ce n'est pas la fin (lucca)

Lucca avait pour habitude de se tenir aussi éloigné que possible des lieux qui lui rappelaient son accident, sa carrière abortée et son rêve qui avait volé en éclats. Il était suivi par un psychologue, mais au fond, qu'est-ce que cette personne pouvait bien comprendre dans son état d'esprit actuel ? Avait-il seulement perdu l'usage de ses jambes, de ses bras ou de n'importe quelle autre partie de son corps pour pouvoir dire à l'ancien sportif que les choses allaient s'arranger avec le temps ? Avait-il seulement une fois tenté de passer une journée entière bloqué dans un fauteuil roulant ? Déjà que le brésilien avait du mal avec sa situation aussi bien sur le plan physiphe que celui psychologique, alors entendre un spécialiste lui déblaterrer des conneries en tout genre alors qu'il n'avait aucune idée de ce que tout cela pouvait représenter, il le prenait assez mal. Il faut dire, il était rare les sujets que Lucca appréciait aborder, les discussions se faisaient rares et celles qu'il avait concernaient principalement le personnel médical qui était en charge de son évaluation psychologique ou de sa réeducation. Autour dire qu'en terme d'interactions sociales, on avait vu mieux.

Pourtant, sans savoir réellement pourquoi, après sa séance de réeducation, le jeune métisse avait insisté pour se rendre au stade, l'endroit où il avait passé des heures à entraîner, jour et nuit pour donner le meilleur de lui-même en compétition. Depuis son accident, il n'y était jamais revenu, était-ce un bon signe ? Lucca qualifierai plutôt ça de décision impulsive qu'il regrettait déjà à peine arrivé sur place. Peut-être aussi parce que James était là, son ancien entraineur, celui qui lui avait donné sa chance, qu'il l'avait boosté pour qu'il puisse prouver de quoi il était capable. Malgré un faible contact qu'ils avaient gardé, leur échange était assez rare, selon l'état d'esprit dans lequel se trouvait l'ancien sportif. Tandis qu'il lui adressa un signe de la main au loin alors qu'il était au téléphone, Lucca reporta son attention sur les jeunes qui couraient après le ballon rond. La scène lui faisait mal et en même temps, c'était presque comme s'il sentait encore le ballon entre ses pieds. Il fut interrompu par une jeune femme qui se tenait à ses côtés, il l'avait déjà croisé sans pour autant échangé son identité avec elle, mais il faut croire qu'elle en connaissait bien plus à son sujet que lui, au sien.

" - Il faut croire que je suis plein de surprise." répondit-il d'un air détaché comme si la conversation ne l'intéressait pas particulièrement.

Puis il y a cette phrase, celle de trop, celle qui réveillait toujours les vieux démons de Lucca.

" - Je comprends pourquoi James t'apprécie, vous avez le même humour de merde." fit-il alors qu'il lui jeta un regard noir.

Avant tout ça, il aurait sans doute rigolé à cette remarque, peut-être qu'au autre jour il aurait pu esquisser un sourire pour faire bonne figure, mais aujourd'hui était un jour sans, et il regrettait encore plus d'être venu ici, c'était clairement la pire idée qu'il avait eu, il devait partir au plus vite s'il ne voulait pas exploser et passer pour un véritable connard.

" - Bon je vais y aller, faut que j'aille m'entrainer pour le marathon la semaine prochaine. Tu diras à James que je le contacterai sans doute dans les prochains jours."

Évidemment, la pique était destiné à la jeune femme, aucun humour était présent mais Lucca avait encore un peu de fierté, assez pour ne pas se montrer faible devant la demoiselle qu'il ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam.

Lucca se mord les lèvres d'être venu- aujourd'hui même. Peut-être qu'avec quelques minutes de plus ou de moins, il aurait pu éviter la jeune femme. Déjà qu'il avait hésité à venir, mais tomber sur elle était vraiment la dernière chose qu'il avait souhaité. Il n'avait aucun doute sur le fait que si James l'avait voulu à ses côtés c'était pour une bonne raison, elle devait être qualifiée dans son domaine. Quoiqu'il en soit, il se serait abstenu d'avoir une discussion avec elle, d'autant après avoir constaté l'humour qu'elle possédait. Il était clair que James avait déteint sur elle.

