Iceberg, droit devant !

Par moment, Aveleen se demandait vraiment ce qu’elle foutait là, y a pas à dire. Sur un bateau de croisière au beau milieu de l’océan en plein hiver. Et si, pour telle ou telle raison, le rafiot se mettait à couler, hein ? Qu’est-ce qu’elle ferait ? Elle qui ne connaissait de la natation que la théorie qu’elle avait un peu révisé en prévision de la plongée. Elle crierait que les femmes et les enfants d’abord avant de monter en toute hâte à bord du premier canot de sauvetage venu ? Cette idée la rebutait mais il fallait quand même admettre que c’était un des rares moments où être une femme avait des avantages. Et nous ne parlerons pas des enfants car eux ont au moins la chance de pouvoir se gaver de bonbons à longueur de journée pendant que maman fait tout pour eux. Aucune responsabilité, la belle vie, quoi. Bref, pour en revenir à la raison de sa présence en ces lieux, elle n’était autre qu’Hunter. Elle ne savait pas trop comment mais toujours est-il qu’il était parvenu à lui vendre cette croisière, à lui donner envie de l’accompagner. Et ça, ça tenait du miracle. C’est donc ainsi que la rouquine se retrouvait dans la pièce d’eau de la cabine qu’ils partageaient tous les deux – puisqu’il avait tenu à ce qu’elle vienne, il n’avait pas eu d’autre choix que de lui tenir compagnie durant la nuit, au moment où l’angoisse de se noyer en cas d’accident quelconque se faisait la plus forte – à tirer de toutes ses forces sur cette combinaison pour qu’elle se mette en place.

La voix d’Hunter s’éleva alors depuis l’autre côté de la cloison. Il voulait savoir si elle était prête…
« Presque. »
Façon de parler parce que c’était à peu près aussi chiant que d’enfiler une paire de collants – chose qu’elle ne faisait jamais, pour quoi faire de tout façon ? C’est pas comme si elle possédait une robe. C’est allongée à même le sol qu’elle y parvint le mieux.
« Ouais, mais on m’ôtera pas de l’idée que ça serait plus facile si c’était pas comme d’enfiler une capote géante. »
Trop collant, trop serré, ça dévoilait beaucoup trop. Bon, elle n’allait pas défiler avec, juste plonger mais quand même, on ne pouvait pas dire qu’elle se sentait parfaitement à son aise. Une fois la fermeture Eclair remontée jusqu’au-dessus, elle se saisit d’un élastique et entreprit d’attacher sa crinière ; fort parier qu’elle n’avait pas envie que des mèches de cheveux viennent lui brouiller la vue une fois qu’elle serait sous l’eau. Puis elle sortit enfin de la salle d’eau en écartant les bras.
« Tada ! Tu vois ? Comme un gant. »
Puis elle prit quelques instants pour le regarder.
« Ça te va bien à toi. A croire que t’as été fait pour ça. »
Son regard se serait bien attardé plus longtemps mais ça ne serait malheureusement pas convenable.

Ce qui lui a pris de faire cette comparaison ? Ah, mais ne cherchez pas, Aveleen ne le sait pas non plus. D’autant qu’elle n’était même pas en train de parler d’expérience puisqu’elle n’avait jamais aidé aucun gars à enfiler une capote. Le contraire serait d’ailleurs pour le moins étonnant, vu qu’elle n’a jamais vraiment eu de copain. Pas même de coups d’un soir, non, pas le temps pour ça et puis, à côté de la galaxie, des planètes, des étoiles, des nébuleuses, une relation amoureuse ou tout juste sexuelle lui avait toujours paru dénuée d’intérêt. Et pour la toute première fois, elle révisait un peu son jugement à ce propos. Peut-être même que c’était pour cette raison que c’est précisément cette image qui lui était venue en tête et pas une autre… A cette idée, la rouquine piqua un fard et fut contente de toujours se trouver dans la salle d’eau pour que ça ne se remarque pas.
« Euuuuh… Ben… C’est tout serré, quoi. »
Elle attendit encore quelques secondes, le temps que toute trace de gêne ait déserté son visage, pour sortir et surtout montrer à Hunter qu’il ne s’était fort heureusement pas trompé de taille. Que la combinaison d’Hunter mette sa carrure en valeur, c’était une chose, surtout qu’il n’y avait rien à jeter. Que la sienne en fasse de même la concernant, c’était quand même un peu plus dérangeant. Mais la manière qu’il eut de le lui faire constater, elle, ne l’était pas. Si bien qu’Aveleen se mit à rire.
« Ça me fait une belle jambe, tiens. »
De savoir qu’elle serait au goût des poissons. Surtout qu’elle aimait autant que ça ne soit pas trop le cas parce que est-ce que ça ne se bouffait pas entre elles, ces petites bêtes-là ? Dans tous les cas, le compliment la touchait. Mais elle ne fut pas mécontente qu’il coupe court à la conversation en lui tendant un sac qu’elle récupéra et de lui annoncer que c’était parti.

