thank you for keeping her (jill)

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Aujourd’hui, je devais passer la journée avec Lilly. La dernière avant que je reparte à la caserne pour plusieurs jours. Mais malheureusement, pendant la sieste de la petite fille, je reçois un coup de téléphone qui me demande de venir au centre des Pompiers de Wellington. J’ignore pourquoi on me veut là-bas, mais à mon niveau, ce n’est pas le genre de rendez-vous que l’on peut éviter. Seulement, même si ce n’est que dans quelques heures, je ne peux pas laisser ma fille seule ici. Je me saisie de mon téléphone et compose plusieurs numéros pour trouver une solution. Bingo. Après seulement quelques tentatives, je l’ai.
Je connais bien cette maison, au point que je me permets de rentrer sans qu'on m'y invite. Malgré tout, je cogne trois coups sur la porte avant de l'ouvrir pour signaler ma présence. « C'est nous, nous sommes là ! » L'endroit est plutôt calme : Abby n'est sûrement pas là. Après plusieurs secondes et les chaussures de Lilly retirées, ma mère nous rejoint. La petite-fille court dans les bras de sa grand-mère et je ne tarde pas à l'imiter – avec peut-être un peu moins de fougue qu'elle. « Merci d'avoir accepté de la garder. J'ai ce rendez-vous qui m'est tombé dessus et Toni n'était pas là. » Habituellement, en cas d'imprévus à la dernière minute, c'est ma petite sœur qui s'occupe de Lilly. Comme nous vivons sous le même toit, c'est plus pratique. Mais par chance, quand elle n'est pas là, comme aujourd'hui, il y a le reste de ma famille pour s'occuper de la petite fille. Et celle d'Alice aussi. Comme quoi, ce n'est pas complètement faux : il faut tout un village pour élever un enfant. Je fronce légèrement les sourcils et regarde autour de nous. À en croire le calme autour de nous, la chirurgienne est seule ici. « Papa n'est pas là ? » Lorsque j'ai appelé, c'est sur ma mère que je suis tombée et je ne me suis même pas souciée de s'ils seraient deux ou pas à s'occuper de ma fille. Pour être honnête, ça n'a que très peu d'importance : après avoir élevé six enfants, ils savent tous les deux comment faire, même si le temps où nous portions des couches-culottes est maintenant loin. « Tu vas bien ? » La moindre des choses, c'est de m'intéresser un peu à elle : je me sentirais coupable si je devais simplement déposer Lilly et repartir sans rien.

Le mois dernier a été très chargé en terme de travail, j’ai enchaîné les grosses interventions, causant stress et fatigue. Ce n’est pas un métier reposant, surtout quand on se donne à cent pour cent tous les jours. Alors, pour profiter d’une légère accalmie, j’ai posé quelques jours de vacances pour être un peu plus au calme et me reposer pleinement. Je ne suis pas la seule de cet hôpital à pouvoir pratiquer des opérations risquées sur les enfants, je sais qu’ils pourront se passer de moi une petite semaine. Au programme : prendre du temps pour moi, dormir un peu plus tard le matin, lire, me prélasser sur la terrasse entre deux averses. Le temps à Island Bay est devenu plus instable depuis quelques semaines, l’hiver arrive, mais les températures restent à peu près raisonnables.
