Réparer sa bêtise (avec Anna Wilson)

Où est-ce qu’elle est ? Depuis quelques jours pas moyen de la croiser, Arlington était certain qu’elle l’évitait suite à son absence de l’autre soir. Un petit coup d’œil à son portable lui indique qu’elle n’a toujours pas répondu à son message bien qu’elle l’ait vu. Soudain une illumination. À la vue du hall d’entrée, des urgences pleines à craquer et connaissant son amour des heures supplémentaires Anna avait dû mettre à profit cette possibilité d’évacuer sa colère. Il s’écarta vivement à l’instant même où des brancardiers arrivaient à tout allure avec quelqu’un, des professionnels s’approchant à la hâte afin de noter les informations le plus rapidement possible pour commencer la prise en charge. Le psychologue déambula dans les petits espaces disséminés un peu partout à la recherche de la chevelure blonde de son amie. Celui-ci persuadé qu’elle s’est arrangée pour se dégoter le cas le plus intéressant, afin de raconter ensuite ses petites anecdotes lors de la prochaine pause repas. C’est impressionnant d’entendre les professionnels de santé à ce moment-là, la façon dont ils se vantent d’avoir été sur tel ou tel cas. Il faut dire que certains patients ont aussi la palme d’or de parvenir à se mettre dans des situations pour le moins rocambolesque.
Le bip bip des moniteurs sonnent de tous les côtés, voyons voir voyons voir. Enfin la voilà, elle est avec un patient à lui administrer les premiers soins et à transmettre à sa collègue les informations pour lui laisser la personne. Tandis qu’elle quitte le chevet de l’homme, Arlington s’approcha d’elle pour suivre sa cadence. « Bonsoir… j’ai fini par te retrouver… tu vas me faire la tête longtemps ? » Un premier silence se fait sentir alors qu’elle se dirige vers un couloir adjacent. « Tu ne pourras pas toujours m’ignorer… déjà parce que j’ai fini de travailler sur le rapport de ton patient…. Et parce que j’ai des choses à te dire…… » Il attrapa son épaule avec sa main pour la forcer à se retourner « Anna excuse moi pour l’autre soir…. Trop de choses se sont passées et je plaide coupable pour avoir perdu la notion du temps »

Les urgences : une zone de chaos permanant. Des malades, des blessés, des accompagnants stressés, des brancardiers courant partout, des infirmiers trop peu nombreux, des médecins surchargés, du sang, des cris, des larmes, du soulagement aussi parfois, de longues heures d’attente souvent… C’était le lieu dans lequel Anna se sentait le plus utile, le plus nécessaire. C’était ici qu’elle vivait vraiment ce pour quoi elle était devenue infirmière. C’était le cœur de son métier, même si les conditions se dégradaient de jour en jour. Les moyens des hôpitaux étaient de plus en plus restreints, les patients de plus en plus nombreux, et la limite réglementaire des gardes de moins en moins respectée. Ce soir-là, c’était là-bas qu’elle se trouvait, aux urgences. Elle n’avait pas envie de rentrer chez elle, et pas non plus envie de croiser Arli, son meilleur ami. Presque son frère. Son frère, en fait, mais d’une autre mère. Quoi que, à un moment, ils avaient failli devenir vraiment frère et sœur, le couple Wilson songeant à l’adopter, mais quelqu’un avait été plus rapide. Bref, Arli lui avait promis un verre et un dîner, un moment simple et agréable durant lequel ils auraient pu discuter vraiment, se confier, s’épauler, comme ils l’avaient toujours fait. Arlington, c’était son pilier, depuis toujours. Après son divorce avec Sasha, quand elle été tombée dans l’alcoolisme et l’autodestruction, il l’avait toujours soutenue… C’était ridicule de lui en vouloir pour ça, juste pour un moment annulé, dans leur métier c’était tellement commun ! Sauf qu’il aurait pu prévenir. Elle aurait compris. La blonde était à fleur de peau, en ce moment. Peut-être parce qu’elle avait revu Sasha… Bref, ce soir-là, Anna cherchait à échapper à son meilleur ami.
Un homme, âgé d’une bonne trentaine d’année, était arrivé avec une blessure profonde au bras dû à une chute. Anna le pris en charge et le conduit dans un box tout en maintenant une compresse stérile sur la blessure. « Bon, c’est pas joli, mais vous n’allez pas perdre votre bras » le rassura-t-elle avec un sourire chaleureux. Une collègue à elle, plus âgée et habituée à gérer toutes les plaies, entailles et blessures profondes, s’approcha de l’infirmière. « Anna, ça suffit les heures sup, tu as déjà fait trois nuits aux urgences cette semaine, c’est beaucoup trop ». La brunette lui pris le dossier des mains et s’approcha du patient avec un sourire rassurant. Fronçant les sourcils, elle soupira et capitula. « Ok, n’oublie pas de lui faire une radio, juste au cas où ça… » « Au cas où ce serait cassé et donc qu’on aurait besoin de te rappeler ? » la coupa sa collègue. « Ton équipe saura très bien gérer sans toi, allez ouste ». Anna se retourna pour regarder l’état des urgences et voir si elle pouvait encore aider, mais elle n’eut pas le temps de jeter un œil à la salle d’attente : une silhouette lui barra le passage. Arli. Il lui demanda si elle comptait faire la tête longtemps, et elle ne répondit rien, se dirigeant vers le couloir à côté pour remplir son premier objectif. Non, elle ne pourrait pas toujours l’ignorer, premièrement parce que c’était son meilleur ami et qu’elle avait besoin de lui, deuxièmement, en effet, parce qu’elle avait besoin de lui à propos d’un patient pour qui elle s’inquiétait beaucoup. Visiblement, il avait des choses à lui dire aussi, comme elle quand elle été venue à leur rendez-vous pour ne trouver personne… Visiblement agacé par son mutisme, Arlington lui attrapa l’épaule et la fit se tourner vers lui. Il s’excusa et Anna leva les yeux au ciel. « Tu me dois au moins trois cocktails, Arli, et ceux avec le champagne ! » souffla-t-elle avant de finalement venir le prendre dans ses bras. « Ok, c’est bien parce que c’est toi – et que moi aussi j’ai des choses à te dire » déclara-t-elle avant de mettre fin à leur étreinte. « Je vais me changer et on sort ? » proposa-t-elle.

