dis-moi tout (marley)

Nous avons suffisamment d’employé.e.s au café désormais pour pouvoir prendre des jours de congé plus régulièrement, sans que ça n’ampute notre salaire. Et puis, pouvoir avoir toutes les deux des jours de congé ensemble, c’est aussi agréable, pour pouvoir se voir en dehors du Jardin d’Eden, c’est quand même un plus. Ça signifie aussi que notre business fonctionne mieux que jamais, et c’est hyper gratifiant.
Aujourd’hui, mon filleul est malade et Celeste s’étant proposée pour aller à la réunion d’informations de je-ne-sais-quoi de la ville, je me suis proposée pour garder Elliott aujourd’hui, avec grand plaisir. Après un peu de paracetamol, la fièvre du petit garçon a quasiment disparu, et ses couleurs ont repris de la vigueur. Je préfère le voir ainsi je dois dire. Nous avons pu jouer de longs moments, partager des instants importants pour garder le lien qui nous unit tous les deux.

Lorsque Celeste rentre, nous sommes en plein ‘temps calme’, un livre de coloriage et des feutres sous la main. Je descends l’accueillir alors qu’Elliot semble très concentré pour finir le dessin qu’il a commencé, et qu’il voudrait offrir à sa mère. « Merci d’avoir accepté de le garder. Est-ce que tout s'est bien passé ? » Un large sourire sur les lèvres, je hoche vivement la tête. « Oui, parfaitement, comme toujours. Même malade c’est un amour ce gosse, il a vraiment rien de son père… on va pas s’en plaindre ! » Je ris un peu, tout en sachant que le petit garçon ne m’entend pas, évidemment. Je ne me serai pas permis ce genre de remarque devant lui, surtout maintenant qu’il est largement en âge de comprendre. En parlant du loup, le petit garçon déboule dans l’entrée pour venir embrasser sa mère et lui montrer son beau dessin. « Et le mien ? » Il retourne rapidement dans sa chambre pour me faire mon coloriage, je l’ai mérité après tout !

Ma meilleure amie ne tarde pas à me proposer quelque chose à boire, et m’invite à dîner. « En réalité, ce n'est pas une question. Comme je savais que tu venais, j'ai tout préparé hier. » Je lève les mains en guise de résignation. « Ok, je vais pas refuser alors ! » Si elle a tout préparé, ce serait lui faire un affront, et je ne veux surtout pas qu’elle se vexe. Et puis, en réalité, je suis très heureuse de rester dîner avec elle, j’ai l’impression que ça fait une éternité. « J’imagine que je peux rien faire pour t’aider du coup… » Vu que tout est prêt, et qu’elle est déjà en train de mettre tout au four. Ce que je peux faire, c’est nous servir à boire, une fois qu’elle m’a dit ce qu’elle voulait. Je reste plutôt soft avec une simple bière légère, pour ma part. « Bon alors, c’était aussi chiant que ça en avait l’air cette réunion ? » lui demandé-je en m’asseyant, les yeux rivés sur ses faits et gestes en cuisine. « Elliot m’a beaucoup parlé de sa maîtresse aujourd’hui… Et comme vous avez la même, j’me dis que t’as des trucs à me raconter un peu, non ? » Je lui demande avec toute mon innocence, batifolant des cils pour exagérer un peu l’émotion, petit sourire presque innocent au coin des lèvres. Quoi ? Elle me doit les nouvelles. Après tout, c’est de ma soeur dont il s’agit, non ?

