on fait une bonne équipe (eros)

Participer à des soirées, ça fait maintenant partie de mon quotidien. C’était déjà le cas à Stockholm, mais ça s’est confirmé à mon arrivée en Nouvelle-Zélande. Je ne voulais pas forcément passer du temps sous le même toit que ma mère, alors j’ai fait le choix de sortir souvent et avec les années, malgré l’amélioration de mon lien avec Iggy, j’ai gardé cette habitude. D’autant plus que j’ai trouvé des amis pour partager de tels moments, ce serait quand même dommage de passer à côté de ça. Ce soir, c’est sur la plage que nous avons décidé de nous retrouver. La soirée de base n’est pas la notre, mais comme les invitations ont été lancées à l’université, nous avons décidé de nous y rendre ensemble, Abby, Oskar, Toby, Loris et moi. Enfin ça, c’était sans compter Athena, la copine de mon meilleur ami. Je n’ai rien contre elle – pas pour l’instant en tout cas – et pour être honnête, je ne sais pas si j’ai vraiment le droit d’avoir quelque chose à dire sur la blonde. Loris vit sa vie et nous nous devons d’accepter cela et de l’épauler au besoin. Ils, le jeune homme et mes autres amis, font pareil pour Sofia et moi – même s’ils ne l’ont encore jamais rencontrée, alors je me dois de rester dans le droit chemin. Il peut arriver que parfois je m’emporte un peu, que je n’aime pas des personnes à leur simple visage, mais je dois apprendre à m’adoucir un peu. Quoiqu’il en soit, à un moment de la soirée, une fois la nuit tombée, je me retrouve seulement avec eux et autant dire que je préfère prendre un peu mes distances. Leur tenir compagnie quand nous sommes à plusieurs oui, mais tenir la chandelle quand nous sommes trois non. J’ai mes limites. Je me lève du banc où nous étions et me dirige vers le tonneau de bière pour me servir un verre. J’en bois une gorgée, avant d’être rejointe par un jeune homme dont le visage me dit vaguement quelque chose. « Eros, c’est ça ? » De nos jours, même sans vraiment connaître les gens, on a une rapide idée de qui ils sont, d’autant plus que là, nous sommes plus ou moins liés par certains de nos proches. « Charli, une amie de Loris. » Je l’aide à remettre un nom sur mon visage, tout en lui offrant un agréable sourire. « Tu n’es pas avec eux ? » Dis-je, alors que j’indique Loris et Athena d’un signe de la tête. Si j’ai bien tout compris, il est nouveau ici. J’ignore s’il connaît beaucoup de monde en dehors de sa sœur. « Je comprends. Tenir la chandelle, ça va cinq minutes. » Si c’est ça, je ne peux que le comprendre puisque je viens de fuir cette position.

Cela fait maintenant deux bonnes semaines que j’ai atterri en Nouvelle Zélande afin de poursuivre mes études à l’Université de Wellington. Ici, c’est clairement un rendez-vous en terre inconnue pour moi. Je ne connais personne hormis ma sœur (donc autant dire que je suis seul), la ville est bien différente d’Athènes et la rentrée n’ayant pas encore commencé, je n’ai fait la rencontre de personne. Enfin… ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a quelques jours, j’ai fait la connaissance de Loris, le petit ami de ma sœur, le soir où cette dernière a omis de l’avertir de son absence. En guise de “vengeance”, Loris et moi avons décidé de passer un petit moment ensemble. Nous avons finalement continué sur notre lancée en passant la soirée ensemble. Durant celle-ci, nous nous sommes découvert beaucoup de points communs : le sport, la littérature, la photographie et même le plaisir de la chair (et croyez-le ou non, ce n’est pas moi qui ait engagé ce sujet !).
Clairement, Huntington envoie balader tous les a-priori que je m’étais fait sur lui, même si je continue de me demander comment il a pu matcher avec Athéna. Bref, en toute honnêteté, cette soirée est la meilleure que j'aie passée depuis mon arrivée à Wellington, si bien que nous nous sommes promis de réitérer l’expérience ensemble très rapidement.

Après avoir passé un bel après-midi dans les rues de la ville armé de mon appareil photo, je décide finalement de rentrer à la villa. A mon arrivée, la porte est entrouverte. Je pousse cette dernière et reconnaît immédiatement la silhouette de Loris qui semble patienter dans le salon. Aussitôt, un sourire s’affiche sur mon visage.
“Salut !” dis-je en retirant les lunettes de soleil de mon nez.
“Hey Eros ! Comment tu-vas?”. Il commence à s’approcher de moi pour m’offrir une accolade lorsque, au même moment, des bruits de talon résonnent à l’étage. Loris revient sur ses pas et en quelques secondes, ma soeur fait son apparition en haut des escaliers. Visiblement, ces deux-là sont prêts à sortir…
“T’es sublime !”. Et il a raison en plus… Ça me coûte de le dire, mais elle a vraiment héritée de toute la splendeur de maman.
“Vous sortez ?” dis-je à l’intention de Loris.
“Ouais, on a une soirée avec mes potes !”. Athéna descend les marches jusqu’au salon et récupère son sac à main de luxe sur le meuble surplombé d’un immense miroir.
“Ah bah… c’est cool ! Passe une bonne soirée !” dis-je à son intention. Je me dirige à mon tour en direction des escaliers en esquissant au passage un léger sourire à ma sœur histoire d’être cordial.
“Eros, tu veux venir avec nous ?”. Je vous épargne le regard noir de ma soeur et ses tentatives infructueuses pour essayer de le faire changer d’avis.
“Vous me laissez 5 minutes pour me changer ?”

