what is your problem (arya)

Depuis la fin de notre croisière, le retour à la réalité est un peu compliqué. Le lendemain même du jour où le bateau est arrivé au port, j'ai dû commencer mon stage. Il est vrai que c'était moins ennuyant que l'école, mais c'était aussi beaucoup d'informations à intégrer et mon cerveau n'était tout bonnement pas prêt pour cela. Il lui a fallu un peu de temps pour s'y faire, mais après quelques jours, les choses roulaient déjà un peu mieux pour lui. L'environnement de travail a sûrement aidé. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais je trouve cela bien plus motivant d'être dans le monde professionnel et j'en oublie presque les heures interminables passées dans les salles de cours. Si j'aime l'école ? Pas spécialement. Néanmoins, ce n'est un secret pour personne. Par chance, malgré le peu de motivation que j'avais, j'ai réussi à passer en troisième année. Seulement, je ne sais pas combien de temps je pourrais tenir comme cela. Je dois donc me trouver une source de motivation et si ça pouvait être ce stage, ce serait parfait. Évoluer dans le monde du sport, s'occuper de la carrière de personnes, ce n'est pas trop mal. Il existe pire comme métier et je devrais me servir de cela pour me motiver un peu. Plaisir ou pas durant le stage, avec mon groupe d'amis, nous avons pris l'habitude de couper la semaine avec une sortie. C'est l'occasion de se retrouver et d'échanger sur nos expériences personnelles. Aujourd'hui, le rendez-vous est donné sur la plage et ça facilite un peu les choses pour moi en terme d'organisation. Ayant passé plusieurs nuits chez Sofia, je devais faire un détour à la villa pour me changer et pour mettre quelques affaires à laver. Je sais maintenant que je n'aurais pas à me presser. Une fois tout cela fait, je n'aurais qu'à prendre le sentier qui mène sur la plage et à faire quelques mètres pour rejoindre mes amis.
En venant ici, chacun de nous a apporté de quoi boire et grignoter. J’ai aussi glissé quelques serviettes de plage dans mon sac pour que nous puissions nous installer confortablement. À cette période de l’année et à cette heure de la journée, ce n’est pas la foule sur le sable. Nous aurons donc l’occasion de nous étaler librement et cela nous permettra aussi de faire ce que nous voulons, avec le nombre de décibels qui nous arrange. Cependant, alors que les conversations vont bon-train, je remarque une fille derrière Oskar et Abby. Une fille comme les autres, à l’exception près de ses cheveux. Tout comme moi, elle est rousse. C’est peut-être bête comme détail, mais je ne peux m’empêcher de tiquer là-dessus. Et je ne suis visiblement pas la seule, puisque je sens son regard posé sur moi. « Je reviens. » Dis-je, alors que mes yeux ont croisé les siens un peu trop souvent. Est-ce qu’elle a quelque chose contre moi ? Je me redresse et quitte mon groupe d’amis pour me rapprocher de cette fille. « Tu as besoin de quelque chose ? » Faire dans la dentelle, ce n’est pas mon genre et autant qu’on soit fixé rapidement. Si elle n’a rien contre moi, alors je passerais à autre chose. Mais s’il s’avère qu’il y a bien quelque chose, autant qu’on mette les choses à plat.

Ce soir, je suis là pour me détendre. Pour profiter de la soirée et retrouver mes amis. Avec nos différents stages, nous avons moins l’occasion de nous voir que quand nous sommes tous réunis à l’université. Si tout se passe bien pendant un long moment, que les rires vont bon train, je ne peux m’empêcher de remarquer la jeune femme qui me regarde derrière. Cette femme aux cheveux de la même couleur que les miens. Un détail quelque peu insignifiant sur le moment, mais qui aura peut-être son importance plus tard. Les personnes rousses ne courent pas forcément les rues ici, en Nouvelle-Zélande, alors peut-être qu’elle trouvait ce détail troublant, au point de me fixer de la sorte. Pour en avoir le cœur net, je n’y vais pas par quatre chemins, lorsque je me retrouve à ses côtés. Plus vite je saurais ce qu’il y a et plus vite je pourrais retourner à l’endroit d’où je viens. Sans le contrôler, je bloque. Une première fois à l’évocation de la Suède et une deuxième à celle du prénom Solveig. Si je pensais avoir le contrôle sur tout cela en arrivant, je me rends compte que ce n’est plus le cas. Ça ne l’a peut-être même jamais été. Je ne sais pas ce que cette personne me veut ou encore, si j’ai envie de le savoir. « Tu dois faire erreur. » Pas pour le prénom, pas vraiment. Car c’est bien celui qui figure sur son passeport. Mais ici, peu de personnes le savent. C’est peut-être pour cela que j’ai commencé à l’oublier aussi – même si mon ancienne thérapeute a longtemps pris plaisir à m’appeler Solveig. Cinq ans. C’est le temps que j’ai passé ici et où je me suis fait appeler Charli. À vingt-deux ans, c’est beaucoup. Néanmoins, selon moi, ce n’est pas suffisant pour oublier tout ce que j’ai pu vivre avant d’arriver ici, en Nouvelle-Zélande. Sans vouloir être méchante, le visage de la jeune femme ne me dit absolument rien. Ce qui est bizarre, car avec ce qu'elle dit et mes souvenirs, je devrais la connaître. En évoquant cette erreur, même si c'était sur la défensive au départ, je ne fais peut-être pas complètement fausse route. En Suède, Solveig est un prénom répandue. Cette fille en connaît peut-être une qui me ressemble beaucoup. Un hasard quelque peu troublant, surtout pour des retrouvailles à Island Bay, mais je dois sûrement y faire abstraction. « Je m'appelle Charli. » Je ne lui dois rien et pourtant, en évoquant mon prénom, mon nouveau prénom, j'essaye de la contredire une nouvelle fois. Je ne me fais plus appeler comme ça, alors peut-être que Solveig n'existe vraiment plus maintenant. Ma grand-mère était l'unique chose qui me rattachait à la Suède et voilà qu'aujourd'hui, elle n'est plus de ce monde. C'est sûrement suffisant pour chercher à balayer ce qui me rattache à mon ancienne vie. « Qui es-tu ? Que veux-tu ? » L'entendre parler de la Suède me fait quelque chose. Et comme je suis l'une des rares, voire même la seule personne à Island Bay qui vient de là-bas, ça me trouble. Alors sans même m'en rendre compte, je cherche à en savoir plus sur elle, sur sa présence ici, mettant peut-être à mal la couverture que j'ai essayée de mettre en place juste avant. En attendant une réponse de sa part, je regarde par-dessus mon épaule, en direction de mes amis, pour voir si mon absence à attirer l'attention. Par chance, non. Ils semblent tous occupés à rigoler à l'une des blagues de Toby et ils se disent peut-être que je sais ce que je fais et avec qui je suis. Pourtant, à mesure que le temps passe, j'ai comme l'impression que toute cette situation est en train de m'échapper. Sans vraiment savoir pourquoi.