J’accepte bien volontiers de rester dîner chez ma meilleure amie. Ça fait longtemps que nous n’avons pas profité toutes les deux d’une soirée hors du boulot. Même si ce n’est pas un boulot chiant, qu’on aime toutes les deux notre café et qu’il arrive souvent des moments où nous pouvons nous poser là bas, être en dehors ça fait aussi du bien. Celeste me rassure sur le temps de la préparation du dîner, ça devrait aller vite. Parfait, je vais pouvoir lui parler de quelques petites choses, ou au moins, poser les questions qui me viennent en tête. La première concerne la réunion en question, mais je n’apprends rien de bien croustillant, elle regrette même d’y être allée, et ça me fait rire un peu. Mais au moins, elle a été la plus responsable de nous deux. Sans tarder, je bifurque sur le sujet de ma soeur, et me fais immédiatement remonter les bretelles. « Dis-le encore plus fort, je crois qu’Elliot n’a pas entendu. » Levant les yeux au ciel, je ne peux retenir un sourire de s’installer au coin de mes lèvres. « Il est en haut y’a aucun risque. Et puis tu aurais juste pu dire qu’elle te faisait la classe à toi aussi… » Je suis taquine ce soir, ça m’amuse. A Celeste de me répondre que le mot est fort. M’ouais. « Nous sommes deux adultes, sans attaches respectives, alors nous ne faisons rien de mal. » J’arque un sourcil. « Qui a dit que vous faisiez quelque chose de mal !? » Effectivement, elles ne sont pas en couple chacune de leur côté. C’est un fait, même si la situation d’Eden est un peu plus compliquée. « Je te trouve bien curieuse.. demande-moi directement ce que tu veux savoir. » Je hausse les épaules. « Curieuse sur la vie amoureuse de ma meilleure amie ? Oui. Je crois que j’ai le droit de l’être non ? Surtout si ça concerne aussi ma soeur.. » Je lui adresse un sourire presque innocent. « Je veux juste savoir si ça va vous deux, si ça avance, tout ça quoi… » Je sais que j’aurai plus facilement des informations venant de ma meilleure amie plutôt que de ma soeur. Déjà parce que cette dernière est un vrai courant d’air dans ma vie depuis son retour, et aussi parce qu’elle est plus dure en affaires. Alors mon choix se tourne naturellement vers Celeste, et je compte bien la cuisiner. « Allez raconte làààà !! J’ai déjà tenu assez longtemps sans savoir grand chose, j’ai été sage. J’ai le droit à une récompense non ? » Depuis la fois où je les ai un peu forcées à se retrouver via un rendez-vous arrangé, j’ai plus ou moins promis de me mêler de mes affaires. MAIS si elles en sont là aujourd’hui c’est quand même grâce à moi donc l’un dans l’autre… J’attends des informations croustillantes, elle me doit bien ça.

Je ne fais pas dans la dentelle, mon entourage sait de quoi je suis capable quand la curiosité me prend de plein fouet. Et quand je suis focalisée sur un objectif, il est quelque peu difficile de m’en détourner. Je sens qu’elle est sur la retenue, je la connais assez pour savoir comment elle fonctionne. Et avec toutes les déceptions amoureuses qu’elle a vécu, je pense qu’elle veut juste ne pas aller trop vite, ou ne surtout pas s’avouer ‘vaincue’. Elle est mordue, je le vois chaque fois qu’on parle de ma soeur. En même temps, ça fait un moment que ça dure cette histoire, et je ne vais clairement pas m’en plaindre. « Ça se passe bien entre nous. » finit-elle par ponctuer. Je déteste quand elle fait ça, j’ai l’impression d’être au cinéma à côté de quelqu’un qui me donne un pop corn par un pop corn. Je vais vite devenir folle, et elle le sait très bien. « Je ne sais pas exactement ce que nous sommes l’une pour l’autre. Pour l’instant, nous prenons notre temps. » Je hoche la tête en me pinçant les lèvres. Elle est beaucoup trop ‘molle’, j’ai envie de la secouer, qu’elle me raconte tout, ou presque. Pour le moment, je me retiens, mais ma curiosité me ferait bien vite bondir, je me connais. « J’ai l’impression d’avoir dix-huit ans et c’est assez étrange ! » Je laisse échapper un rire amusé. Enfin, elle se livre un peu, me parle de ce qu’elle ressent, plutôt qu’un discours générique. « Elle est venue me chercher au café l’autre soir et elle m’a emmené au lycée, là où nous nous sommes embrassées pour la première fois. » Ok, ça y est je fonds. Je me mords la lèvres inférieur en souriant de toutes mes