Voilà comment je me suis retrouvé à participer à cette soirée improvisée. J’aurais dû me douter que ce serait bizarre et que ma sœur ne me laisserait pas m’asseoir à côté de son petit-ami soit la seule personne que je connaisse ici ! Je ne sais pas pourquoi elle a besoin de me tenir à l’écart de tout son entourage. Je suis une plaie ou quoi ?
J’essaie de croiser le regard de Loris mais ce dernier est trop accaparé par Athéna qui en fait des caisses comme d’habitude. A côté de lui, une jeune femme semble tout aussi exaspérée à l’idée de tenir la chandelle et je la comprend. D’ailleurs, lorsque celle-ci décide de prendre la poudre d’escampette vers le tonneau de bière, je décide d’en faire de même. Nous nous retrouvons face à face et la jeune femme entame la conversation.
Je souris lorsque j’entends mon nom entre ses lèvres. Cela fait du bien de ne pas être l’illustre inconnu…
"Enchanté Charli !” dis-je en remplissant mon verre de bière.
« Tu n’es pas avec eux ? »
“Franchement ? Plutôt crever !” Mon regard vient se poser quelques instants sur les deux tourtereaux. J’aurais aimé croiser celui de Loris mais cela ne semble pas vraiment être à l’ordre du jour.
“J’exagère… mais franchement, pour ma première sortie j’aurais aimé faire autre chose que tenir la chandelle… mais t’as pas l’air non plus ultra ravie de tenir ce rôle, je me trompe ?”.
Je lui propose d’un signe de tête, de s’installer sur un banc libre situé à quelques mètres de la tireuse.
“D'ailleurs, je voulais te le dire depuis toute à l'heure mais j'ai pas trop osé : j'adore ta robe !. Je ne complimente pas à tour de bras mais quand je trouve quelque chose canon, je n'hésite pas à le dire.
"Du coup... toi et Loris vous semblez être ami depuis un moment c'est ça ? ”. Autant en apprendre plus sur la jeune femme et par la même occasion sur le beau tennisman. Ce sera toujours plus agréable que de jouer les pots de fleurs.

Passer du moment avec mes amis, c'est toujours un plaisir, que ce soit à cinq ou avec plus de monde comme c'est le cas aujourd'hui. Une fois que l'université sera terminée, ces moments deviendront plus rares, alors il est important d'en profiter tant qu'il en est encore temps. Après avoir passé quelques minutes avec mes cinq amis, puis d'autres étudiants, je m'éclipse un peu avec Loris pour passer un moment privilégié avec lui. Mais très vite, nous sommes rejoint par sa petite amie et forcément, je me sens un peu de trop. J'essaye un peu de rester avec eux. Cependant, je finis par faire le choix de partir pour les laisser seuls et pour me remplir un gobelet de bière. Le hasard fait plutôt bien les choses puisque je retrouve le frère de la blonde vers la tireuse. Je ne le connais pas vraiment, néanmoins j'ai eu l'occasion d'entendre quelques informations à son sujet – son prénom pour commencer. Je n'hésite pas longtemps avant de lancer la conversation avec lui : être nouveau, ce n'est pas évident. Je suis déjà passée par là, je le sais. Alors autant l'aider à s'intégrer plus facilement – surtout qu'avec Loris en beau-frère, on risque de se recroiser. D'après ce qu'il me dit, le jeune homme est loin d'être emballé par l'idée de tenir la chandelle, encore moins que ce que j'avais imaginé. J'ai aussi pris la fuite, alors je ne peux pas vraiment le blâmer. « Tu as bien raison, ce n'est pas vraiment ce que j'attends d'une soirée. C'est bien pour cela que j'ai préféré les laisser. » Si ce n'est pour rien dire et attendre sagement à côté d'eux, alors autant faire autre chose. Même si c'est pour faire une activité seule, ce n'est pas la même sensation que d'être la cinquième roue du carrosse. « Mais au moins maintenant, nous pouvons nous tenir compagnie. » Je ne sais pas si notre conversation durera longtemps, néanmoins c’est du temps de gagné et après ça, nous pourrons voir ce que nous voulons faire, seuls ou accompagnés. D’un signe de la tête, Eros propose que l’on s’installe sur un banc. Chose que j’accepte avec plaisir et un sourire sur les lèvres. Ce sourire s’élargit un peu plus lorsque j’entends le compliment qu’il me fait. « Merci, c’est gentil ! Je compte m’éclipser un peu plus tard pour retrouver quelqu’un et si ça peut faire son petit effet, c’est parfait. » Surtout que cette personne que je souhaite rejoindre n’est pas n’importe qui. Après sa garde, j’espère marqué de nouveaux points auprès de Sofia, ma petite amie. Elle est au courant de tout cela, du fait que je viendrais la rejoindre que plus tard et ça ne la dérange pas. Je pense même qu’elle va profiter de ce début de soirée, seule, pour pouvoir se reposer un peu et récupérer de ces quelques jours où elle était loin de chez elle. Curieux, le jeune homme m’interroge sur la nature de ma relation avec Loris. « C’est l’un de mes meilleurs amis. Nous nous sommes rencontrés à l’université. » Alors à bien y réfléchir, ça ne fait pas si longtemps que ça. Mais que ce soit avec lui ou avec les trois autres personnes du groupe, je pense que nous nous sommes bien trouvés. « Nous avons aussi eu une courte histoire, mais comme tu peux t’en douter, ça n’a pas vraiment fonctionné. » Ce n’est pas vraiment un secret, d’ailleurs il nous arrive d’en rigoler maintenant. « Pour le bonheur de ta sœur visiblement. » Elle n’a pas directement pris ma suite, mais ensemble, ils semblent heureux et c’est bien ça le plus important. « Est-ce que tu te plais ici ? » De nous deux, avec ce qu’il a l’occasion de découvrir en Nouvelle-Zélande, c’est peut-être lui qui a le plus de choses à raconter.

Si j’ai accepté de participer à cette soirée, c’est uniquement parce que c’est Loris qui est à l’origine de l’invitation. Cependant, j’aurais dû me douter que les choses ne se passeraient pas comme je l'espérais. En arrivant, le jeune homme me présente à toute sa petite bande d’amis qui m’accueille avec un certain enthousiasme pendant que ma sœur, elle, prend la poudre d’escampette pour s’installer à l’autre bout du groupe. Evidemment, le tour des présentations fait que je me retrouve installé à côté de cette dernière et en même temps, c’était prévisible. Ayant été présenté comme “Le frère de…”, j’aurais dû me douter que l’on me garderait une place au chaud aux côtés de la reine des glaces. Je peux difficilement leur en vouloir puisqu’ils ne connaissent absolument rien à notre histoire mais au fond, je commence déjà à déchanter.

Très rapidement, je me rends compte que la jeune femme joue le rôle d’un barrage entre moi et les autres (et surtout Loris). Elle ne me calcule absolument pas et les amis du tennisman sont trop éloignés pour que l’on puisse réellement avoir une discussion. J’esquisse quelques sourires lorsque mon regard croise celui d’un de ses camarades de classe ou encore celui d’une jeune blonde qui semble être sa petite amie. Puis, mon regard finit par se poser sur une belle jeune femme à la chevelure flamboyante. Installée juste à côté de Loris, elle porte une robe absolument divine qui me tape directement dans l'œil. Elle semble tenter de participer à une discussion avec le couple mais rien qu’à sa tête, je devine que cela lui demande un véritable effort.