Cette rencontre avait tout pour être banale, mais au moment où mon regard s'est posé sur la jeune femme – rousse comme moi, mon inconscient a compris qu'il y avait quelque chose d'autre. Quelque chose de plus profond. Le prénom "Solveig" prononcé, cette hypothèse se confirme. Les traits de mon visage changent, ils se durcissent légèrement. Cette personne, face à moi, emploie un prénom que je n'utilise plus depuis cinq ans, cela ne peut pas annoncer quelque chose de bon. Après l'avoir contredit et lui avoir donné le prénom que j'utilise vraiment, celui par lequel mes amis et proches m'appellent, je lui demande qui elle est, ce qu'elle veut vraiment. Tout ceci n'est qu'une mauvaise blague, rien de plus. Du moins, j'ose l'espérer. Néanmoins, lorsque j'entends le nom qu'elle prononce, Lindström, je bloque. Contrairement à mon prénom, je l'ai gardé. C'était volontaire de ma part, puisque c'était aussi celui de ma grand-mère. Mais il faut croire qu'avec les années, j'ai oublié qu'il le portait aussi. Lui, mon géniteur – j'ai longtemps appelé Iggy comme cela, alors pourquoi pas lui. « Quoi ? » Pour moi, ça n'a pas de sens et je crois qu'il me faut un peu de temps pour comprendre ce qui est vraiment en train de se passer sous mes yeux. « Non, ce n'est pas possible. » Je soupire légèrement, de moqueries face à cette absurdité. Il y a forcément une caméra cachée quelque part, il ne peut pas en être autrement. Cependant, plus je regarde cette fille face à moi, cette fameuse Arya, et plus j'arrive à trouver des similitudes entre nous, autre que la couleur de nos cheveux. Est-ce un point commun qui existe entre les Lindström ? Ayant toujours connu ma grand-mère avec les cheveux grisonnant, je ne me suis jamais posée la question et il faut être honnête : chercher à trouver des points communs entre mon père et moi n'a jamais fait partie de mes priorités. « Qu'est-ce qu'il veut ? Pourquoi est-ce qu'il t'a envoyé ici ? » Inutile d'utiliser son prénom, car nous savons toutes les deux de qui je parle. Cet homme qui m'a abandonné à ma naissance. Pire encore selon moi, cet homme qui n'a pas donné signe de vie durant plus de vingt-deux ans, pas même quand sa propre est mère est décédée, m'obligeant à venir continuer ma vie ici, à des milliers de kilomètres de là où j'ai grandi. Visiblement, de ce que je peux comprendre, il a refait des enfants. Est-ce que cette fille est dans le même cas que moi ? Est-ce qu'il l'a abandonné elle aussi ? Après réflexion, je ne pense pas. Sinon, elle n'aurait pas toutes ces informations à mon sujet. Cependant, j'ai tiré une conclusion hâtive : celle que cette fille était ma sœur. Est-ce vraiment le cas ? Après tout, elle peut aussi être une cousine. N'importe quel scénario est possible quand on sait à quel point j'excelle dans ce qui touche à ma famille paternelle. Je n'ai toujours connu que ma grand-mère et pendant longtemps, j'ai cru qu'il n'en serait toujours qu'ainsi. Mais finalement, peut-être que je me suis trompée.