dents, absolument happée par son discours. C’est exactement ce que j’attendais, pouvoir un peu vivre leur histoire d’amour par procuration. « Elle avait tout prévu. Nous sommes ensuite allées chez elle.. » Je secoue les mains et finis par les mettre sur mes oreilles comme les enfants. « Blablabla non ça y est c’est tout je veux pas en savoir plus !!! Lalalaaaaaaa ! » Je me mets à rire alors qu’elle reste sérieuse, annonçant que le repas est presque prêt. « Ok. Bon. C’est tout ce que je voulais savoir. Vous prenez votre temps mais tout se passe bien, c’est l’essentiel ! » Je l’aide à finir de préparer la table et au passage, je lui donne un coup de hanches contre les siennes, en voyant son petit sourire un peu béat. « Toute façon, tu peux pas cacher ton petit sourire là. Je le connais bien, même si je l’ai pas vu souvent. D’ailleurs il me semble que la dernière fois, c’était la même personne qui le faisait naître. Je dis ça… » Je mime une bouche cousue, et déclare finalement. « Je vais chercher mon petit prince. » Sans attendre, je grimpe à l’étage pour aller chercher Eliott pour que nous puissions dîner tous ensemble. Une fois le repas terminé, nous allons le coucher et redescendons dans le salon. « Question con mais, c’était comment ta première fois avec une fille ? » Marley style, deux pieds dans le plat. Même si franchement, la connaissant, je doute qu’elle n’imagine quoi que ce soit me concernant…

« Il faut savoir ce que tu veux.. un jour tu es trop curieuse et un autre tu ne l’es pas assez. » Je mime un ‘gnagnagna’ telle une enfant prise la main dans le sac. Mais c’est vrai quoi, je veux bien savoir des choses, mais pas ce qui concerne la vie sexuelle de ma soeur. Si c’était une autre fille ou un mec, on pourrait en parler Celeste et moi sans détour, on l’a déjà fait. Mais là c’est particulier parce que c’est ma soeur. L’important pour moi c’est que ça se passe bien, je n’en demande pas plus.
La soirée se poursuit normalement, repas avec mon filleul avant de le mettre au lit. Et une fois que nous sommes à nouveau seules Celeste et moi, je décide de mettre les pieds dans le plat à propos d’un sujet qui me perturbe assez. « Pardon ? » Je me raidis un peu, redressant la tête comme si j’avais dit une connerie. Elle s’excuse de sa réaction, elle était juste surprise par la question. Oui, j’ai vu. Elle m’explique que sa première fois c’était avec ma soeur. J’imagine qu’effectivement, elle a sur la mettre en confiance. Est-ce que c’est un truc de filles, ça ? Lorsque je repense à ma nuit avec Tegan, je me dis qu’elle aussi, a su me mettre en confiance. Même si, qu’on se le dise, Marie-Jeanne a bien aidé aussi. « C'était sûrement un peu maladroit parfois, mais je suppose que c'est la même chose pour toutes les premières fois, que ce soit entre deux femmes, deux hommes ou un homme et une femme. » Je hoche la tête, peut-être un peu trop longuement. On dirait que je suis en train de devenir folle, alors que je suis juste partie dans mes pensées. « Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ? » « Comme ça pour savoir. » Bah voyons ! Prétexte un mémoire à rendre sur le sujet aussi. « Ouais non pas comme ça pour savoir en fait. » Je soupire largement et récupère le verre de vin qu’elle vient de me servir, le bois d’une traite avant de me laisser tomber dans l’assise du canapé, en soupirant à nouveau. « Il est pas dégueu ce vin. » Tu t’enfonces, Marley. Ok, il y a une part de mon passé que Celeste ne connaît pas, et je n’ai pas eu le courage encore de lui en parler, mais ça viendra. Par contre, là je suis sûre qu’elle ne me laissera pas partir sans savoir ce qui me tracasse. Et clairement, j’aurai fait la même à sa place. « J’ai couché avec Tegan. » dis-je avec les mains sur les yeux, pour ne surtout pas voir la réaction de ma meilleure amie. Finalement, j’écarte les doigts pour la regarder, les lèvres pincées comme si j’avais fait ou dit une boulette. « J’ai pas compris, ça s’est fait tout seul, j’ai juste fumé un joint avec elle et après y’avait plus personne. Enfin j’étais consciente hein, et consentante. Peut-être même un peu trop consentante… » Je me redresse et soupire - encore. « Aaaargh et ça m’obsède maintenant ! J’ai l’impression de remettre toute ma vie en question ! » Rien que ça.