Cette jeune femme, c’est Charli aka la sauveuse de ma soirée. Installés sur le banc à côté de la tireuse à bière (bah oui, autant faire les choses bien), elle me raconte sa rencontre avec Loris, leur amitié, en passant par la case couple. Décidément, il a du goût pour ses conquêtes, je ne peux le nier !
« Pour le bonheur de ta sœur visiblement. »
“Hum… visiblement !”. Mon ton est beaucoup moins enjoué que le sien. Jouer les faux-culs, c’est vraiment pas mon truc même si j’essaie de rester un tant soit peu raisonné.
« Est-ce que tu te plais ici ? »
La question provoque chez moi un petit rire ironique.
“THE question…”. Je porte le verre de bière à mes lèvres avant de reprendre.
“Disons que je commence à prendre quelques marques mais c’est toujours plus long quand on est seul dans une grande ville… Ma seule connaissance c’est Loris et il n’a surement pas que ça à faire que de jouer les guides pour le petit nouveau. Et franchement, il en fait déjà beaucoup !”.
Cela doit sûrement paraître un peu bizarre de m’entendre parler de “solitude” alors que je vis dans la villa de rêve de ma sœur, une nana populaire et entourée, dont le répertoire est aussi long que Les Misérables de Victor Hugo… Mais les apparences sont belles et bien trompeuses…
“Qu’est-ce qui n’a pas matché entre vous ? … Pardon, je suis peut-être un peu trop intrusif.”
Habituellement je suis plutôt cash, mais depuis mon arrivée, j’essaie d’être un minimum éduqué lors de mes échanges. Ces gens-là ne sont pas mes amis (ou en tout cas, pas encore), donc il pourrait mal prendre le fait d’être un peu trop familier. Mais ce soir, en compagnie de Charli, c’est sorti tout seul. C’est que d’une certaine manière, je me suis senti en confiance.

Bien que connaissant au moins deux personnes ici, sa sœur et Loris, le jeune homme semble seul. L'étant moi aussi pour l'instant, je décide d'engager la conversation. Quitte à être seuls, autant l'être à deux. Surtout que si nous comparons un minimum nos deux histoires, je crois qu'Eros et moi nous ressemblons plus que nous le pensons. Pour en être sûrs, il faut que nous échangions un peu plus et c'est bien ce qui nous attend pour les minutes à venir. Grâce à quelques questions, j'apprends qu'il commence à prendre ses marques ici et inversement, il découvre que j'ai eu une relation plus qu'amicale avec Loris. Pour commencer, enchaîner les questions, c'est le plus simple pour apprendre à se connaître. Je profite de ses réponses pour rebondir aussi, notamment avec le sujet de son arrivée ici. Je ne connais pas vraiment tous les détails, mais je sais qu'avant ça, il était en Europe. Quand je parlais de points communs, je ne disais pas cela au hasard. Bien sûr, qu'il vienne de Suède aurait été trop beau, mais la Grèce, c'est déjà ça. « Je connais ça. Quand je suis arrivée d'Europe, je ne connaissais que ma mère et notre relation n'était pas vraiment au beau fixe. Ça n'a pas toujours été facile, mais je m'en suis sortie. » Il n'a rien dit à ce sujet, mais en oubliant de mentionner sa sœur, il me laisse plus ou moins comprendre que ce n'est pas une relation fusionnelle qui les unis. « Je suis sûre que tu en feras autant. » Il semble assez ouvert et avec l'image qu'il renvoie, je suis sûre qu'il peut facilement faire tomber du monde sous son charme. Beau, riche, frère d'une fille populaire. Beaucoup de personnes se battront sûrement pour lui. Si je m’attarde sur son intégration ici, lui semble trouver intéressant le fait que j’ai été avec Loris à une époque et il laisse sa curiosité parler. « Ce n’est un secret pour personne, ne t’en fais pas. » S’il pense être trop intrusif avec sa question, il se trompe. La relation entre le brun et moi n’est pas un sujet tabou, je n’ai donc aucun mal à partager à ce sujet. « Nous n’étions juste pas destinés à finir ensemble. Nous avons essayé et nous nous sommes rapidement rendu à l’évidence que nous n’étions que des amis. » Nous ne sommes sûrement pas les premiers, et encore moins les derniers, à qui cela arrive. Nous pensions qu’il y avait quelque chose de plus entre nous, des sentiments que je n’éprouvais pas pour Oskar ou Toby, mais nous nous sommes juste leurrés. L’important, c’est que nous nous en sommes rendu compte rapidement et que notre amitié n’a pas eu à en subir les conséquences. « Nous sommes heureux comme ça, il a sa copine, j’ai la mienne et il nous arrive de plaisanter du moment où nous étions un peu plus que des meilleurs amis. » Aujourd’hui, il n’y a plus aucune ambiguïté et nous savons tous les deux qu’il ne se passera plus jamais rien. Nous sommes amis, l’un pour l’autre dès qu’il y en a besoin, et c’est très bien comme cela. « Quel est le cursus que tu suis ? » Si nous n’avons pas encore eu l’occasion de nous croiser sur le campus, je suis sûre que ça ne saurait tarder, surtout s’il s’entend bien avec Loris.

Charli se veut rassurante quant à l’évolution de ma vie sociale à Wellington. Je ne me fais pas vraiment de souci sur le fait d’arriver à être entouré. La vraie problématique que je rencontre c’est d’arriver à avoir un entourage de confiance sur lequel je peux compter. C’est toujours là-dessus que le bas blesse chez moi. Des camarades de classe, des connaissances, ça j’en ai eu. Mais des amis, c’est plus compliqué. Peut-être que ma condition sociale a aussi joué en ma défaveur. Il faut dire qu'à Athènes, le nom des Karagiannis n’est pas inconnu et je me suis parfois retrouvé entouré de personnes plus intéressées par mon compte en banque que par moi-même. Bref, tout ça, c’est désormais du passé maintenant que j’entame une nouvelle page de ma vie. Ici, personne ne me connaît et c’est peut être bien mieux comme ça.