Enfin, ce répit fut de courte durée car elle se rappela alors qu’elle allait faire de la plongée. Ça ne lui faisait pas particulièrement peur, d’autant qu’elle se savait bien accompagnée, mais y avait quand même un petit stress. Peut-être une sorte de trac ? Difficile à dire. Sans se poser plus de questions que ça, elle suivit Hunter qui, lui, savait parfaitement où il allait. D’abord sur le pont, ensuite sur une plateforme flottante. La rouquine nota qu’il assurait sa descente à l’échelle alors que ça n’avait rien de très compliqué, jusqu’ici ; elle trouvait quand même ça mignon. Et prévenant. Une qualité trop rare en ces temps obscurs. Après quoi, elle lui tendit le sac qu’il lui avait donné tout à l’heure. Dedans se trouvaient des palmes. Il les en sortit et déclara que c’était la première étape – ou plutôt la seconde, la première étant d’enfiler cette combinaison dont le col la dérangeait un peu, ne pouvant s’empêcher de tirer dessus à intervalles réguliers. Elle opina et troqua ses Converse pour des palmes, donc. Décidément, rien n’était pratique dans cet équipement : la combinaison était collante, les palmes… n’en parlons même pas et puis la bonbonne était lourde. Super. Mais tous ces petits désagréments s’estompèrent bien vite puisqu’Hunter était en train de lui parler avec le plus grand sérieux. Ça serait donc le poids de la bouteille d’oxygène qui les ferait couler à pic. Mais l’oxygène qu’elle contenait qui les ferait remonter. Elle comprenait le principe mais l’image qu’elle en eut lui tira une grimace. Ce qu’il dut remarquer puisqu’il essaya aussitôt de la rassurer : il restait auprès d’elle et veillerait à ce qu’il ne lui arrive rien. Une fois de plus, Aveleen acquiesça, gardant quand même le silence pour le moment. Elle le croyait quand il lui promettait quelque chose, mais le fait est que trop de mots et d’informations peu rassurantes se bousculaient actuellement dans sa petite tête.

Il lui tendit ensuite son masque et lui demanda de le passer, ce qu’elle fit, puis lui annonça qu’ils allaient s’asseoir là-bas, ce qu’elle fit aussi. L’eau était très fraîche mais elle se doutait bien que leurs combinaisons les empêcheraient d’avoir trop froid. Elle fixa ensuite l’eau, un peu perplexe.
« Si on se jette à l’eau, là, on va quand même commencer par flotter ? »
Dans les films, ils se laissaient toujours tomber en arrière du rebord du bateau et ils n’avaient pas vraiment l’air de flotter, c’était donc une question qu’elle avait. Un peu une inquiétude aussi. Mais, comme pour lui montrer l’exemple, Hunter se lança avant de remonter à la surface. Elle avait la réponse à sa question. En deux coups de palmes, il revint vers elle et posa les mains sur ses genoux avant de la rassurer une fois de plus. Au bout de quelques secondes, elle se décida à quitter l’eau des yeux pour venir ancrer son regard au sien. Voilà qui était mieux !
« Bon, tu sais quoi ? Si je continue de me poser trop de questions, je le ferai pas, alors on y va ! »
Sans réfléchir plus longtemps, elle lui prit la main et se laissa tomber dans l’eau. Non, ce n’était pas du tout la même aisance naturelle mais elle remarqua bien vite que battre des jambes était un réflexe naturel. Entre-temps, elle n’avait pas lâché sa main et s’y cramponnait fermement. Elle ne la lâcherait que s’il en avait vraiment besoin.
« Qu’est-ce qui se passe si je fais une crise de panique là-dessous ? »
Pas impossible, après tout.