Après avoir reçu le coup de téléphone de ma fille aînée pour la dépanner, je file directement dans la salle de bain pour me préparer. Passer la journée avec ma petite fille est un vrai plaisir, et je suis contente d’être en vacances pour pouvoir en profiter, et soulager Romi qui semblait à cent à l’heure. « C'est nous, nous sommes là ! » Quelle rapidité ! « J’arrive ! » dis-je du haut de l’escalier alors que je finis de remonter ma chevelure dans un chignon déconstruit. Une fois en bas, Lilly me court dans les bras et je m’accroupis à son niveau pour la réceptionner et la serrer contre moi. « Bonjour mes amours ! » Je couvre la petite fille de bisous, et sa mère nous rejoint pour que je puisse à son tour la prendre dans mes bras, déposant un tendre baiser sur sa tempe. « Merci d'avoir accepté de la garder. J'ai ce rendez-vous qui m'est tombé dessus et Toni n'était pas là. » « Tu sais bien que si je suis là, y’a aucun problème, au contraire, ça me fait plaisir ! » Ici, il n’y a pas de liens du sang qui tiennent. Lorsque Romi m’a annoncé qu’elle et Alice comptaient avoir un enfant, j’ai été la plus heureuse du monde. Evidemment, Lilly est ma petite-fille, et rien ne changera jamais ça. « Papa n'est pas là ? » Je repose la petite fille au sol, et maintenant qu’elle a vu le chat, elle va lui courir après. C’est devenu une habitude. « Ne lui tire pas la queue chérie, tu sais qu’il n’aime pas ça… » C’est de son âge, il faut juste faire attention qu’elle ne se fasse pas griffer. Je reporte mon attention sur Romi, et sa question me revient en tête. « Non, il est au bureau. De ce que j’ai compris, il y a un gros contrat en route en ce moment, et lui non plus ne touche plus Terre… » Je hausse les épaule légèrement. De toute façon, nous avons toujours été deux amoureux de nos métiers respectifs, et c’est en ça qu’on s’est toujours compris. « Tu vas bien ? » Je lui offre un sourire tendre avant de lui répondre. « Je suis en vacances depuis deux jours, et pour encore cinq jours. Je profite de ne rien avoir à faire, je me repose, ça fait du bien. » J’ai toujours eu tendance à tirer un peu sur la corde, tout ça pour m’octroyer trois vraies semaines de vacances en famille. Nous avons de beaux souvenirs, tous ensemble, et ça n’a pas de prix. « Et toi, c’est quoi ce rendez-vous en urgence ? Tout va bien de ton côté ? »

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Ici, la petite fille trouve rapidement ses marques. Il faut dire que ce n'est pas la première fois qu'elle vient ici. Pour moi, la famille est quelque chose d'important et j'aime l'idée de transmettre cela à ma fille, alors forcément, quand j'ai l'occasion de la laisser à mes parents ou à mes frères et sœurs, je le fais. Après avoir enlacé sa grand-mère et s'être retrouvée couverte de bisous, Lilly est rapidement distraite par le chat. Cet animal n'est pas inconnu aux enfants, puisqu'il a eu l'occasion d'en voir passer un bon nombre sous son toit, alors même si elle lui en fait voir de toutes les couleurs, il devrait rester assez gentil. Cependant, ce n'est pas parce qu'il a l'habitude qu'il faut le torturer et puis, c'est important que Lilly apprenne où sont les limites avec le chat. La petite fille s'éloigne et ma mère répond à la question que je lui ai posée il y a quelques minutes. D'après ce qu'elle dit, mon père est au boulot. Pour être honnête, il n'y a rien de surprenant à ça. Le boulot, c'est un peu une histoire de famille. Peu importe le domaine dans lequel nous exerçons, nous avons tendance à nous y plonger totalement : ma mère avec l'hôpital, mon père avec son entreprise et moi avec la caserne. À ma seconde question, je remarque le visage radieux de Jill. Visiblement, ces vacances lui font le plus grand bien. Elle a un métier prenant – bien plus que le mien – et il n’est pas toujours simple pour elle de s’absenter. « Te reposer ? Je te rappelle que tu vas passer la journée avec cette petite pile électrique. » Dis-je, quelque peu amusée de la situation. Je sais que ce n’est pas exactement ça. D’ailleurs, il y a de fortes chances pour que Lilly soit différente quand elle est avec ses grands-parents et quand elle est avec moi. Avec eux, elle sait qu’elle peut facilement avoir des choses qu’elle n’a pas à la maison, alors peut-être qu’elle sait être adorable. « Oui, oui. Rien de grave. » Du moins, pas à ma connaissance. « Visiblement, ils ont appelé les lieutenants des différentes casernes des horizons, alors je pense qu’il s’agit plus d’une réunion d’informations qu’autre chose. » Par contre, je trouve cela un peu bizarre qu’ils nous préviennent au dernier moment. On va mettre ça sur le dos de l’administration. Je dépose le sac que j’ai préparé un peu plus tôt sur la table qui se trouve à côté de nous. Dedans, il y a tout le nécessaire pour la petite fille, ça évitera ainsi à ma mère de faire les magasins ou de fouiller les fonds de placards à la recherche de ce qu’il faut. « Tout va bien entre vous ? » Entre elle et mon père. Je ne pensais pas vraiment me lancer sur ce sujet aussi vite, mais avec le temps qui me manque, si je ne le fais pas là, je ne pourrais sûrement pas le faire avant de partir à ce rendez-vous.