Visiblement, mon histoire n’est pas si éloignée de celle de la jeune femme qui semble aussi avoir débarquée à Wellington en cours de route. " Ah mais je pensais que tu étais 100% Made in New Zealand ! Tu viens d’où ? ". Et les points communs ne s’arrêtent pas là puisqu’il semblerait que Charli ait eu aussi une situation familiale un peu compliquée. Cela fait évidemment écho à ma relation avec Athéna. “Ah les relations familiales complexes, je connais ça ! J'espère m’en sortir aussi bien que toi, même si pour le moment je doute qu’Athéna et moi sortions de cette colocation vivants ! Mais tu me couvriras hein si jamais elle venait à disparaître subitement?”. Un clin d'œil vient appuyer le côté ironique de ce dernier point.

Nous revenons alors sur le passé amoureux de la jeune femme et de Loris. S’il semble que leur histoire ne soit un secret pour personne, il n’en demeure pas moins que cela reste une surprise pour moi. Je trouve d’ailleurs très fun que malgré leur passé, ces deux-là n’ont pas arrêté de se voir et sont même restés très soudés. “J’en connais une qui ne doit pas être hyper ravis quand vous plaisantez à ce sujet non ?” dis-je en désignant ma sœur d’un signe de tête. Cette dernière est à présent assise sur les genoux de Loris qui tente tant bien que mal de mener une discussion avec le fameux Oskar.
Connaissant l’aînée Karagiannis comme personne, je doute qu’elle trouve agréable l’idée d’entendre son mec plaisanter avec son ex sur leur relation passée. M’enfin bon… qu’est-ce qu’elle trouve agréable de toute façon ?
Elle me révèle au passage son attirance pour les femmes, ce qui fait naître un petit sourire au coin de mes lèvres. Encore un point commun !
“Monsieur t’as fait changé de bord c’est ça ?” dis-je en plaisantant. Perso, si y’a bien un type de mec que j’aimerais voir changer de bord, c’est bien Loris. Enfin… seulement il n’était pas avec ma soeur.


« Quel est le cursus que tu suis ? » me demande ensuite la jeune femme, elle aussi étudiante à l’université de Wellington.
“Je suis en Business International : commerce, marketing et tutti quanti ! Tu vois un peu le topo quoi ! Et toi du coup tu es en cours avec Loris ? Tu étudies quoi ? ”
Si c’est le cas, cela serait clairement une bonne nouvelle ! Cela signifierait que je ne serais pas totalement en terre inconnue lorsque je ferais ma rentrée sur le Campus. Si l’entourage de Charli et Loris est à leur image, alors il y a de fortes chances que je m’entende bien avec eux.

Si le jeune homme se pense seul – hormis sa sœur – à venir d’ailleurs, il se trompe et je ne tarde pas à lui faire comprendre. Ce n’est pas un concours et j’en ai bien conscience, mais quand on est nouveau et un peu perdu, je sais à quel point ça peut faire du bien de se trouver des points d’accroche loin de chez soi. « Je viens de Stockholm, en Suède. » Ce n’est pas exactement comme lui, mais à bien y réfléchir, je suis sûrement celle qui se rapproche le plus de lui malgré tout. « Je sais, le prénom Charli ne laisse pas vraiment penser ça. » Et pour cause, j’ai fait la demande pour changer à mon arrivée aussi. Avec Solveig, il aurait peut-être fait rapidement le rapprochement, comme lui avec Eros. Ce n’est pas écrit sur son front, mais tu sens que ça vient d’ailleurs. Même si je ne connais pas son histoire, je sens rapidement qu’il y a une certaine tension avec sa sœur. Pour cela aussi, il n’a pas de soucis à se faire. Généralement, ça s’améliore avec le temps et si jamais ce n’est pas le cas, alors je suis presque sûre qu’il aura l’occasion de trouver une alternative pour s’échapper d’elle dans les semaines ou mois à venir. « Il doit bien y avoir une pelle chez moi, utilisé par le jardinier. Ça peut toujours aider pour enterrer un corps. » Dis-je, en réponse à sa plaisanterie. Pour lui, je n’irais pas jusqu’à cacher un corps. Mais je suppose qu’il n’irait pas non plus jusqu’à en finir avec sa sœur. Enfin.. j’espère. Alors que j’évoque ma relation avec Loris, ou plutôt celle qui nous unissait avant, mon interlocuteur ne peut s’empêcher de penser que cette idée d’en rire ne doit pas plaire à sa sœur. « Si elle se plaint, ce n’est pas auprès de moi, alors je ne peux pas te dire. » Au début, cela aurait eu du sens qu’elle tique un peu. Mais depuis, j’espère qu’elle a compris qu’elle n’avait pas de soucis à se faire. Entre Loris et moi, c’est clair : il n’y a plus rien entre nous et ça ne sera plus jamais le cas. Être ensemble à l’université, passer nos journées ensemble, ça nous a fait nous imaginer des choses et pourtant, nous ne sommes jamais mieux que lorsque nous sommes ensemble en tant qu’amis. Naturellement, j’évoque Sofia et Eros ne peut s’empêcher de croire que c’est mon meilleur ami et ancien petit ami qui m’a fait changer de bord. « Non, il n’a pas cette force-là. J’ai toujours été libre à ce sujet, avant même de le rencontrer. » Avant même de quitter la Suède même, alors autant dire que ça remonte maintenant. Hommes ou femmes, les gens sont si beaux, ça serait dommage de se priver. « Nous avons des cours en commun, oui. J’étudie dans le sport aussi, pour devenir un jour agent sportif. » Dis-je, à la question qu’il me pose en réponse à la mienne. Vu son parcours, il est possible qu’on se retrouve dans certains cours, comme le marketing par exemple et je trouve important de lui préciser, comme pour le rassurer. « On aura sûrement l’occasion de se croiser sur le campus. »

Peut-être ne serais-je pas si seul que ça finalement à la rentrée ? Je me rends compte qu’il y a plein de gens autour de moi que je serais susceptible de croiser à l’université et pourquoi pas avec lesquels je pourrais devenir ami. Évidemment ce n’est pas en échangeant une fois lors d’une soirée que nous pouvons devenir de bons amis mais c’est déjà un bon point de départ, d’autant plus que j’ai la certitude que Loris ne sera pas du genre à me laisser seul dans un coin. Bon, dis comme ça on dirait que je suis vraiment un associable,  un vilain petit canard, alors qu’en fait pas du tout ! C’est évident que j’arriverais à me faire de la compagnie à la rentrée, mais des amis, ça, c’est une autre paire de manches.