Le visage fermé de son amie ne fit que confirmer ce qu’Arlington savait déjà, elle lui en voulait. La brune était incapable de masquer ses émotions, du moins pas à lui. Ils se connaissaient depuis tellement d’années, il avait grandi à ses côtés. Elle était sacrément têtue et obstinée, il n’appartiendrait qu’à elle de décider du moment où elle accepterait de lui accorder ne serait-ce qu’un regard. Sauf qu’une chose que le psychologue détestait et elle le savait pertinemment, c’était de se faire ignorer. Il est de ceux qui préfère avoir une dispute à cœur ouvert plutôt qu’un moment sous silence à faire comme s’il ne s’était rien passer, pire à ne plus dire un mot. Il devait agir, non seulement pour leur amitié fraternelle mais aussi parce qu’au-delà du plan personnel, il y avait un enjeu professionnel. C’était petit de jouer sur ce point faible d’Anna, mais elle prenait très à cœur l’accompagnement de ses patients et s’il n’avait pas accepter le dossier ou si celui-ci n’avait pas eu besoin d’Arlington, il était certain que sa meilleure amie aurait continuer de se venger.

Un regard glacial lui parvient au moment même où Anna posa ses yeux sur lui. Bon ok il avait merdé et justement il était là pour s’excuser. La jeune femme pris la peine d’écouter ses excuses, avant d’en profiter pour faire l’étalage de ses nombreuses requêtes. Il laissa un rire s’échapper alors qu’il la serra contre lui. « Je vois que tu n’en rates pas une pour profiter de la situation, tu avais prévu de me demander ça depuis combien de temps ? » Arlington hocha la tête en approbation à ce qu’elle venait de dire. Effectivement, les deux compères avaient un paquet de choses à dire, de long monologue allait certainement suivre, il ne faisait nul doute que tous deux souhaitaient déballer tout ce qu’ils avaient emmagasiner sur le cœur depuis un certain nombre de jours. « Oui vas-y, je t’attends dehors, tu as ta voiture ? Ce matin je suis venu à pied… » Oui le psychologue avouait à demi-mots qu’il avait eu besoin de s’aérer l’esprit, de réfléchir longuement. Il y avait une sacrée trotte de son logement à l’hôpital, enfin il avait fait la dernière partie du chemin en bus mais quand même. La course et lui ça fait deux, il est plus souvent à l’aise dans les sports nautiques. « On peut aller à notre bar fétiche ou manger un morceau avant que tu ne t’enfile les verres de cocktail »

Le presque quarantenaire laissa son amie partir se changer tandis qu’il rejoignait l’extérieur du bâtiment. Il s’appuya contre un petit muret, sa tête se pencha machinalement en arrière pour admirer la nuit qui tombait. Ici les étoiles ne se voyaient pas assez, trop de lumière au sein de la ville pour permettre d’admirer la beauté du ciel, avant de fermer un instant les yeux. Au fond de lui, à cet instant précis, une vieille sensation remonta à la surface, celle de jouer avec un briquet pour voir jaillir une étincelle et de prendre une bouffée d’une drogue divine. Que se passait-il en ce moment ? Depuis combien de temps il n’avait pas ressenti ce besoin, si fort, au point que ça lui faisait mal, une sensation d’un manque d’air. La voix d’Anna résonna dans l’air puis il sentit une présence qui le tira des limbes auxquelles il commençait à plonger. Son regard pris un temps pour se reconnecter au présent, il détourna les yeux pour fuir le regard inquisiteur de son amie. Ensemble, ils rejoignirent la voiture garer sur le parking extérieur « Je vois que tu n’as toujours pas le droit aux places du parking souterrain » Un sujet débile, idiot, il le savait mais il n’avait trouvé que ça pour détourner la conversation. Il gagnait du temps pour réussir à enfermer à double tour la brèche qui s’ouvrait à nouveau. La portière claqua et c’est au moment où elle commença à rouler qui tourna son visage vers elle « qu’est-ce que tu avais à me dire ? »