A mesure que le temps passait, Aveleen se demandait de plus en plus ce qui lui avait pris d’accepter cette proposition. Elle, en plein océan avec la terre bien trop éloignée à son goût. D’accord, elle n’était pas seule dans cette aventure et Hunter avait l’air bien décidé à ne pas la laisser dans un coin, à l’instar de Bébé, mais elle ne pouvait quand même pas lui coller au train à longueur de temps – surtout quand on savait que c’était elle qui avait insisté pour qu’ils partagent la même cabine. Chose qu’elle essayait de faire le moins possible en partant de temps à autre seule à l’exploration du bateau. Ce truc était immense, de quoi se perdre. D’ailleurs, elle s’était déjà perdue au moins deux fois. Et qu’elle ne connaisse personne d’autre que lui n’était pas tant un problème puisque les conditions étaient propices aux rencontres… C’était surtout la rouquine qui n’était pas tellement dans cet état d’esprit, en vérité. Bref, tout valait mieux que de passer pour le pot de colle de service, de toute manière. Tout ça pour dire que prétendre ne pas être en pleine flotte tandis qu’elle visitait le bateau, c’était encore assez facile, c’était un peu comme une mini-ville, et comme elle n’avait pas le mal de mer, ça passait sans souci. Mais là… Elle avait beau regarder tout autour, il n’y avait que de l’eau partout. C’était un vrai miracle qu’elle n’ait pas déjà commencé à paniquer et envisager très sérieusement de rebrousser chemin. Mais tant que son regard pourrait se fixer sur celui d’Hunter, tout irait bien, pas vrai ? C’est en tout cas ce qu’il prétendait. Et elle était toute prête à le croire.

Très posément, il lui expliqua qu’elle n’allait pas couler comme une pierre au fond de l’eau une fois qu’elle aurait décidé de s’y jeter. Notamment parce qu’elle aurait ce réflexe inné de battre des jambes pour rester à flot. Ce n’était pas tant ça qui l’effrayait un peu mais plutôt le fait que le poids de la bouteille d’oxygène l’emmène tout au fond. Dans tous les cas, si quelque chose de semblable devait arriver, elle imaginait qu’il la préviendrait, qu’elle soit préparée à cette éventualité comme à toutes les autres. Soit, il était temps de prendre son courage à deux mains. Enfin, une seule devrait suffire étant donné que l’une d’entre elles agrippait fermement celle d’Hunter. Voilà qui eut le don de la réveiller tout à fait en tout cas. Ce n’est qu’ensuite que la possibilité d’une crise de panique s’imposa à son esprit ; que se passerait-il dans un cas pareil ? Serait-elle obligée de rester immergée un long moment ? D’ailleurs, est-ce qu’il y avait pas une histoire de paliers à respecter pour remonter ? Ces informations obscures refaisaient tout d’un coup surface, elles aussi, puisqu’elle appréhendait quand même pas mal. Mais il n’en parla pas, et comme elle avait toute confiance en lui… Il enchaîna ensuite avec une anecdote concernant les manchots. Les manchots apparemment capables de filtrer l’eau de mer par le nez. C’était intéressant, mais elle resta perplexe quant à pourquoi cette anecdote à cet instant précis. Sourcils froncés mais sourire aux lèvres, elle demanda :
« C’est parce qu’on porte ces combi que ça te fait penser aux manchots ? »
Non parce qu’il avait beau pas ne pas faire très, très chaud, ils n’étaient pas non plus sur la banquise et il n’avait donc pas pu en voir au loin.

Bref, le cours reprenait ; il lui montra le détendeur et lui expliqua que c’était avec ça qu’ils respireraient. Ça, elle s’en doutait un peu, mais le plus important était d’apprendre à s’en servir. Ainsi ne pouvait-elle pas respirer par le nez à cause du masque, il lui faudrait donc prendre le réflexe de ne respirer que par la bouche. Pas trop compliqué, c’était un peu comme on était malades : pas naturel mais quand on a pas le choix, on l’a pas. Elle acquiesça et récupéra l’embout entre ses mains avant de le tourner dans tous les sens afin de comprendre dans quel sens ça se mettait, s’il y en avait un. Puis, pas précaution, elle fit un test. Après quoi elle put lui renvoyer son pouce en l’air, ça fonctionnait. Puis tout d’un coup, ce fut le grand moment, celui de plonger. Une fois qu’il lui eut lâché la main, il fallut à Aveleen un petit temps d’adaptation. L’appréhension ressentie lui faisait battre des jambes aussi frénétiquement que maladroitement. Si bien que par moment, elle allait trop vite, au point de dépasser Hunter pour ensuite être à la traîne. Ça lui demandait une certaine concentration. Concentration qu’elle ne mettait pas vraiment dans l’observation de la barrière de corail, pendant ce temps. Mais qui l’empêchait de céder à la panique. Pour l’instant, tout du moins.