“Non mais je plaisante ! Il manquerait plus que ça… que ce soit quelqu’un d’autre qui remettre en question tes attirances… !”. C’est ironique tout de même quand on sait qu’inconsciemment, Charli fréquente ma sœur qui pour le coup a bien des casseroles à ce sujet avec moi. “ … ou pire, qui t’out publiquement en plein repas de famille…”.
Je n’avais pas forcément l’intention de continuer ma phrase mais la fin est comme qui dirait sortie toute seule. Mon regard pointe évidemment Athéna, toujours lovée contre Loris et cela fait remonter en moi tout un tas d’émotions. A chaque fois que j’évoque ce sujet, mon regard se vide tant il me ramène à des heures franchement sombres que j’ai dû traverser par sa faute. Je ne parle pas souvent de ce sujet, il m’attriste la plupart du temps et j’essaie souvent de l’esquiver mais là c’est différent. En fait, je crois que ça me tape sur le système de voir tout le monde considérer ma sœur comme une fille distinguée, bien éduquée, une princesse qu’elle n’est absolument pas en somme alors qu’elle me fait passer pour un sauvage.

“Excuse moi, on m’a pourtant bien appris à laisser les histoires de famille en dehors des soirées !” dis-je en essayant de balayer le sujet du revers de la main. Je ne vais quand même pas aller embêter Charli avec ses histoires là même si pour le coup, elle semble assez intriguée par tout ça. Bon, je ne la connais pas plus que ça, mais quiconque serait un minimum impliquée par la cause LGBT serait forcément horrifié de connaître toute l’histoire. Mais qu’on se le dise, je ne veux pas pleurer dans les chaumières. Je déteste ça. J’ai moi-même trop pleuré pour cette histoire mais même si elle m’a renforcée, même si la plaie béante qu’elle a ouverte s’est aujourd’hui transformée en simple cicatrice, cet affreux souvenir n’est jamais bien loin.

Être libre, je le suis depuis de nombreuses années maintenant. C’est comme cela que m’a éduqué ma grand-mère. Est-ce que les choses auraient été différentes si j’avais vécu avec mes parents biologiques ? Je ne sais pas. Avec Iggy, je ne pense pas : elle n’a jamais eu de soucis avec qui j’étais et qui je fréquentais – ou alors, elle ne me l’a jamais dit, mais ça ne lui ressemble pas vraiment. Mon père, c’est une autre histoire. Il ne s’est pas battu pour me voir au décès de sa mère, alors il reste un simple inconnu pour moi pour l’instant et donc, ses croyances et mode de vie aussi. J’ai conscience que cette liberté ne peut pas plaire à tout le monde et que des personnes dans ma situation n’ont pas cette même chance. Pour certains, l’amour c’est entre un homme et une femme, et leurs gestes peuvent être dévastateurs. Pour leurs enfants, leur famille ou encore leurs amis. Je crois qu’indirectement, nos pensées se retrouvent. Malheureusement.. même si j’ai un peu de mal à comprendre ce qu’il veut dire par là. Ou alors, je ne veux simplement pas le comprendre. Je crois qu’inconsciemment, j’ai tendance à me dire que maintenant, les gens de notre âge sont tous ouverts. Il faut croire que non. Enfin.. c’est ce qu’il essaye de dire, vu le regard qu’il adresse à sa sœur et j’en ai la confirmation avec sa phrase sur les histoires de famille. « C'est ce qu'elle a fait ? » Tirer des conclusions hâtives, ce n'est jamais une bonne chose. Alors je préfère en avoir le cœur net en posant les bonnes questions. Pourtant, je n'ai pas besoin de réponses claires de sa part pour comprendre que je vise juste, ça se lit sur son visage. « Je ne l'imaginais pas comme ça. » Mais ce n'est peut-être pas quelque chose que l'on cri sur tous les toits et ce n'est sûrement pas pareil quand ça touche la meilleure amie de ton petit ami et ton frère. Je ne lui cherche pas d'excuses, loin de là, j'essaye juste de comprendre pourquoi elle n'a jamais eu de problèmes avec moi. Ou alors, elle me déteste et je ne le sais juste pas. « Qu'est-ce qui s'est passé ? » C'est peut-être indiscret comme question, mais maintenant que le sujet est lancé, je ne me vois pas vraiment m'arrêter. Qu'il se rassure, ce n'est pas une curiosité malsaine qui est en train de s'installer entre nous : je me dis juste que s'il a besoin de quelqu'un pour en parler, pour extérioriser un peu, alors je suis plutôt bien placée pour ça. « Est-ce que ça va ? » Je ne sais pas exactement quand cela a eu lieu, s'il y a prescription maintenant ou pas, mais ce n'est jamais évident de se retrouver mis dans une telle position. Il est donc important pour moi de m'assurer que les choses vont bien pour lui maintenant. Malgré ça.

Se découvrir, se comprendre et s’accepter. Voilà un processus par lequel la plupart des êtres humains passent avec déjà plus ou moins de difficultés. Mais ça, c’est lorsque personne ne vient mettre son nez dedans parce qu’évidemment tout se complique quand c’est le cas.
J’aurais payé cher pour affronter ça seul, ou en tout cas, pour affronter cela avec les personnes que j’aurais choisi pour m'épauler mais malheureusement, le destin en a voulu autrement. Je ne parle pas souvent de cette histoire. En tout cas, pas depuis des années… Mais aujourd’hui, il semblerait que le destin en ait voulu autrement.
Raconter cette histoire, c’est toujours difficile. Lorsque je le fais, c’est rarement avec entrain… un peu comme si j’étais dans une pièce en train de parler et que quelqu’un coupait subitement la lumière. Ça m'éteint un peu en quelque sorte.
“Et comment qu’elle l’a fait ! Et en bon et dû forme en plus…”
Visiblement Charli veut en savoir plus et cela me soulage d’une certaine manière. Je crois que j’ai besoin de me confier à quelqu’un ici, dans ce nouveau pays, cette ville où je ne connais personne. Inconsciemment, je dois être à la recherche d’un point d’ancrage.
“Oh ne t’inquiète pas, tu es loin d’être la seule ! Personne ne l’imagine comme ça… Elle fait en sorte de renvoyer une image tellement parfaite et le pire, c’est que ça fonctionne ! Qui oserait penser le moindre mal de la GRANDE créatrice Athéna Karagiannis ?”.
Cela résonne dans ma bouche avec une certaine mélancolie. Car oui, nos relations sont ce qu’elles sont, mais j’ai toujours en tête l’harmonie qu’elle et moi avions quelques années avant tout ça. Ca m’attriste encore plus de repenser aux belles années que nous avions eu et surtout d’imaginer que cela n’appartient désormais plus qu’au passé…