Je ne sais absolument pas comment tourner les choses pour parler de ça avec Celeste. Quand les choses ont évolué avec Nino et que je lui en ai parlé, je n’ai eu aucun mal à le faire, sans doute parce que j’étais quand même sûre de moi, au fond, qu’il n’y avait rien d’autre qu’une affection profonde. Bien sûr que nous avons essayé d’être un couple lui et moi, mais ça n’a pas fonctionné, et la relation d’amitié améliorée que nous avons aujourd’hui me convient beaucoup mieux. Pas de compte à rendre, et c’est très bien comme ça. Surtout que lui connaît mon passé, à la différence de Celeste. Mais qu’importe, le moment de tout lui déballer à propos de mon autre vie n’est pas encore arrivé, et à la place, je ressens le besoin de lui parler de ce qui m’a liée à Tegan, pendant une nuit presque complète. Lorsque les souvenirs me reviennent, je sens un coup de chaud et décide de boire tout mon verre d’un seul coup, sans doute pour justifier le rouge qui m’est monté aux joues. « Marley.. » Ma meilleure amie me remet un instant sur le droit chemin, et je lâche le morceau d’un seul coup. Au moins, ça c’est fait. Elle essaie de me faire répéter. Oui, elle a bien entendu. Et du coup, je déballe une partie de ce que je ressens, le trouble principalement. « Est-ce qu’on est dans un monde parallèle ? » Je la regarde avec des yeux penauds. Non, malheureusement, on est bien dans le réel. « Alors celle-là.. je ne l’ai pas vu venir. » Je souffle comme pour évacuer une respiration que j’ai retenue trop longtemps. « Oui bah moi non plus… » Tegan est du genre à flirter avec facilité, peu importe l’orientation sexuelle de la femme en face d’elle, elle peut semer le trouble auprès d’à peu près n’importe qui. Mais jamais je n’aurai imaginé pouvoir tomber sous le charme, et me laisser entraîner dans cette spirale. « Est-ce que c’est une mauvaise chose ? Que tu remettes ta vie en question. » Je fronce un peu les sourcils, je n’avais pas vraiment pris le temps de me poser cette simple question. « Certes, tu n’as eu des relations qu’avec des hommes jusqu’ici, mais ça ne veut pas dire que c’est une vérité qui doit te suivre jusque dans ta tombe. » Je la regarde en plissant un peu les yeux. Elle me fait quoi là ? Elle est beaucoup trop calme. Est-ce qu’elle s’y attendait ? « Celeste. J’ai JAMAIS été attirée par une fille avant elle ! » Je crois qu’elle ne prend pas vraiment la mesure de ce que je peux ressentir en ce moment même. « Je pensais même pas que ce soit possible ! J’me suis même jamais posé la question, c’est pas comme si j’avais refoulé quoi que ce soit, je sais bien qu’on peut aimer ou désirer qui on veut, j’ai quand même eu assez d’exemples dans mon entourage …! » Je me laisse tomber au fond du canapé, mon verre vide entre mes mains, mais je le porte quand même à mes lèvres pour en récupérer la dernière goutte. « C’était bien ? Tu as envie de recommencer ? » demande-t-elle avec son calme olympien. Mais son sourire diabolique me fait lever les yeux au ciel. « De mon côté, j’accepte tous les détails ! » « Hey ! » Je choppe un coussin et lui balance dessus. « J’en sais rien, c’est compliqué. Ça m’a quand même pas mal bouleversée, j’ai du mal à comprendre. Et en même temps je sais qu’elle couche avec plein de filles, du coup je me sens pas vraiment … spéciale, tu vois. » Je hausse les épaules et me laisse partir dans un flot de pensées, le regard perdu au loin. Est-ce que j’aimerai être spéciale pour elle ? Peut-être bien. Qui ne voudrait pas être spécial pour quelqu’un ? Je secoue la tête pour me défaire de mes pensées et soupire longuement. « Bref. Oui c’était bien. Très bien. Mais je crois pas que ça se reproduira. » Si j’en ai envie ? Oui. Mais ce n’est foncièrement pas une bonne idée, parce qu’il n’est pas question que je m’attache à elle de cette façon, ou que j’ai des attentes la concernant. Ce serait beaucoup trop compliqué.