A la question pourquoi cette anecdote sur des manchots, particulièrement, Aveleen ne voyait pas de réponse valable. Mais ça, c’est parce qu’elle n’avait pas pris conscience que le logo sur leurs combis en était pourvu – chose qu’elle ne remarqua qu’en suivant le regard d’Hunter directement sur sa poitrine et en même temps c’était là que se trouvait le logo donc elle n’allait pas non plus se faire des illusions. Pourtant, elle aurait bien aimé. Enfin bref, là n’était pas le propos.
« Ah… J’avais même pas fait attention. »
Non, bien sûr, trop d’autres choses s’étaient bousculées dans sa tête. Mais ça faisait sens. Après quoi, il lui expliqua comment bien se servir de son détendeur et la rouquine resta concentrée, soucieuse de ne pas faire de connerie pouvant potentiellement lui coûter la vie. Puis il n’y eut plus qu’à… Disons que sa principale crainte, en tant que personne n’ayant jamais appris à nager, était de se noyer. Mais que, grâce à sa bouteille d’oxygène, elle n’avait pour le moment pas à s’en soucier. Qu’elle coule donc à pic n’était même pas un problème en soi puisqu’Hunter le remarquerait sans doute avant que sa bouteille soit complètement vide. Du moins l’espérait-elle. Et puis sinon… ça pouvait aussi être cool de terminer comme le petit garçon robot d’Intelligence Artificielle.

Ce à quoi elle préféra ne pas trop penser non plus alors qu’elle se démenait pour essayer de suivre. A ce rythme-là, elle allait rapidement se fatiguer mais bon, elle n’avait pas l’intention de barboter des heures durant non plus, juste le temps de faire plaisir à Hunter – c’était bien pour cette raison qu’elle était là, après tout -, puis elle retournerait bien au chaud dans leur cabine en le laissant poursuivre son exploration s’il le souhaitait. Mais pour l’heure, il avait des choses à lui montrer, comme un couple de poissons qu’elle n’avait jusqu’ici vu que dans des aquariums. Ceux-ci avaient de très jolies couleurs et ne paraissaient pas le moins du monde effarouchés par leur présence. Ils n’auraient pas été là que ç’aurait été pareil pour eux, aurait-on dit. Un peu émerveillée par la beauté ainsi que la tranquillité de ce spectacle, elle ne prêta pas tout de suite attention à tout ce qui les entourait comme les coraux ou encore les anémones de mer se balançant au gré du courant. C’est son guide qui devait lui montrer tout ce qu’il y avait à voir. Un adorable guide qui essayait de la détendre et de la faire rire par ses mimiques rigolotes. Le pire dans tout ça, c’est qu’il y parvenait très bien. Finalement, elle n’était pas mécontente d’être là.

En tout cas jusqu’à ce qu’elle voit son regard dévier de quelques centimètres et son expression changer. Quelque chose n’allait pas, c’était certain, mais avait-elle vraiment envie de savoir quoi ? Rien n’était moins sûr. Pourtant, Aveleen se retourna quand même. Et là, vision de cauchemar : un requin. Avec son aileron et ses deux rangées de dents acérées – bien qu’elle n’irait quand même pas vérifier que c’était le cas -, bref, en requin, quoi ! Et pas en plastique comme dans Batman. Non, non, il avançait dans leur direction. Sans se presser, cela dit. Passée la stupeur de cette apparition, la rouquine tressaillit en sentant quelque chose l’attraper par la taille. Un kraken ! Pourquoi pas, après tout ? Toutes les terreurs des fonds marins pouvaient bien surgir après ça. Mais non, ce n’était qu’Hunter qui la garda serrée contre lui. Son pouls, ainsi que sa respiration s’accélérèrent – mauvais plan quand on dépend d’une bonbonne d’oxygène, à n’en pas douter -, mais quelque chose dans son attitude l’incitait à garder son calme. Enfin, autant que possible compte tenu des circonstances, évidemment. La manière dont il battait tranquillement des jambes, sans doute. Peut-être que les requins n’avaient pas une très bonne vue – un peu comme les T-Rex, donc – et que, s’ils ne faisaient pas de gestes brusques, il se contenterait juste de tracer sa route. Elle l’espérait en tout cas, parce que la crise de panique dont elle parlait tout à l’heure était sur le point de se déclencher.