Charli est réceptive et cela me fait du bien. Je sens que derrière ses questions ne se cache aucun voyeurisme. Elle semble juste chercher à comprendre ce qui a bien pu se passer.
Lorsque je débute mon récit, je souris malgré moi, la tête légèrement baissée.
“Ca s’est passé le soir du réveillon de Noël il y a quelques années. Depuis quelque temps nos relations s’étaient un peu détériorées, mais rien de très grave… On se chamaillait quoi, comme des frères et sœurs. Athéna devenait de plus en plus capricieuse et ça nous gavait tous à la maison… A cette époque, elle flirtait avec un mec au lycée et ce n'était un secret pour personne sauf pour elle qui en faisait un secret d’état. Bref, ça faisait plusieurs jours qu’elle racontait vouloir partir au ski avec ses “amies” pendant les vacances d’hiver mais mes parents n’étaient pas hyper chauds, notamment parce qu’ils se doutaient que les fameuses copines, c’était surtout ce mec qu’elle connaissait depuis peu.
Bref, elle a remis le sujet sur la table le soir du réveillon, mes parents ont refusés une nouvelle fois et malheureusement, j’ai voulu en rajouter en la charriant sur ce fameux mec… Ça n'avait vraiment rien de méchant, c’était juste pour la taquiner mais elle a complétement pété un câble ! Elle aurait pu me hurler dessus et franchement, ça aurait été plus agréable… mais non. Elle s’est levée d’un coup, droite comme un i en me regardant droit dans les yeux et dans un silence assourdissant, elle a m’a outé devant toute ma famille : mes parents, mes grands parents, mes oncles et tantes, même mes cousins…”

Sans m’en rendre compte, mes yeux s’embuent de larmes et ma jambe droite se met à trembler, comme c’est souvent le cas quand je suis préoccupé. Ses signes là, je ne cherche pas à les cacher face à Charli qui semble s’inquiéter pour moi. En même temps, à quoi bon chercher à les dissimuler…  “T’en fais pas, c’est du passé…” Enfin visiblement… pas tant que ça… “C’est juste que… je ne connaissais rien de moi à cette époque. Je ne savais pas ce que je voulais, qui j’étais… je me découvrais quoi et quand elle a balancé cette bombe-là… je commençais à peine à me poser les bonnes questions. A ce moment-là, je flirtais avec un mec du lycée, c’était tout nouveau, j’explorais de nouveaux horizons quoi, et elle a tout foutu en l’air. On dirait pas comme ça mais ça m’a fait plonger dans période très sombre pendant un temps. Après moi j’ai eu de la chance, j’ai réussi à prendre le contre-pieds et à aller de l’avant mais on a pas tous cette possibilité là ! Tu vois ? je me dis qu’il y a tellement de personnes qui auraient vu leur vie détruite à cause d’un truc pareil et qui se seraient foutu en l’air… Fin… c’est grave !
Mais en fait le pire dans tout ça… c’est qu’elle ne s’est jamais excusée ! JAMAIS ! Aucune tentative, rien. Pour elle, tout était normal. ”

La voilà cette fameuse histoire, l’origine même du conflit qui nous sépare depuis tant d’années. J’essuie mon oeil gauche avec le revers de ma main droite. Ma tristesse s’est transformée au fil de mon explication en une forme de colère (raisonnée malgré tout).
“Tu dois te dire… quel bordel cette famille et franchement… t’as pas tort !” dis-je en souriant. Franchement, assez de larmes ont coulé pour cette histoire.

Je ne sais pas exactement pourquoi, mais notre conversation prend une tournure plus sérieuse. Est-ce qu’Eros avait besoin d’une oreille attentive ? Est-ce que j’avais le visage de l’emploi pour ça ? Peut-être. Je ne peux m’empêcher de me dire qu’il n’a pas complètement tort, puisque ma bisexualité me permet de me mettre un minimum à sa place. Même si contrairement à lui, je n’ai jamais eu le soucis qu’il est en train d’évoquer. Un jour, j’ai ramené une fille chez ma grand-mère et c’était tout. Pour moi, c’était la même chose que si c’était un garçon et elle l’a pris exactement comme ça. Je ne sais pas si c’est plus simple en Suède ou si c’était seulement la femme qui m’a élevée qui était comme ça. Maintenant que je suis au courant de ce qu’Athéna a fait, je ne peux m’empêcher d’être un peu curieuse. Peut-être un peu trop, mais la question sortie de mes lèvres, il est trop tard pour la récupérer. Pa chance, le jeune homme ne se braque pas face à tant de curiosité et prends même le temps d’énoncer son histoire en détails. Je l’écoute avec attention, tout en jetant quelques regards discrets vers Loris et sa petite amie. Je ne me considère pas comme une grande amie de la blonde – en réalité, je ne la connais pas vraiment –, mais je doute que les choses changent entre nous maintenant que je sais cela. À la fin de son premier récit, je me permets un petit commentaire, lui démontrant ainsi que je l’écoute bien. « Tu l’avais touché dans son égo. » Mais encore une fois, ça ne justifie en rien ce qu’elle a fait. Colère ou pas, il est inconcevable de décider du sort de quelqu’un à sa place. L’histoire du moment qui a mis une certaine distance entre eux terminée, Eros évoque ce que cela a pu faire sur lui. Il ne savait pas vraiment qui il était, ce qui lui plaisait et voilà qu’il se retrouvait poussé de force dans le grand bain. « Comment l'ont pris tes parents ? » Finalement, ce n'est qu'un détail. Mais je ne peux m'empêcher de m'inquiéter de l'état dans lequel ils étaient ce soir-là et ce que cela a engendré pour le jeune homme. « Je suppose que les choses sont compliquées entre vous maintenant. » Et il n'y aurait rien de surprenant à cela. « Je ne jugerais jamais quelqu'un sur sa famille. » Dis-je, alors qu'il évoque le bordel familial. « Sur rien en réalité, ne te méprends pas. » Ne jamais dire jamais.. mais j'essaye quand même de faire de mon mieux pour ne pas juger les gens que je croise. Pourquoi faire ce que je ne souhaite pas recevoir de quelqu'un ? « Ce n'est pas exactement lié à la même chose, mais je n'ai pas la famille idéale non plus. » Après ce qu'il vient de me dire, je crois que je peux me livrer un peu aussi. Même si contrairement à lui, mon histoire n'est plus réellement un secret. « Mes parents n'ont pas voulu de moi. Mais ma grand-mère ne pouvant pas se résoudre à me laisser aller dans le système, elle m'a accueilli chez elle, en Suède. Je n’avais que quelques semaines, alors je n’ai aucun souvenir de cela. » Je ne veux pas qu’il se méprenne, malgré ce début de vie un peu chaotique, je n’ai jamais manqué de rien. « Tout allait bien pour nous, nous étions heureuses, jusqu’à mes dix-sept ans. Elle a eu un problème de santé et son état s’est détérioré, au point de se voir emporter en quelques mois. Seulement, étant encore mineure à ce moment-là, il a fallu trouver une solution. » Et pour le coup, on a préféré éviter que je rejoigne une famille d’accueil. « Les servies sociaux ont appelé mes parents biologiques. Mon père n’a pas dû répondre au téléphone, alors que ma mère a accepté de m’accueillir, ici. Mais je te laisse imaginer nos relations au début. » Frère et sœur, mère et fille. Contexte différent, mais même combat. « Ton verre a l’air vide. Le mien aussi. Je crois qu’on mérite une deuxième tournée. » Après cette petite séance émotion, je pense que ça ne peut pas nous faire de mal.