" - Je ne suis pas certain qu'il excelle dans cette discipline."

Le brésilien avait beau apprécié son ancien agent et ami, l'humour n'était pas sa qualité première. Etant donné qu'il était passé voir James à la base et que ce dernier semblait bien occupé avec sa conversation téléphonique, Lucca ne voyait aucun intérêt de rester ici plus longtemps. Avec une pointe de sarcasme, il commença à tourner son fauteuil dans l'optique de partir jusqu'à ce que son interlocutrice ne réplique.

" - Ouais toujours le même discours, j'ai déjà entendu ça des centaines de fois, mais c'est drôle, ça vient toujours de personnes valides qui sont sur leurs deux jambes et qui n'ont jamais posé leur cul sur ce putain de fauteuil et qui n'ont aucune idée de ce que ça implique au quotidien."

Malgré ce que les apparences pouvaient laissé paraître, Lucca se contenait, ça valait mieux pour Charli, pour lui et pour toutes personnes à proximité d'eux. Sa colère était palpable et compréhensible pour certains, pour d'autres, il serait temps qu'il s'accepte tel qu'il est.

" - Les endroits inaccessibles en fauteuil, les gens qui te dévisage en parlant à voix basse dès que tu approches, être dépendant d'une personne parce que tu n'es plus capable de te laver tout seul." fit-il en se laissant emporter par sa haine envers le monde entier.

Mais il fut rapidement happé par la réalité, il croisa le regard de James et ce qu'il pouvait y lire l'effrayait.
Lucca avait déjà tout perdu, c'était comme s'il était en train de perdre la dernière chose de sensé qui lui restait encore. Trop fier pour pleurer, et parce qu'il avait appris à le faire à l'abri des regards, il se frotta énergiquement le visage en jurant.

" - Vous avez aucune putain d'idée des sacrifices que ça demande, alors ouais certains l'ont fait et le feront encore, mais je ne suis pas les autres, je suis moi et c'est déjà largement suffisant." conclut-il tandis que sa voix venait de se briser, laissant entrevoir la brêche pour accéder au vrai Lucca.

Le jour ou les médecins lui ont annoncé le verdict a sans doute été le plus compliqué qu'il n'est jamais eu à vivre. Apprendre que tout ce qui le faisait vibrer jusqu'alors venait de voler en éclats, que sa vie entière allait s'en retrouver impactée, qu'il venait de perdre, son travail, la femme qu'il aimait et tous les espoirs qu'il nourissait au fond de lui. Tout ça n'existait plus, c'était comme s'il avait fait une croix dessus, sauf que dans le cas présent, il n'a rien voulu de tout ça. Sa frustration et sa colère étaient tellement grandes qu'il n'arrivait tout simplement pas à les contrôler.

Lucca leva les yeux au ciel quand l'apprentie de James évoqua le fait de faire appel à des personnes qui sont dans la même situation que lui. Et même si elle y parvenait qu'est-ce que ça allait lui apporter, à elle comme à lui ? Chaque situation est différente, chaque personne le vit différemment et ça, rien ne pourra le changer. C'est un peu comme un deuil, chacun le vit à sa façon et si une personne se remet sur pied après seulement quelques semaines, d'autres mettent plusieurs années avant de pouvoir recommencer à vivre après cette perte. Chaque personne est inégale face à une peine. Cependant la question que venait de lui poser Charli le fit réfléchir un court instant. C'est vrai après tout, ça signifiait quoi être lui ? D'uatres sportifs avaient sans doute subit le cauchemar dans lequel il se retrouvait prisonnier, il n'était pas le premier et malheureusement certainement pas le dernier non plus.

" - Ça veut dire que j'ai ma façon de réagir par rapport aux évènements. On est tous différent face à une peine, la perte d'un être cher ou un évènement comme celui-ci. Certains vont pleurer, d'autres non, ça ne se commande pas."

Charli avait mis le doigt sur un sujet sensible et elle le savait. Mine de rien, James avait déjà beaucoup déteint sur elle, dans sa façon de parler, dans sa façon d'aborder les choses.