Au moment où le requin leur fonça dessus, Aveleen ferma très fort les yeux, priant elle ne savait trop qui ou quoi de faire en sorte que ça passe vite. Qu’il leur croque un organe vital et qu’on en parle plus au lieu de s’amuser à les déchiqueter lentement en les faisant sauter comme un chat avec sa souris. Parce qu’évidemment, elle croyait sa dernière heure venue, elle voyait sa vie défiler devant ses yeux et était de plus en plus convaincue que c’était pour cette raison et pour cette raison seulement qu’elle n’avait jamais appris à nager : pour ne pas finir broyée entre les mâchoires d’un putain de requin. Dans tous les cas, les minutes passèrent mais elle ne ressentit aucune morsure, aucune douleur quelle qu’elle soit. Était-elle déjà morte ? Possible… Après tout, elle n’était jamais morte auparavant alors peut-être bien que lors d’un accident d’une telle violence, on ne ressentait tout simplement rien ? Pour s’en assurer, elle ouvrit d’abord un œil. Plus de requin. En tout cas, plus dans son champ de vision. Par contre, elle nota qu’elle était en train de remonter à la surface. Pas de son propre fait, bien sûr, mais parce qu’Hunter était en train de remonter et qu’il la tirait avec lui. Elle devait être un véritable poids mort pour l’instant mais ça n’avait pas tellement d’importance puisqu’ils étaient toujours dans l’eau.

Puis ça y est, ils émergèrent enfin et la rouquine recracha fort peu élégamment son détendeur. Hunter lui fit alors part de ses craintes et elle ne put que froncer les sourcils.
« Pourquoi est-ce que ça sonne comme une question ? Non, c’était certainement pas prévu, y a pas de requin normalement en Nouvelle Zélande. »
Le souvenir qu’il n’était pas d’ici lui revint subitement en mémoire : voilà pourquoi ça sonnait comme une question. Puis la panique reprit rapidement le dessus en entendant que l’animal était toujours en train de tourner autour d’eux et qu’il avait en plus tenté de bouffer une palme à Hunter. Plus le moindre sang-froid, elle entait des larmes lui brûler les yeux mais refusait de pleurer pour le moment. Y avait quand même plus important à faire. Des gens sur la plateforme leur criaient des instructions mais elle n’essaya même pas de les comprendre.
« Je veux sortir DE LA ! »
La peur avait fait monter sa voix dans les aigus et elle était en train de formuler ses phrases comme une gamine capricieuse, mais qui pourrait la juger dans un moment pareil ? Elle s’efforça de respirer profondément une ou deux fois avant de reprendre un tant soit peu plus calme :
« Il faut qu’on sorte de là. »
Tous les deux, c'était impératif. Que certains leur conseille de ne surtout pas bouger ? Qu’ils aillent se faire foutre, oui, on voyait bien qu’ils n’étaient pas dans la même situation qu’eux. Du menton, elle désigna la plateforme avant de se mettre à battre hystériquement des jambes – ce qui faisait plus de remous qu’autre chose, en vérité – en essayant de maintenir la tête en dehors de l’eau autant que possible. Ses mouvements manquaient cruellement de coordination, tout était saccadé et elle but la tasse bien plus d’une fois avant de se voir dépasser par Hunter qui lui, contrairement à elle, maîtrisait totalement ce genre de gestes. Mais tant pis, elle s’apitoierait sur son sort plus tard. Si elle s’en sortait parce que rien n’était encore certain. Une chose était sûre en tout cas, c’était que plus que jamais elle regrettait d’avoir accepté cette proposition. Et qu’il lui faudrait beaucoup de temps avant qu’elle n’accepte à nouveau de se glisser dans une combinaison de plongée.