J’ai rarement l’occasion de me confier sur ce secret de famille qui n’est pas des plus simple à porter pour moi. Il faut comprendre que l’image d’Athéna est un trésor qu’il est presque impossible d’atteindre et je ne parviens pas à comprendre pourquoi. Souvent, les gens ont du mal à croire à mon histoire, ce qui fait qu’aujourd’hui, j’évite de me laisser aller à la confidence. Pourtant, un je ne sais quoi dans l’attitude et le regard de Charli m’a donné confiance, si bien que tout est sorti tout seul. Sur le coup, je me demande si elle aussi elle réagira de la même manière que les autres, même si j’ai la sensation que ces deux-là ne sont pas les meilleures amies du monde. J’imagine qu’elles sont cordiales… L’amitié, c’est pas vraiment le dada d’Athéna.

« Comment l'ont pris tes parents ? » Dans son ton et dans sa gestuelle, je ressens l’empathie de Charli. Ce n’est pas de la pitié, bien au contraire. Je déteste que l’on me prenne en pitié et si cela avait été le cas, j’aurais vite changé de sujet. Au contraire, je sens une forme d’inquiétude de sa part et mine de rien, j’ai un peu la sensation de compter pour quelqu’un à ce moment-là. Et même s’il s’agit d’une presque inconnue, cela me fait du bien.
« Tout le monde est resté silencieux. Je peux comprendre qu’ils aient été surpris d’une telle annonce vu que nos échanges à table étaient plutôt musclés… mais j’aurais aimé un regard, un geste rassurant de leur part. A ce moment-là j’ai quitté la table vu que personne n’a pris ma défense.  J’avoue que j’étais trop choqué pour dire quoi que ce soit. Après, on en a pas vraiment parlé… j’ai senti qu’il y avait une gêne mais plus par rapport à la manière dont tout cela s’était déroulé. Mais pour être honnête, ils m’ont plutôt laissé tranquille sur ce sujet et, ils m’ont écouté quand je leur ai dit que j’avais besoin de consulter. Parce que oui, tout ça ça m’a quand même bien fait partir en vrille pendant un temps… Ce qui les inquiétait, c’était plus mon état de santé au final. Aujourd’hui, on s’entend très bien, ils acceptent qui je suis. »

Niveau parental, on peut dire que ça aurait pu être pire, mais avec ma sœur, c’est une toute autre histoire et ça, Charli l’a deviné.
« Je suppose que les choses sont compliquées entre vous maintenant. »
Un rire ironique vient lui donner un semblant de réponse. « C’est bien plus que compliqué ! Notre relation est fichue et franchement, je ne te dis pas ça de gaieté de cœur. Elle a ruiné une partie de mon adolescence et notre relation par la même occas’ ! Pour elle, je ne suis qu’un sale gosse, une « grande folle » qui lui fiche la honte quotidiennement… Pour te dire, elle m’évite constamment à la maison, enfin quand elle est là déjà ! J’ai plus vu Loris que ma propre sœur depuis que je suis arrivé… Et si tu avais encore un doute, ce n'est pas elle qui m’a invité ici mais mes parents qui lui ont en quelque sorte imposé ma présence. Bref, elle me fait bien comprendre que je ne suis plus rien pour elle, même si en public, elle te donnera parfois l’impression que je suis toujours son petit frère adoré mais à mes yeux, ce n’est qu’une inconnue. ». Est ce que je regrette notre relation passée ? Bien sûr, mais je crois que le temps m’a aidé à faire le deuil. Bref, voilà ma belle histoire de famille. Toutefois, j’ai bien conscience qu’il y a pire dans ce monde et qu’aucune famille n’est parfaite. A son tour, Charli se laisse aller à la confidence.

Elle me fait le récit de son enfance, principalement passée chez sa grand-mère malheureusement disparue. Parler des grands parents disparus m’émeut toujours. La perte de mes grands-mères a été une véritable épreuve, si bien que même en évoquant celles des autres, je ne peux m’empêcher de compatir et d’avoir une pensée pour ces femmes qui m’ont accompagné pendant mon enfance. « Oh je suis désolé » dis je en posant une main amicale sur son bras. Elle poursuit alors son récit tout à fait improbable. « Et aujourd’hui, comment est votre relation ? » ajoutais-je en espérant une conclusion positive.