« Te reposer ? Je te rappelle que tu vas passer la journée avec cette petite pile électrique. » Un rire franchit la barrière de mes lèvres. C’est vrai que Lilly n’est pas une enfant des plus calmes qu’on connaisse, mais elle écoute, et son énergie est rafraichissante. Ça occupera ma journée autrement, et ce n’est pas pour me déplaire. « Quand elle verra que je n’ai plus l’énergie pour lui courir après, elle viendra me chercher. » J’en plaisante, mais j’ai la chance d’avoir toujours beaucoup d’énergie. Je ne suis pas si vieille, j’ai encore le temps avant de voir venir le jour où je passerai mes journées de retraitée à lire dans un fauteuil. Pitié, le plus tard sera le mieux.
Sans attendre, je prends des nouvelles de ma fille aînée, essayant de ne pas trop m’inquiéter. C’est une réaction normale de la part d’une mère, que de se préoccuper du bonheur de ses enfants. Enfin, logiquement. Une réunion d’information, ça me semble plausible. Je me contente d’un hochement de tête tout en lui souriant. Du coin de l’oeil, je surveille ma petite fille qui continue de jouer à chat avec le chat. « Tout va bien entre vous ? » demande Romi en croisant mon regard. Entre nous ? Qui nous ? Je reste une seconde interdite. « Ton père et moi ? » Je sonde son regard et comprends bien que c’est de ça dont il s’agit. J’ignore pourquoi cette inquiétude soudaine, est-ce qu’Abby aurait entendu une de nos discussions un peu houleuses récemment ? Les nouvelles peuvent aller vite avec six enfants. « Ça va, des hauts et des bas comme toujours tu sais… Trente-cinq ans de mariage, ça commence à chiffrer ! » Je ris légèrement, comme pour tenter de dédramatiser la situation. Il n’est pas encore venu le moment où nous parlerons à nos enfants de notre désir de divorce. Il me faut encore un peu de temps. « Pourquoi cette question ? » Je penche un peu la tête sur le côté, et sans attendre qu’elle n’ait répondu, j’enchaîne sur une nouvelle, qui n’a absolument rien à voir. « Tu as le temps pour un café avant de filer ? » que je lui demande en me dirigeant vers la cuisine. C’est ça, fuit ma vieille, c’est toujours plus simple que d’affronter le regard de sa propre chair…

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Amener Lilly ici, c’est aussi l’occasion de pouvoir parler un peu avec ma mère. J’aurais sûrement préféré le faire dans d’autres conditions, que ça ne ressemble pas à un interrogatoire, mais le temps me manque aujourd’hui. Et puis, une fois que le mystère sera élucidé, alors nous pourrons passer à autre chose. Comme je m’y attendais un peu, mes parents voient leur mariage bousculé par quelques turbulences, mais rien de bien inquiétant. Après tout, trente-cinq ans, c’est beaucoup. Rares sont les couples qui tiennent jusque là sans aucune dispute. Je me demande même si ça existe. Avec Alice, je ne pourrais malheureusement pas le savoir. Pour être honnête, c’est le genre de détails auxquels j’évite de penser, sinon je pourrais facilement avoir un coup de mou pendant plusieurs jours. Curieuse, ma mère me demande ce qui me pousse à lui poser cette question. Mais avant même de pouvoir lui répondre, elle me propose de prendre un rapide café, avant de s’éclipser – ou de fuir, à la cuisine. Je lui enchaîne le pas avant de répondre. « Lilly vous a entendu vous disputer un jour où elle était ici et elle était un peu paniquée en rentrant. » Paniquée n’est peut-être pas le mot adéquat, mais j’ai eu l’occasion d’entendre parler de cette conversation houleuse durant le dîner. Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais cet échange l’a marqué plus que les autres. « C’est une enfant. Dès qu’elle entend le ton de la voix qui monte, elle pense tout de suite que c’est grave. » Alors que quand on est adulte, ça finit par devenir quelque chose d’assez banal. On ne se rend même plus compte du ton que l’on utilise – sauf si vraiment, on se met en colère. « Je voulais juste en être sûre. » Je ne vis plus sous le même toit qu’eux et ma vie fait que naturellement, je m’occupe plus de mes affaires que des leurs. Alors forcément, quand la petite fille m’a remonté ça, je me suis inquiétée. Depuis trente-et-un ans maintenant, je vois mes parents ensemble et je mentirais si je disais que cela ne me ferait pas quelque chose de les voir se séparer. Cela arrive, souvent même, mais ils sont comme un modèle pour moi. Si je ne peux plus croire à l’amour et au couple idéal avec eux, alors sur qui est-ce que je vais pouvoir m’appuyer ? Personne malheureusement. « Juste une petite tasse. Ça évitera le gâchis. » Si j’ai accepté cette boisson, il ne faut pour autant pas oublier que je suis bientôt attendue, dans un endroit où l’on me proposera certainement un café aussi – à ce rythme, ma vessie va être trop petite.