Qu’est-ce qu’elle était loin, cette plateforme ! Enfin non, pas tant que ça. Pas du tout, même, mais pour Aveleen qui avait l’impression de ne pas avancer d’un millimètre, ç’avait l’air vraiment interminable. Normal qu’Hunter finisse par la dépasser. Bien qu’il n’en profite pourtant pas pour sortir plus vite de l’eau pour autant. Non, comme par galanterie, il la fit même passer devant en lui donnant un coup de main. Une attention qui ne passa pas inaperçu bien qu’elle paraissait un peu déplacée. Qui, de nos jours, mettait sa vie en péril pour sauver celle de quelqu’un d’autre ? Surtout quand le danger les talonnait à ce point ? Elle s’en était déjà rendue compte à plusieurs reprises mais il était une exception. Une exception qu’il ne fallait pas qu’elle laisse passer. De retour sur la plateforme, la main de la rouquine fut l’une de celles qui se tendirent vers lui pour l’aider à sortir de cette galère. Ce n’est qu’alors qu’elle remonta son masque sur le sommet de son crâne et ôta ses palmes qu’elle tint en main, glissant des regards inquiets en direction de l’eau. Tandis que de son côté, Hunter avait l’air tout à fait rassuré, maintenant. Même qu’il le lui dit : ils étaient sortis d’affaire. Mouais… Toujours sur le qui-vive, Aveleen se débarrassa machinalement de son gilet.
« Faut pas qu’on reste là, c’est un truc en plastique, c’est pas ça qui va le retenir. »
Il est vrai que son ami n’avait pas encore été confronté à sa paranoïa légendaire ; voilà qu’il en avait un aperçu. A toute vitesse, elle réemprunta l’échelle pour remonter sur le bateau, espérant qu’il la suivrait mais ne pouvant quand même pas l’y forcer non plus. Et sa course ne s’arrêta qu’une fois à l’abri dans leur cabine ; parce qu’elle ne pouvait pas aller plus loin, en fait, sinon, elle n’aurait pas hésité à mettre encore plus de distance entre toute cette flotte et elle. Quant à l’appel d’Hunter, elle n'y avait même pas fait attention sur le moment. Ce n’est qu’en le voyant débarquer tout essoufflé de lui avoir couru après les bras chargés qu’elle réalisa. Oui, elle aurait pu – elle aurait dû – l’attendre. Toujours aux cent coups, elle jeta ses palmes dans un coin de la cabine et continua à tourner en rond jusqu’à ce qu’il la prenne par les épaules pour la forcer à lui faire face mais surtout pour parvenir à capter son regard. Et ça marcha, elle se sentait déjà plus calme. Enfin, un peu. En tout cas pouvait-elle analyser ses phrases censées la réconforter. Et… Qu’un requin ? Comment ça, ce n’était qu’un requin ? Par opposition à quoi ? Qu’est-ce qui pouvait être pire qu’un requin ? La rouquine resta interloquée quelques secondes avant de répliquer :
« Tu veux dire que la prochaine fois on sera morts, c’est ça ?! »
Si prochaine fois il y avait parce que rien n’était moins sûr la concernant et autant dire qu’elle serait inquiète à chaque fois qu’elle le saurait parti plonger dorénavant. Mais elle n’avait pas envie de penser à ça pour l’instant et elle ne voulait plus penser au requin qu’ils venaient de croiser non plus. D’ailleurs, elle ne voulait plus non plus penser qu’elle se trouvait sur ce rafiot au beau milieu de l’océan alors sans crier gare, elle le prit dans ses bras et le serra fort contre elle. Il était la seule chose concrète dans ce paysage.
« T’en vas pas. Reste comme ça. »
Le temps que sa crise passe, qu’elle se calme. Ce qui prit bien dix bonnes minutes. Puis elle se rendit compte que la sensation de sa combinaison sur sa peau lui faisait l’effet d’une brûlure, aussi s’écarta-t-elle pour retirer déjà le haut, la laissant en haut de bikini le temps de trouver un sweatshirt et un short dans ses affaires.
« Tu crois qu’ils font le service de cabine ? J’ai bien envie d’un remontant mais pas tellement de sortir d’ici. »
Ah, il faudrait qu’elle se fasse à l’idée ; c’était pas un hôtel.