La société hétéronormée. Non. Clairement, n’en parlons pas sinon je vais m’énerver. Je tiens déjà pas bien en place ce soir… Celeste essaie de me passer des messages, mais pas sûre que je sois en mesure de comprendre tout à fait où elle veut en venir… Je tourne autour du pot, j’arrive pas bien à savoir ce que je ressens, et avec ce verre de vin bu un peu trop vite, ça commence à tourner. « J’ai comme l’impression que tu ne réponds pas vraiment à ma question.. Est-ce que tu aimerais être spéciale pour elle ? » A l’intérieur de moi, c’est un tourbillon incontrôlable qui sévit. Je crois que le rouge me monte vite aux joues, et je plisse le nez face à la réponse de mon corps suite à la question de ma meilleure amie. « Qui n’aimerait pas être spéciale pour quelqu’un, hein !? » Ce n’est pas le but de l’existence ? De se sentir spécial.e pour quelqu’un ? Je sais que je suis spéciale à certains niveaux pour certaines personnes, mais j’ignore pourquoi, j’ai envie d’être spéciale pour Tegan aussi, pas juste comme une coloc, comme une amie, mais autre chose. Bref. Celeste s’en va dans une généralité sur le fait que les femmes savent très bien nous faire tourner la tête. Parle pour elle, ‘les’ femmes ne me font pas tourner la tête. Il n’y en a qu’une, et je crois que j’aurai préféré que ça ne soit pas le cas vu le bordel dans ma tête. « Passer la nuit avec l’une d’elle ne fait pas de toi une mauvaise personne. » Je lâche un rire idiot, comme le ferait une ado qui parle de son crush. Ridicule. « Heureusement ! » Franchement en comparatif, avoir fait un enfant avec Austin fait plus de moi une mauvaise personne que d’avoir couché avec Tegan. Mais ce n’est pas le soir pour parler de ça avec elle, un sujet à la fois. Un jour, j’aurai le courage. Je n’entends plus vraiment ce que Celeste raconte, je crois que je suis partie dans les méandres de mes pensées. Le vin n’aide pas, et selon elle, le joint que j’ai fumé avant de coucher avec Tegan non plus. Certes.
Elle se rapproche de moi et lorsqu’elle pose sa tête sur mon épaule, j’en fais de même, les yeux rivés sur un point imaginaire au loin. « Tu es quelqu’un de magnifique, si ce n’est pas elle ou Nino, ce sera quelqu’un d’autre. Nous sommes encore jeunes, tu as le temps de voir venir ! » Je crois qu’elle est en train de m’embrouiller encore plus. Et voilà qu’elle propose de m’emmener dans un bar lesbien. Je redresse la tête et la regarde. « Quoi ? Mais non ! J’ai pas envie de devenir lesbienne ! » Je sais, on ne devient pas lesbienne, mais j’ai surtout pas envie de rencontrer d’autres filles, j’aime pas les filles. Je suis juste attachée à Tegan, c’est autre chose. Je secoue mes mains devant ma tête, les yeux clos. « Non non non retire-moi ces images de la tête là !! » Je me secoue comme si j’avais des puces, et bois quelques bonnes gorgées de mon verre de vin, magiquement rempli entre temps. « Changeons de sujet. Oh ! » J’écarquille les yeux, ayant eu une illumination ! « Tu sais pas ce que m’a dit Eli tout à l’heure ? » Je me marre toute seule avant de lui raconter l’histoire, et me place en tailleur sur le canapé, face à elle. « Alors pour le contexte : on est allés à la ferme à west bay, il voulait voir les ânes, on a visité les poulaillers, je lui avais acheté une crêpe avec de la cassonade, sauf qu’il a voulu la filer à une chèvre, ça m’a fait rire… BREF ! C’était pas ça l’histoire. Donc après en sortant, je lui ai acheté un ballon de baudruche, tu sais les trucs à l’hélium là qui volent tout seul. Il a choisi une poule, forcément, et là il me sort ‘’dis-donc, c’est pas mirobolant !’’ » J’ouvre mes yeux les plus ronds possible, battant des cils avec véracité. « QUI lui apprend des mots pareils sérieusement ? C’est pas ma soeur à l’école, j’sais même pas si elle sait ce que ça veut dire… » Evidemment qu’elle sait, je voulais juste lui faire une petite pique, après tout elle est pas là, et les absents ont toujours tort.