" - Et pourquoi pas ? Ça ne va pas changer ta vie de toute façon, à part si tu tiens que ça à faire ta bonne action du jour. C'est bon t'as parlé avec l'infirme, ça a coché la case pour la journée."

Après tout, qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire qu'il reste là à se lamenter sur son sort ou qu'il ne décide de se mettre un bon coup de pied aux fesses pour rebondir et tirer le meilleur de ce que cette situation peut lui offrir ? Ça n'allait certainement pas changer son quotidien, ni lui faire ni chaud ni froid peu importe la décision qu'il pourrait prendre. En d'autres circonstances, autrement dit s'il avait pu se redresser sur ses deux jambes, bien que ce ne soit pas un violent et qu'il n'a jamais levé la main sur personne, la seule chose qui pourrait le détendre à cet instant précis c'était mettre son poing dans la figure de son interlocutrice. Parce qu'au fond, il savait qu'elle avait raison et c'était sans doute ça qui le mettait encore plus en colère, que celle qu'il gardait déjà en lui depuis son accident. Lucca était l'équivalent d'une cocotte minute et il fallait bien que ça sorte à un moment donné, Charli en payait les pots cassés, bien qu'il tentait de se maîtriser un temps soit peu pour éviter de se donner en spectacle mais surtout, ne pas décevoir James, bien que c'était sans doute déjà le cas.

" - La pitié je la vois déjà assez dans les yeux des gens que je croise. Quand une mère avec son enfant se baladent en ville, que le gosse te pointe du doigt et demande à sa mère pourquoi tu es dans un fauteuil comme les vieux, et que sa mère le tire par le bras comme si j'avais la peste et qu'il ne fallait m'approcher de trop près, au risque que ce soit contagieux. Ou quand les gens te dévisagent et puis murmurent quelque chose tandis que tu passes à côté d'eux. Tout ça c'est déjà de la pitié et j'en veux pas."

Et en même temps, s'il voulait être traité comme une personne valide, il ne faisait rien pour, car lorsque c'était le cas, le brésilien partait au quart de tour. Tout dans son comportement était contradictoire, mais son cerveau avait encore du mal à conpartimenter le tout. Malgré que cela faisait désormais un certain temps qu'il était coincé dans ce fauteuil, la brutalité de la vérité et la vitesse à laquelle il s'y était retrouvé le met à mal. Ce n'est pas comme s'il avait appris qu'il était malade et que l'évolution serait de finir dans un fauteuil. Il avait quitté le terrain un beau jour sur ses deux jambes et quand il avait ouvert les yeux, plusieurs semaines plus tard, c'était à l'hôpital. Il lui fallait du temps, et sans doute les bonnes personnes aussi pour enfin surmonter cette épreuve. Mais avant toute chose, c'était aussi un travail sur lui-même qu'il devait faire, et c'était sans doute l'étape la plus compliquée pour l'ancien sportif professionnel.

Lucca avait passé des années merveilleuses auprès de James, le lien qui les unissait était si fort qu'il n'avait aucun doute, il aurait pu lui confier sa vie les yeux fermés, et en réalité, même encore maintenant il serait prêt à le faire, mais les choses avaient évolués et leur relation n'était plus aussi fusionnelle qu'elle l'avait été dans le passé. James avait toujours été plein de bienveillance à son égard, le protéger c'était tout ce qui lui importait, et puis il y a eu cet accident qui a tout fait basculer, aussi bien du côté de l'ancien sportif que de celui de son agent, chacun avait perdu quelque chose, même si ce n'était pas comparable.

En écoutant les propos de la jeune femme, le brésilien avait la sensation qu'elle décrivait presque un monstre, une personne dont on n'ose pas s'approcher ou même lui adresser la parole de peur de ses réactions non contrôlées, et au final tout cela était vrai, Lucca était en colère contre le monde entier, même ceux qui cherchaient à l'aider. Mais il n'avait jamais songé que James le craigne à ce point-là, pas après les années qu'ils avaient passés l'un auprès de l'autre. Et ça, presque plus que tout le reste fit réagir le jeune handicapé. Un mélange de tristesse et de colère, mais contre lui-même cette fois-ci.

" - Au lieu de venir me dire les choses directement il envoie son élève, je le pensais plus courageux que ça."

