que l'on ne sache précisément pourquoi aujourd'hui. A présent, j'essaie de garder l'esprit occupé bien qu'avec l'ouverture du cabinet, je n'ai pas à chercher bien loin. Le travail que cela demande m'aide. Pendant des mois, c'était presque vital que je sois active, après une période de léthargie salvatrice et cathartique. J'ai vécu les deux extrêmes. Maintenant, cela va beaucoup mieux et je tente de laisser une chance à la vie de me surprendre. Je n'ai que 28 ans, je suis trop jeune pour être cynique. Romi me propose de recommencer à sortir de temps à autre. Une idée que j'accueille avec un grand sourire « Ce serait avec plaisir. Ce serait sympa » Nous faisions beaucoup de sorties à quatre avant. Les choses sont très différentes mais je suis certaine que nous pourrons retrouver un rythme ou des habitudes à nous. Je m'enquiers du bien être de ma belle-soeur et ma nièce. Il semblerait que tout aille bien pour elle, compte tenu des circonstances. Elle m'indique que ses beaux-parents pensent déjà à l'école pour Lilly. Le temps passe vite, c'est une évidence. Une chose que je n'avais pas réalisé avant le décès de Josh. Il faut profiter de chaque petit instant qui passe. Le vivre à fond et ce n'est pas si facile que ça. Au contraire. Je passe ma main dans les cheveux de la petite fille. « Déjà ? Quoi que, j'imagine qu'il n'est jamais trop tôt pour s'intéresser à tout ça » Le fait est que je n'y connais rien. Quel est le bon moment pour chercher l'école idéale pour son enfant ? Certains parents prévoient ça avant même d'avoir l'enfant en question. C'est que ce qu'on appelle de l'organisation ou un besoin maladif de contrôle ? Ma thérapeute aurait certainement son opinion sur le sujet. « Et toi ? Tu as fait des recherches ? Ou tu laisses encore quelques moins avant de te pencher sur la question ? » Après tout, Romi est la mère de Lilly et elle seule est en charge de son éducation.

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L’idée de se revoir un peu plus souvent, en dehors des murs tels que son bureau, semble plaire à Skye. Je pense que parfois, la vie fait que des distances se créent naturellement, à cause boulots respectifs, des familles et des différents rendez-vous possibles, mais il faut savoir reprendre le contrôle et faire en sorte que les choses changent. C’est ce que nous faisons avec cette promesse : il ne nous reste qu’à organiser ça. Au besoin, je connais déjà plusieurs adresses où nous pourrions aller. Pour sortir, j’ai toujours été assez douée, même à l’époque où mon épouse était encore là : nous nous réservions toujours une soirée par semaine pour pouvoir nous retrouver rien que toutes les deux. J’évoque naturellement les parents d’Alice avec la jeune femme, puisqu’ils ont aussi été ses beaux-parents et par conséquent, elle les connaît assez bien. La dernière fois où j’ai été récupérer Lilly chez eux, ils m’ont parlé des écoles où je pourrais inscrire la petite fille et ça m’a fait quelque peu bizarre : mon bébé n’est plus. Le fait que cela arrive déjà dans les discussions semble surprendre Skye, ce que je comprends parfaitement, car Lilly n’a que deux ans et demi et elle n’ira pas à l’école avant ses cinq ans. « Pour être honnête, je ne pensais pas que les choses arriveraient aussi vite. » Il faut dire qu’avec mon rythme de vie, les journées – et par conséquent les années – passent à une vitesse folle. « J’ai encore l’impression que le jour de sa naissance était hier. » Je regarde ma fille avec des yeux attendrissants. « Mais ils ont sûrement raison. C’était déjà compliqué pour trouver une place en garderie, alors je suppose que ce sera la même chose pour l’école. » Lorsque nous avons évoqué l’idée d’avoir un enfant avec Alice, je crois que nous n’avons pas pensé à tout cela. C’est un point qui nous a sûrement mises en retard comparés à tous ces parents qui connaissent déjà l’université où iront leurs enfants alors qu’ils ne savent toujours pas marcher. « Il faudrait que je regarde avec le Centre des Pompiers. Peut-être qu’ils proposent des places dans certaines écoles. » Pour nous éviter de perdre trop de temps à chercher, mais aussi pour avoir des établissements qui sont plus conciliants au niveau des horaires et des absences. « Je suppose que tu passes beaucoup de temps ici en ce moment ? » Dis-je, pour aborder un nouveau sujet. « Les choses marchent bien ? » Quand on a besoin d’un avocat, c’est rarement une bonne chose. Mais comme on dit souvent, le bonheur des uns fait le malheur des autres.