Nos verres quasi vides, nous retournons à la tireuse à bière sous l’impulsion de la belle rousse. Pendant qu’elle se sert, je regarde l’heure sur la montre à mon poignet et réalise combien le temps est passé vite. « En tout cas, j’en connais une qui a bien de la veine de passer la soirée avec toi ! J’espère qu’elle s’en rend compte ! » dis-je en faisant référence au rendez-vous galant de la jeune femme dont l’heure se rapproche à grand pas.
« Qu’est-ce que vous mijotez tous les deux ? » dit une voix masculine derrière nous. Nous nous retournons presque en même temps avec Charli et découvrons la présence de Loris. Un large sourire se dessine alors sur mes lèvres.
« Surement un plan très machiavélique ! » je lance un regard malicieux à ma récente partenaire de soirée.
« Vous voulez pas revenir avec nous ? Ca fait des plombes que vous êtes partis ! ».
Est-ce que je meurs d’envie de le suivre ? Evidemment, mais je déchante rapidement en apercevant ma sœur en chemin pour le rejoindre.
« Désolé, on a fait connaissance et… tu vois le délire on s’est laissé prendre par nos…».
Athéna finit par le rejoindre, pendue à son bras, tentant de couper court à nos échanges.
«... histoires personnelles. De toute façon, je suis claqué, je vais rentrer…» La déception se lit probablement sur mon visage mais je dois admettre qu’après avoir remué le passé comme ça, j’ai difficilement envie de me prendre la tête, même si je me prive d’une belle soirée en compagnie de Loris et Charli.
Je me tourne alors vers cette dernière à qui je tend mon téléphone portable avec un accès direct au répertoire, l’invitant à y rentrer ses coordonnées.
« Merci pour cette soirée !». J’offre une accolade chaleureuse à ma rencontre du soir. Une rencontre qui, je l'espère, se transformera en amitié avec le temps. « Et je veux tout savoir de ce date !» ajoutais-je.
Je me tourne ensuite vers Loris, vraisemblablement déçu de mon départ, et lui offre aussi ainsi qu’un petit bisous sur la joue.
« Bonne nuit et merci pour l’invitation !».
Je me contente d’offrir un sourire forcé à ma sœur pour lui souhaiter une bonne soirée puis me dirige d’un pas décidé vers mon scooter. Je suis évidemment triste de quitter la soirée comme ça, mais je sais que je reverrais Charli et Loris dans de meilleures conditions. Je leur adresse un petit signe de la main avant de démarrer l’engin direction : la villa !

@Loris Huntington

Avec lui, je me sens bien, en confiance. Je ne sais pas exactement pourquoi. Enfin.. je ne savais pas vraiment au début, mais plus nous parlons et plus je me dis que nos points communs doivent aider. Notre attirance pour les personnes du même genre que nous et puis, nos histoires familiales un peu complexe. Nos vécus sont différents, mais le résultat est le même : nous nous y connaissons en relations compliquées. Surtout que lui, avec sa sœur, il a eu la malchance d'avoir une mésaventure supplémentaire avec son coming out forcé. Sans ça, ce n'est déjà pas simple, alors là, je n'ose pas imaginer ce qu'il a eu à vivre. Par chance, il m'apprend que ses parents ne l'ont pas rejeté, même si c'était un peu bizarre entre eux au début. L'important, c'est qu'ils acceptent qui il est, même si l'annonce n'a pas été faite comme il l'espérait. Cet événement a créé une tension entre sa sœur et lui, alors c'est bien qu'il puisse compter sur ses parents. Ce n'est pas pareil, c'est vrai. Enfin je suppose, je n'ai jamais eu de frère ou de sœur pour me faire une idée là-dessus. Quand on grandit avec quelqu'un, on ne s'imagine pas possible qu'il finisse par nous planter un couteau dans le dos, comme l'a fait Athena avec Eros. La réaction du jeune homme est donc logique à mes yeux : elle a brisé quelque chose entre eux, alors pourquoi chercherait-il à améliorer leur relation maintenant ? En parlant de relation, maintenant que j'ai évoqué celle que j'entretiens avec ma mère, j'attise la curiosité de mon interlocuteur. « Disons qu'elle est cordiale. » Et ce n'est sûrement pas plus mal, car entre nous, les choses avaient plutôt mal commencées. Toujours touchée par la perte de celle qui m’avait élevée jusque là, j’ai été dure avec ma mère dès mon arrivée en Nouvelle-Zélande. « En cinq ans, nous avons eu l’occasion de nous apprivoiser un peu. Mais je ne peux pas oublier que pendant dix-sept ans, elle a été une inconnue pour moi. » Quelqu’un qui ne voulait pas de moi. D’ailleurs, si ma grand-mère était encore là ou si elle nous avait quitté une fois ma majorité atteinte, alors peut-être que je n’aurais jamais rencontré Iggy. C’est une possibilité qui m’a déjà traversée l’esprit, mais que j’ai rapidement balayée puisqu’elle était maintenant irréalisable. Et puis, si je n’avais pas eu à venir ici, ma vie aurait été bien différente. Je n’aurais jamais rencontré mes amis et encore moins Sofia, cette femme que je vais bientôt retrouver. En parlant d’elle, Eros évoque la chance qu’elle a. « J’en ai tout autant. » Dis-je, alors qu’un sourire se dessine naturellement sur mes lèvres. « Elle est belle, drôle et talentueuse. » Je ne suis sûrement pas très objective, mais c’est vraiment comme cela que je la vois. Loris arrive derrière nous et nous nous retournons vers lui, en même temps. Lorsqu’il nous demande ce que nous faisons, Eros s’occupe de répondre et cela me convient parfaitement. Il nous propose de revenir avec lui et Athena, mon regard se pose naturellement sur ma nouvelle connaissance. De nous deux, c’est sûrement lui qui pourrait être le plus réticent à cette idée, alors indirectement, je lui laisse la possibilité de se trouver une excuse, de s’échapper. Surtout que maintenant, sa sœur se montre derrière Loris, retirant sûrement le peu d’envie qu’il restait à Eros. Je ne sais pas si c’est cela qui le motive vraiment, mais comme je m’y attendais un peu, le jeune homme annonce son départ. Pour me dire au revoir, il s’avance vers moi et m’offre une accolade. « Merci à toi. C’était un plaisir de faire ta connaissance ! » Je suis presque sûre que nous aurons l’occasion de nous revoir, dans une soirée comme celle-ci ou à l’université. D’ailleurs, sa nouvelle phrase appuie cette idée. « Je ferais sûrement abstraction de certains détails, mais je te raconterais le reste, promis ! » De cette soirée avec Sofia, il y a des choses qui resteront dans la sphère privée, entre elle et moi seulement. Le sourire qui se dessine sur mes lèvres peut facilement donner une idée à Eros de ce que j’ai derrière la tête. Il remercie mon meilleur ami, offre un sourire – presque une grimace – à sa sœur et s’éloigne de nous. Mon verre de nouveau remplit, je me tourne vers le couple. « Je vais aller embêter un peu Abby. Amusez-vous les tourtereaux. » Même si finalement, un peu à l’image d’Eros, ma soirée ici ne va pas s’éterniser, puisque je vais rapidement aller retrouver ma petite amie. Je pourrais rester un peu avec eux, mais avec ce que je viens d’apprendre au sujet de la jeune femme, je doute avoir vraiment envie de cela. Je dépose un tendre baiser sur la joue de Loris et je m’éloigne pour retrouver ma meilleure amie, comme annoncé.