Jonah Dewitt - Don't look back in anger

Jonah Dewitt

ft. max riemelt

l'histoire de ma vie

Jonah est né dans un des quartiers les plus pauvres d'Auckland, d'une mère dépressive et d'un père sans réelle colonne vertébrale pour faire quoi que ce soit à ce sujet. Du plus loin qu'il puisse se souvenir, sa mère ne s'était jamais occupée de lui. Il la revoyait, passant ses journées au lit ou sur le canapé, indifférente à l'état de la maison, et fort peu soucieuse d'aller faire les courses ou de l'amener à l'école. Son père quant à lui était souvent absent ou alors bien trop fatigué pour faire quelque chose, ce qui revenait en gros au même. Jonah s'arrangeait pour passer le moins de temps possible à la maison, après l'école il traînait sur la plage jusqu'au coucher du soleil et ne regagnait le domicile familial que pour se réfugier dans sa chambre, après avoir pris quelque chose à manger dans le frigo. Les weekends et les vacances, il les passait également dehors, autant qu'il le pouvait, afin de fuir l'ambiance mortifère qui y régnait. Souvent il prenait de l'argent dans son portefeuille pour se payer le bus, afin de sortir de la ville. Il s'imaginait ne jamais revenir, et ça l'emplissait provisoirement d'une réelle foi en l'avenir. Mais il finissait toujours par revenir.

Jonah venait tout juste d'avoir dix ans lorsque son père vint le voir un soir dans sa chambre pour lui annoncer une heureuse nouvelle : il allait avoir une petite soeur. Dire que sa réaction ne fut pas celle escomptée relève de l'euphémisme. Il s'emporta comme jamais il ne s'était emporté contre son père. Comment pouvait-il être égoïste au point de faire subir à quelqu'un d'autre ce qu'ils subissaient déjà tous les jours ? Il eut beau tenté de le raisonner, de lui expliquer que ça allait aider maman à aller mieux, qu'elle était déjà plus enjouée, rien n'y faisait, il ne décolérait pas. Trois jours plus tard, il fuguait pour la première fois. Ne sachant trop où aller, il partit se réfugier chez sa meilleure amie, June, dont les parents possédaient sur leur propriété une cabane de jardin abandonnée qui lui servit d'abri les quarante-huit heures que dura son escapade, jusqu'à ce que les parents de June la surprirent en train de le ravitailler et qu'ils décidèrent qu'ils ne pouvaient pas ne pas prévenir son père. Malgré leurs caractères opposés, June et lui étaient inséparables. Elle était solaire, lui taciturne. Elle était la meilleure élève de leur école, lui remettait systématiquement en cause l'utilité de tout ce qu'on lui demandait d'apprendre et peinait à obtenir les résultats minimums exigés pour passer dans la classe supérieure. Pour autant ils se comprenaient sans un mot, et étaient prêts à tout l'un pour l'autre. Comme une évidence, ils vécurent leur premier grand amour ensemble.

Comme il l'avait prédit, les choses ne s'améliorèrent pas pour leur mère après la naissance de Madeleine. La dépression était aussi forte que jamais, et cerise sur le gâteau elle se mit à boire de plus en plus, jusqu'à se faire virer du boulot de serveuse qu'elle avait péniblement réussi à décrocher. Devant dorénavant compter sur un seul salaire avec une bouche supplémentaire à nourrir, leur père travaillait toujours plus, et était de plus en plus souvent absent. Du coup Jonah planquait les bouteilles, quand il ne se contentait pas de les vider dans l'évier ou bien de les éclater sur le carrelage de la cuisine. La journée il s'occupait de Madeleine, il l'emmenait au parc ou au bord de l'océan. Le soir il barricadait la porte de leur chambre pour la protéger du spectacle de leur mère s'écroulant ivre morte sur le lit où elle dormait paisiblement. De sa naissance jusqu'au départ de leur mère il abandonna totalement l'école. Seule June passait le voir tous les soirs pour lui apporter des cours et des devoirs qu'il ne lirait pas. Mais cela lui donnait l'occasion de discuter avec elle, et il se sentait aussitôt plus léger.