Je suis ravie de la proposition de Romi. Pour être tout à fait franche, elle me manque un peu. Encore une fois, ce n’est la faute de personne. Nous nous laissons happer par le quotidien, c’est la vie comme on dit. Un peu cliché sur les bords, mais c’est la vérité. La jeune femme m’explique que la fameuse discussion sur les écoles a commencé. Je réalise que le temps passe vite. Mais je dois dire que je suis surprise, Lilly est très jeune. Elle a encore quelques années avant d’être scolarisée. Mais je reconnais bien là le pragmatisme et l’anticipation de mes beaux-parents. Ils ont toujours été du genre à prévoir les choses à l’avance. Et très paradoxalement Josh était friand des plans de dernière minute, très spontané. Il me complétait en ce sens. Mes études, mon boulot font que je suis obligée de regarder mon agenda une dizaine de fois par jour. Il m’a appris à lâcher prise par moment. Alors je ne devrais pas être surprise de la prévoyance dont font preuve les grands-parents de la petite. Je sens la nostalgie de Romi. N’étant pas mère et n’étant pas sûre de vouloir l’être un jour, je ne comprends pas nécessaire ce qu’elle ressent. « Je pense que ça ira. Il n’y a pas de raisons. J’imagine qu’il y a moins de place en garderie qu’en école » Tandis que Lilly entame son troisième dessin, nous continuons notre discussion. L’ouverture du cabinet vient rapidement. Je ne peux m’empêcher de sourire. « La mise en place m’a pris beaucoup de temps. Mon objectif est d’arriver à trouver un équilibre entre vie pro et vie perso » C’est un concept très important pour moi. Nous ne sauvons pas des vies. J’aime ce que je fais, mais je refuse de sacrifier ma vie, ma santé pour un emploi. C’est quelque chose que je demande également à mes collaborateurs. Ils doivent avoir de vraies coupures. Ils en seront plus performants après. « C’est un bon démarrage. Je n’avais pas de clause de non-concurrence dans mon ancien contrat. Ils ne devaient pas s’attendre à ce que je parte. Et beaucoup de mes clients m’ont suivi. Et il s’agit principalement d’entreprises ou de gérants de fonds d’investissements. L’argent n’est pas un problème pour eux. Donc je sais que nous pourrons facturer sans trop de difficultés. » Je marque une pause avant de reprendre « Mais je tiens à élargir les compétences du cabinet et je cherche activement des avocats pénalistes, notamment. J’ai confiance, ça va bien se passer » J’ignore d’où vient cet optimisme. On frappe à ma porte « Skye, j’ai monsieur Clarke pour toi » Je regarde ma montre. Notre call n’est prévu que dans deux heures. « Dis-lui que je le rappelle dans 5 minutes » Clarke n’est pas le genre de client embêtant. Il est patient, raisonnable dans ses demandes, pour les deadlines. Alors je me dis qu’il doit vouloir quelque chose. Je reporte mon attention sur Romi « Je suis désolée, il semblerait que ce soit une urgence. Disons plutôt qu’il n’est pas du genre à m’appeler en dehors de nos rendez-vous téléphoniques » Nous nous levons et Lilly me tend un de ses dessins. Il nous représente toutes les trois avec sa mère. Je lui souris « Merci ma puce. Je vais lui trouver une place de choix » Je la serre dans mes bras et fais de même avec ma belle-sœur « On s’appelle dès ce soir pour se fixer une journée entre nanas » Nous nous disons au revoir et je m’installe au bureau. Allez, on y retourne !

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Me faire du soucis pour Lilly, c’est devenu monnaie courante maintenant et je suis sûre que je vais encore continuer à m’en faire pendant de longues années encore. Lorsque nous sommes devenues mères avec Alice, nous avons signé pour s’occuper d’une nouvelle personne pour le reste de nos jours, avec les bons et les mauvais côtés à cela. Même si mes beaux parents m’ont parlé d’une inscription à l’école, rien ne m’oblige à le faire de suite. Néanmoins, je pense que je vais garder cette idée dans un coin de ma tête. Ce sujet terminé, je demande à Skye comment les choses se passent avec l’ouverture de son propre cabinet. Comme je pouvais m’y attendre, tout se passe plutôt bien pour elle. Elle a même de nouveau projet pour les semaines ou mois à venir. « Je suis contente pour toi. Tu mérites tout ça. » Je viens d’une famille où l’on travaille beaucoup pour avoir ce qu’on veut et c’est un point que je retrouve chez mon amie. Elle a dû faire certains sacrifices pour mener à bien ses études et voilà que maintenant, elle peut profiter de tout cela plus calmement. Ce n’est peut-être pas complètement le cas pour l’instant, mais il n’y a rien d’étrange à cela : après un tel lancement, il faut que les choses se mettent doucement en place. Contrairement à son ancien cabinet, elle a monté celui-ci et c'est forcément un peu plus d'organisation qu'avant, mais je ne doute pas que la brune s'en sortira haut les mains. Avant de pouvoir ajouter quelque chose d'autre, quelqu'un frappe à la porte et vient signaler à Skye qu'une personne l'attend – sûrement au téléphone. Mon hypothèse se confirme et je comprends rapidement que mon passage ici doit être écourté. Au départ, je n'étais même pas sûre qu'elle pourrait me recevoir, j'en ressors donc gagnante. « Pas de soucis, ne t'inquiète pas. Nous allons te laisser, tu as du travail à faire. » Lilly est loin d'être bête, alors quand nous nous levons, elle comprend que c'est l'heure pour nous de quitter cet endroit. De tous les dessins qu'elle a eus le temps de faire, elle en tend un à sa tante et me donne les autres pour que je puisse les ramener chez nous. « Merci beaucoup d'avoir regardé le courrier. » Dis-je à son oreille, alors que je l'ai contre moi. Elle évoque cette journée ensemble et je ne peux m'empêcher de sourire un peu. « Faisons ça. » Et si vraiment nous oublions ce soir, elle peut compter sur moi pour la contacter dans les jours à venir. La petite fille offre un dernier bisou à Skye et nous partons, reprenant le chemin qui nous a mené jusqu'ici. Sur le chemin du retour, Lilly exprime sa joie d'avoir vu sa tante et espère pouvoir rapidement refaire des dessins chez elle.