Non, ce n’était bien sûr pas ce qu’il avait dit ni ce qu’il avait voulu dire. Aveleen comprenait ce qu’elle avait envie de comprendre, pour le coup. Mais elle avait eu une peur bleue sous l’eau et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle n’était pas impatiente de réitérer l’expérience. Soit, il n’était pas temps de jouer sur les mots – bien que ça soit très précisément ce qu’elle était en train de faire -, mais bien de trouver un peu de réconfort. Directement dans les bras d’Hunter. Parce que pourquoi pas ? Ils venaient miraculeusement d’échapper à une mort atroce et si c’était pas le moment pour ce genre de choses alors ça ne le serait jamais. Surtout que, pour une fois que la rouquine acceptait qu’on l’approche d’aussi près, il fallait en profiter. Ce qu’il fit, resserrant ses bras autour d’elle dans une étreinte qui parvint à l’apaiser, lui confirmant qu’il n’avait pas l’intention de s’en aller. Bien que ça soit la toute première fois, son corps contre le sien avait quelque chose de familier. Elle serait bien restée comme ça quelques minutes encore, mais on lui avait souvent répété qu’il ne fallait pas abuser des bonnes choses. Raison pour laquelle elle finit par s’écarter. Et puis cette combinaison lui donnait l’impression de la brûler autant que de l’étouffer alors elle avait hâte de s’en débarrasser. Ce qui permit à Hunter de se débarrasser enfin de ses palmes de son côté.

Elle lui fit alors part de son envie d’un remontant sans pour autant avoir celle de quitter à nouveau cette cabine. Des fois que… Pas besoin d’en dire plus, la suite aurait suffi à lui faire froid dans le dos. Là-dessus, Hunter se proposa lui-même de faire le service de cabine. Ce qu’elle trouva adorablement gentil de sa part. Bien qu’elle n’apprécia pas des masses le sous-entendu, au point de se pencher pour ramasser une palme qu’elle lança exprès à quelques centimètres de sa tête. Vous voyez, il n’y avait décidément pas besoin d’en dire plus. Mais c’était bon enfant puisqu’elle n’hésita en revanche pas à lui rendre son sourire.
« Du gin, sans le tonic, s’il-te-plaît. »
Parce que qui sur cette terre était capable d’avaler cette merde amère ? Je vous le demande. Puis, l’idée qu’elle commençait à avoir un peu faim lui traversa aussi l’esprit et comme elle n’avait pas prévu de sortir manger non plus.
« Oh, et ramène des frites et des mini-burgers, si t’en trouves. »
Comment ça, ça commençait à faire beaucoup ? Pour une fois que ce n’était pas elle qui était à la livraison…

Aveleen attendit qu’il soit parti pour terminer de se dévêtir et filer sous la douche avec l’espoir de parvenir à faire partir tout ce sel de ses cheveux. Elle resta un peu plus que nécessaire sous le jet d’eau brûlante qui lui permettait à la fois de se réchauffer et de penser à autre chose, puis ce fut short, sweatshirt, chaussettes et couette. Elle attrapait la télécommande de la télé lorsqu’Hunter repassa la porte de leur cabine, une fois de plus les bras chargés. Cette fois, par contre, elle vint lui donner un coup de main et chercha en priorité les frites parce que son estomac s’était creusé sur ce temps. Elle récupéra le paquet qu’elle posa sur la table de chevet séparant leurs deux couchettes, qu’ils puissent tous les deux y piocher sans avoir à trop se déplacer. Puis ce fut au tour de la bouteille de gin. Pas besoin de verre, elle dévissa le bouchon et but une première gorgée directement au goulot. Y avait pas à dire, ça aussi ça réchauffait et ça détendait.
« Je me suis dit qu’on pouvait se choisir un film à regarder ensemble. Enfin, sauf si tu préfères vadrouiller un peu sur le bateau, je voudrais pas te retenir non plus. »
Bien qu’en fait si, elle le voudrait. La rouquine aimait beaucoup la présence d’Hunter à ses côtés et, au fil des mois, elle en était venue à la considérer comme pratiquement indispensable à sa survie. Peut-être parce qu’elle n’avait noué de connexion particulière avec personne d’autre que lui jusqu’ici, peut-être parce qu’elle ne pouvait nier être attirée par lui comme elle ne l’avait été par personne d’autre auparavant, peut-être tout simplement parce que sa compagnie était à la fois agréable et rafraîchissante et peut-être même tout ça à la fois – sinon, elle ne serait pas là -, elle n’en savait rien. Mais ce qu’elle ne voulait pas, en revanche, c’était que lui passe à côté de quelque chose en ne traînant qu’avec elle. C’est pourquoi elle faisait en sorte de toujours lui laisser le choix.