J’hallucine que ma meilleure amie me propose d’aller dans un bar lesbien. Premièrement parce que ce ne serait pas la première fois que j’y mets les pieds - même si ce n’est pas pour moi - et deuxièmement parce qu’elle me pense vraiment capable d’aller draguer des filles ? Ou me faire draguer par des filles ? Je lui parle d’une exception, et elle en fait une généralité… « Peut-être que tu tomberas sur une autre femme qui te plaît ou alors, peut-être que tu comprendras que ce n’était qu’une fausse alerte. »  Je secoue la tête en fermant les yeux, comme un enfant qui refuse de goûter un aliment gentiment préparé par un adulte. Non non non, il n’est pas question que je tombe sur une autre fille qui me plait. Dans ma tête, dans mon coeur, il n’y a que Tegan, et je dois absolument faire en sorte d’oublier tout ça, pas de l’assumer au grand jour !
J’essaie de changer de sujet, me rendant compte qu’il est peut-être encore trop tôt pour mettre des mots sur tout ça, ce que je ressens, et cet espèce de chantier désagréable qui semble sévir en moi. L’anecdote est mignonne, et je cherche à comprendre comment un enfant de l’âge de mon filleul peut arriver à employer des mots pareils. Mais Celeste ne semble pas vouloir lâcher l’affaire, malgré ma stratégie. « J’ai bien compris ton petit manège, tu sais..On peut laisser le sujet de Tegan de côté pour l’instant, mais j’ai comme l’impression qu’on finira par y revenir bien assez vite. »  Je grogne un peu, plus pour moi-même que pour lui signifier quoi que ce soit. Au fond, je sais qu’elle a raison, mais je sais aussi que je ne me sens pas prête à réfléchir à tout ça, à assumer ce qu’il s’est passé avec la brunette. C’est encore trop compliqué dans ma tête. Ma meilleure amie me retire la bouteille de vin du champs de vision, et la voilà qui commence à faire des blagues sur ma prétendue nouvelle orientations sexuelle. « Ou dans mon lit ! Quoique.. avec ce que je viens d’apprendre, je ne voudrais pas que tu tentes des choses.. »  « Hey ! »  Je fronce le nez dans une petite moue et lui balance un coussin à la figure. « Je t’interdis ! Et puis tu couches déjà avec ma soeur, tu voudrais pas te taper toute la famille ?! »  Je la taquine comme elle vient de le faire, et elle valide d’ailleurs ma pensée. Evidemment qu’Eden m’en voudrait le restant de mes jours, et puis de toute façon la question ne se pose pas parce que je ne suis pas attirée par ‘les femmes’. Tegan est juste une exception. Je ne me suis jamais posé la question avant elle, et je n’ai jamais ô grand jamais été attirée par ma meilleure amie, aussi canon soit elle. Bref. Le reste de la soirée se fait sur un ton plus léger, jusqu’à ce que je décide de rentrer chez moi, chez nous, avec une légère appréhension au creux du ventre. J’enlace Celeste et lui souhaite une bonne nuit avant de quitter sa maison.