« Lilly vous a entendu vous disputer un jour où elle était ici et elle était un peu paniquée en rentrant. » Je relève vivement la tête vers ma fille. J’ai l’air sans doute plus surprise que je ne l’aurai voulu. Pour plusieurs raisons d’ailleurs. La première qui me traverse, c’est l’inquiétude que ma petite princesse ait été vraiment bouleversée par la dispute qu’elle aurait entendue. La seconde, c’est que la mère de cette dernière ne se doute que quelque chose. Et je crois bien que c’est le cas. Depuis le temps que nous essayons de dissimuler ce divorce latent, je m’étonne même que ça n’arrive que maintenant. Pourtant, je ne suis pas encore prête à parler de ça avec mes enfants. « C’est une enfant. Dès qu’elle entend le ton de la voix qui monte, elle pense tout de suite que c’est grave. » Je hoche un peu la tête, le coeur serré. « Je ne me souviens pas qu’on se soit disputés, ça arrive, évidemment. Mais jamais devant Lilly… » Je soupire un peu, lui adressant un air désolé. « Je voulais juste en être sûre. » Je dois continuer de tenir le cap, encore un moment. Si je dois annoncer quoi que ce soit, je voudrais que ça se fasse en famille, que tout le monde soit au courant en même temps. « Ne t’inquiète pas chérie. Rien de grave. Il arrive que nous ne soyons pas toujours d’accord, c’est même plutôt sain. » Je lui adresse cette fois un sourire qui se veut rassurant, et elle accepte de prendre une tasse de café. Je dois continuer d’arborer ce masque que je mets parfois pour éviter que mes enfants ne ressentent trop les sentiments qui peuvent me traverser. J’ai toujours mis un point d’honneur à la communication, et j’estime avoir cette chance, de pouvoir discuter avec chacun d’eux, de quasiment tous les sujets. Pourtant, ce seul sujet reste un point noir, parce que je sais que notre divorce leur fera du mal, même s’ils sont grands désormais. Alors je repousse au maximum cette annonce, tant que je peux. « Bon et toi… A part le boulot, tu arrives à sortir un peu, voir du monde ? Rencontrer des gens… ? » Je ne suis pas très fine, mais je ne cherche pas à l’être. En général, j’arrive avec plus de tact, mais je sais qu’aujourd’hui le temps me manque, et je fais un tour grossier de sa vie pour tenter de savoir si tout va véritablement bien pour elle. Après ce qu’elle a vécu, c’est important pour moi de m’en inquiéter plus encore.