Ses propos n'étaient pas méchants en soit, mais ça lui faisait mal de savoir que celui à qui il aurait donné sa vie réagissait ainsi. Et en même temps, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui. Alors balancer cette vacherie sur son ami était toujours plus simple que de montrer qu'il était blessé au fond de lui. Un petit rire vient accompagné les propos de son interlocutrice par rapport à la pitié des gens.

" - Non."

Sa réponse était simple et efficace, il n'avait jamais tenté de reprendre le sport, même adapté pour sa condition désormais, parce que c'était trop dur, physiquement et phychologiquement pour lui de remettre les pieds dans ce milieu pour le moment. Il n'était pas prêt pour ça.

" - Même si ça ne semble pas être ton cas, sache qu'il y a certaines personnes qui sont soucieuses du regard des autres, alors oui je sais, c'est pas sain de vivre à travers le regard des gens, on ne peut pas les changer et bla bla bla. Mais quand tu es sous le feu des projecteurs, l'avis des autres, tu es obligé de t'y intéresser, même si ce n'est pas dans ton tempérament, parce que c'est comme ça qu'on te dépeint dans la presse people. Et je pense que personne n'aime apprendre qu'on nous fait passer pour un beau salopard ou la pire des garces à travers les magazines. Et aujourd'hui, ce regard des gens est encore plus important pour moi, parce que même si j'avais l'envie de me battre, de recommencer à vivre, ces regards me donnent la sensation que rien ne changera vraiment, quoiqu'il arrive, je serai toujours ce gars en fauteuil, c'est tout ce que les autres voient quand ils me regardent."

Peut-être qu'un jour le brésilien réussira à se détacher de tout ça et vivre pour lui, mais après avoir été exposé médiatiquement, ce n'était pas facile de reprendre une vie banale, encore moins quand on est coincé dans un fauteuil.

Combien de fois Lucca avait entendu les médecins lui dire qu'avec le temps tout ça finirait par passer ? Que ses douleurs fantômes allaient le laisser tranquille et qu'il pourrait commencer à envisager une vie un peu plus sereine, bien que coincé dans son fauteuil roulant ? Il ne les comptait plus. L'ancien sportif avait certes une colère envers le monde entier, mais il nourissait surtout une rancoeur envers le corps médical, celui-là même qui lui disait qu'avec le temps les choses finiraient par s'arranger alors qu'au final, malgré les séances de réeducation, il ne voyait aucune amélioration de son état général. Le brésilien avait toujours en tête le fait de retrouver ses deux jambes un jour, mais au fur et à mesure que les jours passaient, tout cela s'évaporait, la réalité qui s'offrait à lui était bien différente de celle qu'il s'était imaginé, et c'est le réaliser qui lui faisait le plus mal.

Le jeune homme se contenta de hausser les épaules lorsque son interlocutrice lui dit que son tuteur avait quelque chose à perdre en se brouillant avec lui, leur relation était telle qu'il n'avait pas osé lui dire tout cela en face de peur de la réaction de son ancien protégé. Ça ne faisait pas plaisir à Lucca de constater qu'il n'avait pas osé lui dire tout cela de lui-même, et au fond, il comprenait parfaitement sa démarche, parce que qu'il s'agisse de la jeune femme ou de James, sa réaction aurait été la même, ce qui aurait entâché leur relation et ce n'est pas ce qu'il souhaitait.

Charli débuta alors son discours sur le regard des gens, de manière générale, puis, de manière plus personnelle avec ce qu'elle avait vécu elle-même. Malgré qu'ils ne se connaissent pas, au fond, Lucca était surpris mais dans le bon sens qu'elle se confie sur son propre vécu, même si au final chacun était différent, vivait les choses à sa manière et arrivait à surmonter avec une durée plus ou moins longue.

" - Hum... Je suppose que je suis censé te remercier." fit-il sans grande conviction avant de poursuivre " - Alors merci, et qui sait, peut-être à une prochaine fois !"

On ne va pas se mentir, hormis si Lucca revient par ici pour voir James, il n'avait pas dans l'idée de contacter la jeune femme. Enfin c'était son avis à ce moment présent, qui sait ce que la vie nous réserve...

FIN