Le soulagement qu'il avait ressenti quand sa mère avait enfin quitté son père fut de courte durée, car la famille déménagea pour Island Bay. Déménager, cela voulait dire quitter June, et ça lui était insupportable. Une fois de plus, c'était à lui de supporter les choix de vie égoïstes de son père. Madeleine allant désormais à l'école, il retourna au lycée, où il fut un élève extrêment turbulent qui ne faisait pas le moindre effort pour obtenir de bons résultats. Il continuait de s'occuper de Madeleine les weekends, il lui faisait visiter la ville, il s'arrangeait pour qu'elle se sente le mieux possible dans son nouvel environnement. Les années lycées s'écoulèrent comme ça, transparentes. Il décrocha l'examen d'extrême justesse, à l'oral de rattrapage, et il demeure à ce jour convaincu que sa situation familiale a lourdement pesé dans la décision du jury de lui donner son diplôme. Il n'en ressentait d'ailleurs ni joie, ni soulagement, car il ne voyait aucune raison d'être optimiste sur son avenir. C'est donc la tête remplie d'idées sombres qu'il rentrait chez lui après la cérémonie, sans penser une seconde qu'il allait tomber nez-à-nez avec June à la porte de chez lui. June, plus belle que jamais, et qui portait pour l'occasion un énorme sac de voyage sur ses frêles épaules. Mais surtout, June qui venait le trouver avec un projet fou : dès le lendemain, elle partira traverser l'Australie d'Est en Ouest, avant de reprendre ses études dans un an exactement. Et pour que tout soit parfait, il ne manquait qu'une chose, c'était que Jonah accepte de l'accompagner.

Cette nuit-là, Jonah n'a pas fermé l'œil de la nuit, hésitant sur la décision à prendre. Mais finalement, au petit matin, les arguments de June avaient fini par triompher. Oui c'était le genre d'expérience qui ne se représente pas deux fois dans une vie, et non, ce n'était pas à lui de rattraper les erreurs de son père. Alors, il avait fait son sac, il avait embrassé Madeleine et laissé une lettre à son père, et il était parti. Ferait-il le même choix aujourd'hui ? Il n'en était pas sûr, et pourtant il ne regrettait aucun des moments partagés avec June cette année-là. Grâce à elle, il s'était réveillé chaque matin au milieu de paysages à couper le souffle, ils étaient partis à la rencontre des peuples autochtones, certains d'entre eux leur avaient même permis de vivre quelques temps parmi eux. Et ils s'étaient aimés. Ô combien ils avaient pu s'aimer. Quand finalement le périple eut touché à sa fin, il lui avait proposé de continuer, de visiter un autre continent, rencontrer d'autres cultures. Elle avait souri, mais elle avait refusé. Pour elle, tout ceci n'était qu'une parenthèse merveilleuse, hors du temps, mais en fin de compte cela devait rester une parenthèse. Ils s'étaient donc quittés à Perth, où elle devait poursuivre ses études, et lui avait pris le chemin du retour. Pas de la maison, car il ne sentait pas de rentrer, mais de la côte Est. A ce jour, c'est la dernière fois qu'il avait vu June.

Cette expérience a profondément marqué Jonah. Lui qui jusque-là n'avait jamais su ce qu'il ferait de sa vie, venait de se trouver un cheval de batail : la protection de l'environnement. Dès la fin de son périple de retour, il proposa son énergie et sa motivation à diverses associations qui l'accueillirent à bras ouverts. Il participa à d'innombrables manifestations de promotion, de nettoyage de plages, de forêts. Il s'investit pour les animaux sauvages, pour les droits du peuple aborigènes. Petit à petit, il se rapprocha de groupes plus radicaux. Sit-in, occupations d'usines, perturbation de réunions, de manifestations en tout genre, tout était bon pour faire parler de la cause. A cette occasion, il commença à apparaître de temps en temps dans certaines émissions de radio et de télévision.

Il est revenu s'installer à Island Bay il y a quelques mois de ça, et ce pour plusieurs raisons. Déjà, après plus de quinze années de militantisme, cet homme de faire (comme on pourrait le qualifier dans la mythologie pécressienne) devenait, sinon résigné, quelque peu fatigué. S'il était toujours prêt à participer pour la bonne cause, il n'avait plus l'énergie pour s'agiter en tout sens, souvent sans grands résultats. A Island Bay il avait la possibilité d'avoir un impact à plus petite échelle, de contribuer à faire de ce paradis sur terre un modèle qui pourrait inspirer d'autres villes. Et puis il avait appris pour la maladie de son père, presque par hasard, au gré d'une des rares conversations qu'il avait eu avec lui. Cela avait fini de le convaincre de rentrer au pays. Il loge désormais dans ce qui fut autrefois sa chambre d'enfant et celle qu'il avait partagé, adolescent, avec Madeleine. D'elle il n'a toujours pas de nouvelles, visiblement pas assez d'eau a coulé sous les ponts. Mais ça viendra lui promet son père, ça viendra...