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Depuis que j'ai quitté la maison, il est plus difficile pour moi de suivre ce qui se passe avec mes parents et mes frères et sœurs qui ont continué de vivre avec eux. Je fais pourtant de mon mieux, surtout qu'en étant l'aînée, c'est un peu mon boulot de faire attention à eux. Quand je me suis construite ma propre famille, je me suis un peu éloignée de ce rôle que j'ai eu enfant et c'est finalement dans ces moments-là, quand je viens ici, que je retrouve tout cela. Je retrouve les personnes qui m'ont vue grandir et celles avec qui je peux être qui je suis, celles avec qui je peux baisser ma garde. Ici, je perds quelques années, je redeviens la petite fille que j'étais avant et c'est pour cela qu'une dispute grave entre mes parents m'affecterait. « Je suis rassurée, vous êtes un peu un modèle pour moi. » Et ils le sont sûrement pour un bon nombre de personnes. Trente-cinq ans de mariage, six enfants. Ce sont des épreuves qui auraient pu mettre à mal leur relation et pourtant, ils sont toujours là aujourd'hui et j'espère qu'ils le seront encore dans quelques années. Ce qu'ils ont, je ne l'ai plus, alors je crois que je vis un peu par procuration, même si je ne suis pas avec eux au quotidien. Elle me propose un café, que j'accepte. Pour le prendre, nous nous rendons dans la cuisine, laissant Lilly à ses occupations avec le chat et les quelques jeux à elle qui traînent. Le temps qu'elle prépare nos boissons, ma mère m'interroge sur ma vie, sur les personnes que je peux rencontrer. Si je comprends bien, après avoir parlé de son couple, elle veut m'amener à parler du mien ou plutôt de celui que je pourrais avoir si je décidais de voir quelqu'un plus d'une nuit. « La routine. Je sors après mes gardes, je rencontre du monde, je m'amuse et je rentre chez moi. » Et généralement, je ne les revois pas. Pas d'histoire, pas de problème et avec ce que j'ai pu vivre avec Alice, le mal que ça m'a fait, c'est bien mieux comme ça. « Pour l'instant, ça me va comme ça. » Peut-être que plus tard, quand Lilly sera plus grande, je changerais d'avis. Ou peut-être même avant ça, si quelqu'un me fait changer d'avis. Ce n'est pas encore arrivé, sûrement parce que le souvenir de ma femme est encore trop présent. Ou alors, parce que je veux me protéger et protéger cette éventuelle personne : je sais ce que ça fait de devoir vivre avec quelqu'un qui travaille dans une caserne.

Je sais par avance que notre divorce se fera à l’amiable, nous en avons déjà parlé. C’est un sujet qui revient assez souvent en ce moment, mais seulement si nous sommes sûrs de ne pas être sur écoute. Ici, les oreilles traînent assez facilement, et à entendre ma fille aînée, je vois qu’il ne s’agit pas seulement de mes enfants, mais aussi de la petite princesse de la famille. Ça me fait mal au coeur que cette petite bouille se soit inquiétée, et je comprends maintenant la mine un peu inquiète de Romi. Pourtant, un jour elle devra apprendre ce qui arrive à ses parents. Le même lot que beaucoup d’autres couples avant nous, d’ailleurs. « Je suis rassurée, vous êtes un peu un modèle pour moi. » Allez… culpabilité niveau 1 : check. Je lui adresse un sourire sans pour autant lui répondre. Et quoi dire ? Nous avons toujours été de bons parents, et nous le resterons même après notre séparation. Tous nos enfants sont aujourd’hui majeurs, je pense qu’il est grand temps d’être honnêtes avec eux sur la situation. Mais ce moment viendra bien assez tôt.
A mon tour de poser des question, et m’inquiéter sur sa vie sociale. Je n’ai pas d’inquiétudes concernant son travail, je sais que c’est une travailleuse acharnée quand les choses lui plaisent, et c’est le cas pour son métier, malgré le drame qui a bouleversé sa vie - et la nôtre par extension. « La routine. Je sors après mes gardes, je rencontre du monde, je m'amuse et je rentre chez moi. Pour l'instant, ça me va comme ça. » En plongeant mon regard dans le sien, je cherche à savoir si ce qu’elle dit est vrai ou si elle tente de s’en persuader. Alice est partie depuis un moment maintenant, et personne ne lui en voudrait de trouver une autre personne pour combler le manque. Je ne peux qu’imaginer à quel point les choses aient pu être difficiles, et qu’elles le soient encore d’ailleurs, mais j’ai hâte de la voir avancer un peu plus et s’épanouir à nouveau. Les relations amoureuses ne sont pas la seule chose qui apportent le bonheur, mais dans une bonne partie des cas, elles y contribuent. « Je vois. Si ça te convient pour le moment, alors tant mieux. » Je lui offre un sourire bienveillant et fais le tour de l’ilot central pour lui offrir son café. D’un geste tendre, je dépose une caresse sur son bras. Je n’ai pas besoin de lui dire ce que je pense, nous avons toujours eu ce lien, cette chance de pouvoir le plus souvent parler sans un mot. « J’espère juste que tu ne te tues pas à la tâche au boulot, pour ne pas trop penser. Je sais ce que c’est, et ce n’est pas forcément la bonne solution. » Après avoir perdu Elena, j’ai été au fond du trou. Et même si j’ai tout fait pour que personne ne le sente, je sais qu’ils ont senti que quelque chose n’allait pas, mais je n’en ai pas parlé pour autant. J’avale mon café d’une traite et repose la tasse sur le comptoir. « Je ne veux pas te mettre en retard chérie, tu sais à quelle heure tu repasseras chercher Lilly ? On va probablement aller se promener un peu, appelle moi avant d’arriver, je te dirai où on est. »

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Les inquiétudes de ma mère sont logiques, même si ça fait maintenant plus de deux ans qu’Alice nous a quitté. La brune était mon âme-sœurs : entre nous, c’était simple et fort, c’était une évidence. Alors forcément, quand elle a quitté ma vie, d’une manière aussi brutale, ce fut un choc. Aujourd’hui, j’ai remonté la pente, même si je n’ai toujours personne pour m’accompagner au quotidien. Mais pour mes proches, ce n’est pas toujours simple de le voir dans ce sens : ils me préféreraient épanouie comme je l’étais à l’époque. À ce sujet, ma mère ne se prive pas pour me parler librement, elle l’a toujours fait. « Lilly est une bonne distraction pour cela. Sans elle, ce serait bien différent. » Faire du travail ma priorité aurait pu être une option au décès de mon épouse, mais j’avais la responsabilité d’une petite fille de trois mois et cela m’a permis de tenir bon, de garder la tête haute. Je bois plusieurs gorgées de mon café, avant que ma mère ne me fasse remarquer que si je reste ici trop longtemps, alors je vais finir par rater mon rendez-vous. « Tu as raison ! Je ne voudrais pas être celle qui arrive en retard, j’en entendrais parler pendant des jours à la caserne sinon ! » Il ne devrait pas y avoir beaucoup de monde que je connais là-bas, que je connais bien, mais le monde des pompiers est connu pour être bavard : je n’ai aucun doute sur le fait qu’il s’agit d’informations qui circulent vite au sein du département, même si c’est seulement pour taquiner quelqu’un. Pendant que je termine ma tasse de café, ma mère expose ce qu’elle a prévu avec Lilly, justifiant le message qu’elle me demande de lui envoyer pour la prévenir de mon retour ici, pour récupérer la petite fille. « J’espère que ça ne durera pas trop longtemps. Mais je te tiens au courant. » Et si vraiment ça commence à s’éterniser, comme je suppose que ce sera du blabla plus qu’autre chose, j’aurais en la personne de ma mère, quelqu’un avec qui échanger pour faire passer le temps. Je jette un coup d’œil à ma montre pour évaluer le temps qu’il me reste avant l’heure du rendez-vous. En partant maintenant, avec le trajet, je devrais encore être dans les clous. Je dépose un rapide baiser sur la joue de ma mère, avant de retrouver Lilly pour la saluer. Déjà bien occupée et ravie de passer du temps avec sa grand-mère, elle m’ignore un peu et me mets presque à la porte. Ce n’est pas la sensation la plus agréable, mais comme je la sais en sécurité ici, c’est moins déchirant que de la voir pleurer. Mes aurevoirs faits, je récupère mes affaires et quitte la maison. À bord de la voiture, je mets le GPS en route pour me rendre à Wellington. Ce n’est pas pour éviter de me perdre : je connais le chemin, il m’est familier. Mais c’est pour savoir le temps qu’il me met sur la route – ou plutôt, dans les bouchons.